3 décembre 2008

Bhopal, vous vous souvenez ?

Posté par Paul dans la catégorie : Feuilles vertes; Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire .

C’était il y a vingt-quatre ans, exactement, en Inde : la cuve d’une usine de produits chimiques, appartenant à la société US Union Carbide, explose, suite à une défaillance du système de sécurité et à une accumulation de négligences de la part de la direction de l’entreprise. Certes l’accident se produit loin, dans un pays en voie de développement, mais les conséquences sont tellement graves que l’affaire prend bien vite une dimension internationale, avant de retomber, comme pour beaucoup d’autres catastrophes écologiques et humaines, dans l’indifférence médiatique. Vingt mille riverains meurent dans d’atroces souffrances et on dénombre pas moins d’une centaine de milliers de blessés. Depuis l’explosion et suite à la contamination du sol et des nappes d’eau, on estime à environ deux cent mille le nombre de personnes handicapées. De nombreux recours ont été engagés contre la société mais les dommages obtenus par les victimes sont sans comparaison avec les dimensions de la catastrophe. La société Union Carbide a disparu de la circulation après l’accident et n’a jamais effectué ou fait effectuer le nettoyage du site. En 1989, seule l’indemnisation des victimes a été partiellement prise en compte. 470 millions de dollars ont été versés à titre de compensation financière, alors que le coût du désastre est estimé à plus de deux milliards. En 2001, la multinationale Dow Chemical a racheté les actifs financiers d’Union Carbide, mais a refusé, comme il se doit, d’être impliquée de quelque manière que ce soit, dans les « erreurs » commises par cette entreprise. Un procès est en cours et la cour de justice US doit prochainement rendre son jugement, d’où l’importance de remettre cette affaire au premier plan.

Depuis 1984, il faut dire que la situation internationale a passablement évolué. Les relations entre pays du Sud et les puissances occidentales ne sont plus tout à fait les mêmes. Le gouvernement indien, plutôt passif au départ, soumis aux pressions US, a fini par prendre fait et cause pour ses citoyens. Diverses ONG se sont investies dans cette affaire et, localement, les habitants se sont organisés et tentent, avec les moyens du bord, de pousser leur administration à réclamer une véritable décision de justice sur cette affaire. Selon les analyses réalisées ces cinq dernières années par Greenpeace, les nappes d’eau sont toujours fortement contaminées et il ne fait aucun doute que les nombreuses naissances d’enfants malformés qui se produisent ainsi que les morts de foetus en cours de grossesse sont directement liées à cette pollution. Union Carbide n’y est pas allé de main morte puisque, lors de l’explosion, quarante-deux tonnes d’isocyanate de méthyle, un gaz mortel, se sont échappés dans l’atmosphère, puis sont retombés sur le sol avec les précipitations. La catastrophe était prévisible… L’installation était vétuste, les systèmes de sécurité inopérants et, pour accroître la rentabilité d’une filiale en perte de vitesse, UCC avait licencié une partie des cadres de l’entreprise, soit pour les remplacer par du personnel moins qualifié, soit pour ne pas les remplacer du tout. Une fermeture pure et simple du site était même envisagée, mais le gouvernement indien n’en voulait pas car, à cette époque, les investissements étrangers constituaient un « bol d’air » (façon de parler !) pour l’économie fragile du pays. Ce sont les années où les multinationales se sont hâtées d’installer, dans les pays en voie de développement, bon nombre d’entreprises gravement polluantes, dont les populations, un peu mieux informées des pays occidentaux, ne voulaient plus. La prise de conscience « écologique » des uns faisait ainsi le « bonheur » des autres…

Une campagne internationale est en cours pour obtenir justice à Bhopal et il faut la soutenir. Il faut que les habitants de cette région obtiennent réparation, au moins matérielle, des lourds dommages qu’ils ont subis. Différentes mesures doivent être prises rapidement et financées pas ceux qui sont responsable de la pollution. Quelques exemples :
– Vingt-quatre ans après la catastrophe, aucun réseau d’alimentation fiable en eau potable n’a été construit. Les nappes locales sont toujours inutilisables, et les habitants voisins de l’usine détruite sont toujours alimentés, de façon aléatoire, par des camions citerne ;
– Vingt-quatre ans après la catastrophe, aucun projet de réhabilitation économique sérieux n’a été engagé dans la région proche de Bhopal et les personnes handicapées ne disposent d’aucun revenu pour assurer leur subsistance ;
– Vingt-quatre ans après la catastrophe, les anciens dirigeant d’Union Carbide, ne se sont toujours pas présentés devant la justice indienne qui souhaite leur demander des comptes. Tant que la justice US ne les contraindra pas à cette démarche, il est bien évident qu’ils continueront à s’y soustraire alors que la politique d’austérité qu’ils ont menée est directement responsable de la catastrophe ;
– Vingt-quatre ans après l’explosion, un programme de nettoyage complet des terrains pollués doit être mis en œuvre et ce n’est pas à l’Inde de le financer !

Depuis l’affaire de Bhopal, les catastrophes se sont multipliées, mais, heureusement pour la population de cette magnifique planète bleue, peu ont été aussi lourdes de conséquences, à part, bien sûr, Tchernobyl en 1986 (dont le lobby nucléaire cherche sans cesse à minimiser les conséquences). Il est fort probable que bon nombre « d’incidents mineurs » ont été dissimulés ou minimisés; que ce soit dans le domaine du nucléaire ou celui de la chimie ou de la pétrochimie. La vigilance (indispensable) des citoyens rend la désinformation plus difficile, mais les multinationales et les gouvernements à leur solde disposent d’autres moyens pour endormir les populations. Les installations dangereuses (classées « Seveso » dans les dossiers de notre administation en référence à la catastrophe chimique dans la ville italienne du même nom, en 1976) sont nombreuses. Certaines d’entre elles sont indispensables au bon fonctionnement de notre société. Plutôt que de chercher à les délocaliser – « ailleurs », il faut surtout veiller à ce que leurs systèmes de sécurité soient les plus sérieux possibles. D’autres n’ont qu’un intérêt discutable et sont souvent liées à la satisfaction de notre besoin artificiel de consommer toujours plus. Des alternatives existent, par exemple, à l’utilisation de millions de tonnes d’engrais chimiques et de pesticides ; les solutions de rechange ne manquent pas pour limiter l’emploi des matières plastiques, que ce soit l’allègement des emballages ou la fabrication de biens de consommation durables. C’est à ce niveau-là aussi que se situe la lutte contre les prochains Bhopal !

NDLR : Concernant le crédit photo… Illustration n°2 photo d’une manifestation à Bhopal, ©Greenpeace / Kadir Van Lohuizen – illustration n°3 © associated press – illustration n°4 photo de la marche sur New Dehli organisée par des habitants de Bhopal en février 2008 (© inconnu pour l’instant).
Site (en anglais) de la campagne internationale pour la justice à Bhopal
Sources documentaires : le site indiqué, Greenpeace, Wikipedia et Rebellyon.

No Comments so far...

fred Says:

4 décembre 2008 at 18:20.

Désolé d’être un peu iconoclaste sur ce coup là, mais moi, ce dont je me souviens en lisant ton titre, c’est d’un camarade hélas décédé depuis, qu’on appelait « le beau pâle » …

Autrement, pour revenir au « vrai » sujet, chez nous, y’a eu AZF par exemple …

Leave a Reply

 

Parcourir

Calendrier

avril 2024
L M M J V S D
« Avr    
1234567
891011121314
15161718192021
22232425262728
2930  

Catégories :

Liens

Droits de reproduction :

La reproduction de certaines chroniques ainsi que d'une partie des photos publiées sur ce blog est en principe permise sous réserve d'en demander l'autorisation préalable à (ou aux) auteur(s). Vous respecterez ainsi non seulement le code de la propriété intellectuelle (loi n° 57-298 du 11 mars 1957) mais également le travail de documentation et de rédaction effectué pour mettre au point chaque article.

Vous pouvez contacter la rédaction en écrivant à