22 décembre 2008

La trêve des confiseurs

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour .

Nous attaquons une difficile période d’une quinzaine de jours pendant laquelle il va falloir surveiller attentivement le vocabulaire employé et les sujets abordés, que ce soit ici, sur « la feuille » ou ailleurs si vous faites des infidélités à ce blog. C’est en effet le moment de l’année, appelé « trêve des confiseurs », pendant lequel, chaque fois que vous pensez « pouce ! assez ! » ou plus prosaïquement « revendication », « grève », « manif », « augmentation », « pollution », il vous faut remplacer ces mots par « papillote ! », « truffe », « saumon », « foie gras », « huître »… en choisissant à chaque fois le terme le plus approprié. L’exercice est un peu délicat au début mais on y arrive assez vite. Ça donne des trucs du genre : « quelle truffe ce saumon ! S’il continue, il va falloir qu’on fasse papillotte pour obtenir une huître si l’on ne veut pas qu’il nous prenne pour des foies gras… » La « feuille charbinoise », bien élevée et « politically correct », s’engage bien entendu à respecter cette trêve, sauf si, bien sûr, l’actualité devenait par trop agaçante.

Les lycéens et les étudiants grecs se sont un peu calmés et appellent à débattre de la suite à donner au mouvement… le 6 janvier prochain. Les excités français ont remisé pour quelques temps leurs pancartes dans le garage familial… Dark Vados ne cesse d’ailleurs de leur envoyer des messages d’amour et de fraternité. Les potes à Ségolène (ou à Martine ?) ont eu le temps de repérer dans les frétillants syndicats lycéens quels étaient les éléments susceptibles de fournir, par la suite, de bons cadres dynamiques au parti (qui en a bien besoin !). Les flics de la BAC accrochent leurs cagoules au porte-manteau et leurs confrères casqués commencent à décorer boucliers et matraques avec des guirlandes scintillantes. C’est la fête : journaux et télés nous le répètent à longueur de soirée, entre deux pubs pour les parfums « machin » et les « jeux vidéos que votre petit dernier se doit absolument d’avoir s’il ne veut pas passer pour un ringard dans les cours de récré ». Les journalistes font appel aux arguments les plus débiles pour culpabiliser les foules et inciter les consommateurs les plus rétifs à rentrer dans le jeu de la surenchère consumériste. Ça va de Mr Ducon qui explique dans un micro trottoir « qu’avec la crise qui s’annonce c’est peut-être la dernière fois qu’on peut s’empiffrer de foie gras alors qu’il va se lâcher » à Mme Duschmoll qui fait la chasse aux bonnes affaires car « c’est difficile au quotidien, mais pour Noël il faut bien marquer le coup »… J’en passe et des meilleures. J’en ai même vu un, hier soir (Super Dupont ?), qui suggérait que « beaucoup dépenser pour les fêtes, en achetant français bien sûr, ça permettrait peut-être de limiter la casse ! ». Notez bien que ce ne sont pas les gens qui répondent aux micros trottoirs que je méprise, mais ceux qui font faire le trottoir à leur micro. Dans le métier, on devrait les appeler « proxénètes de l’information »…

Tout est fait pour motiver le péquin moyen. Vous avez déjà remarqué qu’au mois de décembre les charges sont réduites à minima ? Les prélèvements d’impôts, d’assurance, les factures d’électricité, d’eau, de gaz… arrivent rarement dans cette période. Dans certaines entreprises on verse une prime « spécial fête » et dans la fonction publique, beaucoup moins généreuse, les pensions et les salaires sont versés une semaine plus tôt que d’habitude. Les mensualités de crédit sont décalées ; on achète en décembre, on paie en janvier, février, juin… mais on paie quand même bien sûr, et généralement avec des intérêts exorbitants. On peut régler ses dépenses en une fois, deux fois, trois fois… C’est tout juste si on n’a pas l’impression que certaines grandes surfaces vont vous offrir les dépenses de votre « petit Noël ». Bien entendu, toute la vie économique ne s’arrête pas. En 2008 par exemple, on continue à licencier ou à mettre au chômage technique même pendant la période des festivités, mais disons que ce genre de pratique se fait un peu moins sous le feu médiatique. Il faut dire que dans un décor de boules et de guirlandes, mettre à la porte trois ou quatre cents ouvriers ou ouvrières qui ne retrouveront sans doute pas de travail en janvier, c’est nettement moins poétique que de parler des douaniers italiens qui distribuent du caviar aux pauvres SDF… On baigne dans la sucrerie, la guimauve et le mielleux (on ne parle pas de confiseurs pour rien !)

En fait, il faut vraiment être barbare pour ne pas respecter cette période de « peace love and happiness » ! Des gens grossiers : Palestiniens, Tamouls, grands noirs congolais ou autres talibans… seuls des individus pareils peuvent continuer à s’étriper sous le regard bienveillant de l’âne (en saucisson), du bœuf (au saké) et des Rois Mages (les « golden kings » de Wall Street). Enfin, tant que « ces gens-là » s’adonnent à leurs impiétés dans leur petit monde. L’essentiel c’est qu’ils ne manipulent pas quelques simples d’esprit ultra gauchistes chez nous pour les inciter à rendre explosifs les WC des grands magasins ou à transformer en guirlandes scintillantes les caténaires de notre fierté nationale. Heureusement, nous, dans le monde occidental et bien pensant, nous savons encore vivre ! Regardez Mr Obama par exemple, il sait se plier aux usages mondains : dans un premier temps il donne son accord au père Noël pour envoyer 25 000 rennes (non GI’s pardon) en Afghanistan l’année prochaine, puis il part se reposer une dizaine de jours dans un palace à Haïti. Bon, vous me direz que s’il était vraiment bien élevé, il aurait invité le petit Nicolas à venir avec lui : ça nous aurait fait des vacances à nous aussi ! Mais il faut bien comprendre que Mr Obama il a besoin de se reposer pour de vrai ! Il a fait une campagne difficile pour être élu, et, croyez-moi, c’est bien plus pénible que de bosser à la chaîne chez Chrysler !

Pourquoi il ne fait pas comme Barack l’ami Roger : il reçoit poliment sa lettre de licenciement de chez PSA, il s’inscrit tranquillement à l’ANPE, puis il part quinze jours aux Seychelles, ou à Bombay (il paraît que les palaces ont des places libres et qu’ils consentent des tarifs adaptés aux ouvriers peu fortunés)… Au fait vous savez d’où ça vient cette expression délicieusement sucrée de « trêve des confiseurs » ? Au temps d’autrefois on appelait ça plutôt « trève de Noël ». Certains prétendent que c’est la faute à Saint Louis – le bon roi qui rendait la justice sous un chêne quand il faisait trop chaud… Ce serait lui qui aurait institué cet usage d’un arrêt des hostilités pendant la période qui va de l’Avent à Noël. De façon beaucoup moins poétique, c’était aussi l’usage dans les tranchées en 1914-18. Pendant quelques jours on arrêtait de s’étriper à grands coups d’obus et de baïonnettes. Mais, dans ce cas, il ne fallait pas pousser la trêve trop loin. Fraterniser dans les tranchées, partager les maigres provisions avec « ceux d’en face », c’était déjà jugé comme une pratique « révolutionnaire » par les hauts-gradés… Et vous savez, Madame Michu, dans l’armée, les « révolutionnaires » on ne les aime pas beaucoup. Les soldats ayant pactisé avec l’ennemi connaissaient généralement les joies d’un déménagement forcé, ou bénéficiaient d’un arrosage maladroit de la part d’artilleurs mal intentionnés… Papillote !

Note de la rédaction : la lutte ne cesse pas sur tous les fronts ! La trêve des confiseurs ne concerne pas la page « solidarité avec les inculpés de Tarnac » qui est mise à jour régulièrement sur le blog. Une vigilance extrême s’impose dans ce dossier.

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