20 avril 2009

Hommage à un militant républicain espagnol disparu : Abel Paz

Posté par Paul dans la catégorie : Espagne révolutionnaire 1936-39; Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Portraits d'artistes, de militantes et militants libertaires d'ici et d'ailleurs .

Ce 19 juillet 1936, j’ai vu des choses merveilleuses, comme ces gens en guenilles qui attaquaient une banque et en sortaient des caisses pleines de billets. Ils firent un grand feu et y jetèrent les billets, et personne n’en garda un. Et quand quelqu’un disait : «  mais pourquoi brûlez-vous l’argent ? » ils répondaient : «  parce que l’argent est notre malédiction. Il nous a fait pauvres. Si nous supprimons l’argent, là sera notre grande richesse.  »

abelpaz Abel Paz est mort il y a une semaine à Barcelone. Il faisait partie de ces derniers acteurs de la Révolution espagnole de 1936 encore vivants et toujours militants. Nul doute que cette disparition, une de plus, ne fera pas grand bruit dans les médias. Cet épisode de l’histoire des luttes ouvrières du vingtième siècle est encore considéré comme « gênant » par beaucoup de personnes. Trop souvent on le présente comme une simple « guerre civile » entre deux factions opposées de la société espagnole, ou comme un prélude malencontreux à la seconde guerre mondiale, en ignorant toute l’importance qu’il a pu avoir sur le plan social et politique. Certes, de nombreuses contre-vérités écrites par l’histoire officielle ont pu être corrigées ; certes, les témoignages des survivants ont permis de mieux connaître la vérité sur ce qui s’est passé dans les terres de Catalogne, d’Andalousie ou d’Aragon. Les mensonges proférés par les intellectuels ou les politiques asservis par la « bande à Staline » ont été rectifiés, et l’on n’ignore plus maintenant le rôle clé joué par les libertaires pendant tous ces évènements. Mais que d’encre et de salive a-t-il fallu dépenser pour que ces milliers d’anonymes courageux retrouvent la place qui doit être la leur ! Que de calomnies a-t-il fallu gommer ! Beaucoup de compagnons, d’anciens combattants, en rédigeant leurs mémoires, en devenant à leur tour « écrivains » au service de l’histoire, la vraie, ont eu un rôle essentiel dans ce processus. Abel Paz fait partie de ces militants qui, après s’être battus jusqu’à la limite de leurs forces, n’ont pas abandonné la lutte, mais ont, pendant des dizaines d’années, écrit, raconté, témoigné de ce que d’autres anonymes, morts avant l’heure, avaient réalisé : abolition de la hiérarchie, collectivisation de l’économie, alphabétisation des masses, libération des femmes… Ils ont su rétablir en grande partie la véracité des évènements, sans indulgence, sans langue de bois, n’oubliant pas dans leurs récits de faire part des problèmes rencontrés, des désaccords résultant de choix faits souvent dans l’urgence. Les ouvrages ne manquent plus maintenant à ceux qui veulent s’informer sérieusement sur le sujet. J’en ferai une brève énumération un de ces jours sans doute car, à mes yeux, si elle ne constitue pas un modèle transposable, la Révolution espagnole a eu le mérite de laisser derrière elle des questionnements auxquels on n’a toujours pas apporté de véritables réponses… Il est indéniable que « Les luttes d’aujourd’hui se nourrissent des expériences d’hier et qu’elles préfigurent aussi la société de demain. »

36_desmiliciene Abel Paz est le pseudonyme de Diego Camacho, né en 1921 à Almeria, dans une famille d’ouvriers agricoles. Il a pris part à la Révolution de 1936 dans les rangs de la CNT (Confédération Nationale du Travail) espagnole. En 1939, à la victoire du Franquisme, il est contraint de se réfugier en France et comme beaucoup de ses compatriotes, il est promené de camps en camps (Argelès, St Cypien, Le Barcarès – voir à ce sujet également la chronique consacrée à Francisco Ponzan) jusqu’en 1942. Au moment de l’invasion de la zone « libre » par la Wehrmacht, il repasse en Espagne et s’engage dans les maquis anti-franquistes. Il est arrêté par la police espagnole en novembre 1943 et purge une peine de prison d’une durée de neuf ans. A sa libération, il revient en France et milite au sein de la CNT en exil. Son premier livre paraît en 1972 aux éditions de la « Tête de feuilles » et il est consacré à un héros de la Révolution : Buenaventura Durruti. Il faut noter qu’entre-temps Diego a participé aux événements de Mai 1968 à Paris aux côtés des étudiants et des ouvriers français, puis qu’il s’est inscrit à Vincennes, la nouvelle faculté d’histoire, pour reprendre ses études. En 1977, les changements survenus en Espagne lui permettent de retourner vivre à Barcelone. Il va profiter de son temps pour écrire ses propres mémoires et pour rédiger de nombreux autres textes sur cette période de l’histoire de son pays qui l’a tant marqué et pour cause ! En 1999, le réalisateur Frédéric Goldbronn lui consacre un film intitulé « Diego » : un entretien avec le vieux militant qui raconte ses souvenirs et évoque les moments forts de sa vie. Ce documentaire est toujours disponible. On peut se le procurer, ou tout au moins obtenir des informations complémentaires, en contactant CAURI films ou bien l’auteur (videadoc@claranet.fr). Parmi les livres qu’il a écrits disponibles en français, signalons : « Guerre d’Espagne » aux éditions Hazan – « Durruti » aux éditions l’Insomniaque – « La colonne de fer » aux éditions Libertad (CNT-RP) – « Un adolescent au cœur de la Révolution espagnole » aux éditions de la Digitale. En 2007, Abel Paz était présent au salon du livre anarchiste de Montréal. Il y était à nouveau invité, par la librairie « l’insoumise » en mai 2009. Seuls ses livres seront malheureusement présents.

insurrection-barcelone-bus En 1936, lorsque le peuple de Barcelone s’oppose au soulèvement militaire, Diego est encore bien jeune (15 ans) pour se battre avec une arme, mais cela ne l’empêche pas de prendre une part active aux évènements. Il est ouvrier, syndiqué à la CNT comme beaucoup d’autres, et il tient à le faire savoir. Le récit qu’il fait des journées d’insurrection est particulièrement prenant. En voici un extrait pris dans le livre « Guerre d’Espagne » chez Hazan :

« Mon copain et moi, nous contemplions la scène les yeux brillants.
Nous quittâmes l’esplanade de la Rambla de Santa Monica pour remonter en direction de la place de Catalogne; mais en arrivant à la hauteur de la rue Fernando, nous tombâmes sur un groupe de jeunes gens qui sortaient de l’armurerie Berintany avec des fusils de chasse et quelques revolvers. C’étaient les premiers ouvriers que nous voyions armés, maîtres enfin de la rue, car aucun agent de police ne tenta de s’opposer au cambriolage et encore moins de désarmer les garçons. Nous assistâmes ensuite aux premiers instants marquants de ce 19 juillet en voyant descendre des automobiles sur lesquelles étaient peintes les lettres CNT-FAI, et qui klaxonnaient sans arrêt les six initiales tout au long des Ramblas. La situation était devenue irréversible. Le peuple, mal armé, mais plein d’ardeur, était prêt à faire front à toute éventualité.
Nous continuâmes à déambuler, remontant et descendant les Ramblas dans l’attente que se produise l’événement à la fois espéré et redouté. Il devait être deux ou trois heures du matin quand nous entendîmes des ouvriers dire qu’à la Generalitat, on était en train de distribuer des armes. Nous les suivîmes dans la rue Fernando jusqu’à la place Sant Jaime où se trouvaient -et se trouvent encore- le palais de la Generalitat de Catalogne et l’Hôtel de Ville de Barcelone, l’un en face de l’autre. La place était pleine de monde. Le palais de la Generalitat était cerné par un cordon de gendarmes chargés de le protéger et d’empêcher qu’on ne le prenne d’assaut. Le vacarme était énorme et les cris qui fusaient de la foule réclamaient tous la même chose : des armes ! des armes ! des armes !
Je ne saurais dire, pas plus aujourd’hui qu’à l’époque, combien de gens s’étaient rassemblés sur cette place, mais ce dont je suis sûr c’est que, comme on dit chez nous : on n’aurait pas pu y glisser une âme de plus.
C’était une belle nuit étoilée.
La lune brillait haut dans le ciel et il soufflait une brise qui rafraîchissait ce suffocant mois de juillet. Cependant, personne ne regardait les étoiles; des centaines d’yeux étaient fixés sur le balcon de la Generalitat tandis que les voix, rauques à force de crier, continuaient à exiger des armes !..
»

J’espère que ces quelques lignes, ainsi que les brefs articles publiés sur d’autres sites, contribueront à ce que l’on conserve la mémoire de ce que tu as fait. Non pour t’inscrire dans un quelconque panthéon où tu n’avais aucune envie de figurer, mais simplement, parce que, acteur de l’histoire, tu dois y conserver ta place, au rang d’honneur qui est le tien. On peut écouter parler Abel Paz à cette adresse (archive Anarsonore).

NDLR : les photos illustrant cet article proviennent du site « increvables anarchistes« , sauf la première, prise sur Wikipedia.

5 Comments so far...

julio Says:

20 avril 2009 at 19:58.

Sais très difficile encore aujourd’hui de parlé de cette guerre d’Espagne ;
La droite et l’église espagnole font tout pour ne pas ouvrir le débat sur cette période de nôtre histoire !
A Santander les franquistes on exécutée des milliers de personnes, de quoi on t’il peur ?

Grhum Says:

20 avril 2009 at 22:36.

… de la vérité, sans nul doute
A propos de massacre, je ne saurais conseiller le film Katyn qui raconte l’exécution de milliers d’officiers polonais par les soviétiques pendant la guerre en 1940.
Mais il faut avoir le coeur bien accroché, en particulier les 10-15 dernières minutes du film sont à la limite du soutenable.

patrice Says:

23 avril 2009 at 20:20.

Et dire qu’il y a des espagnols (tout du moins un que je connais) pour qui ce n’est pas vrai,que Franco n’a jamais fait de mal,que ce n’était pas un dictateur. Il a pourtant vécu ces moments difficiles et est venu en France pour pouvoir gagner sa vie avant de repartir passer sa retraite dans son pays.

Lavande Says:

26 avril 2009 at 16:25.

Lire sur le même sujet:
http://cinoque.blogs.liberation.fr/waintrop/2009/04/diego-est-mort.html

François de Beaulieu Says:

8 mai 2009 at 17:39.

J’ai bien connu Abel Paz/Diego Camacho en 1968-1972, quand je vivais à Paris. Puis, de loin en loin, nous nous sommes fait des signes une fois qu’il est reparti à Barcelone. C’était un homme qui vous réconciliait avec l’humanité. J’avais un peu plus de 20 ans et il me traitait mieux qu’un fils. On peut souligner son travail concernant la révolution à Barcelone ou sur Durutti. Mais j’ai connu bien des historiens, bien des révolutionnaires qui n’avaient pas le centième de la générosité de cet homme là. Merci de contribuer à garder sa mémoire.

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