10 octobre 2015

Intermède calabrais

Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage .

IMG_1597  Passer directement des chaleurs estivales à une fraicheur d’automne tardif, non, cela ne nous a pas convenu. Septembre étant souvent le mois de notre grande migration, nous avons décidé, après moult atermoiements, de partir pour la Calabre, chercher un peu de douceur climatique. Besoin de détente aussi parce que les derniers mois ont été passablement fatigants et éprouvants pour des raisons sur lesquelles je ne m’étendrai pas ici.

IMG_1928 Après avoir hésité entre la Sardaigne et la Sicile, nous avons choisi la Calabre. Un facteur particulier a fait pencher la balance : c’était pour nous l’occasion de revoir un couple de jeunes « helpers » de la région de Tropea que nous avons logés l’an dernier, et avec lequel nous avons grandement sympathisé. C’est en leur rendant visite que nous avons commencé notre expédition. Je n’ai pas l’intention de vous communiquer mon journal de voyage et de vous tartiner des pages et des pages sur notre itinéraire. Je voudrais simplement communiquer quelques impressions, ou plutôt quelques ressentis sur cette province du Sud de l’Italie que nous connaissons plutôt mal en France.

Rien à dire sur le bord de mer : des plages, très belles, des constructions hideuses à perte de vue, en particulier sur la côte Est, le long de la mer Ionienne. Ici, comme ailleurs, le tourisme estival de masse fait des ravages considérables. Des milliers de logements ont été construits pour les « réfugiés climatiques » de l’été. Les trois autres saisons de l’année ils sont vides et on se déplace dans des agglomérations fantômatiques, rideaux baissés, volets clos, devantures de magasins barrées par de multiples sécurités. Rien à voir mais beaucoup à dire dans le chapitre récriminations. Je passe pour aujourd’hui !

IMG_1824 L’intéressant, c’est dans l’intérieur du pays qu’il faut aller le chercher, au pied des montagnes. Là sont établis les villages traditionnels. Ils ont été construits, pour beaucoup, au Moyen-Âge, pour servir de refuge aux habitants. La côte, après une période de prospérité à l’époque grecque, puis romaine, est devenue totalement inhospitalière à cause des raids successifs conduits par les pirates sarrasins, grands amateurs de pillage. De nos jours, les pirates viennent du Nord, d’Allemagne, de Hollande, de France, et les indigènes ont réinvesti la côte pour tirer le plus de profit possible de ces envahisseurs fortunés mais un peu naïfs. Quelques uns de ces bourgs anciens sont redevenus des coquilles vides. On parle de villages fantômes, car, parfois, tous les habitants ont disparu : tremblements de terre, émigration, bouleversements économiques ont provoqué la désertion de la population.

IMG_2021 Au centre de la Calabre se dresse un grand massif montagneux subdivisé en plusieurs zones : l’Aspromonte, la Silla… Les sommets se dressent à plus de 1400 mètres, et même si la province ne fait qu’un cinquantaine de kilomètres de large, peu de routes traversent le relief de part en part. Elles sont réservées aux amateurs de virages en épingles à cheveux (comme nous). La circulation la plus évidente se fait par la côte. Quand on veut aller vers l’intérieur, on prend une route perpendiculaire à la route côtière ; on monte ; on redescend. S’amuser, avec un doigt, à suivre le tracé d’un peigne, dent après dent, si l’on est patient. C’est le jeu auquel on se livre depuis une dizaine de jours, en ne prenant qu’une dent sur quatre ou cinq. C’est cette façon de voyager qui nous a permis de découvrir les villages magnifiques de Squillace, de Stilo ou de Gerace où je suis installé maintenant pour écrire ces lignes.

IMG_1941 Quand nous étions chez nous, nous pensions que la Calabre était une région torride l’été, plutôt désertique, et l’on s’attendait à voir plus de cailloux que de verdure. Erreur…! La province est plutôt verdoyante pour être aussi méridionale et elle ne manque pas d’eau. Les montagnes de l’intérieur sont recouvertes de forêts magnifiques de chênes, de hêtres, de châtaigniers, de pins… Il y a beaucoup d’eau dans le sol, souvent  en profondeur. A l’automne on ramasse des quantités de champignons. Les légumes, dans les jardins, sont resplendissants. Tout cela ne correspond en rien à l’image que nous nous faisions du paysage, idée qui s’était renforcée après notre périple en Sardaigne après un été bien sec. Certes, nous ne sommes pas en Normandie ou en Bavière, et l’on voit plus de moutons et de chèvres que de vaches ou de chevaux, mais après quelques journées de divagation dans les montagnes, je comprends que certains visiteurs du Nord prennent idée d’une installation définitive sur une terre aussi hospitalière.

IMG_1740 Nos journées sont marquées par de belles découvertes – nombreuses richesses historiques et archéologiques – mais aussi par de belles rencontres avec des gens amoureux de leur terroir. Nous pratiquons un tourisme au ralenti, comme c’est devenu notre habitude, et nous passons parfois un temps fou à explorer certains recoins. Je me dis alors que si nous continuons comme ça, il nous faudra plusieurs mois de séjour pour boucler le circuit pourtant très raisonnable que nous avons projeté de faire. Mais nous rentrons heureux de toutes nos courtes randonnées. J’ai parlé plus haut de Gerace et je crois que j’ai un coup de cœur pour ce vieux bourg historique. Ce n’est pas la première impression forte du voyage, mais il règne ici une ambiance plaisante et prenante, maintenant que la marée touristique estivale s’est retirée. En fait, l’afflux de touristes concerne surtout les stations balnéaires. La majorité ne s’éloigne des plages barbecues et des alignées de grilloirs solaires que si une publicité tapageuse est faite pour un lieu quelconque. En témoigne l’absence quasi totale d’infrastructure pour les grands parcs et réserves qui se trouvent dans l’intérieur des terres. Il est difficile de trouver des sentiers balisés si l’on veut faire une randonnée un peu conséquente, bien que de courageux efforts aient été faits dans les parcs. Des investissements considérables sont faits pour développer le tourisme balnéaire, de manière totalement « capitaliste » (je me refuse à employer le terme « d’anarchique » dans ce cas là, car il est plutôt synonyme « d’harmonieux » selon ma façon de voir les choses). De nombreux bâtiments sont à l’état d’épaves dans les marinas : commencés mais jamais achevés. Faut-il y voir la signature de la Crise ou celle de la Mafia ? Je n’en sais rien et ne me hasarderais pas à des conclusions hâtives.

IMG_2130 Histoire de faire un peu de place aux clichés mais aussi à une réalité incontournable, il est nécessaire de consacrer un paragraphe à cette Mafia locale, discrète et méconnue. La ‘Ndrangheta existe toujours mais semble plus intéressée par le trafic de drogues, les opérations dans l’économie réelle, ou, plus récemment, la gestion des problèmes d’immigration depuis le Moyen-Orient ou l’Afrique. Un fait d’actualité, plus ou moins récente qui laisse sa marque dans le pays : ils sont présents par dizaines, ces réfugiés, dans toutes les bourgades importantes, de Tropea à Cosenza ou Crotona. Ils trainent leur désœuvrement et leur ennui le long des routes. Bien que la Calabre soit réputée terre d’accueil – tant les brassages de population y ont été nombreux – la situation risque de dégénérer assez vite. Les structures gouvernementales sont débordées ; il y a des subsides de l’UE à grappiller ; toutes les conditions sont réunies pour intéresser des mafieux entreprenants.  Moins connue du grand public, la mafia calabraise est maintenant la plus puissante d’Europe. Selon Wikipedia (données déjà anciennes puisque datant de 2008), son chiffre d’affaires était de 44 milliards d’euro. Compte-tenu de l’importance de la somme, on comprend bien que l’activité criminelle dans les montagnes calabraises soit reléguée au rang de folklore. Les centres de décision se sont, pour beaucoup, déplacés dans le Nord du pays. Il est plus intéressant de s’occuper de près, des investissements réalisés à Milan pour l’exposition universelle de 2015 que de se contenter de rançonner le patron d’une discothèque.

IMG_2122 La région où nous séjournons ces derniers jours se nomme la « Locrisa » (autour de Locri, une ancienne colonie grecque particulièrement importante). Le paysage est très diversifié et en quelques kilomètres on a l’impression de passer de la Haute Provence aux Dolomites, avec un arrêt prolongé dans les grandes forêts de feuillus du Massif central. Au chaos rocheux d’un paysage sculpté par l’érosion, les secousses sismiques, ou le tracé chaotique des fleuves côtiers, succèdent de grandes et belles étendues boisées dans lesquelles on peut cheminer pendant des heures en admirant hêtres bien droits et vieux châtaigniers tortueux. Depuis la plupart des villages perchés, on aperçoit la mer dans le lointain – effet carte postale garanti – mais on se rend compte aussi à quel point la côte est bétonnée. On comprend que les Grecs, les Romains, les Sarrasins, les Normands, les Souabes, les Angevins et les Aragonais se soient disputés ce petit coin de paradis. Tous ces visiteurs successifs ont en tout cas laissé leur empreinte sur le paysage et les mélanges architecturaux dans les bâtiments anciens (surtout religieux) sont pour le moins amusant. Ici, par exemple, le Dôme de Gerace a été construit avec des éléments prélevés sur les temples grecs de la côte, ce qui explique les nombreuses dissemblances entre les colonnes qui soutiennent la nef (cf photo suivante) ! Les Normands se sont chargés de travaux de fortification que les Angevins ou les Aragonais ont ensuite assaisonnés à leur manière. De quoi distraire les archéologues et les castellologues en herbe…

IMG_1969 Le chemin de l’indépendance a été bien long à parcourir et il a été jalonné de luttes héroïques notamment contre la sujétion à l’Aragon lointain. On croise, au long des rues, des noms illustres comme celui de Tomaso Campanella. Des personnages bien réels ou issus de la mythologie sont aussi passés par là. Pythagore ou Ulysse (on ne manquera pas de s’arrêter à Scilla…) sont conviés au banquet de l’intelligence et de la joie de vivre qu’il ne faudra pas oublier d’organiser un jour, dans un des lieux magiques qui foisonnent dans l’Aspromonte. Quant à nous, nous profitons égoïstement de notre temps libre pour nous remplir les yeux et satisfaire nos papilles gustatives. A bientôt.

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2 Comments so far...

Phiphi Says:

12 octobre 2015 at 13:02.

Merci pour les nouvelles et les photos.
Le monsieur à la camionnette bleue est venu travailler chez vous 😉

BiZZZ
Phiphi

fred Says:

12 octobre 2015 at 15:26.

Mais quelle balance ce Phiphi ! M’enfin ! Plus besoin d’enrôler une milice privée avec un vicking dans le voisinage 🙂
Sinon je m’inquiétais un peu pour vous, parceque la Calabre, voyez vous, la spécialité locale la plus connue, en ce qui me concernait en tout cas, ce sont les fameux bandits Calabrais ! La ‘Ndrangheta ! Alors pas de blagues les amis ! Sinon je vous souhaite un agréable séjour à vous, vos yeux et vos papilles gustatives ! (je les jalouse un peu vos fameuses papilles ! Que d’expériences ont elles dûes connaître !)

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