2septembre2012

Et ta sœur, elle lit le bric à blog pendant l’été ?

Posté par Paul dans la catégorie : Bric à blog.

En juillet, elle aurait lu ça

Elle le lit ? C’est super, ça va faire remonter l’audimat fléchissant. D’ailleurs, quoi de mieux qu’un « bric à blog » bien frais avec son petit lot de petits liens bien croustillants et son verre de vin de noix maison avec un zeste de glace pilée… ? J’avais oublié les recettes estivales : quelques chroniques sympas, pas trop « prise de tête », genre belles histoires qui se terminent bien ou pas trop mal… Je ferai un effort l’an prochain ; c’est promis. Pour l’heure, je cogite, je cogite… Je cherche l’inspiration dans les titres de presse : il y a de quoi rêver.. Quelques exemples : « Ampoules au pied, comment choisir les bons pansements ? » ; « Méditation, six bonnes raisons de s’y mettre » ; « La prière, une arme contre Alzheimer » ; « La chaleur pousse-t-elle à faire l’amour plus souvent ? »… J’en passe et des pires… En attendant, bricablogons…

 Le festival d’Avignon est comme chaque année paraît-il, un des lieux incontournables de l’été. Je n’y suis jamais allé et je ne suis pas pressé de changer d’avis. Raconté par Mère Castor, au fil de ses chroniques de l’été, j’avoue que ça me donne un peu plus envie, que vu à travers la lorgnette de Télérama, le magazine culturel tout aussi incontournable que les séries télé qu’on nous programme à longueur de semaine. Comme je suis allergique aussi au Tour de France, aux J.O. d’été comme d’hiver, il ne me reste plus grand chose à me mettre sous la dent sur l’écran magique. C’est sans doute pour cela que, record absolu je crois à la maison, la télé n’a dû être allumée qu’un quart d’heure au mois de juillet. En ce qui concerne Mère Castor, il n’y a rien de surligné en bleu ; c’est volontaire ; Mère Castor, son blog est dans la liste des liens permanents de La Feuille, et j’en ai marre d’encourager la paresse. Avant de cliquer, faites glisser votre curseur délicatement vers la colonne de droite… Vous verrez c’est extraordinaire, il y a une liste de liens géniaux et incontournables. Faites votre choix, même s’il n’y a ni soldes, ni promos fantastiques. Bien entendu, c’est dans ses chroniques de juillet que Mère Castor parle d’Avignon. En août, elle gîte et cogite et elle a bien raison.

 La Bretagne première région de France productrice de tomates. J’ai appris ça au marché de Morestel (capitale du canton de Morestel) au mois de juin. Et c’est vrai ! J’en ai eu la confirmation sur le Web ce mois-ci, notamment sur un article publié sur Bastamag, un site d’infos dont la qualité va plutôt en s’améliorant contrairement à Rue 89 qui se transforme progressivement en « Libé du web », à moins que ce ne soit en « Paris Match de gauche » ou en « Gala ». Leur rachat par le « Nouvel Obs » n’a pas arrangé la situation. J’en reviens à mes tomates. Dans l’article de Bastamag, on apprend, entre autres, que les institutrices roumaines ramassent des tomates pour compléter leur revenu et qu’il faut autant de dépense énergétique pour produire un kilo de tomates que pour chauffer une maison isolée habitée par 4 personnes pendant une journée. Lisez-le, vous aurez quelque chose à raconter au prochain apéro auquel vous êtes invités par vos copains/copines.

Après le festival d’Avignon et les tomates, la transition est difficile à faire. Autant ne pas la tenter ! En plus l’actualité du mois de juillet n’avait rien de bien distrayant… Arrivé là, je me suis dit que le BàB attendrait la fin août.

Et en août elle aurait lu ça

 La Feuille Charbinoise n’a pas commémoré en août (le 23 août pour être précis) le triste anniversaire de l’exécution de Sacco et Vanzetti. Heureusement, l’ami JEA s’en est chargé avec brio sur « Mo(t)saïques 2 ». Je vous invite donc à lire son billet, si vous ne l’avez pas encore fait (ce blog est aussi dans la liste des liens permanents que tout bon lecteur se doit de consulter au moins une fois par semaine). Comme d’habitude, c’est bien documenté et cela remet les pendules à l’heure en rappelant à la fois l’acharnement de la justice américaine contre ces deux anarchistes et la vague de soutien qui s’est déployée dans le monde entier pour tenter de les arracher à la chaise électrique. Ils n’étaient ni les premières ni les dernières victimes de la justice de l’Oncle Sam. Je me permets de voler cette belle citation extraite d’une lettre de Vanzetti au fils de Sacco, rédigée la veille de sa mort : « Rappelle-toi, Dante, rappelle-toi toujours ces choses. Nous ne sommes pas des criminels. On nous a condamnés sur un tissu d’inventions, on nous a refusé un nouveau jugement, et si l’on nous exécute après sept ans, quatre mois, onze jours de souffrances inexprimables, c’est pour les raisons que je t’ai dites, parce que nous étions pour les pauvres et contre l’exploitation et l’oppression de l’homme par l’homme. »
Quelques années plus tard, le célébrissime président Théodore Roosevelt devait déclarer avec beaucoup d’élégance : « L’anarchisme est un crime contre l’humanité entière et toute l’humanité doit se dresser contre lui. » On appréciera la conception que certains Etatsuniens ont de la notion de « crime contre l’humanité ».

 A propos de déclarations intelligentes, il ne faut pas manquer de relever celle de notre brave ministre du « redressement productif » (un terme pareil il fallait l’inventer ! A se demander si ce n’est pas le professeur Shadoko qui a inventé la liste des postes) Arnaud Montebourg. Ce politicien qui est, avec Valls notamment, l’un de mes préférés dans l’équipe gouvernementale actuelle, considère que « le nucléaire est une filière d’avenir ». Je me suis plongé avec délectation dans l’étude de son arbre généalogique, histoire de vérifier que l’un de ses proches ancêtres ne serait pas le célèbre voyant Maginot, créateur de la méthode du même nom qui devait bloquer ad vitam aeternam toute velléité d’invasion de nos voisins germains. Le nouveau Pdg d’AREVA aurait (paraît-il) déclaré : « j’en ai arêvé, je n’ai pas osé, mais Arnaud l’a fait ». Le pdg de la compagnie des écologistes de salon, ceux qui paradent dans ce gouvernement de tanches, en aurait – paraît-il, là-aussi – avalé sa montre swatch de travers. Sur son blog « Planète sans visa« , toujours aussi sympa, virulent et bien informé, le journaliste Fabrice Nicolino ne sait plus de quel nom traiter ce mauvais comique de répétition. Sur ce blog, outre l’article concernant Montebourg, je vous conseille vivement de lire aussi « le loup comme plaque sensible », article racontant la désagréable mésaventure survenue à trois agents du parc du Mercantour. L’agression dont ils ont été victimes n’a pas fait la une des journaux. Eux aussi sont pourtant des fonctionnaires de l’état, mais comme ce ne sont pas des « jeunes des banlieues » auxquels ils ont eu à faire, il semble bien qu’ils ne bénéficient pas d’une remise de médaille par le Sinistre de l’Intérieur.

 Ce gouvernement se distingue finalement par toute une série de mesures plus « intelligentes » les unes que les autres. Valls d’un côté se fait remarquer par sa politique d’extrême-droite/rigueur (rayer la mention inutile) à l’égard des Roms qui servent, encore et toujours, de bouc émissaire estival ; Ayraut, de son côté, remet de l’huile sur le feu en ce qui concerne l’exploitation des gaz de schiste, mettant un terme au moratoire d’un an décrété l’hiver dernier par ses prédécesseurs. Il parait qu’un débat aura lieu sur la question le 14 septembre lors d’une « grande conférence environnementale » organisée par Matignon. L’environnement vu par les socialistes, ça m’interpelle sérieusement.
Il y a peu de temps de cela, un président de la République dont nous préférons oublier le nom, était frappé d’amnésie quant au statut d’immigré de sa propre famille. En août 2012, c’est le Sinistre de l’intérieur qui semble oublier la situation de son père, immigré catalan, arrivé en France en 1946, ainsi que le rappelle l’article de José Fort repris par Altermonde-sans-frontières. Mon confrère du blog « les cénobites tranquilles » a écrit aussi un bon papier pixelisé sur le sujet des Roms.
Si l’on parle volontiers maintenant du sort honteux réservé aux Républicains espagnols réfugiés en France en 1939, il semble que certains fragments de cette histoire, comme leur implication par la suite dans la libération de notre pays, restent toujours classés « sensibles ». Les autorités (de Gauche) françaises ne semblent pas apprécier que l’on rappelle la forte présence de militants anarchistes dans l’avant-garde de la colonne Leclerc ayant participé à la libération de Paris. Le déploiement de drapeaux rouges et noirs à Paris, lors de la cérémonie commémorative qui a eu lieu le 25 août, n’a pas été du goût du Sinistre de l’Intérieur (encore lui – finalement il n’aime pas non plus les anarchistes catalans). La quinzaine de militants présents autour des drapeaux ont bénéficié d’un embarquement immédiat, et sans autre forme de procès, dans les cars de police ainsi que d’un hébergement de faveur dans différents commissariats de la capitale.  Seul le chanteur Serge Utge-Royo, présent sur les lieux, a échappé à cette promenade touristique. On peut lire un compte-rendu de cette histoire sur le blog de Floréal ainsi que sur différents autres sites. Les passionnés d’histoire peuvent consulter l’excellent ouvrage d’Evelyn Mesquida, « la nueve », qui raconte, entre autres cet épisode de la libération de Paris… J’en reparlerai sans doute dans une prochaine chronique « lecture ».

 Je garde l’événement le plus sympa du mois pour la fin. Les rencontres internationales libertaires de St Imier, organisées à l’occasion de l’anniversaire de la création de la « Fédération Jurassienne » (faire un petit retour en arrière sur la Feuille Charbinoise !), ont rassemblé plus de 3000 militants venus du monde entier. Bref, pour un coup d’essai ce fut un coup de maître. Le « sommet » s’est déroulé dans une ambiance « bon enfant » et a été l’occasion de riches échanges entre les participants. Les anarchistes, même s’il n’y en même pas un sur cent, comme le disait si bien Léo, ne sont pas une espèce en voie de disparition, bien que leur existence ait le don d’énerver aussi bien la droite conservatrice que les forces de gauche soit disant porteuses d’un courant novateur. A mon grand regret je n’ai pu y assister – alors que j’en avais la ferme intention – car nos projets ici sur place sont toujours aussi dévoreurs de temps et d’énergie. Ce n’est que partie remise. Tous les compte-rendus que j’ai pu lire (sauf les rapports de police) décrivent la richesse des débats et la bonne ambiance qui a régné pendant 4 jours dans ce petit village – habituellement plus calme ! – du Jura suisse. Certains médias officiels ont même évoqué la rencontre… en quelques lignes seulement, il ne faut pas exagérer : l’anarchisme est un thème porteur uniquement quand il est question de bombes et de détonateurs. De nombreux compte-rendus sont disponibles sur le web. Je vous propose celui-ci sur le site de Rebellyon. La police anglaise a quand même trouvé moyen d’arrêter à l’aéroport deux militants qui revenaient de la rencontre. Porteurs d’idées nouvelles, ils étaient certainement dangereux dans un pays où le squat devient un délit fortement sanctionné… Il n’y a pas à dire, dans l’Union Européenne, on joue à la surenchère en matière d’atteinte à la liberté des peuples.
Bonne rentrée à ceux qui rentrent. on se retrouve « au fil du Rhône » dans quelques jours…

 

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20août2012

Lectures éclectiques, estivales, épiques, savoureuses mais aussi reposantes…

Posté par Paul dans la catégorie : l'alambic culturel; mes lectures.

J’arrête temporairement les chroniques à inclure dans la collection « la Jérémiade ». C’est un fait acquis : je n’aime pas le poisson ; je n’aime pas le dimanche, les cravates, les technocrates, les imbéciles, les politiciens, les chiens débiles et les variétés à la télévision… On ne va pas épiloguer cent sept ans. Par contre il est un autre fait qui est sérieusement établi :  j’aime les livres et j’aime LIRE. Comme quoi, même au mois d’août, même lorsque le mercure indique 36° à l’ombre, je suis capable de positiver.

Plus le temps passe et plus mes lectures varient ;  j’ai de plus en plus de mal à rester enfermé dans un genre littéraire quelconque… Je picore à droite et à gauche (plutôt à gauche) en fonction des conseils des uns et des autres ou de l’inspiration du moment. Je voudrais vous faire partager quelques belles découvertes d’ouvrages contemporains ou plus anciens.

 Si vous trouvez que cela ne fait pas très sérieux de lire des romans pour adolescents, allez directement au paragraphe suivant. S’il vous faut un alibi, vous pouvez toujours acheter « pour offrir » l’un des derniers ouvrages de mon amie Cathy Ytak : « le retour de la demoiselle » aux éditions « Ecole des loisirs ». Plusieurs fils emmêlés avec habileté tissent la toile de cette belle histoire écologique : le combat des habitants d’un petit village du Jura contre la construction d’un ensemble hôtelier qui va défigurer le paysage ; la découverte par le héros de la joie que l’on peut éprouver à jouer de la harpe celtique ; une belle histoire d’amour naissant… La magie des légendes celtiques, de Bretagne ou d’Irlande, se mélange avec la brume qui monte du petit lac jurassien… Le son cristallin de la harpe se confond avec le bruissement du vent dans les branches des épicéas… Une énième version du pot de terre contre le pot de fer, me direz-vous. Certes, mais avec quel talent l’auteur nous conte cette belle histoire. Dès les premières pages le charme opère et les personnages acquièrent très vite une profondeur qui les rend attachants. Je n’ai posé le livre qu’une fois terminé, et, croyez moi, la fin m’a fait pousser un grand « ouf » de soulagement… Adolescent attardé ? Pourquoi pas ? Il est plutôt rassérénant de se souvenir qu’à cet âge-là on faisait de nombreux rêves et qu’on ne les a peut-être pas tous oubliés. Autre mérite de ce livre, les informations délivrées au fil des pages sur la harpe celtique et son histoire. Si vous vous intéressez tant soit peu à la musique irlandaise ou bretonne, vous ne serez pas déçus. « Le retour de la demoiselle » est une bonne entrée pour découvrir l’œuvre déjà riche de cette auteure ; personnellement je crois que j’aime ce livre presque autant que « Rien que ta peau », à lire aussi si vous ne l’avez pas encore fait…

Je tenais à vous parler du livre de Cathy, même s’il ne présente guère de rapport avec les trois suivants, car c’est celui avec lequel j’ai ouvert mon cycle de lecture estivale – cycle dont la caractéristique principale est de s’enchainer avec harmonie au cycle des lectures printanières…

 Je n’ai guère envie de lire de thrillers par les temps qui courent (la chaleur ne doit pas être compatible avec les bains de sang), mais j’ai toujours autant de satisfaction à fréquenter les marges du roman policier. J’ai lu avec plaisir « L’ombre de ce que nous avons été » de Luis Sepulveda (remarquablement traduit par Bertille Hausberg, aux éditions Métailié). Ce qui est amusant c’est que lorsque je rencontre un auteur qui me plait, j’ai l’habitude « d’éplucher » son œuvre de façon plus ou moins systématique, chose que je n’ai pas faite avec Sepulveda, dont la bibliographie est pourtant particulièrement fournie ! Tous les deux ou trois ans, je croise le chemin de l’un de ses romans, et tire généralement un grand plaisir à sa lecture. « Le vieux qui lisait des romans d’amour » m’a beaucoup plu, de même que le « journal d’un tueur sentimental ». Il se peut aussi, tout bonnement, que le style de Luis Sepulveda ne se prête pas à une lecture en série. Pour en revenir à « L’ombre de ce que nous avons été », le thème de l’histoire, annoncé dès les premières pages, est simple : il s’agit de la rencontre de trois vieux messieurs, plus ou moins dignes, anciens résistants à la dictature de Pinochet au Chili, qui se sont donné rendez-vous, vingt ans après, pour un « dernier gros coup ». Pour atteindre leur objectif, ces trois guerilleros en déroute ont besoin de l’aide d’un quatrième larron, le « spécialiste », qui a la triste idée de mourir au cours du trajet, d’une manière pour le moins originale. En toile de fond de ce récit parfois drôle, parfois triste, toujours émouvant, le Chili de Pinochet mais aussi la difficulté du retour d’exil, les trahisons de la « démocratie », les blessures qui ne guérissent pas. Ce qui est attachant dans l’œuvre de Sepulveda, c’est la manière dont il dépeint ses personnages et le côté saugrenu, mais pas forcément farfelu, des situations auxquelles ils sont confrontés dans leur quotidien. Le simple achat d’un lot de poulets rôtis sert de base à un épisode grandiose de l’histoire. Une lecture idéale pour ceux qui cherchent un roman pas trop long, entrainant, mais pas si léger que ça dans le fond.

 Avant de déguster le Sepulveda, je m’étais offert un autre petit plaisir, le dernier (?) roman de Paco ignacio Taïbo II : « le retour des Tigres de Malaisie », traduit par et publié aussi par les éditions Métailié. L’enchainement a été des plus heureux et ne m’a posé aucun problème. Pour une fois, ce n’est pas vraiment un polar qu’a écrit le prolifique PIT II, mais plutôt un roman d’aventures moderne, un nouvel ajout à la longue lignée des écrits de Gustave Lerouge ou de Paul d’Ivoi. Les « tigres » que fait revivre Paco Ignacio Taïbo II ne sont en effet pas des inconnus pour les amateurs de romans populaires. Il s’agit de la résurrection de personnages créés par l’écrivain italien Emilio Salgari, célèbre auteur feuilletoniste du début du XXème siècle. Comme il l’a déjà prouvé par le passé en faisant revivre son héros, le détective Héctor Belascoarán Shayne, à la demande de ses lecteurs scandalisés, PIT II est un spécialiste de la résurrection littéraire. L’illustre Sandokan et ses amis jouissent d’une popularité considérable dans les mers du Sud, de Singapour à Bornéo, sans oublier la presqu’île de Malaisie. Retirés des affaires, ils profitent d’une retraite bien méritée, mais d’étranges adversaires s’attaquent à leur modeste empire et veulent les forcer à sortir de leur vie bien rangée : les Tigres sont victimes d’attaques répétées ; des inconnus s’acharnent à les calomnier dans la presse et à s’emparer de leurs réserves financières les plus secrètes. Les actes de barbarie se multiplient contre les populations indigènes des îles. Nos héros décident de passer à l’action et de démasquer l’étrange société secrète qui cherche à nuire à leurs intérêts privés. La tempête se lève sur la mer de Java et le mystérieux chef des mendiants de Singapour n’a qu’a bien se tenir ! Une histoire haute en couleurs, avec de nombreux rebondissements, de prodigieux exploits et des héros hors du commun… Histoire de ménager le suspens, je ne vous dirai pas qui gagne à la fin bien entendu, mais un bon roman populaire ne trahit jamais son lecteur !

 Après avoir lu ces deux ouvrages plutôt singuliers, la transition s’annonçait difficile et j’ai hésité, je l’avoue. « Le Rhône au Moyen-Age » de Jacques Rossiaud me faisait un clin d’œil. La voix de la raison me conseillait cette lecture histoire de boucler ma chronique sur la navigation sur le Rhône. Je ne l’ai pas écoutée. Je me suis laissé manipuler par le copain qui m’a prêté « Mêlée ouverte au Zoulouland » de Tom Sharp (éditions 10/18, traduction de Laurence). La lecture du résumé m’a convaincu que le thème de ce livre promettait un enchainement à la hauteur de mes espérances pourvu que le talent de l’auteur soit à l’aune de son ambition. L’action se déroule en Afrique du Sud, après la guerre qui a opposé les Boërs et les Anglais. Le Kommandant Van Heerden et ses adjoints, le lieutenant Verkramp et le constable Els, tous trois d’une nullité flagrante et d’une imagination sans limite, sont chargés du maintien de l’ordre dans la petite bourgade de Piemburg. L’auteur dresse un portrait sanglant de ses trois héros : racistes, crétins, violents, ambitieux… tous les ingrédients sont réunis pour un cocktail explosif… La déflagration ne tarde pas : la comtesse Hazelstone convoque le chef de la police dans son manoir pour lui expliquer qu’elle vient de tuer d’une décharge d’un énorme fusil destiné à la chasse à l’éléphant, le cuisinier zoulou dont elle était la maîtresse depuis plusieurs années. La vieille femme accumule les détails truculents dans son récit, du genre la passion des deux amants pour le latex bleu, au grand effarement du Kommandant Van Heerden. Suite à ces aveux qui ne lui conviennent guère, le gradé prend la décision qui lui paraît la plus raisonnable : bouclage militaire de la propriété jusqu’à ce que la coupable revienne sur ses aveux. C’est sans compter sur le zèle de ses adjoints qui, dans les heures suivantes, provoquent un véritable massacre dans le parc qui entoure le château. Le responsable régional de la police se frotte les mains ; peut-être a-t-il enfin trouvé le moyen de se débarrasser de cet ineffable crétin de Van Heerden… L’auteur lui même le reconnait : il travaille au coupe-coupe et ne fait pas dans la finesse. En tout cas, on passe un bon moment et le roman se savoure du début à la fin. Contrairement aux apparences, comme dans les deux autres livres rocambolesques que je vous ai présentés, la dénonciation de l’impérialisme apparait largement en toile de fond. Les puissances financières concernées et les méthodes employées ne sont pas les mêmes dans les trois livres puisque l’on voyage du Chili à la Malaisie en passant par le Zoulouland. Mais il y a indiscutablement un point commun entre ceux qui tiraient les ficelles des pantins coloniaux en Afrique et ceux qui démolissaient dans l’ombre le régime de Salvador Allende.

 Changement de style, sinon vous allez croire que je ne lis plus que des histoires bien délirantes. Mais non, mais non ! J’ai presque achevé « le Rhône au Moyen-Age » en ne faisant qu’un bref intermède pour lire deux volumes des « enquêtes du mandarin Tân » de Tran-Nhut aux éditions Picquier, « L’homme des bois », recueil de textes d’Elisée et Elie Reclus sur les Indiens d’Amérique, aux Editions Héros-Limite, ou encore « Un été dans la Sierra » de John Muir chez Hoëbeke (traduction de Béatrice Vierne)… Je passe sous silence les quelques déceptions qui auraient pu rallonger cette liste. Il ne faut pas s’acharner sur les ambulances disait mon arrière grand-oncle qui était pilote de Zeppelin. En lisant « … Libertaires, mes compagnons de Brest et d’ailleurs », autobiographie de René Lochu, avec une préface de Léo Ferré, publiée aux éditions « la digitale », je n’ai pu m’empêcher de penser à la fois au livre de May Picqueray, « pour mes 81 ans d’anarchie », et surtout aux « carnets de lutte d’un anarcho-syndicaliste » de François Bonnaud, dont je vous ai déjà touché un mot dans ces colonnes. Le livre de René Lochu est émouvant de simplicité. Point de grandes théories, de grandes considérations philosophiques, le simple vécu quotidien d’un homme confronté parfois avec brutalité avec la réalité d’une vie militante sans concession. Rien ne prédispose pourtant Lochu à militer pour la cause anarchiste. Engagé volontaire en janvier 1918 – histoire de pouvoir choisir une affectation dans la marine – il assiste plus comme témoin que comme acteur, aux mutineries de la mer noire. Les marins français refusent de collaborer à la sale guerre engagée par les Anglais et les Français pour soutenir les Russes blancs et la répression est féroce. Lochu ignore alors que les « rouges » qui se battent contre l’armée de Dénikine en Ukraine, sont les fameux soldats de la « Makhnovtchina » rouge et noire, dont il rencontrera le leader, Makhno, quelques années plus tard à Brest. Si le souvenir des luttes ouvrières de cette époque « entre les deux », vous indiffère, si les souvenirs du « Front populaire » et les manifestations pour la libération de Sacco et Vanzetti vous indifférent aussi, certes ce livre n’est pas fait pour vous. Mais si vous vous intéressez à cette tranche d’histoire populaire, alors les souvenirs de René Lochu sont plaisants à découvrir et riches d’anecdotes qui rendent certains personnages un peu moins poussiéreux. Pour conclure sur une note de musique, sachez que Ferré était un grand ami de René Lochu, et que c’est en son honneur que l’artiste composa sa chanson « les étrangers ».

 Il me reste à vous parler d’une autre découverte estivale pour compléter cette chronique qui ne veut en aucun cas concurrencer « le magazine littéraire ». Parmi les personnages qu’a côtoyés René Lochu à la bourse du travail de Brest, il en est un qui fera l’objet de la dernière partie de cette chronique nourrissante. Je me suis lancé dans la lecture, item par item, de la réédition de l’encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure. Un seul volume est paru pour l’instant et je dois dire que c’est un bel ouvrage. Ce tome 1 couvre les lettres A jusqu’à C, de « abdication » jusqu’à « cynisme ». Le prix un peu élevé (29,90 €) est justifié par la qualité de l’édition : non pas du dos encollé, genre livre de poche grand format, mais un vrai livre, avec une vraie reliure cartonnée et des cahiers cousus. Les Editions des Equateurs n’ont pas fait les choses à moitié et j’espère que leur initiative va être soutenue par les ventes, même s’il existe une version internet gratuite de cet ouvrage. Certes, il est des articles qui datent un peu, mais une bonne part des textes reste largement d’actualité. Sébastien Faure fait preuve de beaucoup de lucidité en ce qui concerne le « bolchevisme ». Il n’en est pas vraiment de même en ce qui concerne la rubrique « atome », mais il faut dire, à sa décharge, qu’il ne disposait pas des éléments dont nous avons connaissance actuellement. Il s’est en effet lancé dans cette entreprise ambitieuse en 1930, alors qu’il était âgé de 70 ans. D’après le projet initial, son encyclopédie devait comporter cinq volumes, chacun détaillé en plusieurs tomes. Il ne sera pas allé aussi loin dans l’accomplissement de son œuvre : seuls quatre tomes du premier volume seront achevés avant sa mort ; mais à eux seuls ils représentent déjà une somme colossale de 2893 pages. Il veut rassembler un ensemble de connaissances à destination des anarchistes, histoire de montrer à quel point la pensée libertaire couvre un vaste champ de préoccupation, et apporte une vision nouvelle sur bon nombre de problèmes moraux, philosophiques, scientifiques… Il assure la coordination de ce travail colossal et rédige lui-même de nombreux articles. Nul doute qu’Elisée Reclus, auteur de « l’homme et de la terre », se serait associé à ce projet s’il avait été encore de ce monde. L’introduction de l’ouvrage, rédigée par l’éditeur, Olivier Frébourg, est intéressante et elle a le mérite de dresser un portrait plutôt fidèle de ce militant pacifiste hors du commun, malheureusement peu connu hors des cercles libertaires.

Je vous laisse un temps, histoire de me lancer dans une nouvelle lecture, plus récréative, la série BD « Hauteville house » dont les trois premiers tomes s’alignent sagement sur mon étagère… Je vous en parlerai – peut-être – dans un prochain billet, si la fin du monde, programmée paraît-il pour dans quelques mois, m’en laisse le temps… Après ça, si nos projets de déambulation automnale se concrétisent, peut-être ferai-je une nouvelle plongée dans la littérature de voyage.

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15août2012

Rien à faire, je n’aime pas le dimanche

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour....

La saga des chroniques du schtroumpf grognon continue : après le poisson et juste avant les cravates (ah bon c’est prévu ?), les technocrates et le Nouveau Centre, on s’attaque au dimanche. Aucun respect, même pour le sacro-saint repos dominical, ce jour sacré où Monsieur astique les chromes de sa Béhèmedoublevé toute neuve, pendant que Madame s’active derrière les fourneaux, histoire de satisfaire les goûts dépravés de Bon papa et Bonne maman, « qui n’aiment pas la cuisine arabe mais raffolent du Tajine aux pruneaux ». Entre le footing du matin, l’entretien de la bagnole, l’apéro, et la course de formule 1 de l’après-midi, il n’y a plus guère de place pour le curé – mais ce qui compte, après tout, c’est que dans son moi profond on conserve une foi inébranlable dans les enseignements de la religion, enfin ceux qui ne compliquent pas trop la vie. Les week-end où il pleut, ça fait chier parce que c’est toujours pareil (mais heureusement on a acheté un babequiou à gaz) ; les week-end où il fait soleil, ça permet de se croire cinq minutes en vacances sur la plage à Biarritz, le jour où on enregistrait en direct un micro-trottoir sur les pédalophiles.

Ben moi, les dimanches c’est pas mon truc et c’est pas nouveau. Ce n’est pas parce que j’ai seulement une peau de chamois et pas de Béhèmercédès. Déjà, môme, c’était une journée qui me gonflait. Fallait aller à la messe, fallait enfiler les « zhabits du dimanche », fallait rester longtemps à table, respecter la pause sacrée du début d’après-midi, aller faire un petit tour à pied histoire de s’aérer un peu et de se dégourdir les jambes, alors qu’on était si bien à jouer dans sa chambre, genre on se refait la bataille de Reichoffen et on massacre les lanciers du Bengale avec un lance-missiles à tête nucléaire. Pourtant ni la télé, ni la console Naintendu, ni le portable n’étaient en cause. Je vous parle d’une époque lointaine où la télé faisait son apparition dans les foyers. L’accès à l’écran magique était strictement réglementé : les enfants avaient le droit de regarder « la piste aux étoiles » du mercredi soir et l’émission de variétés du samedi ; point final. Non, simplement une journée où l’on aurait aimé jouer relâche, sans vivre au rythme des adultes, jouer à cache-cache avec son ombre, et massacrer quelques Indiens avec son pistolet à fléchettes histoire de vérifier si l’on n’avait pas perdu la main au tir aux pigeons.

 Les dimanches de mon enfance expliquent certainement un certain nombre d’allergies que je cultive maintenant. Cela va des vêtements « comme il faut » que l’on ne doit pas salir, aux airs d’opérettes ou à la musique classique qui investissaient inexorablement l’espace sonore de la maison entre l’heure du café et celle du goûter. Il ne me reste que deux souvenirs vraiment positifs de cette journée que je n’aimais pas : les livres que m’offrait ma sœur aînée au retour de la messe et le menu du soir. On échappait à l’inexorable soupe poireaux-pommes de terre à laquelle on avait droit les autres soirs de la semaine. La maman-cuisinière avait sa demi-journée de repos, et le dîner, c’était souvent une boîte de petits pois et une tranche de jambon. Ces deux mets ont conservé une saveur particulière pour mon palais, même si leur qualité s’est, dans bien des cas, dégradée. Je n’initie point là le procès de mes géniteurs qui faisaient ce qu’ils pouvaient avec ce qu’ils avaient. Mon père était sans doute convaincu que sa ferveur musicale était partagée par l’ensemble de sa descendance. J’aime la musique classique, tu aimes la musique classique, nous aimons la musique classique. Point de salut hors Mozart et Chopin. Par la suite ça a continué avec les profs de français au collège : point de salut hors Balzac, Corneille, et Molière… Grande a été ma joie iconoclaste d’entendre Sheila chanter « l’école est finie », Cloclo vociférer son hymne sur les marteaux et ainsi de suite. Je le reconnais, déjà à cette époque, j’avais de singuliers plaisirs solitaires.

Je ne sais pas de quelle façon les dimanches ont continué à m’emmerder à l’adolescence, mais je sais que ça a été le cas. Pourtant, il n’était plus question de messe depuis pas mal de temps et je disposais de moyens autonomes pour écouter de bons airs sympas, en collant avec amour des collections de roquettes sous les ailes d’avions pas si civils que ça. Je crois que ce qui n’allait pas, ce jour-là, c’est que c’était la journée « sans copains ». Je ne parle pas des copines ; on n’est pas au confessionnal. Tout le monde était cloitré chez soi, « en famille », avec le tonton, la tata, les frangines et le baba au rhum ou le civet de lapin. Lorsqu’un jour j’ai tourné la page de mon dernier « club des cinq » pour me lancer dans la lecture du « capital » de Marx, la situation n’a pas évolué. La semaine, une vie politique intense agitait mes neurones. Le dimanche, de solides rituels familiaux les engourdissaient dans les brumes de l’avachissement. Il y avait bien quelques débordements de pensée, mais les discussions en famille ne me convenaient guère ; c’était plus facile de démolir le monde dans la cour du lycée avec les copains que d’expliquer à des parents raisonnables pourquoi il était urgent de faire une journée de grève pour protester contre la présence militaire française au Tchad. Les virées nocturnes, bombe de peinture à la main, se sont ajoutées aux discussions acharnées autour d’un « rouge limé » à la buvette de la « Maison du peuple ». Les dimanches sont restés les dimanches, même si je ne consentais plus guère à m’endimancher.

 Je m’a trouvé une fiancée comme qu’y dirait le cénobite tranquille, puis nous avons eu deux charmants mouflets. Je vous ferai grâce des décennies qui se sont écoulées depuis les paragraphes précédents ; une seule chose cependant, les dimanches ont continué à m’emmerder. Je pourrais dresser une liste de griefs à rallonge. En mélangeant les époques, la gravité des faits, la fréquence des événements, ça donnerait un cahier de doléances de ce genre-là…
– le dimanche soir, fin du week-end, les enfants prennent le train, quittent la maison, retournent vaquer à leurs occupations ; je n’aime pas cette séparation.
– j’ai dix planches à assembler ; je suis en panne de clous ; putain de merde, la quincaillerie est fermée.
– non seulement y’a que des blockbusters à la con au ciné, mais en plus il y a la queue ; ça pue le « crouich-crouich » à la mauvaise graisse ; comment y’a pas école le 7ème jour de la semaine ?…
– pas moyen d’être tranquille ; les copains viennent bouffer à midi ; comme ils font semblant de bosser, faut toujours inviter les copains le dimanche. Quand je pense qu’on est retraités et même pas libre de son temps…
– comment ça pas de courrier ? Et la suite de ma BD, je la reçois quand ?
– et merde, les voisins ne bossent pas : tondeuse, perceuse, débroussailleuse, aspirateur et auto-radios au menu ; je n’aime pas le bruit des autres !
– j’ai pas corrigé mes copies vendredi ; j’ai pas préparé ma classe samedi ; ça va encore me bouffer ma journée… Redis-moi, c’est quand les vacances ?
– au lieu de se reposer le septième jour, le grand manitou aurait mieux fait de réviser son travail ; y’a vraiment trop de choses qui tournent pas rond sur sa fichue planète…
– il y a deux soirées dans la semaine où les programmes de télé sont particulièrement débiles… L’une de ces deux soirées c’est celle du … (quizz vacances, 1 timbre oblitéré à gagner).

– … ! ? !

 Je vous fais grâce de la suite, je ne travaille pas pour « La Pléiade » ; quant à la collection « La Jérémiade », elle reste à créer. Le blog sur papier bible ça ne s’est pas encore fait et je ne veux donc pas dépasser la longueur standard qu’un vacancier est capable de digérer d’un trait. Un Perrier bien frais, un zeste de citron, une chronique de la « Feuille Charbinoise » pour accompagner. Sachant que le Perrier est contenu dans un verre de 33 cl et qu’un vacancier les doigts de pied en éventail boit un litre de Perrier à l’heure, calculez combien de temps doit durer la lecture. Si vous n’y arrivez pas, repassez votre Certificat d’Etudes, il vous sera plus utile que votre licence de paléographie tendancielle.

Il ressort de tout cela que maintenant j’ai horreur de porter des vêtement élégants et par conséquent inconfortables. Il y a environ quarante ans que je n’ai pas enfilé une cravate ; de toute façon, je ne sais pas faire les nœuds. Je préfère les pensées d’Elisée Reclus à celles de Saint Mathieu. J’adore les repas de fête, qu’ils soient familiaux, amicaux ou congrégationnistes, le mercredi. Je suis totalement allergique à l’opéra, à l’opérette et aux comédies musicales (ce n’est pas très grave comme séquelle, sachant que j’aurais pu l’être globalement à la musique – merci à tous ceux qui m’ont préservé de cette catastrophe). Je n’aime pas les gus qui astiquent leurs chromes avec une peau de chamois le dimanche matin. Je suis opposé à l’ouverture des magasins le dimanche – parce que l’on ne demande jamais leur avis aux travailleurs concernés (enfin, dans le cas des magasins, exception faite pour ceux qui vendent des clous ou des boules quiès).

Quand j’écris une chronique sur mon blog, je regarde le calendrier avant et, si c’est le dimanche, je n’oublie pas de remémorer le fait que je n’aime pas écrire le dimanche mais que c’est une honte parce que, le week-end, l’audimat de la Feuille Charbinoise chute inexorablement chaque semaine…

Post audimat cadent scriptum  – Je remercie les sponsors qui ont permis à cette chronique d’exister : Perrier microbulles, Certificat d’Etudes™, La Pléiade, La Piste aux Etoiles, Sheila, Béhèmedoublevé… Je rappelle aux sponsors de la prochaine chronique que le versement minimum est de 100 €.

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9août2012

Même dessalée, je n’aime pas la morue, et encore moins les sardines

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour....

 Je sais, c’est triste, mais c’est comme ça ; il est clair que ce n’est pas grâce à la pêche que je survivrai sur une île déserte après mon prochain naufrage. L’intérêt que je porte aux poissons s’arrête juste avant le filet du pêcheur. Si j’étais ministre de l’environnement, je serais même partisan de créer une taxe spéciale « poissonnerie » pour subventionner les torréfactions… C’est sans doute une tare, mais on ne se refait pas. La seule solution me paraît être la réincarnation, mais pas tout de suite. En fait, le seul regret que j’ai, dans cette histoire, c’est que je perds une bonne occasion de parfumer mon lotissement avec l’un de ces barbecues odorants qui font fureur au mois d’août. Mais comme, d’une part je n’habite pas un lotissement et que, d’autre part, je ne suis pas aussi méchant que j’en ai l’air, ce n’est pas trop grave. Et puis il me reste toujours les merguez.

Je n’aime pas non plus les sushis, ce qui me prive du plaisir de fréquenter tout un tas de restaurants branchés remplis de jeunes cadres dynamiques. Snif ! Mais le fait de voir mon voisin ou ma voisine en consommer me crée nettement moins de souchis que lorsqu’ils se délectent de filets de maquereau ou de harengs grillés. Quant à la tradition norvégienne ou suédoise consistant à déguster avec délectation de délicieuses terrines de harengs à moitié décomposés (je crois que cela se nomme surströmming), inutile de préciser que le fait de se livrer à ce rite initiatique à proximité de mes narines est une forme de déclaration de guerre. Je suis prêt à riposter à grand renfort de tartines d’Epoisse ou de Livarot, à moins que ce ne soit tout simplement à écraser une bonne boulette d’Avesnes bien à point sur le pif rubicond de l’agresseur. On verra s’il fait toujours le fiérot avec son surströmming… Il paraît que le même genre de coutume existe en Islande… Pourtant, les sources d’eau chaude ça me tente bien. Je n’aime pas l’eau froide (sauf dans le pastis) mais ceci fera l’objet d’une digression postérieure. Là je digresse sur le poisson si vous me suivez bien.

 Les naufrages en mer étant fréquents lorsque l’on habite le Bas-Dauphiné, j’ai déjà longuement étudié la question de ma survie crusoësque. Après de nombreuses années de réflexion, j’ai décidé que je ne monterai plus dans un bateau sans emmener avec moi au minimum un couple de porcelets, une chèvre en début de lactation, une vache écossaise et un arbre à saucissons. Si mon embarcation me lâche au mauvais moment, je veillerai à ce que ces animaux précieux figurent dans le même canot de sauvetage et j’exigerai que la radio du bord envoie sur les ondes un message contenant les coordonnées précises des ilôts sur lesquels je risque d’échouer, ainsi qu’une demande pressante pour qu’UPS, SNCF ou RATP me ravitaillent chaque semaine, en larguant par avion un container rempli de victuailles alléchantes à mon palais. Pour les fruits, ce n’est pas la peine, je présume que l’île déserte sur laquelle je commencerai mon séjour d’ermite sera pourvue de façon convenable. Installé dans mon hamac, je relirai l’île mystérieuse de manière à me renseigner de façon précise sur la manière dont je pourrai disposer des équipements de base nécessaires.

Quant aux voyages dans les pays dont la tradition culinaire repose largement sur le produit de la pêche, eh bien je m’adapte. J’ai fort bien survécu à trois semaines de séjour au Portugal sans jamais consommer l’une des 365 recettes de morue que proposent – paraît-il – les restaurants de ce pays magnifique. Je n’ai été vraiment dérangé que par le fait que les seuls légumes proposés en accompagnement de mes vingt et une côtelettes successives soient, l’un après l’autre ou l’autre après l’un ou les deux ensemble, du riz et des frites. Puisque j’ai choisi de dévoiler au grand jour une partie de mes vices cachés, je vous avouerai même qu’en Grèce, j’ai éprouvé grand plaisir – avec une pince à linge sur le nez – à voir les pêcheurs décharger le résultat de leur travail sur les quais. Après un tel spectacle, on ressent une grande satisfaction en savourant un petit noir accompagné d’une bonne pita aux amandes et en se disant que l’on n’est pas à l’origine du massacre qui vient d’avoir lieu.

 Une autre question à laquelle j’ai longuement réfléchi, c’est la question du végétarisme. Nombre de végétariens de ma connaissance remplacent le faux-filet de bœuf par un steack de cabillaud, ou la fine tranche de jambon cru fumé par un filet de truite de mer. Or ces préparations – délicieuses si l’on en croit ces personnes – ne motivent guère mes papilles gustatives. Le jour où je virerai ma cuti (il me semble qu’il soit assez éloigné bien que je sois de moins en moins « viandard » comme ils disent gentiment) il faudra que je trouve autre chose que le Surimi (ou le Tofu) pour me motiver. En fait, si je deviens végétarien, je me limiterai (pour les protéines) aux œufs et au fromage… et peut-être même – j’ai honte – aux deux en même temps. Toute attitude sérieuse devant s’appuyer sur des bases idéologiques idoines, je cherche un compromis (avec de solides justificatifs) qui me permettrait des escapades relativement fréquentes vers le saucisson ou la noix de jambon fumé. J’ai bien essayé des théories du genre : « finalement le cochon ce n’est guère qu’un végétal transformé… « ,  « le grain de maïs vous ne croyez pas qu’il souffre lorsqu’on l’arrache de son épi…  » ou encore « que devient l’âme de la salade lorsqu’on lui coupe ses racines ? »… Mais comme les végétariens me regardaient avec des gros yeux et que les zomnivores s’indignaient du fait que je ne réclame même pas une petite côte de bœuf de temps à autre, j’ai relégué le débat pour une future réincarnation. En fait, je vais écrire au chef des végétariens pour lui demander si je ne pourrais pas troquer la poiscaille contre la cochonaille, sachant que pour tout le reste j’ai bon : céréales, fruits, légumes, légumineuses, léguminettes et tutti quanti. Je garde en réserve un argument de taille pour étoffer ma requête : j’accepte même de manger un peu de tofu de temps à autre en sandwich entre deux bouts de camembert bien fait. Mais les lentilles sans jambonneau… quelle tristesse !

 Je sais que ces aveux mal contrôlés vont m’occasionner quelques ennuis, voire même – peut-être – une excommunication (quoique je doute que la papauté se mêle de cette querelle. Elle nous a déjà assez emmerdé avec son poisson du vendredi et son carême à rallonge). Il y aura bien quelque lecteur pour me conseiller d’aller voir un diététicien, un esthétichien ou un pschittcanalyste… L’entretien ne manquera pas de piquant ; j’en jurerai..
« – Vous aviez un poisson rouge quand vous étiez petit ? Un jour vous l’avez fait bouillir avec l’eau du bocal pour voir s’il se décolorait ? … Allongez-vous et déballez tout…
– Déjà petit, je n’aimais que le poisson pané, surtout celui à base de sciure… J’avais la phobie des arêtes, docteur… C’est pour cela que je suis devenu enseignant parce que les petits mammifères scolarisés ont des os, un vrai squelette eux au moins… Non je n’ai jamais fait bouillir de petit garçon dans son bocal pour le désosser… Ce n’est pas une histoire de couleur docteur, bien que je préfère la viande blanche à la rouge… Quoique, non docteur, oui, enfin je sais, le poisson c’est blanc, comme le poulet… Non docteur je n’ai jamais fait bouillir un poulet dans son petit aquarium. Le pauvre poulet il est mort avant, noyé, même pas eu le temps de faire monter l’eau à 40°…
–  Mais vous n’en mangez donc jamais ?
– Si docteur, de la sole parfois, parce que ça goûte le lapin plus que le maquereau pas frais… Non non, rien à voir avec la platitude, ni avec la laideur… Zêtes pas un peu raciste à l’égard des soles docteur ? Comment ça pas de système nerveux central ?
– Vous avez la phobie des poissons ?
– Vivants, non, j’ai même été aquariophile à une époque où je n’avais pas encore réalisé qu’il fallait un réacteur nucléaire pour chauffer l’eau de ces adorables petits néons scintillants.
– Bon et bien je pense qu’il va falloir nous revoir un certain nombre de fois. Un détail au passage, on règle les séances au jour le jour…
– Trois cents euros c’est pas un peu cher ? Juste pour une petite analyse simplette ? »

Même pas peur de l’île déserte… Mais je n’emporterai pas de canne à pêche, sûrement pas ! Juste un Opinel ou un Laguiole.

Post mortem scriptum : je remercie les coutelleries de Thiers, le jambon d’Aoust et la fromagerie artisanale de Vertugadin sur Fièvre, pour leur généreuse action de sponsoring. Ce n’est qu’avec les chèques d’industriels intelligents que la Feuille Charbinoise suit fidèlement sa voie vers la lumière et le développement général de l’humanité.

Post scriptum pre reincarnationem (désolé il n’y a pas d’accents en latin et ça complique la tâche du scripteur et celle du lecteur) : Je vous jure seigneur, je n’ai jamais pêché…

 

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22juillet2012

Considérations pessimistes et ferroviaires

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive l'économie toute puissante.

C’est clair, tout va à vau l’eau (si l’on peut dire) côté ferroviaire ! Des sites d’info, des billets lus dans trois excellents blogs, divers événements survenus dans mon entourage m’ont inspiré ce billet. Au vu de toutes les données que l’on peut recueillir, une première conclusion s’impose, il faut moins de temps pour réduire à l’état de peau de chagrin un réseau de transport qui a fait la fierté de notre pays, que pour le mettre en place. Pour éviter les redites, je vous invite tout d’abord à relire un billet plus ancien publié ici-même et intitulé « splendeur et misère du rail ».

 Nous avons participé, il y a peu de temps, à une excellente animation en soirée, organisée sur les bords du Rhône par la maison du patrimoine de Hyères sur Amby et par le musée de la pierre à Montalieu. Le thème de cette soirée, balade, contes, musique et apéro, c’était le transport fluvial sur le haut-Rhône. Dans le cadre de l’exposé historique, j’ai eu l’occasion d’entendre cette anecdote qui, je trouve, résume à la fois l’évolution de notre réseau de transport et l’incohérence de nos décideurs… Au milieu du XIXème siècle, le transport des marchandises sur le Rhône s’intensifie (je vous prépare une chronique passionnante sur ce thème alors je ne vous en dis pas plus). Les divers gouvernements qui se succèdent décident de procéder à certains aménagements complexes, histoire d’améliorer une navigation fluviale plutôt périlleuse. Parallèlement, décision est prise de procéder à la construction de deux lignes de chemin de fer desservant les différentes régions traversées par le fleuve. La construction d’un canal, de plusieurs écluses, d’un nouveau port fluvial se termine. Ces équipements ne seront pratiquement jamais utilisés : la majorité du trafic a transité des bateaux vers les wagons.. L’âge d’or du chemin de fer est de relativement courte durée. Avec l’apparition des premiers camions performants et surtout le développement du réseau routier… le fret transite du rail vers la route… D’énormes investissements financiers et humains ont été consentis pour améliorer le trafic fluvial et ferroviaire : ils ne seront pas ou seulement partiellement amortis.

 Voilà pour l’histoire. Venons-en au présent. La SNCF traverse une période noire. L’entreprise a été démantelée en partie et scindée en plusieurs « succursales ». Des réductions drastiques d’effectif ont été opérées. Réseau Ferré de France (RFF) a hérité de l’entretien du réseau de voies ; la SNCF se charge de l’exploitation, mais seulement des grandes lignes rentables. L’heure est au TGV et à la liaison inter-cités, point final. L’objectif de l’opérateur est simple : il n’est plus question de service public et d’usagers satisfaits, mais d’entreprise performante et de clients rentables. Conséquence principale des réductions de personnel, la moindre panne prend des proportions considérables, le temps que l’on ait remonté la chaîne de décision et trouvé les techniciens et le matériel indispensable pour effectuer les travaux. La SNCF s’est délestée auprès des conseils régionaux de tout le trafic sur les voies secondaires. RFF assure l’entretien des voies, mais se fait payer en conséquence. Lorsque les collectivités régionales n’ont pas les moyens de financer les travaux nécessaires, la qualité d’exploitation se détériore et l’usager en paie les conséquences : trains supprimés, trafic au ralenti, retards innombrables. Les médias aux ordres en profitent au passage pour dénoncer la soi-disant incurie des cheminots, et insinuent que la dégradation des conditions de transport est lié au fait que la SNCF ne soit pas totalement privatisée ! Pour les instances régionales, la parade est toute trouvée : adieu le train, on remplace les lignes déficientes par des services par autobus.

 Les exemples ne manquent pas pour illustrer ce dernier propos. Une amie voulant aller en Italie, de Bourgoin-Jallieu à Milan, s’est vue proposer un trajet pour le moins complexe : Bourgoin – Chambéry par le train, correspondance avec un bus jusqu’à Turin, puis à nouveau train pour Milan. Explication donnée oralement par l’employé au guichet : de nombreux trains ont été remplacés par des autobus car le trafic ferroviaire est trop lent sur une voie unique qui ne répond plus aux besoins actuels… Ce cas de figure est loin d’être isolé. La SNCF elle-même a procédé de cette façon lorsqu’elle souhaitait mettre fin à l’existence de certains itinéraires, dans les régions jugées trop peu fréquentées. Parfois, lorsque le Conseil Régional ne se décide pas à prendre la décision, comme cela a été le cas dans la région du Puy, dans le Massif Central, c’est RFF qui annonce la fermeture d’une voie ferrée. Lorsque les usagers objectent que cette ligne est parfaitement rentable, RFF fait valoir l’argument « sécurité » : certains tronçons doivent être totalement réaménagés et le coût des travaux à prévoir est prohibitif. Autant rajouter un véhicule de plus sur la route !

 J’en étais à ce stade de mes cogitations lorsque je suis tombé sur le billet d’actualité du blog « massif central ferroviaire » dont j’ai déjà eu l’occasion de vous dire grand bien, dans le cadre d’un ancien « bric à blog ».  L’article intitulé « la drogue préférée des français ne coûte que 1,30 € le litre », ainsi que le billet suivant « Languedoc-Roussillon : après le TER à 1 €, le TER à 1 km/h »  (pour lire ce dernier texte, cliquer sur le lien « reste de l’actualité » à la fin du premier article) énoncent le même type de faits que ceux que je viens de vous raconter. Je partage entièrement le point de vue de l’auteur concernant l’automobile, et déplore tout autant que lui l’abandon dans lequel on laisse tomber d’une part le matériel roulant « ordinaire » et le réseau ferré secondaire. Pour ceux qui estiment l’exemple de Chambéry peu convaincant, voici un extrait du texte publié sur Massif central ferroviaire » : « On peut craindre, compte tenu de l’entretien très relatif des petites antennes ferroviaires concernées et de l’impécuniosité croissante des collectivités territoriales, que, sous couvert d' »harmonisation », de « cohérence », de « saine gestion des deniers publics », les dessertes routières soient généralisées à terme – c’est à dire après les prochaines élections régionales – sur toutes les lignes d’intérêt local ». La nouvelle devise des TER-SNCF deviendrait peu à peu, selon l’auteur : « A nous de vous faire préférer le car ! »

 Hasard ou volonté du dieu des blogs de me voir écrire ce billet ferroviphile, voilà que sur un autre site que j’aime beaucoup, « archéo-SF », je tombe sur un autre texte que je trouve fort amusant. L’idée est simple : et si l’automobile avait été inventée APRES le train, et que la découverte du trafic sur rail soit considérée comme un véritable progrès social… J’avoue m’être régalé à l’énoncé de cette idée. L’auteur de cet « excentricité » se nomme Jacques Pascal ; il a commis ce petit bijou en janvier 1934… Comme il s’agit bien entendu de Science Fiction, l’auteur situe son histoire dans le futur c’est à dire les années 1950… Un petit extrait pour vous mettre l’eau à la bouche : « En 1950 les routes sont fort encombrées et les accidents très nombreux. Mais les mesures de sécurité (comme le contrôle technique des véhicules!) sont onéreuses et les compagnies d’autoroutes déficitaires. Heureusement outre-atlantique on vient d’inventer des véhicules qui circulent sur des rails ! Oui des Railways ! Poussée par de puissants lobbies, cette nouvelle technologie, le chemin de fer, est en train de détrôner la reine automobile. Sentant la concurrence désastreuse pour elles, les compagnies d’autoroute se lancent dans la construction de voies ferrées… » Ou encore : « Coup de théâtre ! La Compagnie Paris-Nord obtient l’autorisation de construire une voie ferrée Paris-Lille sur son autoroute, en diminuant d’autant la plate-forme réservée aux véhicules automobiles : pas d’expropriation, et frais de construction réduits au minimum grâce aux caractéristiques techniques de l’autoroute. Ainsi la Compagnie réalise-t-elle, elle-même, le chemin de fer, pour qu’il ne se réalise pas contre elle. »
Merci à Archéo-SF d’exhumer de tels récits et de les proposer en téléchargement.

 Vous me direz que tout n’est pas totalement délirant dans cette fiction : les grands centres urbains ont bien « redécouvert » le tramway au cours de ces dernières décennies, après l’avoir enterré en grande pompe à l’époque ou voitures et autobus régnaient en maîtres sur les grands boulevards. Qu’est-ce qu’un tram si ce n’est un bus sur rail alimenté par l’électricité ! D’autres écrivains de SF ont également envisagé une régulation du trafic automobile en obligeant ces unités de transport individuelles à suivre un guidage électronique sur un rail commun (plus ou moins virtuel selon l’imagination du concepteur). Comble de l’humour ou talent de prophète, certaines associations proposent même à leurs clients avides de loisirs sportifs de se promener en « vélo-rail » sur les anciennes voies ferrées, lorsque celles-ci n’ont pas été précipitamment démantelées… Pour l’heure en tout cas, la situation est bien triste, à la fois pour les amis du rail, mais aussi pour ceux qui considèrent que le transport par le train, aussi bien pour les marchandises que pour les personnes, est sacrément compétitif sur le plan écologique… Nul n’est besoin pour cela de forcément créer de nouvelles voies à grande vitesse, comme dans le cas du projet Lyon-Turin. Nous disposons – pour quelques temps encore – d’une infrastructure ferroviaire remarquable. Dans bien des cas, il s’agirait simplement de rénover, de rectifier certains tracés scabreux, solutions qui sont certainement moins onéreuses et plus rationnelles que de vouloir sans cesse dévorer de nouvelles terres agricoles pour construire une seconde fois ce qui existe déjà. Une fois rendu le réseau existant performant, tant sur le plan des voies que celui du matériel roulant, il sera alors grand temps de se pencher sur le problème de la reconstruction de tout ce qui a d’ores et déjà été démoli.
Dans les années 30, il y avait une gare à trois kilomètres de notre domicile, et la possibilité à partir de là de se rendre à Lyon, puis n’importe où en France. La gare s’est éloignée de plus de 20 km. Nous avons de la chance, des trains s’y arrêtent encore… Pour combien de temps ? Quant à la ligne ferroviaire qui nous reliait à la capitale des Gaules (Chemins de Fer de l’Est lyonnais), elle a purement et simplement été démantelée et n’a même pas été remplacée par une piste cyclable comme c’est souvent le cas en Amérique du Nord par exemple.

La France n’est pas la seule à suivre cette politique ; loin de là. Les Etats Unis et le Canada ont donné l’exemple ; les Européens ont suivi. Il ne reste plus guère que la Suisse qui fasse des efforts pour maintenir en place son réseau de lignes secondaires. Il faut dire que la présence d’un nombre élevé de lignes de montagnes, avec ou sans crémaillère, constitue un attrait touristique indéniable. Tant qu’il y a des espèces sonnantes et trébuchantes, ma bonne dame…

NDLR – crédit photo – clichés 1 et 4 : photos Feuille Charbinoise –  clichés 2 et 6 source internet, wikipedia – cliché 3  : source internet  poitiers.transbus.org – dessin n°5 source internet archéo SF, article de Jacques Pascal.

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9juillet2012

Il y a cent quarante ans naissait la « Fédération jurassienne »

Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Un long combat pour la liberté et les droits.

Histoire d’un grain de sable anti-autoritaire dans la chaussure de Marx

 L’histoire du syndicalisme est passionnante à étudier ; en particulier les premières heures, les balbutiements, la naissance d’organisations parfois éphémères mais qui laisseront des traces dans l’histoire de par l’influence qu’elles auront sur celles qui vont leur succéder. Au milieu du XIXème siècle, les ouvriers prennent peu à peu conscience de la force que leur donne l’union (« one big union ! »), ainsi que de la possibilité qu’ils ont, en organisant de vastes mouvements de protestation, d’améliorer leurs conditions de travail. La Fédération Jurassienne fait partie de ces « noyaux révolutionnaires » dont il est bon de se rappeler l’existence : parcelle de lutte ouvrière, creuset d’une réflexion sociale exemplaire. Ce mouvement syndical regroupant différentes sections d’ouvriers horlogers du Jura suisse appartenant à l’Association Internationale des Travailleurs,  est né il y a cent quarante ans cette année. Cet anniversaire est marqué par l’organisation d’une grande rencontre libertaire à St Imier, du 8 au 12 août, dans le canton de Berne, en Suisse. Le rapport entre anarchisme et horlogerie ne passe pas, comme certains mauvais esprits pourraient le penser, par le mécanisme des détonateurs de bombes ; il s’agit plutôt d’un rapprochement entre l’idéal de liberté des compagnons horlogers du Jura, et les idées anarchistes de Bakounine, Reclus, et surtout d’une personnalité moins connue, James Guillaume, propagandiste de premier ordre dont j’aurai l’occasion de vous parler au cours de ce billet.

 L’Association Internationale des Travailleurs, également baptisée Première Internationale, est fondée en septembre 1864, à Londres. Grâce au travail de fourmi de ses premiers militants, l’AIT réussit, en une dizaine d’années, à s’implanter dans bon nombre de pays de l’Europe Occidentale ainsi qu’en Amérique. Son influence est grande dans le monde du travail, pas forcément par le nombre d’adhérents qu’elle possède effectivement, mais par le fait que de nombreux ouvriers se réclament de ses idées. Le principe de base sur lequel l’organisation s’est constituée est très clair : « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. » L’action des nombreuses sections créées dans les différents pays et dans les différentes branches d’activité est coordonnée par un Conseil Général qui n’est en aucun cas un bureau politique, mais un simple organe chargé d’organiser le transfert des informations et de développer la solidarité dans l’action. L’AIT fonctionne pendant un certain nombre d’année sur une vue fédérale plus proche des idées libertaires que de celles d’un Karl Marx soucieux de mettre en place un organe central beaucoup plus directeur… Dans la majorité des pays européens, la création des sections de l’AIT et l’adhésion des ouvriers à ces sections sont très mal perçues par les patrons et les gouvernements à leur solde. Seuls la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse se montrent relativement libéraux et tolérants par rapport à cette volonté manifeste de la classe ouvrière à se doter d’un outil de lutte.

 Plusieurs sections de l’AIT vont se constituer dans le Jura suisse. Elles vont surtout recruter leurs adhérents parmi les ouvriers de l’horlogerie, secteur industriel important dans cette région de montagne, de surcroit en pleine expansion dans le dernier tiers du XIXème siècle. Les entreprises sont nombreuses et de plus en plus mécanisées. Les salaires des ouvriers, relativement élevés à l’époque où se constitue l’AIT, baissent rapidement, jusqu’à diminuer parfois de moitié. Dans le val de St Imier, pour des raisons que Marianne Enckell expose très bien dans son ouvrage « la Fédération Jurassienne » (voir bibliographie en fin de billet), les esprits sont plutôt ouverts aux idées nouvelles et le syndicalisme va trouver un terreau propice à son développement. Les premières sections qui se constituent, dès 1865, ne le font pas sur des idées aussi révolutionnaires que celles propagées par les communistes, quelle que soit leur tendance. Les ouvriers horlogers sont plutôt modérés dans leurs revendications. Ils veulent surtout plus de justice sociale et une meilleure rémunération de leur travail. « Les 104 ouvriers réunis à St Imier en avril 1866 ne veulent pas faire la guerre ni aux patrons ni aux riches mais cherchent à améliorer la condition ouvrière par des moyens moraux et légaux, avec pour but de réunir les ouvriers de toutes les classes en un faisceau d’amis… » (ouvrage cité de Marianne Enckell) Dans un premier temps, ils souscrivent entièrement au programme démocrate et humanitaire du docteur Coullery, un réformiste plus soucieux de porter la lutte sur le terrain parlementaire que d’affronter les patrons d’usine par l’action sur le terrain.

 En quelques années, une évolution importante des idées va se produire : les arguments réformistes du Dr Coullery vont perdre de leur audience ; les idées révolutionnaires des militants les plus radicaux vont prédominer peu à peu. Pour illustrer ce propos, on peut dire que c’est en fréquentant les horlogers jurassiens que Pierre Kropotkine « apprendra » l’anarchisme et se convertira peu à peu à cette idée politique et philosophique. On peut lire ce passage surprenant dans ses mémoires :
«Les principes égalitaires que je rencontrais dans les montagnes du Jura, l’indépendance de pensée et de langage que je voyais se développer chez les ouvriers, tout cela exerçait sur mes sentiments une influence de plus en plus forte; et quand je quittai ces montagnes, mes opinions sur le socialisme étaient fixées. J’étais anarchiste».
Qui pourrait croire que ce pays, la Suisse, (dont on se fait une image souvent caricaturale !) soit l’un des berceaux de l’idée libertaire !
Les facteurs qui vont entrainer cette radicalisation des idées et des pratiques sont nombreux. Les conditions sur le terrain sont favorables mais ne suffisent pas. L’intervention d’un certain nombre de militants va avoir son importance. La Suisse, à cette époque, sert de « refuge » politique à un certain nombre de révolutionnaires exilés de leur pays d’origine où ils ne sont pas « personna grata ». C’est le cas du géographe français Elisée Reclus, réfugié à Vevey, ou de Michel Bakounine, évadé des prisons du tsar en Sibérie. Sur Wikisource, on peut lire à ce sujet, trois conférences données, par le célèbre révolutionnaire russe, aux ouvriers du val de St Imier. La lecture de ces trois textes est passionnante car elle montre bien à quel argumentaire, notamment sur la liberté et le parlementarisme, étaient réceptifs les horlogers du Jura. Bakounine s’adresse visiblement à un public cultivé ; ses références littéraires, historiques sont nombreuses et il ne manque pas de faire la comparaison entre le travail plutôt créatif des ouvriers du val de St Imier, à comparer au travail abrutissant auxquels sont soumis leurs compagnons des grandes fabriques.

  « Dans ma dernière conférence, je vous ai dit que vous étiez des ouvriers privilégiés. Quoique vous soyez bien loin en core de recevoir intégralement en salaire toute la valeur de votre production journalière, quoique vous soyez incontestablement exploités par vos patrons, cependant, comparativement aux ouvriers des grands établissements, vous êtes assez bien payés, vous avez du loisir, vous êtes libres, vous êtes heureux. Et je m’empresse de reconnaître qu’il y a d’autant plus de mérite à vous d’être entrés dans l’Internationale et d’être devenus des membres dévoués et zélés de cette immense association du travail qui doit émanciper les travailleurs du monde entier. C’est noble, c’est généreux de votre part. Vous prouvez par là même que vous ne pensez pas seulement à vous-mêmes, mais à ces millions de frères qui sont beaucoup plus opprimés et beaucoup plus malheureux que vous. C’est avec bonheur que je vous donne ce témoignage.
Mais en même temps que vous faites acte de généreuse et fraternelle solidarité, laissez-moi vous dire que vous faites aussi acte de prévoyance et de prudence ; vous agissez, non pas seulement pour vos frères malheureux des autres industries et des autres pays, mais aussi, sinon tout à fait pour vous-mêmes, au moins pour vos propres enfants. Vous êtes, non absolument, mais relativement bien rétribués, libres, heureux. Pourquoi l’êtes-vous ? Par cette simple raison que le grand capital n’a pas encore envahi votre industrie. Mais vous ne croyez pas sans doute qu’il en sera toujours ainsi. Le grand capital, par une loi qui lui est inhérente, est fatalement poussé à envahir tout. »

 Mais le travail d’information et de propagande est aussi l’œuvre de militants, issus du milieu ouvrier local : James Guillaume et Adhémar Schwitzguébel en particulier. Les ouvriers horlogers, adhérents des sections de l’AIT rejettent les projets parlementariste du Docteur Coullery et se rapprochent des idées révolutionnaires de la fraction anti-autoritaire de l’Association Internationale des Travailleurs. Un autre facteur important va en effet jouer son rôle dans la création de la Fédération Jurassienne : les conflits de plus en plus nombreux entre les sections locales de certains pays (notamment Suisse, Italie, Espagne…) et le Conseil Général de l’AIT. Karl Marx et un certain nombre de groupes de militants qui le soutiennent, œuvrent dans l’ombre pour augmenter progressivement les pouvoirs du Conseil Général, et pour transformer l’AIT en un véritable parti des ouvriers révolutionnaires, avec une ligne directrice, un programme d’action et des groupes locaux soumis aux directives du bureau central. Dès les premiers congrès, les ouvriers du Jura suisse rejettent, dans leur grande majorité, cette orientation. Ils sont trop attachés à leur indépendance, à leur esprit de solidarité, pour accepter l’ingérence dans leurs affaires d’une institution quelconque.

 Cette vision centralisatrice s’oppose totalement aux visions fédéralistes d’un nombre importants d’adhérents. Lequel des deux courants domine véritablement l’Internationale : ce point est l’objet de querelles politico-historiques plus ou moins intéressantes, dans lesquelles je ne rentrerai pas dans le cadre de cet article. Ce qui est certain c’est que la rupture entre partisans de Marx et de Engels et partisans de Bakounine est totale dans les années qui vont suivre le Congrès de Bâle en 1869, puis la guerre de 1870 et la Commune de Paris. Le Conseil Général de l’AIT manœuvre pour convoquer un nouveau congrès à La Haye, avec pour objectif l’exclusion du courant anti-autoritaire. L’assemblée a lieu en septembre 1872 et marque la fin de l’expansion de l’AIT, voire même le début de sa dislocation pure et simple. Grâce à de savantes manipulations, la tendance autoritaire et centralisatrice du Conseil Général décide de l’exclusion de Bakounine et de Guillaume, délégués des sections suisses. Les « centralisateurs » ne sont pas majoritaires en nombre de voix, mais, estimant la procédure en cours particulièrement déloyale, les opposants suisses et espagnols décident de s’abstenir au cours du vote final. Un certain nombre de sections ou d’individus, solidaires des deux militants exclus, quittent à leur tour les rangs de l’AIT. Une structure « de rechange » est en train de se mettre su pied. Les Jurassiens ont déjà pris leurs distances avec le Conseil Général pro-Marx.

« Seconde résolution du congrès de St Imier
Considérant que le vote de la majorité du Congrès de la Haye, concernant l’expulsion de l’Association internationale des Travailleurs des compagnons Michel Bakounine et James Guillaume, atteint directement la Fédération jurassienne ; Qu’il résulte, d’une manière évidente, des accusations portées contre Bakounine et Guillaume, que leur expulsion n’est que le résultat d’une misérable et infâme intrigue de quelques personnalités haineuses ; Que les compagnons Bakounine et Guillaume, tant par leur infatigable activité socialiste que par leur honorabilité personnelle, se sont acquis l’estime et l’amitié des adhérents à la Fédération jurassienne ; Le Congrès jurassien tenu à St-Imier le 15 septembre 1872 proteste énergiquement contre la résolution de la majorité du Congrès de la Haye concernant l’expulsion des compagnons Bakounine et Guillaume.
Le Congrès considère comme son devoir d’affirmer hautement qu’il continue de reconnaître, aux compagnons Bakounine et Guillaume, leur qualité de membres de l’Internationale et d’adhérents à la Fédération jurassienne. »

Lors d’un congrès « parallèle » en septembre 1871, les militants suisses, dans leur grande majorité, ont décidé de créer un regroupement de sections basé sur des statuts différents de ceux de l’AIT. Ils ont été rejoints très rapidement par les Italiens, déjà groupés en Fédération Régionale, ainsi que par les Espagnols acquis aux idées révolutionnaires de Michel Bakounine. Les Français sont divisés, mais ils sont surtout totalement désorganisés en raison de la répression féroce contre le mouvement ouvrier qui a suivi les différentes « Communes » (Paris, Lyon, Marseille…). De nombreux militants ont été exécutés. Les survivants, pour la plupart, sont soit déportés, soit en exil (notamment en Suisse où ils viennent grossir les sections locales).

 Le Congrès Général de l’AIT émigre aux USA (l’AIT va s’auto-dissoudre au congrès de Philadelphie en 1876, faute de représentativité). La tendance « collectiviste révolutionnaire » va devenir le pôle de regroupement de ceux qui, dans tous les pays où l’AIT est représentée, refusent la nouvelle orientation centralisatrice : une sorte d’Internationale anti-autoritaire en quelque sorte, puisque le terme « anarchiste » est relativement peu utilisé à ce moment là. La nouvelle Fédération, qui prend le nom de Fédération Jurassienne, se constitue pendant l’hiver 1871/72 et devient pleinement opérationnelle après son congrès à St Imier, le 15 septembre 1872. Les sections locales ne regroupent que quelques centaines d’adhérents, mais, dans le contexte de l’époque, cela suffit pour constituer un pôle d’influence important, d’autant que ces militants ne sont pas isolés, mais en relation avec de nombreux autres groupements. Les échanges d’idées sont particulièrement dynamiques ; la pratique sur le terrain témoigne de la vigueur de l’organisation. L’objectif de la Fédération Jurassienne, que l’on peut donc considérer comme une scission réelle de l’AIT  est clair : « la destruction de tout pouvoir politique par la grève révolutionnaire ». Participent au congrès de St Imier des délégués des fédérations italiennes, espagnoles, jurassienne, plusieurs sections françaises et deux sections américaines. Des groupes venus d’autres régions du monde rejoindront peu à peu la Fédération Jurassienne. Celle-ci tiendra son dernier congrès en 1877 à Vervier, avant de décliner et de disparaître totalement. C’est l’époque où un certain nombre de militants anarchistes actifs, déçus par l’absence de résultats concrets obtenus sur le terrain des luttes ouvrières, décide de « stimuler l’énergie » des masses populaires en se lançant dans l’action directe contre le patronat et ses représentants. Ceci est une autre histoire.

Pour terminer, je voudrais consacrer quelques lignes (en attendant de lui consacrer un billet complet) à James Guillaume, ce personnage ayant joué un rôle clé, à la fois dans l’implantation de l’AIT dans les vallées du jura et plus particulièrement dans l’industrie horlogère, mais ayant été aussi l’une des chevilles ouvrières, par son travail de propagande, de la constitution de la Fédération Jurassienne. Avec Michel Bakounine, Guillaume était l’un des opposants les plus lucides à la dérive autoritaire qu’a connue le Conseil Général de l’AIT, à l’instigation de Marx et Engels.  James Guillaume, né en 1844 est âgé de 28 ans lorsque se constitue la Fédération. Fils d’un conseiller d’Etat, il exerce le métier de professeur au Locle jusqu’en 1869, date à laquelle il est révoqué, l’administration estimant que ses fonctions ne sont pas compatibles avec ses activités au sein de l’AIT, ainsi qu’avec ses convictions violemment anti-religieuses. Après sa révocation, il réside à Neuchâtel et travaille dans un premier temps dans l’imprimerie familiale. A cette période de sa vie, il va prendre en charge la rédaction des journaux de l’Internationale dans le Jura : « le Progrès », « la Solidarité », puis, à partir de 1872 le bulletin hebdomadaire de la Fédération Jurassienne. Marianne Enckell dresse de lui un portrait bien ciselé :

« Bien qu’il soit un des seuls intellectuels de la Fédération Jurassienne, il s’identifie à ses compagnons de lutte et ceux-ci lui accorderont sans discontinuer leur confiance ; sa foi en la révolution implique un ascétisme dans la vie quotidienne, une morale très puritaine ; ancré dans la réalité de son pays et de son temps, il sait que ce qu’il propose n’a pas de valeur universelle, que la révolution n’a pas beaucoup de chances en Suisse, et que c’est là pourtant qu’il faut porter la plus grande attention. Avec les hommes de son camp, il jouera toujours les médiateurs et les modérateurs, refusant jusqu’au bout le qualificatif d’anarchiste, qu’il trouve extrémiste et offensant, auquel il préfère celui plus explicite de collectiviste ; il est avant tout socialiste et membre de l’Internationale. […] En revanche, il est sans pitié pour les plus dangereux de ses adversaires, Marx et ses partisans au Conseil Général […] Malgré sa froideur et son exigence, il est apprécié et aimé ; non seulement il rédige le journal et le fabrique presque entièrement […] mais il est délégué à presque tous les congrès internationaux, et porte-parole privilégié de la Fédération Jurassienne. »

 L’Association Internationale des Travailleurs et la Fédération Jurassienne sont mortes et enterrées avant la fin du siècle. Les débats politiques qui ont suivi le cours de leur développement et de leur déclin, ne le sont pas et vont perdurer bien des années. Le sigle de l’AIT a continué à être arboré par la Confédération Nationale du Travail, en Espagne tout d’abord (CNT-AIT) puis en France, encore de nos jours. L’idée d’une Internationale communiste libertaire a continué son chemin, même si elle n’a pas vraiment pris tournure de façon efficiente. Ses pages de gloire contemporaines restent encore à écrire… mais nul ne peut vraiment décréter que certaines belles idées anciennes n’ont pas leur place dans le monde d’aujourd’hui.

Notes :
bibliographie : sur Internet, Bulletin de la Fédération Jurassienne n° 17/18 (15 septembre/1er octobre 1872), reproduit sur le site Jura Libertaire, congrès de St Imier. Wikisource, James Guillaume, souvenirs de l’Internationale, tomes 1 à 4. Ouvrages consultés : « la Fédération Jurassienne » de Marianne Enckell, Canevas Editeur, St Imier 1991 ; « Horlogers de l’anarchisme » de Mario Vuilleumier, Payot, Lausanne, 1988 ;

origine des illustrations – photo n° 4 site internet Raspouteam.org – photo n°1 : Jura Libertaire – autres documents : sources documentaires diverses.

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29juin2012

Bric à blog de juin priez pour nous…

Posté par Paul dans la catégorie : Bric à blog.

Année de foin, année de rien… Messie ? Mais non !

 On part en balade dès le premier paragraphe, du côté du Québec pour être plus précis. J’ai déjà eu l’occasion de vous parler du blog flegmatique d’Anne Archet dans une version plus ancienne de mon sermon mensuel sur la montagne. J’y reviens ce mois-ci pour vous suggérer de lire l’analyse relativement pessimiste qu’elle fait de la réaction du troupeau bêlant que certains nomment aussi « la majorité silencieuse ». L’article s’intitule « Quidam« . Son propos a pour objet les réactions aux manifestations étudiantes dans la « belle province », mais pourrait s’appliquer très facilement au comportement vrai ou supposé tel par les médias, des quidams peuplant un certain nombre de pays de la « vieille Europe ». Même si je n’adhère pas totalement au pessimisme de son discours, je conviens qu’il a le mérite d’amorcer un débat plus que passionnant : comment devient-on anarchiste au XXIème siècle ? S’agit-il seulement d’une question de tempérament ou bien peut-on être dévié de la ligne droite sur laquelle on avançait plan-plan par l’action d’un individu extérieur… Réflexions intéressantes aussi sur le contenu que les uns et les autres associent au mot « liberté »… Un passage de son texte que j’aime bien, histoire de vous donner envie de cliquer sur le lien :  « le quidam perçoit tout ce qui menace un peu ses rituels grégaires, sa morale, sa sacro-sainte sécurité et l’uniformité beige de son conformisme comme un danger mortel. Ceux qui refusent le sacrifice de soi absurde deviennent pour lui une menace, un ennemi à abattre impitoyablement. Là réside toute la liberté qu’ils réclament: celle de pouvoir dénoncer ceux qui méritent d’être envoyés au poteau… » Quand je disais que je n’étais pas pleinement d’accord avec cette analyse c’est tout simplement parce que je n’ai pas – encore – envie de désespérer totalement de l’espèce humaine. Je considère que ce sont toujours les minorités qui ont fait avancer la société. La seule question qui me préoccupe c’est le poids que pèse la minorité en question car il faut bien, à un moment donné, établir un rapport de force. Un tourbillon nait au centre de l’étendue d’eau, suite à la chute d’un caillou ; encore faut-il qu’il ait une énergie suffisante pour que ses vagues affectent le rivage ! Vous voyez que j’avais raison de parler de « sermon sur la montagne » !  Avec l’âge, je parabolise de plus en plus, mais je capte de moins en moins de chaînes.

 On reste au Québec tant il y a de choses à dire et à voir. Connaissez-vous, par exemple, la très belle chanson de Félix Leclerc, « l’alouette est en colère » ? Il paraît qu’elle colle admirablement aux derniers événements ; c’est toujours un plaisir de l’écouter en tout cas. S’est-on tant que ça écarté de la réalité sociale des années 70 ? Ce n’est pas certain, puisque après avoir grimpé les marches de l’échelle du progrès social on est en train de les redescendre… Il y a bien un moment où les deux trajectoires doivent se croiser non ? Alors préparons tranquillement mai 2013 en Europe ! Connaissant la paresse naturelle de certains de mes lecteurs/trices je vous ai dégotté un petit film documentaire sympa qui résume, fort bien, la situation au Québec en cinq minutes. Calez vous sur votre fauteuil ; vous n’avez plus qu’à regarder ! Ne me dites pas encore après que vous ignorez ce qui se passe dans les rues montréalaises et ailleurs ! Merci à Utoplib de m’avoir mâché le travail… Quand j’entends la collègue enseignante américaine que nous hébergeons en ce moment évoquer des droits d’inscriptions annuels pouvant s’élever à cinquante mille dollars, dans certaines universités prestigieuses des USA, cela me laisse rêveur… Finalement c’est peut-être bien une bonne solution pour « domestiquer » tous ces petits jeunes râleurs que de leur coller un emprunt sur le dos, avant même qu’ils aient un emploi. Dix ou quinze ans de crédit, cela calme un peu les ardeurs contestataires, surtout si l’on enchaine sur un prêt immobilier suivi d’un prêt à la consommation. A quand l’hypothèque sur les nourrissons avant leur inscription en maternelle ?

 Amérique du Nord –> Amérique du Sud. Il paraît qu’à Rio les technocrates costume-cravate sont en train d’essayer de sauver la planète… S’ils n’y arrivent pas cette fois, ils pourront toujours faire une nouvelle tentative au Qatar dans un futur proche puisque c’est dans cet émirat qu’est prévu le prochain sommet… La concurrence est vive entre les états ! Pensez Madame Dupont c’est qu’un sommet de l’écologie ça attire du monde, presque autant que les jeux olympiques, enfin presque… faut pas exagérer quand même… En tout cas, de ce qui se passe à Rio on n’en cause pas tellement dans les médias. Il faut dire qu’il se passe tellement rien que ça devient difficile d’inventer. Seuls les mauvais esprits commentent allègrement. Si vous appartenez à ce dernier clan, ne manquez pas « A la conférence de Rio, les mots nature, pollutions et biodiversité disparaissent dans l’indifférence générale« , à lire sur le site de la revue Politis. Mon passage préféré dans l’article : « Les délégués ne se souviennent des problèmes climatiques que lorsque les puissantes climatisations de leurs salles de réunion tombe quelques minutes en panne. Pensez donc, mardi le thermomètre est monté à 27° à l’ombre : insupportable pour des gens qui ne quittent jamais leurs cravates assorties à leurs costumes gris ou noirs. L’uniforme de ces spécialistes qui, alors que les ministres changent, se transportent d’années en années d’un lieu de réunion mondiale à l’autre, préparant la suivante alors que la précédente n’est pas encore terminée… ». On peut compléter cet article en lisant une étude non moins instructive publiée sur « Basta » : « Comment s’enrichir en prétendant sauver la planète« .  L’interview du chercheur Christophe Bonneuil vous permettra d’apprendre de quelle manière la défense de l’environnement se privatise de plus en plus. Le mécanisme de base de toutes les spéculations qui s’annoncent ce sont les marchés compensateurs. Je pollue et j’ai donc une image de marque déplorable auprès du grand public. Pour compenser, je finance des activités de préservation de la nature dans d’autres régions du monde. Le passage sur les baleines illustre bien mon propos : « Ces économistes proposent donc à ces ONG d’utiliser leurs fonds dédiés au lobbying pour acheter des quotas de baleines. Elles paieraient pour la conservation, en faisant par exemple des souscriptions auprès du public et des États, ce qui permettrait aux pêcheurs d’être rémunérés sans pêcher. Cette proposition illustre bien l’idéologie ambiante : il faut transformer la nature en marché pour mieux la conserver. Et il faut transformer les activistes faisant du travail politique en simples clients sur un marché. » Enfin, on s’en fout, Martine, les Verts ont un Ministère…

 Amérique du Sud, encore… Selon un article passionnant publié dans la rubrique « économie » du Monde, la consommation de plus en plus importante de Quinoa dans les pays occidentaux ne va pas sans poser problème pour les paysans qui vivent dans les zones de production. En Bolivie, en Equateur et au Pérou, l’expansion de la zone cultivée en Quinoa a permis le retour à la terre d’un certain nombre de paysans. Les cours mondiaux se sont envolés et, revers de la médaille, les prix de vente au détail dans les pays producteurs ont tellement augmenté que cette plante à haute valeur nutritionnelle est de moins en moins consommée sur place. Les conflits entre paysans sont nombreux, notamment dans les régions dans lesquelles propriétés et limites des terres cultivables ne sont pas clairement définies. Le développement d’une nouvelle monoculture a pour corollaire l’accroissement du nombre de ravageurs et des risques de maladie, ainsi qu’une forte érosion des sols après récolte…
Dans le même article, on apprend que la culture de la Quinoa est expérimentée dans certaines régions françaises, en particulier le Val de Loire. Cette étude a le mérite de montrer que toute bonne idée a ses limites à partir du moment où elle est appliquée de façon massive. La diversification alimentaire, la réduction de la part de la viande dans notre alimentation, le maintien et le développement de petites exploitations en milieu rural, constituent les seuls remèdes à long terme au problème principal auquel nous sommes confrontés c’est à dire la croissance toujours impressionnante de la population mondiale. Le rêve de certains technocrates, à savoir la concentration de la production de certaines denrées dans un nombre limité de pays, puis le grand « brassage » mondial à grand renfort de transport aérien, maritime, routier… ne peut nous conduire que vers une nouvelle série de problèmes insolubles.

 Retour dans l’Hexagone. Le nucléaire, encore et toujours, et ça n’est pas près de s’améliorer avec le bonhomme François. Ravi d’apprendre la nouvelle suivante : « un horticulteur fait plier EDF« , dans les brèves du « Point ». Nous habitons à une trentaine de kilomètres du site de Bugey et nous n’étions même pas informés de l’intention d’installer un centre de stockage de déchets. Histoire de rattraper le retard et surtout de nous faire pardonner cette preuve manifeste d’incompétence, à titre de joyeuse pénitence, je me connecte deux fois par jour sur le site du collectif « stop Bugey ». Faites de même, je vous enverrai une indulgence « home made ». Il faut dire que l’époque où l’on participait régulièrement aux réunions de contre-information au niveau du nucléaire est largement révolue. Bien fait pour nous, on attend la prochaine, car je crains qu’EDF obtienne gain de cause en appel, bien entendu. Ils ont suffisamment de costards-cravates payés pour ça avec l’argent du con-tribuable. En attendant je vous mitonne une petite chronique sur la déconstruction du surrégénérateur de Creys-Malville. EDF possède une vaste étendue de terrains le long du Rhône tout autour du surrégénérateur défunt. Comment vont-ils être utilisés ? Il faut dire que Malville, on connait mieux ; ce n’est qu’à une dizaine de kilomètres de notre home radious home ! Heureux irradiés ! Pendant notre période « jeu de rôles », nous avions lancé un magazine appelé « Dragon Radieux » ; certains n’ont toujours pas compris l’origine du nom… Heureusement qu’après j’ai laissé tombé ce secteur d’activité pour revenir au syndicalisme, juste à temps avant l’excommunication finale.
Dans le « bric à blog » de mai, je m’étais un peu étalé sur le gouvernement Ayrault qui a précédé celui qui a suivi… La ministre de l’écologie de ce gouvernement Ayrault 1.0 s’étant un peu trop agitée aux yeux des pétroliers (elle s’était permis, en une semaine, de suspendre les autorisations de forage sur le territoire national de toutes les grandes compagnies), elle a été remplacée, vite fait, bien fait, dans la version 2.0, par une consœur tout aussi incompétente mais sans doute plus docile aux velléités de non-changement radical de notre nouveau président. J’ai trouvé très amusant le récit de cette valse ministérielle publié sur le site Carfree.fr sous la plume de Marcel Robert. L’article s’intitule « L’écologie c’est Batho !« . Le mouvement Carfree, comme son nom l’indique, lutte contre l’omnipotence de l’automobile et le développement d’autres modes de transport moins polluants. Profitez de votre passage sur cette page pour aller lire d’autres billets. Les informations utiles ne manquent pas !

 Je vais atteindre la limite fatidique de longueur avant même d’avoir touché à tous les sujets que j’aurais aimés aborder ; de la lutte en val de Susa contre le TAV, au combat de pot de terre contre la marmite de géant en acier inox, autour du projet de Center’parc dans le site magnifique du plateau de Chambaran en Isère, en passant par la situation sociale en Grèce, il faut dire que l’actualité n’a pas encore atteint l’encéphalogramme plat estival ! Ce n’est pas grave, je garderai quelques infos pour le B à B de juillet. J’avais envie de mettre un lien vers cet article, histoire de vous casser un peu plus le moral avant l’apéro de midi, mais finalement je ne le ferai pas. C’est mal. On dit pourtant que, parfois, le mal est nécessaire, alors j’hésite… Oh et puis finalement je craque ! Mes lecteurs sont adultes et méritent de savoir – dès à présent – l’avenir peint en rose que nous prépare l’industrie agro-alimentaire. « Soleil vert », un film de fiction ? Je n’en suis pas sûr.
Portez vous bien et tâchez de bronzer intelligent loin des plages surpeuplées et des camps de tourisme de masse…
On se retrouve sous peu pour parler du cent-quarantenaire de la création de la Fédération Jurassienne, encore un truc anar, encore de l’histoire !

 

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26juin2012

Ne me tweete pas… ne me tweete pas !

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour....

 Touit touit ! V’là que la bagnole du feuillard charbinois roule encore trop lentement ; tout ça pour permettre au conducteur de montrer l’arc-en-ciel en formation à sa passagère admirative ! Mais ce n’est pas d’un éloge de la lenteur qu’il est question aujourd’hui.

Touit touit ! Même pas de petit « f » facebouquien, ou de petit « tweet » à la fin des chroniques… Une chance de perdue de figurer sur un quelconque « mur » virtuel où l’on punaise les photos de ses idoles de l’été… Deux chances de perdues d’être consulté sur l’écran d’un Ipad ou d’un Androïd pendant la pause pipi indispensable parce qu’on a trop bu de thé glacé. Trois chances de perdues de ne pas figurer au sommet de la pyramide des blogs financiers les plus lus de l’été…

Ma perchè ? Perchè ? Perchè le « feuillard charbinois », à la pointe du progrès depuis 1966, date à laquelle il a acheté sa première machine à écrire, réhaussé à la première place en 1983, date à laquelle il a acheté son premier Apple II, eh bien le « Feuillard charbinois » est sans doute en train de virer « has been ». Le pire c’est qu’il est conscient del problemo. Vous excuserez les mélanges linguistiques, mais je suis rebelle à une anglicisation exclusive du français. J’aurais bien employé iceberg pour mêler un peu de viking, mais je n’ai pas encore eu l’occasion dans cette chronique ; quand on pense que les indiens micmac avaient emprunté des mots aux pêcheurs basques

J’avoue humblement ne pas figurer dans les répertoires « facebook », « tweeter » et autres temples de socialisation virtuelle. Je n’éprouve pas encore le besoin de publier chaque jour ma photo, que j’escalade la face Nord du Cervin (j’ai toujours aimé la fiction) ou que je mette la dernière main à une quiche maison (restons plausible). Je suis conscient du fait que mes millions d’ami(e)s virtuel(le)s sont sans doute très déçus de ne pas avoir eu un souvenir de moi lorsque je buvais une bière place de la mairie à St Ranplanplan des Corbières, ou lorsque j’observais un merlinot apostolique à la jumelle dans le marais poitevin… Vous m’excuserez, mais avec le blog, je fais déjà un gros effort de sociabilisation. Il ne faut pas m’en demander trop !

 Certes, si j’avais une page sur MySpace, vous pourriez découvrir la date de mon prochain concert… Pour l’instant, il n’est pas vraiment programmé. Mon groupe musical, « les ronflonflons folkeux » n’existe que sur une partition. Il ne me manque plus qu’une bande de musiciens avinés pour réaliser mon projet. Quant à Linkedin, ma carrière professionnelle a été un fiasco quasi total. Je n’ai exercé, de façon sérieuse, qu’un seul métier, terriblement roboratif, et, faute de contact social suffisamment efficace, je n’ai eu ni les palmes académiques, ni le tuba, ni même la hors-classe. Pour cette dernière c’est dommage ; avec 50 euro de pension en plus tous les mois, j’aurais pu m’acheter quelques volumes supplémentaires de Kropotkine chez mon bouquiniste. Quant aux palmes, je m’en remets ; je n’aime guère l’eau lorsqu’elle n’atteint pas au moins 35°. Je suis un fervent adepte des sources chaudes, mais, à part le nucléaire, ma région n’est pas assez volcanique !

Comme tout bon pain fait dans une vieille marmite, avec un bon vieux levain, je suis sans doute encore capable de mûrir un peu. Avant de pouvoir festoyer gaiement avec tous mes amis virtuels dans un bistrot n’existant que dans un recoin de la toile magique, il faudrait, je pense, que je franchisse le cap du téléphone cellulaire, et que j’apprenne le langage SMS indispensable pour être compris des populations autochtones d’ailleurs. Le « portable », comme on dit chez les ploucs, ça fait déjà cinq ou six fois, en dix ans, que je regrette son absence dans ma besace. Peut être que le jour où j’aurais une sérieuse alerte médicale, je regretterai de ne pas pouvoir établir une liaison sans fil directe avec le conservatoire purgatoire. Ce n’est pas vraiment grave car je crois en la métempsychose. Je n’ai donc jamais de regrets. Quand je me réincarnerai, en bloc de granit, en feuille de platane ou en chamois, je veillerai alors à me munir d’un forfait en bonne et due forme auprès de mon fournisseur agréé. J’ai en effet la capacité remarquable de ne jamais faire deux fois la même erreur fatale. Il se peut aussi, que « marketting » aidant, je succombe aux sirènes de la tentation et que je me procure un machin qui fait bzz bzz dans la poche, ainsi que le marabout flash du SMS. Quand je saurai écrire anticonstitutionnellement en trois lettres, je vous préviendrai.

D’ici là, je reste un peu « vieux jeu ». Je continue à écrire des chroniques que je ne peux ni tweeter, ni facebooker, et à organiser des concerts auxquels ne participent que les chauves souris et les blaireaux. Je continue à préférer ouvrir ma boite aux lettres cinquante fois par jour pour voir si vous m’avez envoyé un petit mot gentil, plutôt qu’à mesurer mon audience virtuelle au nombre de lecteurs/trices fidèles qui ont « aimé » mes âneries et qui les ont « vivement recommandées » à leurs ami(e)s du monde entier. Mon seul regret c’est que le facteur, le vrai (en plus c’est une factrice très sympa), ne passe qu’une fois dans la journée, et que, parfois, il n’y ait pas la moindre petite enveloppe pour moi. En tout cas, quand je trouve un petit mot de remerciement d’une personne qui est passée à la maison et qui a apprécié le verre de vin ou le café, quand je reçois un superbe bouquin généreusement offert par des amis, ça me fait sacrément plus plaisir que d’apprendre que ma dernière chronique a été « tweetée » cinquante fois…

Eh puis, il reste un truc tout simple : c’est assez sympa de se rencontrer pour de vrai. Le soleil semble décidé à s’installer pour de bon. Il y a une table et des chaises sous le platane et l’ombre est agréable pour déguster une bière… Merci de ne pas « tweeter » cette dernière information… Elle est strictement confidentielle !

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20juin2012

Bois précieux des forêts lointaines

Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres.

Bois de rose, ébène, acajou, palissandre… des noms qui font rêver les ébénistes et grincer des dents les défenseurs de la nature.

 Souvent utilisés de nos jours en marqueterie ou en lutherie, les bois les plus précieux et les plus rares des forêts équatoriales et tropicales, proviennent d’arbres qui sont pour la plupart en voie de disparition. Utilisés de façon massive par les ébénistes européens à partir du XVIIème siècle, leur commerce intensif a provoqué des abattages excessifs et a causé des dommages considérables dans les forêts dont ils sont issus. Depuis la fin du XIXème siècle leurs prix atteignent de tels sommets qu’ils ne sont plus guère utilisés que sous forme de placages en marqueterie. Les meubles « massifs » en acajou ou en ébène sont devenus des exceptions. Ce n’était pas le cas pendant les siècles qui ont suivi la Renaissance. Il suffit d’imaginer par exemple le nombre de troncs d’ébène qui ont été nécessaires pour réaliser les structures de la « Long Room », la bibliothèque de Dublin, ou certaines constructions du Musée du Louvre. Je m’intéresse surtout dans cette chronique aux bois provenant de lointaines forêts. Il existe aussi des bois de grande valeur parmi les arbres poussant sous nos latitudes : buis, olivier, merisier, noyer, houx, laurier… ; ils ont fait, ou ils feront l’objet d’études indépendantes.

 Beaucoup de bois exotiques sont commercialisés avec des appellations diverses, y compris parmi les bois courants, ce qui explique que les utilisateurs aient parfois du mal à les distinguer les uns des autres. Le terme « palissandre » par exemple peut très bien servir à désigner des espèces très différentes : bocotte ou dalbergia. L’acajou de Guyane (cedrela odorata) n’a que peu de rapport avec l’acajou d’Afrique (Khaya Ivorensis). Cet usage commercial très laxiste permet de substituer un bois à un autre, lorsqu’une espèce n’est plus disponible sur le marché ; il permet aussi d’abuser certains acheteurs un peu crédules.  L’ébène du Gabon est beaucoup moins coté que celui des Indes, mais cette dernière essence, totalement pillée, n’est pratiquement plus exportée.
D’autres essences sont proches car elles appartiennent à la même famille botanique ; c’est le cas par exemple du bois de rose et du palissandre du Brésil ou de l’Inde, qui sont des Dalbergias. Le fait que les essences soient proches sur le plan botanique ne garantit absolument pas une similitude esthétique ou mécanique. Outre les espèces citées dans l’intitulé de cet article, il en est d’autres, moins connues, qui ont aussi des noms aux consonances sympathiques : amourette, padouc, pernambouc ou le précieux amboine. L’usage des plus connus de ces bois remonte jusqu’à l’antiquité. C’est le cas de l’acajou, de l’ébène ou du santal.  Il est temps de parler plus en détail de certains de ces arbres…

 L’ébène est un bois possédant une très forte densité et une veine décorative presque noire.  Il appartient à la famille des Dyospiros. L’ébène se plait dans les forêts de montagne, à basse altitude, sur des terrains relativement pauvres, mais il a besoin, pour se développer de fortes chaleurs. On trouve des ébènes (nom féminin) à Madagascar,  au Gabon et aux Indes. Les artisans de l’antiquité, en particulier les Egyptiens, l’utilisaient pour réaliser de petits objets précieux. En Europe, son usage est signalé dès le XIIème siècle. A partir de la Renaissance l’ébène est considéré comme l’une des marchandises les plus précieuses que l’on peut faire circuler sur mer. Son nom est d’ailleurs à l’origine du terme « ébéniste » utilisé pour nommer l’artisan qui fabrique des meubles. L’habitude se développe, chez les riches négociants, d’assurer leurs cargaisons « d’or noir ». Il faut dire que les risques de naufrages sont nombreux, qu’ils soient naturels ou dus à une quelconque malveillance. De cette pratique va découler une bien singulière expression… Le « commerce triangulaire » se met en place au XVIème siècle, après la découverte du Nouveau Monde. Les bateaux ne voyagent jamais à vide : dans les ports européens, il se chargent de verroterie, d’armes et d’outillage ; ils font escale sur le continent noir, dans le golfe de Guinée et troquent leur marchandise contre un « bois d’ébène » plutôt singulier puisqu’il s’agit d’esclaves  ; la traversée de l’Atlantique se fait alors dans des conditions inhumaines ; la nouvelle cargaison est débarquée aux Antilles ou au Brésil, dans un premier temps, puis en Louisiane, et les cales sont chargées avec les marchandises précieuses que l’on rapporte du continent américain. Pourquoi ce terme de « bois d’ébène » est-il choisi par les négriers pour qualifier les esclaves qu’ils charrient comme du bétail ? Le propriétaire assure sa marchandise tout comme un bois précieux ; il peut ainsi être indemnisé en cas de perte ; cette « dépense » lui confère le statut de « pater familias », dans un sens très particulier : il a droit de vie et de mort sur ceux qu’il protège ainsi…

 De nos jours, l’ébène n’est plus utilisé pour des réalisations de grande ampleur et il n’existe plus qu’un seul parquet réalisé avec ce bois : c’est celui de la salle des banquets du château d’Henry VIII à Leeds en Angleterre. Outre le prix de revient d’une telle réalisation, il est à remarquer qu’un parquet très foncé, presque uniformément noir, ce n’est pas ce qu’il y a de plus réussi pour égayer une demeure princière ! Seul le cœur du bois est commercialisé. Après l’abattage, le bois est débarrassé de son aubier, sans valeur commerciale… La veine noire, parfaite, se développe généralement sur une longueur de 3 à 4 mètres. La largeur dépend de la grosseur du tronc : de 25 cm à parfois 80 cm.  Pour les lecteurs peu soucieux d’écologie qui auraient le désir de réaliser quelques aménagements en bois d’ébène dans leur chalet savoyard, signalons que le m3 acheté au prix de gros (donc en quantité conséquente) se situe autour de 8000 euros… Même si je n’apprécie guère son veinage, il faut reconnaître que ce bois possède des qualités mécaniques indiscutables pour l’ébéniste : finesse du grain, résistance du bois, très beau poli… Il n’est pratiquement pas poreux et peut se cambrer facilement ce qui rend son usage intéressant en lutherie. En contrepartie, les outils avec lesquels on le travaille doivent être résistants et affutés souvent !

 Le palissandre mérite bien sa place dans cette énumération de bois précieux. Il est utilisé de façon relativement courante en placage pour l’ébénisterie (marqueterie par exemple) ou massif pour la réalisation d’objets précieux de petite dimension : jeux de société, parties d’instruments de musique ou œuvres d’art. C’est un bois dont la couleur est plutôt foncée dans l’ensemble même s’il n’atteint pas le noir d’ébène. il est difficile de parler d’une veine caractéristique puisque l’appellation recouvre un certain nombre de bois d’origines et d’espèces différents. Le palissandre de Rio est plutôt dans les nuances de bruns alors que celui de l’Inde est plutôt dans les rouges très sombres. C’est un bois très dense, très lourd (850 kg au m3), symbole de robustesse et de longévité. Si vous souhaitez, chère lectrice, cher lecteur, fêter un jour vos noces de palissandre, sachez qu’il vous faudra atteindre, bon an mal an, 65 années de vie commune. Si vous atteignez cet anniversaire remarquable, vous pourrez toujours utiliser l’argent que vous avez mis de côté, pour commander à un menuisier un peu plus jeune que vous, deux jolis meubles en palissandre, des chaises berçantes par exemple, comme disent nos amis québecois qui ne se ridiculisent pas en employant le terme « francophone » de « rocking chair ».

 Le palissandre de Rio (Dalbergia negra ou jarcaranda da Bahia) est très rare sur le marché ; pour tout dire, sa commercialisation est même carrément interdite… Une essence remplaçant facilement une autre, c’est celui de Madagascar qui est actuellement le plus utilisé pour faire des meubles par exemple. La déforestation accélérée et plus ou moins contrôlée de l’île permet d’approvisionner un marché qui peine à trouver de belles grumes. Le m3 de palissandre vous coûtera environ 4000 euro si vous prenez le transport à votre charge et si vous évitez les douanes trop tatillonnes. Cependant que l’on parle de plus en plus de développement durable, d’exploitation raisonnée, de forêts certifiées, les trafics douteux ont encore la part belle sur le marché et jouent encore un rôle non négligeable dans les échanges (un exemple parmi tant d’autres, la forêt malgache, un article sur le site du Monde… Il date d’un an, mais sur le terrain, la situation n’évolue pas vite !). Si l’on en croit le discours vertueux des marchands de meubles soucieux de plaire à une clientèle bobo qui aime avoir bonne conscience, la quasi totalité des charmants salons de jardin en teck qui sont commercialisés proviendraient de forêts de plantation ; la réalité est beaucoup moins poétique et nombre de grumes de tecks proviennent des forêts traditionnelles que l’on ravage à grand coup de bulldozers et de coupes à blanc ; des dommages sans doute irréparables en certains lieux… Des mesures ont été prises pour limiter l’exploitation des essences les plus rares comme le pernambouc. Sa commercialisation est maintenant interdite. L’un des usages spécifiques de ce bois était la fabrication d’archets pour les violons. De plus en plus, maintenant, on utilise la fibre de verre à la place du bois. Si l’on veut reconstituer les stocks sur pied de certaines essences, il faudrait que ce type de mesure soit généralisé. On n’en prend pas vraiment le chemin, d’autant qu’il manque, dans les pays en voie de développement, les outils de contrôle nécessaires pour veiller à l’application de ce genre de décision.

 L’amboine est peu connu et ce ne sont pas ses autres noms d’usage, comme Padouk des Indes ou Santal rouge qui vous aideront à mieux l’identifier. Cette essence provient principalement d’Asie (Malaisie, Philippines, Vietnam…). Elle a été très utilisée au XIXème siècle. De nos jours l’arbre est beaucoup moins commun : les forêts dans lesquels il poussait couramment ont été remplacées notamment par des plantations d’hévéas… L’échantillon reproduit en tête de paragraphe montre une « loupe » d’amboine, utilisée en placage, notamment en lutherie (guitares) ou pour la fabrication de mobilier de luxe. Pour ceux et celles qui ne sont pas familiarisés avec le vocabulaire de l’ébénisterie, je précise que la loupe est en fait une maladie du bois ; il s’agit d’une excroissance, en forme de boule, qui se forme sur le côté du tronc de l’arbre. Elle se développe, comme une sorte de tumeur, à la suite d’un choc (sur les platanes) ou à cause d’un problème génétique quelconque. Le veinage de la loupe est généralement magnifique, mais il est impossible d’en tirer autre chose que des tranches fines pour le placage. Le bois est trop tourmenté pour sécher de façon satisfaisante en pièces massives. Les loupes sont relativement fréquentes sur certains érables, sur les merisiers, les ormes et sur certains bois exotiques. L’amboine présente la particularité de dégager une odeur agréable lorsqu’on le travaille. Les tourneurs se servent de ce bois au grain fin pour réaliser des corps de stylos, des manches de couteaux ou de petits objets décoratifs. Chez les fournisseurs proposant ce type de produits, sachez qu’une loupe d’amboine peut se vendre de 1000 à plus de deux mille euro. On comprend mieux le genre de spéculation qui peut se mettre en place sur ce type de marchandise !

En guise de conclusion… provisoire… Il est clair qu’il faut cesser d’utiliser ces bois, tant la ressource a été exploitée ; tout au moins en interdire l’exportation et en réduire l’usage à l’artisanat local lorsque celui-ci joue un rôle économique important. Cela n’empêche pas – bien entendu – de continuer à admirer les ouvrages d’ébénisterie, de lutherie et de marqueterie qui ont été réalisés avec ! Avoir conscience des beautés que nous offre la nature, c’est aussi être motivé pour les préserver afin que les générations futures puissent aussi en profiter ! Difficile à concilier, le fait d’être à la fois amoureux du bois et amoureux des arbres. C’est pourtant possible à mes yeux. C’est dans ce sens que l’expression « gestion durable de la ressource » prend pleinement son sens.

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9juin2012

La « grande Jacquerie » finit dans un bain de sang le 10 juin 1358…

Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Un long combat pour la liberté et les droits.

Histoire tragique de la première « jacquerie » en France

Ils sont célèbres ces « Jacques » puisque c’est de leur surnom qu’est dérivé le terme de « jacquerie » qui a désigné, par la suite, beaucoup de révoltes paysannes dans l’histoire de France. Plusieurs d’entre elles ont été évoquées dans ces colonnes car il rentre dans mon propos de montrer que de tout temps l’homme a essayé de briser le joug de l’oppression. Nombre de ces tentatives se sont terminées par des échecs sanglants ; aucune n’a jamais abouti de façon durable puisque les oppresseurs ont changé de costume mais sont toujours présents. La remise en cause de l’autorité a encore de longs jours devant elle… Mais qui dit que le système oppressif sera éternel à part celui qui a tout intérêt à ce qu’il perdure, ou celui qui, renonçant à toute révolte, est plus proche du mouton de Panurge, que d’un humain pleinement conscient de son humanité ? Commençons par une petite leçon d’histoire…

Nous sommes en 1358. La « guerre de cent ans » contre l’Angleterre a débuté 21 ans auparavant. La France, disposant d’une supériorité militaire indiscutable, aurait dû sans doute remporter la victoire dès le début. Mais le manque d’organisation des armées royales et des choix stratégiques déficients de ses commandants ont fait basculer le rapport de forces dans l’autre sens. Les Français ont déjà subi deux revers importants : sur mer, la bataille de l’Ecluse en 1340 ; sur terre, la célébrissime bataille de Crécy. Outre les territoires dans lesquels ils sont déjà installés depuis pas mal de temps, les Anglais ont débarqué dans la presqu’île du Cotentin et se sont emparés de la Normandie et de la Picardie. Bref, la situation est mauvaise pour Philippe VI. Le roi d’Angleterre, Edouard III, réclame toujours la couronne de France, et nos preux chevaliers sont une nouvelle fois vaincus à Poitiers en 1356. Cette défaite provoque une violente dégradation de la situation politique et sociale en France. Depuis 1348 le pays est également touché par une importante épidémie de peste noire et la situation dans les campagnes et dans les villes est catastrophique. Le roi croupit dans les geôles anglaises et le peuple subit une augmentation considérable des impôts exigée par le Régent. Lorsqu’ils ne sont pas employés par l’un ou l’autre des deux adversaires, les mercenaires rassemblés en « grandes compagnies » se livrent au pillage et commettent les pires exactions dans les zones où ils cantonnent. La colère gronde dans les campagnes, mais dans les villes aussi… Les Etats Généraux, à l’instigation d’un bourgeois marchand du nom d’Etienne Marcel, exigent des réformes immédiates et veulent s’emparer du pouvoir. Etienne Marcel appuie son ambitieux programme sur la colère du peuple. Le 14 mai 1358 le Régent clôt la session des Etats Généraux, à Compiègne ; il exige que les officiers royaux fassent réparer les châteaux forts qui sont dans un état de délabrement plus ou moins avancé, de manière à y installer des garnisons chargées de veiller au maintien de l’ordre public. Le pouvoir royal doit sortir renforcé de cette opération qui provoque la colère des paysans du plat pays. Etienne Marcel les exhorte à refuser ces nouvelles mesures et à s’emparer des forteresses avant qu’elles ne deviennent encore plus redoutables. Il ne semble pas, en fait, que ses prêches aient beaucoup d’effet. En réalité les paysans sont déjà fort en colère contre ces nobles, plus efficaces pour piller les campagnes que pour remporter des batailles. Dans les châteaux des environs de Beauvais, les soldats se comportent comme de véritables soudards, pillant sans limites les campagnes avoisinantes.

 Le 28 mai, au bourg de Saint Leu, un affrontement violent a lieu entre soldats-brigands et paysans. Les gens du peuple sortent victorieux du combat : ils ont la supériorité numérique et leur colère est redoutable. Au lieu de se disperser, la bande formée ce jour-là reste rassemblée, et, grossie par l’arrivée de nouvelles recrues, se constitue en véritable armée. A leur tête, les insurgés désignent un paysan du village de Mello, ancien soldat, nommé Guillaume Karle (l’orthographe de son nom varie selon les chroniqueurs : Carle, Charles, Calle, Callet, ou Caillet ; je m’en tiendrai à la première version énoncée pour plus de clarté !). Les différents historiens du mouvement dressent un portrait plutôt contradictoire de ce personnage. Selon certains chroniqueurs, l’homme possède un charisme indiscutable : il sait haranguer une foule et possède les qualités nécessaires pour organiser les volontaires. Selon d’autres récits, le personnage manque d’envergure et peine à se faire obéir d’une troupe dont l’effectif ne cesse de croître. Très rapidement, les insurgés sont en effet au nombre de six mille et d’autres capitaines se joignent à Karle ; tous sont issus de la paysannerie locale ou de la petite noblesse. Ils ont pour nom Hue de Salleville, Jean Deshayes, Simon Doublet, Gilles Le Putois, Germain de Réveillon… La révolte s’étend spontanément à l’Amiénois, à la Normandie et à la Champagne. Très vite, l’ampleur du mouvement est telle que ses chances de victoire sont réelles, mais à une condition, c’est que la jonction se fasse entre la colère des campagnes et celle des villes. Guillaume Karle entre en contact avec l’évêque de Laon, Robert le Coq, un des meneurs de l’émeute parisienne. Il espère, par son intermédiaire, bénéficier de l’appui d’Etienne Marcel, prévôt des marchands parisiens. L’alliance va se réaliser, pour un temps du moins, mais elle ressemble plus à un marché de dupe qu’à une véritable union. Etienne Marcel ne conclut qu’un accord de circonstance : il a besoin du soulèvement populaire pour faire pression sur le Régent et faciliter l’accès au trône de son véritable allié, Charles le Mauvais, roi de Navarre.

Les avantages militaires de cet accord sont très limités pour les Jacques. Rares sont les occasions où les paysans et les miliciens parisiens auront l’occasion d’agir ensemble. Le seul fait vraiment avéré est l’arrivée d’une bande armée, envoyée par Etienne Marcel, lors du siège du château d’Ermenonville. D’une manière générale, les habitants des villes refusent d’aider les gueux révoltés ou affichent carrément leur opposition au mouvement. Les paysans de Guillaume Karle se voient ainsi interdire l’entrée des villes de Compiègne, Senlis ou Amiens. Ces bandes armées, quelque peu indisciplinées, inquiètent les bourgeois des cités. Le changement, peut-être, mais encore faut-il pouvoir le contrôler et ces gueux ne semblent obéir qu’à leur colère. Leur salut ne peut venir que de la mort de ceux qui les oppriment. Selon le chroniqueur Froissart (dont le récit ne peut guère être qualifié d’objectif tant il est hostile à la populace !), les insurgés se comportent de manière extrêmement brutale. Il faut dire que l’addition qu’ils ont été les seuls à payer jusqu’à ce mois de mai 1358 est particulièrement lourde. Les rançons pour faire libérer les chevaliers capturés sont considérables et l’argent ne tombe pas du ciel dans les caisses des châtelains. Avoir le même adversaire ne suffit pourtant pas à constituer un trait d’union entre deux couches bien distinctes d’une même population.

 L’offensive des Jacques se poursuit et nombre de forteresses sont conquises de haute lutte. Dans un premier temps, la noblesse de la région de Beauvais commence par s’enfuir et par se réfugier dans le pays de Bray voisin. Lorsque Charles le Mauvais, roi de Navarre, propose de prendre la tête des fuyards et de revenir en maître dans le pays conquis, il est chaleureusement acclamé. Cette décision marque le début de la contre révolution et le moral des paysans révoltés commence à vaciller. Suite aux déclarations faites par Etienne Marcel, les troupes de Karle sont en effet convaincues que le roi de Navarre soit restera neutre dans le conflit, soit les soutiendra. Charles le Mauvais compte bien en effet profiter de l’occasion pour s’emparer du trône que le Régent peine à occuper. Or il sait bien qu’il ne peut réussir cette opération que s’il bénéficie du soutien d’une large part de la noblesse. Comme le fait remarquer un historien du mouvement, «quels motifs pouvaient l’engager à se déclarer protecteur d’une tourbe de paysans mutinés ? Pauvres, faibles, sans expérience de la guerre, presque sans armes, quels services pouvaient-ils lui rendre dans sa lutte contre le régent ? Il était sûr, au contraire, en faisant la guerre aux vilains, ces ennemis mortels des nobles, de s’attirer la sympathie de ces derniers, et de s’acquérir ainsi des droits à leur reconnaissance… » Cette analyse, brève mais pertinente, est valable pour de nombreux soulèvements populaires qui se produiront par la suite dans l’histoire. Les alliances se nouent et se dénouent en fonction des intérêts personnels de quelques personnages ambitieux ; telle classe sociale en manipule une autre afin de mieux arriver à ses fins. En 1789, la bourgeoisie a besoin d’un soulèvement populaire pour renverser la monarchie, mais il n’est pas question de pousser la plaisanterie trop loin. A un moment donné, le boutefeu d’un jour sonne la fin de la récréation et n’hésite jamais à utiliser les moyens répressifs dont il est devenu le maître pour affirmer sa souveraineté sur ses alliés d’un jour. Le pouvoir – sauf pour des raisons tactiques de courte durée – ne se partage pas.

Revenons dans le Beauvaisis… L’armée navarraise marche contre une partie des insurgés qui sont regroupés dans les environs du village de Mello. Karle rejoint ses partisans cependant que d’autres capitaines de la jacquerie se réfugient à Meaux ou à Sens. Les insurgés, confiants dans leur supériorité numérique, choisissent l’affrontement direct plutôt que de se défiler et de se livrer à une guérilla d’embuscade contre les troupes de Charles le Mauvais. Erreur stratégique fatale car, s’ils ont l’avantage du nombre, ils n’ont ni l’expérience des batailles rangées, ni l’équipement des chevaliers qu’ils vont affronter. La bataille a lieu le 10 juin 1358 et elle tourne rapidement au carnage. Dans un premier temps, les paysans sont privés de leur chef. Guillaume Karle est tombé dans un piège grossier. Invité au camp des anglo-navarrais pour négocier une trêve, il est capturé par ses adversaires, supplicié et décapité. Rares sont les survivants à cette boucherie. Ceux qui arrivent à se réfugier dans les villes voisines de Mello sont capturés par les bourgeois et remis aux officiers royaux, preuve que nulle solidarité n’existait entre ruraux et citadins… Tous ceux qui sont attrapés sont exécutés… Plusieurs autres escarmouches eurent lieu après la bataille de Mello. A chaque fois les Navarrais eurent le dessus et les Jacques laissèrent sur le carreau quelques milliers des leurs. Les historiens considèrent que le mouvement était terminé le 24 juin, un mois à peine après avoir commencé.

 La vengeance de la noblesse locale fut, comme en bien des cas, à la hauteur de la peur qu’elle avait eue. « Les Jacques avaient détruit les châteaux ; les nobles incendièrent les chaumières. » La répression se poursuivit pendant plus de deux ans et le nombre des victimes dépassa vingt mille selon les chroniqueurs. Les nobles et les brigands qui leur obéissaient se rendirent coupables de crimes bien pires que ceux qu’avaient commis les Jacques pendant la trentaine de jours que dura leur insurrection. Si tant est qu’il y ait une échelle de l’horreur, on grimpa certainement sur les derniers barreaux… On fit payer à la paysannerie de Picardie et du Beauvaisis, y compris des crimes dont elle n’était pas directement responsable. Le Duc de Normandie ne pardonnait pas aux vilains l’attaque du marché de Meaux, alors que les principaux responsables de cette opération étaient les habitants de la ville et les Parisiens enragés venus de la capitale. Des lieutenants furent envoyés pour imposer des amendes aux bourgs qui avaient été impliqués dans la Jacquerie. Aux exécutions sommaires s’ajoutèrent les sanctions financières qui ruinèrent les campagnes aux alentours de Paris. Dans certains cas, les nobles intervinrent auprès du régent pour que le montant des amendes soit abaissé, tant ils craignaient que leurs vilains ne soient plus à même de continuer à subsister et à les entretenir. Etienne Marcel, quant à lui, connaît aussi une fin mouvementée : il est assassiné par les bourgeois parisiens qui l’avaient choisi comme représentant. Selon eux, il est allé trop loin dans sa volonté de réformes, et rien de tel que d’éliminer un personnage encombrant pour plaire au nouveau souverain. Le dauphin réussit en effet à reprendre le contrôle du pouvoir.

Fin terrible pour cette insurrection paysanne qui sera suivie par beaucoup d’autres dans diverses régions de France et d’Europe. Je ne vous ai livré qu’un simple aperçu des faits et non une étude exhaustive qui dépasserait – de loin – le cadre d’une chronique de blog. Je m’aperçois quand même qu’il y a une chose importante que j’ai oublié de préciser et sur laquelle je conclurai : quelle est l’origine de cette appellation de « jacques » dont on s’est mis à affubler les paysans à partir de cette époque ? Ce surnom apparaît, dans la bouche des nobles, au moment de la grande Jacquerie. Le premier à l’avoir employé semble être le chroniqueur Froissart. C’est ainsi qu’il qualifie le chef de l’insurrection, Guillaume Karle. Ce mot « Jacques » est une allusion au vêtement porté par la grande majorité des paysans, « la jacque », une veste courte (un terme voisin existe toujours dans le domaine de l’habillement, la jacquette). Le qualificatif de « bonhomme » est plutôt péjoratif et moqueur. Ce qui est certain c’est que lorsque le « Jacques » se révolte, il n’est plus question de bonhommie au sens que l’on a donné à ce mot de nos jours !

Sources documentaires –  ouvrages consultés : « Histoire de la Jacquerie » de Siméon Luce (édition de 1895) –  « Le coq rouge » de Des Ombiaux (1896-97) – sites internet utilisés comme références complémentaires : outre l’incontournable wikipédia (d’où proviennent les illustrations), le site Imago Mundi apporte de nombreuses précisions sur le déroulement de la guerre de Cent Ans.

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