21 juillet 2011

Etats du Dauphiné – Vizille le 21 juillet 1788

Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Un long combat pour la liberté et les droits .

Juillet 1788, les signes annonciateurs des événements révolutionnaires de 1789 se multiplient. Même la météorologie est défavorable (comme en juillet 2011). Le 13 juillet 1788 une succession de violents orages de grêle et de pluie anéantissent une bonne partie de la récolte de céréales sur le territoire national. Le prix des denrées de première nécessité monte en flèche. Les paysans s’inquiètent à propos de leurs réserves pour l’hiver à venir et ils n’ont pas tort car l’hiver 1788/89 va être particulièrement rigoureux. Dans les villes, les familles les plus modestes éprouvent les plus grandes difficultés à acheter leur pain quotidien tant les prix sont élevés. Les révoltes ont été nombreuses dans les campagnes tout au long de ce XVIIIème siècle, mais les notables n’ont pas encore véritablement bougé. Les premiers troubles politiques vraiment significatifs éclatent dans la province du Dauphiné. En juin a lieu la fameuse « journée des tuiles » à Grenoble. Après avoir vigoureusement protesté contre la réforme judiciaire du Garde des Sceaux Lamoignon de Bâville, le parlement du Dauphiné transmet à sa majesté les doléances du peuple et l’informe de son intention de se dégager de toute fidélité à son égard si la loi incriminée est maintenue. Le roi ordonne la « mise en vacances d’office » du parlement et, par le biais de lettres de cachet, condamne les parlementaires à un exil forcé et illimité sur leurs terres. Le 7 juin, la ville de Grenoble s’embrase : les émeutiers grimpent sur les toits et projettent tuiles et cailloux sur les soldats envoyés par le gouverneur pour mater la rébellion. En fin de journée, les insurgés sont maîtres de la ville et les parlementaires reconduits au palais de justice. Les instigateurs de ce soulèvement ont bien du mal à contrôler la colère des « petites gens »… La semaine suivante, une assemblée locale décide de la convocation d’une assemblée représentative de l’ensemble de la population de la province, sur le modèle des Etats Généraux du Royaume.

Le 21 juillet, l’industriel Claude Périer met à la disposition des nouveaux élus la magnifique propriété qu’il possède à Vizille. La composition de la nouvelle assemblée est significative des changements qui s’amorcent dans la vie politique française. Même si la représentation n’a rien à voir avec la répartition démographique réelle, le Tiers Etat est, pour une fois, majoritaire, d’autant que la règle du vote « par tête » et non « par ordre », est instaurée dès le départ. Sont réunis dans la grande salle du château de Vizille 50 représentants du clergé, 165 de la noblesse et 276 du Tiers-Etat. Sachant que dans cette catégorie, bourgeois et notables sont sur-représentés, il est hors de question de parler d’assemblée « populaire ». Les préoccupations du petit peuple (qui constitue l’écrasante majorité de la population) sont peu axées sur la politique mais plutôt sur l’économie ; les principales revendications touchent à la survie : sur-imposition, prix des denrées alimentaires… Les ouvriers, les paysans, les petits artisans, ne sont pas représentés directement à Vizille, si ce n’est par quelques notables, plus instruits, qui ont bien voulu leur servir de porte-voix. En fait, chaque secteur de la population a sa propre famille de revendications. Le peuple attend une réponse à ses besoins matériels immédiats, les bourgeois souhaitent une révolution démocratique à l’anglaise ou à l’américaine, les nobles sont surtout braqués contre les édits Lamoignon dont ils exigent l’abrogation…

La déclaration rédigée à la fin de cette assemblée témoigne des divergences existant entre les uns et les autres. Les élus dauphinois réussissent cependant à se mettre d’accord sur une plateforme de revendications qui n’a rien de révolutionnaire, mais qui, si elle était approuvée à Versailles, réduirait considérablement le pouvoir absolu de la monarchie.
L’assemblée de Vizille demande :
– le retour des parlements suspendus avec les pouvoirs qui étaient les leurs ;
– le rétablissement d’états provinciaux avec une représentation équilibrée des trois ordres et l’adoption du principe du « vote par tête » ;
– la convocation des Etats Généraux du Royaume, pour discuter et élaborer un certain nombre de réformes.
Comme on peut en juger il y a là un subtil dosage entre maintien des privilèges féodaux et démocratisation des instances de pouvoir… La bourgeoisie, se considérant comme le moteur économique du royaume, réclame sa part du gâteau politique. Le peuple, lui, se contenterait d’un peu plus de justice sociale.

Les répercussions de cette assemblée de Vizille seront nombreuses dans les autres provinces françaises. D’autres insurrections politiques vont suivre, en Franche-Comté, en Bretagne, en Provence notamment. A la différence des soulèvements populaires dont nous avons déjà largement parlé dans ce blog, les troubles se déclencheront fréquemment dans les centres urbains et la bourgeoisie commerçante et industrielle locale s’y implique progressivement. Pour essayer de calmer les esprits, dès le 8 août, Louis XVI cède sur la convocation des Etats Généraux, en mai 1789, et, après moult tergiversations, l’idée de la double représentation pour le Tiers-Etat est acceptée aussi. Sur les 1000 députés qui composeront la nouvelle assemblée, le Tiers-Etat disposera d’un collège de cinq cents représentants. Mais, au cours de l’hiver 1788/1789 les paysans seront plus occupés par la lutte contre la famine qui redouble d’importance que par les subtilités électorales et politiques. Il n’empêche que la colère grandit et que l’incendie de juillet-août 1789 couve sous la braise… Les hésitations du monarque ont atténué l’effet de ses concessions. Un jeu politique subtil se prépare dans l’ombre, alliances et compromis se nouent et se dénouent. Une fraction de la bourgeoisie française adopte une stratégie complexe consistant à exciter les soulèvements populaires tout en essayant d’en garder le contrôle le plus strict possible… Les mésaventures de l’évèque de Sisteron, ardent défenseur des privilèges, menacé par la population qui l’assiège dans sa demeure, et sauvé de justesse par le futur révolutionnaire Mirabeau, illustrent bien mon propos. Mais dans l’ensemble, la bourgeoisie reste extrêmement prudente. Il est donc essentiel de nuancer l’importance de certains événements parfois idéalisés, comme le fait remarquer Kropotkine dans son histoire de la Grande Révolution :

« Rien ne serait plus faux que d’imaginer ou de représenter la France comme une nation de héros à la veille de 1789 […] Il est évident que si l’on réunit sur un petit nombre de pages, les quelques faits, très peu nombreux d’ailleurs, de résistance ouverte à l’ancien régime de la part de la bourgeoisie, […] on peut tracer un tableau assez impressionnant. Mais ce qui frappe surtout lorsqu’on envisage toute la France, c’est l’absence de protestations sérieuses, d’affirmation de l’individu, la servilité même de la bourgeoisie, j’ose le dire. Personne se ne fait connaître. On n’a même pas l’occasion de se connaître soi-même. […] Que faisaient Barnave, Thouret, Sieyès, , Vergniaud, Guadet, Roland, Danton, Robespierre et tant d’autres, qui vont devenir bientôt les héros de la Révolution ? Dans les provinces, dans les villes, c’était le mutisme, le silence. Il fallut que le pouvoir central appelât les hommes à voter et à dire hautement ce qu’ils se disaient tout bas, pour que le Tiers-Etat rédigeât ses fameux cahiers. Et encore ! Si dans certains cahiers nous trouvons des mots audacieux de révolte – que de soumission, que de timidité dans le grand nombre, quelle modicité des demandes !… »

Un petit saut dans le temps, pour conclure sur une note point trop pessimiste. Cela peut prendre la forme de l’extrait d’un document rédigé par un historien du milieu du XXIème siècle, dont j’ignore encore le nom…

« Rien ne serait plus faux que d’imaginer la France comme une nation de héros à la veille des événements de 2012-2013… En 2011, le peuple de France est d’une grande passivité. Il semble que le fameux principe élaboré par l’empereur romain Jules César, « du pain et des jeux » – principe réactualisé sous la forme de « la bagnole et la télé » – fonctionne admirablement bien. Il y a bien eu un sérieux mouvement de révolte à l’automne 2010. Les gens, dans leur grande majorité, sont plutôt conscients du tort que leur porte le gouvernement alors en place, mais le fatalisme pèse sur les revendications comme le couvercle en fonte sur une cocotte. D’années en années, de mois en mois, les privilèges de la fraction la plus riche de la population s’accroissent, pendant que la misère fait des ravages parmi les moins favorisés. Tout ce que les aînés ont conquis par leurs luttes antérieures est peu à peu anéanti par un pouvoir au service des sociétés multinationales et de leurs actionnaires anonymes. Sous couvert de libéralisme et de mondialisation, on anéantit peu à peu les services publics, on fait payer aux plus démunis le gaspillage éhonté d’argent public réalisé par des établissements bancaires ou des entreprises privées sans scrupule. Craignant les révoltes à venir, le gouvernement en place durcit son arsenal législatif répressif… Qui pourrait croire qu’un tel chambardement va survenir en 2012-2013 ? Certainement pas les politiciens d’une opposition molle au monarque en place ; ils n’ont pour objectif principal que d’assurer la pérennité de leur carrière et d’anesthésier un peu plus ce peuple qualifié de « souverain » mais ayant perdu, depuis des lustres, toute souveraineté…
Il fallait, à l’époque, s’intéresser à des faits d’actualité auxquels les médias classiques accordaient fort peu d’importance, pour se rendre compte du fait que les prémisses du changement étaient déjà présents… »

10 Comments so far...

Eric Poindron Says:

23 juillet 2011 at 12:11.

A propos de la presentation de l’atelier d’écriture d’Eric Poindron où Madame Clopine Trouillefou s’est plu à semer la Zizanie puis à raconter à sa vilaine manière (et dans le fond et dans la forme) et prendre en otage les participants :

Un démon à ma table et le lien :

http://www.clopinetrouillefou.fr/article-un-demon-a-ma-table-recit-d-une-aventure-avortee-76375832-comments.html#anchorComment

Cette dame et son double – schizophrénique – oublie de vous dire qu’elle n’a rien payé et qu’elle était invité à découvrir afin de décider si elle souhaitait participer ou non. Et oui, que ça lui plaise ou non, quand on commence une activité, on s’engage et on s’y tient. Et je maintiens, toutes ses questions, à commencer par le prix de l’immobilier furent parfaitement stupides et lamentables.

Autre petite rectification, en passant, on ne me prête pas ce beau lieu, mais je le loue.

Et puis votre amie oublie de vous dire qu’elle s’est sauvée comme une voleuse, alors qu’elle était chaleureusement accueilli. Vous m’amusez, les uns les autres à vous cacher derrière vos murs. mais venez donc à l’atelier me dire en face tout ce que vous écrivez vilement. Lâcheté & compagnie… Soyez rassuré, je suis habitué aux donneurs de leçon de votre triste espèce.

Je vous demanderai aussi de conserver les uns et les autres vos jugements péremptoires sur ma personne puisque vous ne me connaissez pas. Une première fois, ça ne m’amuse pas, la prochaine fois, ça va m’énerver. Et j’en profite pour vous rappeler que je vis dans la campagne profonde, sans voisins, et bien loin du milieu littéraire qui vous fait tant parler.

Aux bons soins de Zoé : si ce texte est un régal, arrêtez immédiatement d’écrire, car vous n’êtes pas faite pour ça, doux jésus !

Aux bons soins de La feuille charbinoise : vous êtes un cuistre doublé d’un hypocrite. Vous venez me lire pour mieux – et très mal – colporter. Vous apprendrez que cinquante personnes satisfaites valent mieux qu’une grincheuse et artiste à demi.

Pour les autres : je n’ai jamais fait croire que j’avais inventé le mot : écrivant et tiens à vous préciser que j’emmerde copieusement Barthes et ses thuriféraires. J’ai simplement utilisé ce mot simple dans le sens d’un homme \écrivant\, contracté en participe présent, comme on peut le faire avec \étudiant\.

Enfin, à tous, pas très joli, joli vos règlements de compte dans mon dos, ça rappelle un peu les exécutions publics, les dénonciations des \bons français\ durant la seconde guère et une mesquinerie propre aux écrivaillons ratés.

Enfin, comme je sais que cette triste personne se fera un devoir de ne pas laisser le commentaire sur son mur, je l’adresse à chacun d’entre vous. Et demeure, MOI, à votre disposition pour bavarder et m’explique. Enfin je vous demande de cesser tout quolibet à mon égard.

Eric Poindron, « semi-mondain boursouflé »

http://curiosaetc.wordpress.com

Paul Says:

23 juillet 2011 at 14:07.

@ Eric Poindron – J’ai laissé passer ce commentaire qui était en attente d’approbation parce que je n’aime pas la censure. J’estime cependant qu’il n’a pas sa place ici et ce pour diverses bonnes raisons :
– il n’a aucun rapport avec la chronique à la suite de laquelle il est publié ;
– il est en relation avec un commentaire que j’ai écrit sur une chronique écrite par quelqu’un d’autre sur un autre blog ; pour les lecteurs qui pourraient être intéressés par ce genre de bisbilles, voici le lien
« Un démon à ma table »
– je me sens parfaitement à l’aise dans mes baskets avec ce que j’ai écrit, d’autant que le commentaire publié sur Clopineries a été publié pas mal de temps après que j’ai ôté « le cabinet des curiosités » de ma liste de liens permanents pour des raisons que je n’ai pas souhaité développer dans le bric à blog mais sur lesquelles je suis prêt à m’expliquer à l’occasion si la polémique en vaut la peine.
Sachez que, comme je ne change pas d’avis comme de chaussettes, je ne remets aucunement en cause la chronique que j’avais écrite sur votre ouvrage « belles étoiles » que j’apprécie toujours autant. Là aussi, les lecteurs de la Feuille qui le souhaitent peuvent profiter des vacances pour réviser !

Eric Poindron Says:

24 juillet 2011 at 01:36.

Et moi je me suis permis de vous écrire ici car je n’ai pas d’autres adresse. Si vous m’en laissez une, je vous donnerais ma version des faits et souhaiterais savoir comment vous pouvez juger une soirée à laquelle vous étiez absent. Et, aussi, comment vous pouvez mettre en doute les commentaires élogieux de quelques participants. oui, tout cela m’intrigue, en plus d’être bon lecteur, je vous croyais tolérant et j’ignorais que vous pouviez aussi facilement adhérer à une meute.

Phiphi Says:

24 juillet 2011 at 03:15.

Il est vrai que ce.. comment dire? (il me vient des qualificatifs, mais je vais me retenir).
Disons que si cet individu pouvait retourner dans la fange (pour être poli) dont il n’aurait pas dû sortir, je trouverais cela bien.
Connaissant le rédacteur de ce blog, je n’en dirais pas plus, mais …

Phiphi Says:

24 juillet 2011 at 03:23.

Je viens de relire la … prose de cet individu, eric, , c’est consternant.

Eric Poindron Says:

24 juillet 2011 at 11:12.

@ Phiphi ; vous parlez de qui ? De moi ?

Paul Says:

24 juillet 2011 at 19:03.

@ Eric Poindron – Votre commentaire est publié en « droit de réponse » sur le blog « clopineries ». Le débat n’ayant pas sa place ici s’interrompt donc en l’état. Les personnes « intéressées » par cette polémique (?) sont donc invitées à se reporter aux commentaires de la chronique incriminée sur Clopineries. En guise de conclusion, je préciserai simplement que je ne considère pas le fait d’apprécier les propos de Clopine Trouillefou – que je connais personnellement – ou de prendre grand plaisir à suivre le blog de Zoë Lucider, comme des « marques » quelconques d’appartenance à une « meute ».

Eric Poindron Says:

24 juillet 2011 at 23:02.

Vous avez fort raison, toutefois votre commentaire à mon égard est injustifié, et INADMISSIBLE. Prenez le temps la prochaine fois de mesurer vos propos ou de m’adresser directement vos remarques injustifiés. Un peu de courage !

fred Says:

27 juillet 2011 at 15:53.

13,5 cm !
(propos mesurés)

Lavande Says:

28 juillet 2011 at 22:31.

Il fut un temps où je lisais assez régulièrement le blog d’Eric Poindron (J’aimais particulièrement la bannière représentant un superbe cabinet des curiosités!).
J’y ai trouvé une fois une très belle photo d’un charpentier en train de lire, installé sur le faîte du toit où il travaillait. Cette photo provient du site d’un talentueux photographe, Henri Zerdoun, et de son livre (que j’ai) « Des livres et vous » où figurent des photos de lecteurs dans des positions ou des contextes inattendus ou amusants, avec pour chaque photo un texte écrit spécialement pour commenter cette photo par un écrivain.
J’avais fait remarquer en commentaire à Eric Poindron qu’il aurait été sympa de donner l’identité du photographe. Il n’a pas répondu ni réparé son « oubli ». Dommage.
Réparons donc l’oubli en question:
le site: http://henri.zerdoun.free.fr/
le blog: http://henrizerdoun.blogspot.com/

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