19 décembre 2008

Miolans, prison dorée du Marquis de Sade

Posté par Paul dans la catégorie : vieilles pierres .

Du château d’If à l’asile de Charenton, le singulier personnage a laissé sa marque dans bien des endroits. Le château de Miolans lui servit de prison de décembre 1772 à avril 1773. Le lieu, transformé à cet usage par les Ducs de Savoie, est loin d’être accueillant. Les cachots sont sinistres et tiennent plus d’un mouroir que d’un lieu de détention. Notre marquis réussira cependant à y passer l’hiver dans d’excellentes conditions et attendra, à l’abri, les chaleurs printanières pour se « faire la belle ». Les guides du château ne manquent pas de conter aux visiteurs les anecdotes plus ou moins romancées, relatives au séjour de ce prisonnier quelque peu sulfureux. La vocation de Miolans, à l’origine, n’était pourtant pas de se transformer en Quartier Haute Sécurité pour des personnes ayant déplu à l’aristocratie locale. Construit sur les flancs du massif des Bauges, dominant la Combe de Savoie, non loin de Montmélian et d’Albertville, le château occupe une position très stratégique. Il se situe en effet au confluent des rivières Arc et Isère et permet de contrôler la circulation à l’entrée de la vallée de la Maurienne. Les Romains, conscients de l’importance du lieu, y construisent un oppidum au IVème siècle, puis un premier donjon est bâti au Xème siècle par la famille de Miolans. Ces châtelains resteront maîtres du château jusqu’au début du XVIème siècle, date à laquelle, faute d’héritiers, la propriété sera transmise aux Ducs de Savoie. Les Miolans n’auront de cesse d’améliorer le système défensif du château, complétant les fortifications par l’ajout de plusieurs tours et le renforcement des murailles.

Pour les nouveaux propriétaires, la forteresse ne présente plus guère d’intérêt militaire et elle est transformée en prison. Elle servira à cet usage jusqu’en 1794, date à laquelle les derniers prisonniers seront libérés par les soldats français en marche vers l’Italie. Pendant plusieurs dizaines d’années, les bâtiments seront abandonnés et tomberont progressivement en ruine. Il faut dire que du temps où ils servaient de prison, ils étaient déjà peu entretenus. Pourquoi dépenser de bons écus sonnant et trébuchant pour améliorer le confort de détenus qui ne sont là que pour qu’on les oublie jusqu’à leur mort ? Au XVIIIème siècle, le Moyen-Âge redevient à la mode, grâce au travail de certains écrivains ou d’historiens comme Viollet Leduc. C’est l’époque du Romantisme, et l’on s’extasie devant les ruines abandonnées… En 1871, le Préfet de Savoie rachète Miolans et entreprend des travaux de remise en état, en collaboration avec les Beaux-Arts… A chacun son Carcassonne ! De nouveaux bâtiments sont construits à cette époque. De nos jours, la partie ancienne du château peut être visitée et l’excursion ne manque pas d’intérêt. Vous pourrez longuement contempler les trois étages du bâtiment qui a servi de prison. Il y a une douzaine de cellules portant un nom évocateur attribué selon l’emplacement : paradis, espérance, purgatoire et enfer. Je vous laisse imaginer le niveau de confort de chacune d’entre elles, et deviner à quel étage fut logé le Marquis de Sade… Les geôliers et les bourreaux n’ont jamais manqué d’imagination…

Autre point intéressant de la visite, la galerie fortifiée, longue de 200 mètres, qui parcourt la muraille Nord. Elle a été construite au XVème siècle pour faciliter le déplacement des hommes armés, mais les nombreuses canonnières percées dans sa paroi montrent aussi qu’elle joue un rôle direct dans le système défensif. Miolans comporte trois grosses tours : la tour Saint Pierre, sans doute construite au XIIIème siècle sur l’emplacement de la tour initiale ; à la fin du XVème siècle s’y ajoute la tour ovale de la Sauvegarde puis, au XVIème siècle, un donjon de 23 mètres de haut, occupant la place centrale et possédant trois petites toitures en forme de diamant. Comme dans tout château fort on vous montrera sans doute les traditionnelles oubliettes qui sont plus un élément du folklore qu’une réalité historique. Ici, à Miolans, il s’agit sans doute de la glacière du château. Cette pièce ne servait pas au stockage de prisonniers surgelés mais était utilisée pour conserver, tout au long de l’année, des blocs de glace indispensables pour les cuisines. Quant aux marques rouges constellant le plafond de ce local, ce ne sont point des éclaboussures de sang mais des traces de minerai de fer oxydé… Mais bon, il faut bien avoir des histoires à raconter pour que les enfants se tiennent un peu tranquilles !

Comment se fait-il que notre bon vieux Marquis ait atterri dans cet endroit alors qu’il avait maille à partir avec la justice pour une sombre affaire s’étant déroulée à Marseille ? L’anecdote mérite d’être contée, et faute d’avoir quelque sinistre histoire à caser dans les oubliettes, je vais au moins vous raconter cet épisode d’une vie pour le moins mouvementée. En juin 1772, Donatien Alphonse François de Sade loge en l’hôtel des Treize Cantons, à Marseille, avec son fidèle valet Latour. Pour agrémenter l’une de ses soirées, il envoie son serviteur louer les services de quelques filles de joie. Afin que les demoiselles soient en bonne disposition à son égard, le Marquis leur offre quelques bonbons aphrodisiaques qui ne semblent pas avoir l’effet voulu. Ses « invitées » sont malades et portent plainte auprès de la police locale. L’organisateur de la soirée est alors accusé d’empoisonnement. Sur les conseils de son épouse, il se réfugie alors sur les terres voisines du Roi de Sardaigne. Il est jugé par contumace et condamné à la décapitation pour manœuvre d’empoisonnement. Lors de sa fuite il s’installe dans une nouvelle auberge à Chambéry. Mais sa situation devient de moins en moins confortable. Pour éviter qu’il ne soit saisi par la police du Roy (de France), sa belle-mère intervient et demande au gouverneur de Savoie de mettre son gendre turbulent à l’abri au fort de Miolans. Compte-tenu des antécédents du Marquis, il faut que l’opération ressemble à une arrestation véritable. C’est donc sous escorte que Sade rejoint la prison qui va lui servir de « refuge » pendant quelques mois. Les versions divergent quant à cette opération. On peut se demander par exemple comment il se fait que le Marquis ait pu être « inquiété » à Chambéry alors que la Savoie ne faisait pas partie du Royaume de France… C’est pour cela que la thèse d’une mise à l’écart le temps que les esprits se calment est relativement plausible.

Dans le « paradis » de Miolans, le Marquis de Sade mène une vie plutôt agréable. Il est « assigné à résidence » mais non point enfermé. S’il n’a pas le droit de quitter le château, il peut y circuler librement. Ses repas sont livrés par un aubergiste du coin. Sa résidence est aménagée avec grand confort : on lui apporte meubles, tapis, chandelles, écritoire, vaisselle… tout ce qu’il faut pour qu’il soit dans une prison dorée. Il se lie d’amitié avec le Sieur Ducloz, lieutenant des portes de la citadelle, et prend ses repas dans l’appartement de ce dernier, voisin de la cantine. Ce local possède une fenêtre sans barreaux, pas trop haut perchée, et, un soir d’avril c’est par cette ouverture que s’enfuira le Marquis avec son fidèle valet et l’un de ses codétenus, le Baron de l’Allée de Songy. L’exercice n’est guère périlleux et ne requiert qu’une dose d’acrobatie modérée. Il n’est point besoin de faire appel à la traditionnelle corde de draps noués, même si, par la suite, la légende ajoute cet élément au récit… Il faudra attendre le petit matin pour que l’un des gardiens s’aperçoive que la cellule dans laquelle les bougies se sont consumées jusqu’au bout, n’abrite plus aucun prisonnier, ni Marquis, ni serviteur. L’alerte est donnée bien tard, et ce ne sont pas les lettres d’excuses laissées par les anciens détenus qui permettront d’y voir plus clair ! Le Marquis retourne dans son manoir de La Coste en Provence, mais ses ennuis continuent. Obligé de vivre dans la clandestinité, il persiste à s’adonner à ses distractions favorites et les rumeurs se font de plus en plus virulentes dans les environs. En 1774, notre homme s’enfuit en Italie, mais de nouveaux ennuis l’attendent ainsi que de nouvelles prisons : Vincennes, La Bastille, l’asile de fous de Charenton… Mais, pour cette fois, je m’arrêterai là puisque cette chronique est avant tout consacrée à… Miolans !

Notes. Sources documentaires : sabaudia.org, histoire du patrimoine des Pays de Savoie – contreculture.org (Marquis de Sade) – Mairie de St Pierre d’Albigny. Illustrations de la chronique : clichés personnels.

2 Comments so far...

Byng Giraud Says:

25 janvier 2009 at 12:31.

Sorry for my English – I am looking for history on the Chateau Miolans – 1686 to 1690 – used to imprison Waldensiam prisoners. My 8x great grandafather was there 4 years. French text would be appreciated. Can you help. I will visit the fortress this summer
Thank you, Byng

Finnbar Mac Eoin Says:

15 juillet 2009 at 16:27.

I am writing a book on De Sade and was interested to know about you ancestor who was imprisoned there. It is of no consequence if he was there at a different time.
Drop me a line. I am touring France and visiting Sadean hold ups.

Thank You,

Finnbar.

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