9 novembre 2010

Robinier : « faux acacia » mais arbre précieux… malgré ses piquants !

Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres .

Comment se fait-il qu’on l’appelle « faux » Acacia, cet arbre qui se nomme réellement Robinier et qui n’a de rapport avec l’Acacia que par son appartenance à une famille botanique commune, assez vaste, les fabacées (légumineuses). La question se pose évidemment de savoir quelle est l’origine de cette dénomination singulière, d’autant que c’est l’un des rares cas que je connaisse où la dénomination populaire d’un arbre repose sur une inexactitude flagrante.  Il n’est point question, dans la terminologie courante, de « faux Frêne » ou de « faux Orme ». Certes, il y a les « faux-frères », les « faux jetons »,  les « faux-culs » ou les « faux-semblants », mais nous nous écartons là du sentier végétal balisé, tracé par le titre de cette chronique. Ce serait une « fausse bonne idée » que de continuer sur cette voie incertaine.

Avant de détailler les nombreuses particularités de l’arbre, il est intéressant d’étudier un peu la question de cette appellation contrôlée non conforme, d’autant que certains fabricants de mobilier de jardin, par exemple, tirent commercialement parti de cet « abus de langage » et vendent, sous une appellation que l’on croit locale, du bois exotique importé d’horizons tout aussi lointains que le teck. Les Acacias, les vrais (il s’agit en fait d’une espèce comportant de nombreux spécimens), existent bien, mais ils sont peu connus car peu de représentants poussent dans nos latitudes. Ce sont plutôt des arbres que l’on trouve en Asie ou en Australie. Il y a quand même un représentant célèbre de l’espèce que vous connaissez sans aucun doute : on l’appelle, de manière commune, Mimosa ou Tamarin, et parfois Cassier et il pousse en abondance dans le midi méditerranéen. L’Acacia, le vrai, sous nos latitudes, c’est lui. Si l’on a baptisé le Robinier « Acacia », puis « faux Acacia », avant de lui donner son nom définitif, c’est tout simplement à la suite d’une erreur qui a été rectifiée par le savant Linné. Celui-ci s’est aperçu que ses prédécesseurs avaient été abusés par les particularités botaniques de l’arbre. Certes, le Robinier a des feuilles composées et de belles épines bien piquantes, mais cela ne suffit pas pour le ranger dans la famille des Acacias. Linné a proposé de le baptiser Robinier pour rendre hommage au botaniste Jean Robin, le premier à avoir acclimaté l’arbre sur notre territoire (en 1601), après avoir importé des graines d’Amérique du Nord. Le Robinier, dont nous allons parler principalement aujourd’hui, pousse en effet, à l’état sauvage, dans diverses régions du continent Nord-Américain, en particulier dans les Appalaches.

Voici donc réglée, la question de dénomination. Il ne me reste plus qu’à vous décrire l’ensemble de vertus qui justifient le qualificatif  de « précieux » pour l’arbre  que j’ai choisi de vous présenter dans cette chronique. Le Robinier a une croissance rapide, se multiplie rapidement (ce pourrait être aussi l’un de ses principaux défauts par ailleurs), produit un bois de qualité aux usages multiples, et enrichit les sols dans lesquels il pousse. Si j’ajoute le fait que ses fleurs permettent de réaliser d’excellents beignets et que si l’on en laisse suffisamment, les abeilles en tirent un miel délicieux… j’aurai fait le tour de la question, du moins en version accélérée. Nul n’étant parfait, je préciserai simplement, pour dresser un portrait un tant soi peu objectif, que le bois du Robinier dégage une odeur désagréable lorsqu’on le coupe, que les aiguilles provoquent des piqûres douloureuses, et que la nervosité de sa fibre le rend impropre à certains usages… Bref, si ce n’est sur le plan gastronomique, le Robinier ne fait pas dans la finesse, et mieux vaut exclure son bois de la catégorie « ébénisterie ». On ne fait pas de commodes Louis XV en Robinier, mais l’on réalise par contre des travaux de menuiserie extérieure particulièrement résistants aux intempéries. L’odeur du bois, outre sa nervosité, l’exclut par ailleurs de la tonnellerie (du moins à ma connaissance…). Par contre, les paysans savent bien qu’il n’y a pas de meilleur bois pour fabriquer des piquets (il surpasse le châtaignier dans ce domaine) et il ravit l’âme de ceux qui cherchent un bois performant pour leur chaudière.  Sa couleur jaune verdâtre permet de fabriquer des parquets originaux, sous réserve que l’on ne s’évanouisse pas lorsque les planches travaillent un peu et que des fissures plus ou moins discrètes apparaissent entre les lames. Les séchoirs artificiels permettent de contrôler l’hygrométrie et de limiter ce genre de problèmes.

Le Robinier est un arbre peu exigeant au niveau du sol : il pousse volontiers sur les terrains humides mais peut se satisfaire de conditions hygrométriques plus difficiles. Il s’agit là d’un arbre pionnier, que l’on peut utiliser pour rétablir le boisement sur des sols particulièrement dégradés. Son écorce et ses feuilles sont toxiques et il résiste plutôt bien aux prédateurs pour cette raison. La robine contenue dans l’écorce et la robinine que l’on trouve dans les feuilles et les graines sont toutes deux des poisons pour l’homme. Il ne s’agit pas d’un arbre de montagne : on le trouve en plaine ou sur des vallonnements de faible altitude, rarement au-delà de 700 m. Bien que peu frileux, puisqu’il résiste au froid jusqu’à -20°, il marque une nette préférence pour les zones tempérées pas trop froides et il ne pousse pas dans le nord de l’Europe. Il fixe une grande quantité d’azote dans le sol, grâce à ses racines. Cela se voit très facilement lorsqu’il est planté dans une prairie : l’herbe est généralement plus verte dans la zone qu’occupent ses racines (celle-ci peuvent s’étaler sur un rayon d’une quinzaine de mètres autour du tronc lorsqu’il a des difficultés à s’approvisionner en eau. La floraison a lieu au mois de juin. L’arbre se couvre de fleurs blanches odorantes qui attirent massivement les abeilles. Le miel « d’Acacia » est particulièrement savoureux… Certaines variétés comme le « casque rouge » ont des fleurs roses très décoratives. Il existe une vingtaine d’espèces différentes du genre Robinia. Les horticulteurs ont créé de nombreuses variantes des espèces sauvages : on trouve, dans les jardineries, des Robiniers à feuillage jaune, à branches retombantes et même sans épines. L’arbre ayant la particularité (et le défaut pour certains auteurs) de drageonner abondamment, il est très facile de se procurer des jeunes plants (le drageonnage est la faculté de la plante à émettre de nouvelles pousses depuis ses racines). La croissance du Robinier est plutôt rapide. Arrivé à l’âge adulte, il peut mesurer jusqu’à 25 m de hauteur et conserver une belle forme arrondie, lorsqu’il pousse en situation isolée. Dans ce cas, il peut vivre jusqu’à trois cent ans. Sa durée de vie et ses mensurations sont moindres lorsqu’il pousse en taillis. Son écorce est rugueuse, peu agréable au toucher, et sillonnée de profondes crevasses en diagonale par rapport au tronc. Elle évoque, sur les arbres les plus âgés, un treillis de cordage grossier, plutôt facile à identifier.

Le Robinier a été utilisé à de nombreuses reprises pour des travaux de reboisement en Roumanie et en Hongrie. Cet usage intensif a amené les forestiers à procéder à de nombreuses sélections et les plants originaires de ces pays ont de nombreuses qualités, notamment la robustesse et la production d’un bois de qualité. En ce qui concerne sa résistance aux intempéries, le faux Acacia est largement comparable à la plupart des bois exotiques que nous utilisons encore massivement pour les menuiseries extérieures : salons de jardins, aménagements de parc et autres réalisations soumises aux intempéries. La veine du bois est très décorative et vaut largement celle du teck par exemple. D’autant que nombre de ces arbres importés d’Indonésie ou d’ailleurs sont abattus trop jeunes et n’ont pas une qualité à la hauteur de leur réputation. Les forêts tempérées d’Europe fournissent suffisamment d’essences résistantes : Robinier, Châtaignier, Mélèze, Douglas (dans certaines conditions) pour répondre à la demande locale, sous réserve que ces différents bois soient exploités de façon intelligente et que l’on renonce au gaspillage et aux effets de mode. Pour une utilisation dans des conditions difficiles, le robinier est probablement l’une des meilleures de ces essences. Ses propriétés mécaniques et biochimiques dispensent de l’utilisation d’un quelconque traitement. Je n’ai jamais eu l’occasion de travailler en menuiserie avec ce bois, sauf à raboter quelques échantillons pour ma collection, mais cela ne m’empêche pas de rêver d’un parquet en Acacia dans ma bibliothèque…

Les mythes et légendes concernant l’Acacia sont nombreux, mais présentent aussi un joyeux méli-mélo compte-tenu de l’erreur ayant présidé à sa dénomination originale. On ne sait donc pas trop quel arbre véritable se cache parfois derrière le terme Acacia employé dans les récits : ce qui est certain c’est que nul Robinier ne pousse en « Terre sainte » pour tresser la couronne du Christ, mais que c’est sans doute l’arbre désigné sous cette appellation qui est responsable de divers empoisonnements aux Etats-Unis. Quant à l’Acacia présent dans la mythologie celtique et plus particulièrement gauloise, le mystère est encore plus épais. A quel arbre précis les textes faisaient-ils allusion ? Il est bien difficile de répondre précisément à cette question… Comme il s’agit de récits traditionnels, faisons fi de la botanique ; je vous livre quelques jolies histoires en vrac.
Un petit voyage au Moyen-Orient pour commencer. L’arbre joue un rôle important dans la tradition judéo-chrétienne. Quelques exemples… L’arche d’alliance aurait été construite en acacia plaqué d’or ; la couronne du Christ, quant à elle, aurait été tressée avec de jeunes rameaux d’acacia bien épineux ; se balader avec un truc comme ça sur la tête n’a rien d’une partie de plaisir (le Févier et l’Araucaria ne sont pas mal non plus dans le genre). L’Acacia est abondamment cité dans le récit de l’Exode. Son bois est utilisé pour construire la charpente du sanctuaire et l’autel des parfums.
L’Acacia a également sa place dans les mythologies égyptienne et indienne. La louche sacrificielle de Brahma est en bois d’Acacia ; le tombeau d’Osiris est un coffre assemblé avec le même matériau. Symbole de la renaissance et de l’immortalité, au pays des Pharaons, il a un pouvoir protecteur important chez les Berbères.

En Gaule, jeunes filles et jeunes gens se livraient à une mascarade singulière lorsqu’ils souhaitaient « se rencontrer, et plus si affinité ». Les jeunes filles désireuses de convoler en justes noces portaient une couronne d’Acacia. Pour éviter de se piquer sauvagement, les garçons désireux de témoigner de leur intérêt « et plus si affinité » se devaient alors d’offrir à leur cavalière potentielle une couronne de fleurs d’Oranger, bien plus agréable à l’odorat et au toucher. Au Canada, la symbolique avait trait également à l’union entre les deux sexes mais dans un sens légèrement différent. La couronne épineuse offerte par un garçon à sa future épouse était une invitation (ou bien une incitation, une incantation,  une mise en demeure ?) à ce qu’elle reste, tout au long de sa vie, un modèle de vertu… La coutume ne semblait pas comporter de réciprocité… Sachez, pour clore ce chapitre « nos grands mères savaient », que l’Acacia est également utilisé dans certaines pratiques contraceptives très anciennes. Histoire de ne pas provoquer de vague de protestation parmi mes lecteurs/trices, les plus sensibles, je ne détaillerai pas la recette que j’ai trouvée sur un vieux grimoire, mais je préciserai quand même que l’onguent réalisé repose sur l’utilisation d’épines BROYEES. Nous ne sommes pas chez les barbares ! Des recherches médicales plus récentes montrent que l’épine d’Acacia comporte effectivement une substance à effet contraceptif.

En résumé ? Eh bien comme vous l’avez deviné, cet arbre m’est plutôt sympathique, bien que cette opinion ait parfois été quelque peu bousculée lors de séances d’abattage/ébranchage particulièrement… piquantes ! Le spécimen que j’ai planté dans notre parc (photo ci-dessus en 2008) grandit à une vitesse spectaculaire et nous enchante, chaque année, par une floraison de plus en plus extraordinaire. L’Acacia étant souvent associé au signe astrologique du scorpion, novembre est une période bien choisie pour parler de cet arbre…

NDLR : pour écrire ce billet, je me suis largement servi d’informations disponibles sur la toile, en essayant de les synthétiser quelque peu. Comme il se doit, j’ai fait appel à ma bible personnelle, à savoir « Le livre des arbres, arbustes et arbrisseaux » de Pierre Lieutaghi. Toute personne qui s’intéresse aux arbres et ne possède pas cet ouvrage mériterait de faire trois fois le tour du jardin des Plantes avec une couronne épineuse sur la tête ! Je précise aussi que la photo n°5 provient du site « www.robinia.be », un fabricant belge de mobilier de jardin en robinier.

4 Comments so far...

Lavande Says:

11 novembre 2010 at 10:46.

Heureusement que tes informaticiens sont meilleurs que ceux de la plate-forme des blogs du Monde parce que ceux-là c’est la misère, la déconfiture, Waterloo morne plaine.

En tous cas ton acacia, il est faux mais il est beau!

Grhum Says:

11 novembre 2010 at 10:53.

toujours aussi intéressantes les chroniques arboricoles.
Je n’ai pas le livre de P. Lieutaghi. Mais j’ai fait le tour du jardin des plantes la semaine dernière et en ai profité pour visiter les serres tropicales qui sont à présent réouvertes au public.
Ils ont fait du beau travail, j’ai pris quelques photos

Anne Picard Says:

22 mars 2014 at 16:40.

A Paul : de Sur la terre ds arbres…
Adorant les végétaux et, en particulier, les arbres qui m’entourent, j’ai beaucoup apprécie votre texte sur le robinier faux acacia, nombreux dans le sud ouest ! Vous avez tres bien raconte cet arbre et d’une façon tres drôle – ce qui en rend la lecture agréable!

Paul Says:

22 mars 2014 at 17:00.

@ Anne – Merci ! Ce commentaire tombe à pic pour me réconcilier avec cet arbre car je viens d’en transporter pas mal de morceaux pour le chauffage de notre maison dans les années à venir et mon genou est en colère !

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