5 juin 2015

Les voisins, c’est pas toujours la fête…

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .

Quelques considérations acides sur la délocalisation des citadins à la campagne

fete des voisins Les pavillons et les lotissements poussent comme des champignons dans nos campagnes, accompagnés de leurs lots de ZA de ZI et autres joyeusetés. Enfer et damnation, nous bénéficions même d’un nouveau Mac Daube à un bon kilomètre de notre espace de survie…

Ce n’est pas un hasard si je choisis le terme de « délocalisation » dans mon titre. Je voulais éviter toute confusion entre les personnes dont je vais parler et les véritables « néo-ruraux » qui sont bien souvent les acteurs dynamiques du renouveau de la vie dans nos campagnes. Non… ceux que je vais quelque peu égratigner dans ce billet, ce sont ces gens qui sont égarés dans le paysage rural, ces citadins auxquels on a fait croire que la vie en plein air c’était les barbecues à tout va, les virées en quad à gogo et autres loisirs culturels à base de moteurs pétaradants. Ils sont venus vivre à la campagne parce que « c’est moins cher » et parce qu’on leur a fait miroiter la liberté des grands espaces. Tout ce qui était difficile à gérer dans un T2 à cause – notamment – du voisinage, ne pose plus aucun problème du moment que plus personne n’habite en dessus ou en dessous. Tant pis si votre terrasse n’est qu’à trois mètres cinquante de celle de votre voisin. Tant qu’on aime les sardines grillées, il n’y a pas de soucis. Ces nouveaux arrivants colonisent peu à peu l’espace agricole par le biais des lotissements que les promoteurs peu scrupuleux font éclore à droite comme à gauche (dans tous les sens du terme). « Vous ne pouvez pas refuser une proposition aussi mirobolante, M’sieu le maire. Grâce à la construction du lotissement « les fleurettes », votre « trou », non pardon votre charmante bourgade, va gagner trois cent habitants d’un coup. Faites leur risette de temps à autre, et hop ! un bon lot de voix gagné aux prochaines élections ! Ça ne coûtera presque rien à la commune bien sûr. Tout est précisé dans le dossier de 647 pages que je vous ai remis… »

vue aérienne Ce que M’sieu le maire ne sait pas c’est qu’il met le doigt dans un engrenage aussi complexe que destructeur. Les nouveaux venus, par exemple, aiment bien les animaux, mais surtout ceux qui vivent à travers les pixels de l’écran de leur téléviseur. Ils ont parfois du mal à supporter la réalité locale : un coq qui chante à 6 h du matin, le dimanche, ou une taupe qui transforme en terrain de golf leur gazon verdoyant. Gazon, barbecue, quad… un certain nombre de mots clés de la bible des nouveaux arrivants figure déjà dans ce billet. Les « anciens » occupants des lieux – souvent des agriculteurs – ne se plaignent pas trop, tant que ces investissements divers profitent à leur portefeuille. Nombre d’entre eux ont été suffisamment malins pour rentrer dans les conseils municipaux quand la question des P.O.S. (requiem in pace) ou des P.L.U. a été débattue. Ils se sont procuré force liquidités en faisant classer en terrain à bâtir quelques parcelles qui trainaient dans un coin de leur exploitation et ne leur rapportaient guère. Ces fonds inespérés ont été les bienvenus pour permettre d’agrandir les parcelles « rentables » en rachetant les terres du voisin, retraité ou bien ruiné ou bien les deux. Quelques tractations bien menées ont permis de bloquer l’installation de jeunes agriculteurs diplômés, un brin écolos sur les bords, et parfois même citadins ayant opéré une véritable reconversion par rapport à leur mode de vie antérieur.

Le seul problème pour les gros exploitants agricoles (pas les très gros : eux ont visé plus haut que les conseils municipaux) c’est que la machine à bâtir s’est un peu emballée et que dans certaines régions on s’est mis à exproprier à tout va. Leurs nouveaux adversaires n’étaient plus de simples petits promoteurs ambitieux mais de grosses entreprises de BTP dont le pavillon vole bien plus haut que les miradors qui bornent nos frontières nationales. Quand on déménage la ville à la campagne, il faut aussi de la place pour tout un équipement collectif fondamental ou non : salle des fêtes, hypermarché du bricolage, fast food, réparateur de quad, gare TGV, terrain de golf ou autre centre de loisirs. « M’sieu le Maire, imaginez la publicité dont va bénéficier votre « trou », non pardon votre charmante bourgade, si nous construisons un centre touristique avec golf, dancing et autre « pool house ». Même au chef-lieu ils n’ont pas un équipement de cette ampleur. En plus ça va soulager votre service social ! On va recruter quelques jeunes filles sans emploi pour devenir bonniches à tiers-mi-temps (*) dans le complexe hôtelier, sous le dôme. Du chômage en moins, c’est des voix en plus ! Le dôme… ah oui, je ne vous avais pas parlé du dôme climatique… Pas de problème, tout est expliqué à la page 648 du dossier, dans les premières annexes… »

fete des quads René Duschmoll est content… Dix années qu’il habite dans ce trou du cul du monde (pour reprendre les termes un peu exagérés qu’emploie son ado de fils). Il va enfin pouvoir bénéficier pleinement des avantages de sa nouvelle vie rurale. Finalement, tout n’était pas mauvais dans ce délai d’attente. Il a fini de rembourser l’un de ses emprunts et dispose enfin d’un budget loisir partiellement conforme à ses ambitions. Il s’est inscrit au « road club » des « sirènes hurlantes » et, avec ses potes motards, ils font des virées en quatre roues tous les samedis après-midi sur les chemins qui traversent les vignobles dans le département voisin, à vingt bornes de chez lui. Il consacre une semaine de vacances, celles de Pâques ou de la trinité, à sa famille. A ce moment de l’année, il ne fait pas encore assez chaud dans les campings sur la Côte, alors ils bénéficient des promotions dans le parc d’attraction régional à cent bornes de là. Comme c’est climatisé et qu’il y a une super-piscine avec des palmiers, il a l’impression de séjourner en Guadeloupe ou en Martinique selon les années. De toute manière, chez les bougnoules il y est allé une fois et il a attrapé une intoxication alimentaire grave. Pas d’hygiène dans ces contrées lointaines. Le dimanche c’est selon la saison, barbecue ou raclette avec les collègues de la boîte, puis un petit golf ou un petit bowling. Celui qu’ils viennent de construire à la place de la vieille ferme en ruine est au top. Il n’y manque aucun aménagement moderne. Il s’est inscrit à « voisins vigilants » parce qu’il y a plusieurs familles de Roms sédentarisées de l’autre côté du bled. Un soir ou deux par semaine, il doit faire des rondes nocturnes. Le maire lui-même a félicité ceux qui se sont inscrits dans cette milice… A la gendarmerie, ils rigolent un peu moins car les alertes se succèdent… « Je vous téléphone parce que Mme Michu, la veuve domiciliée au 19 de la rue des Courbettes, était accompagné d’un drôle de type, genre basané, quand elle a sorti sa poubelle… J’en profite pour vous avertir qu’il y a une voiture immatriculée en Corse stationnée dans notre rue depuis trois jours. » La seule chose qui chagrine ce bon René, c’est qu’il n’y ait pas encore de vidéo surveillance installée dans le lotissement. La mairie ferait mieux de réduire sa subvention au centre d’aide sociale pour s’occuper de sécurité !

Ne croyez pas que notre brave Duschmoll ne se tienne pas au courant des pratiques vertes et durables… Bien qu’il considère que l’écologie c’est un truc de tapette, il est prêt à faire un effort en faveur de la nature. Avec ses potes des « sirènes hurlantes », il fait toujours très attention à ramasser les papiers gras après le pique-nique. A la maison, il ne met plus d’engrais pour son gazon. Il se contente de pisser dessus méthodiquement, zone par zone. Il a renoncé aussi au débroussaillant qu’il mettait le long de sa clôture. Ça faisait crever les framboisiers de son voisin, et, surtout, il n’osait plus bouffer les fruits qui passaient chez lui à travers le grillage. Il cherche une solution de remplacement élégante car, s’il y a bien une chose dont il a horreur, c’est de mettre les mains dans la terre. Le jardinage, la pioche, le désherbage, c’est pas un truc pour lui. Il laisse ce « genre de loisirs » à sa Germaine mais il l’encourage à avoir des pratiques écologiques. Verser l’eau de cuisson bouillante des patates ou des nouilles sur l’herbe qui pousse entre les dalles, ça lui va tout à fait. Il ne s’en occupe jamais depuis le jours où il s’est éclaboussé les pieds. Ça a fait des tâches disgracieuses sur ses tongues et des cloques encore moins esthétiques sur ses doigts de pied. En tout cas, la campagne il aime bien car il voit les montagnes quand il s’installe sur sa terrasse pour lire « l’équipe ». Enfin, il ne les voit qu’en direction du Sud ; partout ailleurs, l’horizon est bouché par les constructions. C’était mieux avant que le voisin, un con de fonctionnaire, construise un nouveau garage pour sa troisième bagnole, celle qu’il a offerte à son fils, celui qui est chef de rayon au supermarché.

aller au boulot Cela aussi c’est un problème avec la délocalisation… Le boulot ! Sur place, il y en a peu et pas très bien payé. Pour trouver un emploi, il faut souvent revenir vers les banlieues des villes et accepter de faire de la route. Côté transports en commun, rien ou presque rien ; impossible de trouver une solution qui colle avec les horaires de boulot. Avec le covoiturage, certains bricolent des solutions convenables qui réduisent un peu la facture essence et autoroute. D’autres se tapent une, deux ou trois heures de transport. Le budget investi dans ce poste est péniblement comblé par les écarts de salaire. En fait, l’argument économique qui pèse c’est le prix du terrain à bâtir qui baisse, plus on s’éloigne des zones attractives. Le bilan écologique lui est catastrophique. Un emploi égale une voiture. Dans certains lotissements, la place occupée par le garage au sein de la résidence est supérieure à celle réservée aux habitants. A la campagne, la bagnole est toujours la reine lorsqu’il s’agit d’aménager le territoire des zones habitables. Les petites routes agréables pour les promeneurs et les cyclistes deviennent de véritables voies express où l’on se promène en famille au péril de sa vie. Il devient difficile pour les municipalités de concilier les exigences de Duschmoll lorsqu’il se rend en voiture au supermarché (un kilomètre de ligne droite à fond à fond… gravier !) avec les exigences de Duschmoll qui fait de la course à pied tous les dimanches matin pour maintenir sa ligne. Heureusement que dans la zone artisanale voisine on a aménagé un centre de musculation avec un grand parking. Cela évite aux sportifs en herbe les dommages collatéraux liés à la surconsommation d’oxygène…

Un monde bien étrange que celui-là ou – tout au moins – un monde qui m’est bien étranger ! Vieux ronchon ? Non je ne pense pas. Il arrive aussi des gens bien intéressants de la ville. Je ne fais pas de racisme primaire ! Il y a d’ailleurs des gens qui vivent comme des cons à la campagne sans avoir jamais mis les pieds en milieu urbain. Disons que je me questionne de plus en plus souvent quand j’ouvre les yeux sur mon environnement proche. L’évolution de plus en plus rapide du paysage me questionne… La zone artisanale vers chez nous est en croissance constante alors qu’une partie non négligeable des locaux se vide peu à peu à mesure des faillites. Certains maires pleurent pour avoir des sorties d’autoroutes, voire même pour héberger n’importe quelle structure polluante pourvu qu’elle génère de nouveaux emplois. Dans la majorité des communes il n’y a pas de plan de développement en vue à long terme. L’important, c’est le nouveau supermarché, le parc d’attractions, et pourquoi pas un stockage de déchets industriels longue durée ! C’est que, mon brave, avec le nucléaire, faut voir les retombées monétaires et pas que les radioactives !

 

Notes culturelles : (*) Un concept nouveau pour la survie : une douzaine d’heures de travail par semaine, seulement pendant la belle saison, rémunération garantie style munition de lance-pierre. Ce ne sont pas ces emplois qui vont sortir de la mouise les 19% de pauvres que l’on trouve dans les communes isolées. Heureusement, il paraît que la pauvreté est moins visible à la campagne qu’à la ville…
Au cas où certains verraient dans cet article une allusion au Center Parc qui doit se construire quelque part en Isère,  je les rassure… C’est un hasard. Je précise aussi que je ne veux personnellement aucun mal à aucun gérant de salle de musculation. Je préfère sortir couvert.

 

3 Comments so far...

Clopin Says:

5 juin 2015 at 16:56.

C’est bien sûr la même histoire dans nos contrées… Je me permets de faire suivre judicieusement ce lien à mes petits camarades de lutte !

A bientôt.

Patrick MIGNARD Says:

6 juin 2015 at 10:59.

Excellent article !… Je diffuse ! ! ! !

la Mère Castor Says:

8 juin 2015 at 12:34.

si juste et si terrifiant et si représentatif d’une bonne partie du pays, ça fait froid dans le dos. A Sauve les natifs se construisent des maisons avec piscine, barbecue etc. pas besoin de dessin de l’autre côté de la route et du fleuve (ce qui leur pose, les pauvres, des problèmes de circulation, on construit à tout va et puis on se rend compte qu’on n’avait pas réfléchi à tout ça, mince !) et le vieux village, de plus en plus habité par des nouveaux venus (amis artistes, plasticiens et bobos en tout genre, le village est à vous) et dont la mairie est en train de faire un truc « joli » (rénovation des circuits eau, électricité, téléphone et des sols) qui coûte un bras mais où les jeunes ne veulent plus vivre. On appelle ça un village de caractère. Heureusement le village résiste à sa façon, moi je l’appelle village de mauvais caractère.

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