27 novembre 2008

Le mont Patichou par la face Nord

Posté par Paul dans la catégorie : Delirium tremens; les histoires d'Oncle Paul .

Nous voilà rendus dans cette période de l’année où je me demande, chaque soir, s’il ne vaudrait pas mieux, le lendemain matin, rester sous la couette et tenter une bonne hibernation pour un mois ou deux, histoire d’attendre que les jours rallongent et que le soleil s’amuse à nouveau, telle une mite, à faire des trous dans le coton laineux des nuages. Ce n’est pas tellement le froid que je crains, bien que j’aie une nette préférence pour les températures douillettes du printemps. C’est surtout le cocktail grisaille, brouillard et humidité permanente, avec une petite pointe d’obscurité pour pimenter, qui m’insupporte particulièrement. Avant que la région ne devienne une annexe de la Sibérie, ces derniers jours, nous avons profité des belles journées de l’automne finissant pour nous balader sur les chemins de la commune. L’une de nos plus belles randonnées a été l’ascension du mont Patichou, point culminant du paysage environnant, ce qui représente, par rapport à la maison, un dénivelé d’au moins cent cinquante mètres (je ne parle pas de dénivelé cumulé – dans ce cas, il faudrait au moins doubler !). Ce trekking exceptionnel s’est déroulé sur une après-midi complète. Le jour se faisant progressivement happer par la nuit vers 17 h, et la période post-repas étant consacrée à une sieste bien méritée, cela signifie que nous avons marché, dans le vent et la froidure, pendant au moins deux heures ! Nous avions bien envisagé la possibilité d’installer un camp de base, mais aucun refuge n’offrait d’abri suffisamment confortable et nos sacs à dos, chargés de denrées de première nécessité, interdisaient tout transport d’un matériel de camping, même réduit à sa plus simple expression. Nous avons donc pris sur nous et décidé d’accomplir cette randonnée sans plus tergiverser.

Nous n’avons pas été déçus, lorsque notre regard s’est enfin posé sur ce haut sommet. A cette époque de l’année, son altitude (360 m) empêche encore qu’il disparaisse sous un épais manteau neigeux. Nous avons donc pu bénéficier d’un point de vue exceptionnel sur le champ de maïs qui recouvre son sommet. Cette découverte était d’autant plus émouvante que jusqu’à présent nous n’avions jamais vu le Mont sous cet angle là. En général, on se limite à un bref coup d’œil depuis la route goudronnée qui passe à son pied, côté Sud. Le spectacle n’a rien de comparable ! Le point de vue est d’abord altéré par le lotissement qui, peu à peu, gangrène ce versant méridional. Ensuite, on n’a pas, lorsque l’on jette un coup d’œil par la vitre de la voiture, ce sentiment bien singulier qui naît de l’effort : la goutte de sueur qui ruisselle sur le front et peut, parfois, altérer la vision ; cette soif qui vous agresse le gosier et nécessite une intervention préliminaire à toute contemplation. Lorsqu’enfin désaltéré, mouché, essuyé, bien campé sur ses deux jambes, on peut relever la tête et prononcer une phrase historique du genre : « Ben Magnieu (patois local à traduire sans doute par eh bien bon Dieu) z’ont du courage les gonzes qui labourent une pente pareille ! » On jette ensuite un regard sur le chemin accompli : la pente était rude, le sentier boueux et il y avait même quelques arbres en travers demandant des prouesses d’escalade… Après un instant de silence, propice à la méditation, on se remet en marche en ponctuant les premiers pas harassés d’un : « en tout cas, ça valait le coup ! ». Une centaine de mètres plus loin, après avoir cheminé dans un chemin creux bordé de maïs et donc propice aux embuscades, on retrouve enfin la civilisation : le goudron, les bagnoles et le gazouillis des tondeuses à gazon.

Pour se rendre au Mont Patichou, en partant de la maison, on doit d’abord rejoindre le village par une petite route charmante qui sert de piste d’entraînement aux conducteurs sportifs de quads ou aux futurs champions de formule 1 fans de techno. Se garer à temps pour éviter le choc frontal, c’est là le péril principal qui accompagne cette première partie du trajet. On emprunte ensuite une montée goudronnée sinueuse qui mène d’une part à l’église et au cimetière, d’autre part au château qui se dresse à mi-hauteur du Patichou. Ce bâtiment a connu son heure de gloire avant d’être vendu pour servir de centre de vacances à l’UFOVAL. Depuis qu’il n’héberge plus que de petits manants, il tombe peu à peu en ruines et n’offre plus que quelques images de sa splendeur passée. Dans la première moitié du XXème siècle, il y a donc moins d’une centaine d’années, il appartenait à une bien brave Comtesse qui venait y prendre ses quartiers d’été. Madame arrivait par le train, à la gare du village, montait dans une calèche blanche, parfaitement assortie à la robe qu’elle mettait pour voyager dans les voitures de première classe. Avant de regagner son auguste demeure, elle suggérait à son cocher de faire un petit tour dans la campagne avoisinante. Cela lui permettait de saluer, de sa main gantée, les gens du peuple qu’elle croisait sur les chemins, s’enquérant de la santé de l’un ou de la qualité des récoltes de l’autre. Tous ces gens n’étaient bien entendu plus « ses » gens, puisque la révolution de 1789 était passée par là, mais, Mme la Comtesse aimait ce contact avec la population locale. Toute cette agitation était si pittoresque !

Lorsque nous abandonnons la route du château pour suivre une large allée cavalière qui s’engouffre dans les forêts obscures sur le versant Nord du Mont Patichou, nous croisons sans doute à nouveau le chemin de Mme la Comtesse. Le château possédait un domaine immense et la forêt dans laquelle on pénètre en faisait certainement partie. Quelques beaux arbres essaimés de-ci, de-là au milieu du taillis en témoignent assurément. Je pense que lorsqu’elle se promenait dans ce lieu, Mme la Comtesse devait abandonner sa robe blanche immaculée pour revêtir une tenue de chasse plus appropriée. Les détonations que l’on entend parfois ne proviennent plus des fusils de ses rabatteurs ou de son garde-chasse. Le peuple s’est émancipé et l’on n’a plus besoin d’une particule pour fusiller les merles et les perdrix ! Comme c’est l’automne, on n’entend plus les hurlements des gamins de la colonie. Pourtant, le parc du château n’est pas très éloigné. Plus on progresse dans la forêt, plus l’ambiance devient singulière : mystérieuse, un peu angoissante même. On s’attend à voir surgir une créature maléfique de l’un de ces magnifiques ronciers qui poussent aux abords du chemin. Il faut dire que, dans l’antiquité, le Mont Patichou était un lieu qui revêtait une importance exceptionnelle. Les adeptes du culte du « Grand Zihou », une religion locale, maintenant presque oubliée, s’y livraient à d’étranges rituels au moment clé des solstices et des équinoxes. Quelques études ont été conduites sur ces traditions populaires, mais leurs conclusions sont floues et souvent contradictoires. S’agissait-il de fêtes paillardes, de libations sans limites, ou bien au contraire de sortes de cérémonies profondément mystiques ? Nul ne sait exactement… Enfin, moi, si… j’ai ma petite idée sur la question, mais ceci est une toute autre histoire, dans la mesure où la chronique d’aujourd’hui a pour but essentiel d’enrichir vos connaissances GEOGRAPHIQUES…

NDLR : Et le mont Patichou alors ? Pourquoi ne voit-on pas sa photo ? Je pourrais vous répondre qu’il vous faudra patienter… Cette histoire a une suite, bien évidemment, et je ne vais pas dévoiler toutes mes cartouches le même jour. Mais comme il s’agit d’une vraie histoire véridique, je suis tenu par l’obligation morale de vous donner une réponse authentique : nous n’avons pas pu photographier encore le Mont Patichou… Son image n’impressionne pas la pellicule numérique. Les gnômes du Mont ont horreur de la publicité. Nous ferons une nouvelle tentative, nocturne celle-là. Il paraît qu’à la lueur des flambeaux…

2 Comments so far...

Lavande Says:

28 novembre 2008 at 11:06.

Elle me plaît bien la chronique d’aujourd’hui: elle ne plane pas à des altitudes inaccessibles physiquement ou intellectuellement.

fred Says:

1 décembre 2008 at 12:19.

Avec un nom pareil, ce Mont est forcément « Gay Friendly » !

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