3 janvier 2009

L’envie d’ailleurs…

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .

village-toscane L’après-midi du jour de l’an, l’ami Michel m’a montré, ainsi qu’à quelques autres copains, le DVD qu’il vient de monter à partir d’images filmées lors d’un voyage en Turquie l’été dernier avec sa compagne et sa fille. Bien calé dans un fauteuil, l’esprit un peu embrumé par les libations, certes raisonnables mais néanmoins indubitables, qui ont suivi les agapes, certes mesurées mais néanmoins conséquentes, du repas de midi, je me suis laissé dériver peu à peu dans les ruelles d’Istambul, dans le bazar, dans les mosaïques complexes de la Basilique Sainte Sophie, dans les églises troglodytes de Cappadoce… Il ne manquait que les odeurs, les senteurs d’épices, les petits bruits du quotidien éclipsés par l’accompagnement musical un peu trop envahissant. Je n’étais plus vraiment chez moi, j’étais ailleurs, dans un ailleurs où je ne suis jamais allé, mais que j’ai envie de découvrir de façon de plus en plus pressante. Dans une chronique récente sur la Slovénie, je me suis un peu étendu sur ce besoin de mieux connaître le Moyen-Orient, d’explorer les rivages méridionaux de la Méditerranée. Cette envie n’a pas disparu, bien au contraire, et ce ne sont pas les brumes et les grisailles de cet hiver qui vont la dissiper ! Je manque totalement d’originalité à ce sujet et c’est vrai que c’est lorsque les froids se font plus intenses, les journées plus courtes et les cieux lourds de nuages que je rêve intensément de chaleur et de soleil levant sur des horizons bleutés ou orangés.

ruelle-toscane Les chaos rocheux de la Cappadoce, les cités souterraines, les villages troglodytes, ce sont des images déjà vues de nombreuses fois dans les documentaires que je prends plaisir à regarder sur Arte ou sur la Cinq ; mais les images de Michel, surtout quand il est là pour les présenter, ont une saveur et une intensité bien particulières. Michel a beaucoup voyagé, et il est passé et repassé par les mêmes endroits à de nombreuses reprises, de la Turquie au Népal, de l’Afghanistan au Vietnam, de l’Inde à la Grèce. Presque quarante années à sillonner une partie de la planète, souvent la même, ce qui fait qu’il accumule les visions, compare, commente les évolutions et trouve toujours une anecdote à raconter : chaque image prend ainsi une nouvelle dimension, une grandeur que peu de documentaires, quelle que soit leur qualité, ont possédé à mes yeux. Les projections sont encore plus hautes en couleur lorsque les « vieux de la vieille » de la route se retrouvent. D’autres amis voyagent aussi beaucoup dans les mêmes pays, mais ils ne sont jamais partis ensemble et ils ont tous une vision différente de lieux ou d’itinéraires qu’ils ont pourtant en commun. Ils racontent leurs séjours prolongés aux postes frontières, leurs marchandages dans les échoppes, comparent l’état de monuments qu’ils ont vus à quelques années d’intervalle, comme d’autres racontent leurs barricades ou leurs souvenirs des luttes passées ; eux ce sont les péripéties de leur traversée de la frontière Pakistanaise, ou les bousculades dans les trains indiens bondés qui alimentent leurs conversations, plutôt que les courses poursuite avec la police dans les ruelles, ou les longues nuits sans sommeil à rédiger des tracts incendiaires. Nous aussi nous avons fait pas mal de voyages, un peu plus conventionnels. Lorsque je les écoute discuter, je me sens un peu comme un gars qui fait de la randonnée pépère, de la « montagne à vaches », au milieu d’une réunion de guides de haute montagne…

porte-toscane Tous ces parcours sont différents du mien : je ne les jalouse pas car ce n’est pas du tout conforme à mon mode de fonctionnement (lorsque j’ai pris une décision, il est très rare que je la regrette), mais je prends plaisir à les découvrir car ils m’enrichissent. Les souvenirs de voyage de Michel, ce ne sont pas de bêtes cartes postales de vacances, mais des récits vivants, de petites histoires de personnes ou de lieux symboliques. Lui aussi s’est modernisé et il est passé à la caméra et à la photo numérique, mais j’éprouvais déjà le même plaisir lorsqu’il nous projetait un montage diapo ou lorsque (très rarement) il a accepté de nous montrer ses carnets écrits, illustrés de nombreux croquis. J’ai connu Michel avant son premier voyage dans les années soixante-dix. Pendant longtemps, il a voyagé seul, mais je me rappelle de l’un de ses premiers « départs », pour le Népal,comme il se devait à cette époque où de nombreux chemins conduisaient à Kathamandou. Il avait un compagnon, un certain Eric, si ma mémoire n’est pas trop défaillante, qui a déserté l’aventure dès les premiers obstacles rencontrés, au bout de quelques centaines de kilomètres. L’auto-stop c’était long, aléatoire et peu intéressant. Ce qui est drôle d’ailleurs, c’est que le même gars a voulu repartir avec lui, l’année suivante, et qu’il n’a finalement pas parcouru un seul kilomètre, renonçant à l’équipée sauvage, dès les premières minutes. Le groupe de copains que nous étions à l’époque, constitué sur la base d’une vision assez commune du monde, a éclaté dans diverses directions : pour certains, l’appel de l’Orient a été le plus fort, d’autres ont préféré les « paradis artificiels », lassés d’attendre une révolution qui ne venait pas. D’autres ont choisi une orientation plus conventionnelle : travail, famille… (mais pas patrie, je vous rassure !) En ce qui me concerne, j’avais déjà un pied dans la « maison travail » ; j’en ai mis un autre, avec grand plaisir, dans la constitution d’une petite famille, puis j’ai été entraîné par le tourbillon d’une vie qui ne laisse pas toujours beaucoup d’alternatives (ce qui ne m’a pas empêché de faire quelques écarts salutaires !). Je me suis investi longuement dans un métier au sujet duquel je me faisais beaucoup d’illusions. Je dois dire que ce double choix, professionnel et familial m’a apporté énormément de satisfactions, mais ceci est une autre histoire.

via-cava-toscane J’ai perdu de vue Michel pendant de longues années et, durant cette période, il a accumulé les voyages et les aventures passionnantes. Les chemins des uns et des autres se croisent, se séparent, se croisent parfois à nouveau… Nous nous sommes retrouvés, il y a pas mal de temps, et tout à fait par hasard… Nos expériences restent décalées et nos relations toujours aussi plaisantes : moi je suis libéré des obligations professionnelles, lui me donne l’impression d’être écrasé par ce fardeau. Vie familiale oblige, ses voyages se font, du coup, plus conventionnels… Quant à moi, mes enfants volent de leurs propres ailes, et mon envie « d’ailleurs » prend une place de plus en plus importante dans ma tête. Ce qui est surprenant c’est qu’elle va de pair avec un envie d’enracinement (planter des arbres, accumuler des « trésors », faire de la généalogie) et que j’approche de l’âge où certains enfilent leurs charentaises pour de longues années « popote ». Et puis l’on change aussi au fil des années et, chose que je ne faisais peut-être pas à vingt ans, je pèse un peu plus mes décisions et je réfléchis un peu plus aux conséquences de mes actes. Du coup, c’est vrai que j’ai un peu du mal à me lancer dans des expéditions vers certains pays. Partir en Tunisie ou en Turquie ça ne me pose pas de problèmes (pour l’instant mais avec la capacité qu’ont les Occidentaux à mettre le feu partout, ça ne durera peut-être pas !). Les charmes d’un voyage en Irak, en Afghanistan, ou en Iran, avec casque et gilet pare-balles dans la valise, sont déjà moins évidents !

Et puis, comme je n’en suis pas à une contradiction près, en fait de Méditerranée, dans un mois, nous partons… vers l’Ouest et vers le froid. La neige, la glace et les températures revigorantes du Canada nous attendent. Nous sommes pressés de voir notre « ambassadeur charbinois permanent » au Québec. Les pieds dans mes raquettes, je songerai peut-être parfois aux rochers de Cappadoce, mais je ne m’inquiète pas trop. En plus, Michel me l’a dit : la Cappadoce en cette saison, il y a de la neige, bien souvent, et il y fait froid, très froid, encore plus souvent ! Et puis au Québec, il y a une chaleur humaine qui remplace bien des brasiers ! Vive les igloos !

Notes : « escroc », me dira Michel , s’il consent à jeter un œil sur mon blog ; ce ne sont pas des photos de Cappadoce ! Eh non… Ce sont des photos prises en Toscane du Sud, une région où l’on rencontre aussi des phénomènes géologiques intéressants et puis je n’aime pas trop « voler » les photos d’autres photographes ! La Toscane aussi c’est « ailleurs »…

le_photographe Si vous ne connaissez pas la série de BD « le photographe », plongez vous dans cette trilogie passionnante : vous aurez une petite idée de l’ambiance des voyages en Afghanistan dans les années 70-80. C’est un travail graphique, historique et ethnologique excellent signé Guibert, Lefèvre et Lemercier, aux éditions Dupuis (Aire Libre). C’est certainement l’une des meilleures BD « voyage » que je connaisse, même s’il s’agit là d’un « voyage » bien particulier…

One Comment so far...

Lavande Says:

4 janvier 2009 at 23:16.

Petit problème quand même : cette « mode  » des voyages n’est pas vraiment écolo par le kérosène qu’elle fait gaspiller non?

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