5 janvier 2009

« Une histoire populaire des Etats-Unis »

Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; l'alambic culturel .

histoire-populaire-des-etat A l’heure où la première puissance (militaire) mondiale s’apprête à changer de dirigeant, mais probablement pas de politique (du moins de façon significative), je ne résiste pas à l’envie de vous parler du dernier ouvrage que je viens de lire. Cela fait un certain temps que je n’avais pas fait de chronique « littéraire » pour la bonne et simple raison que ce livre, « Une histoire populaire des Etats-Unis » de Howard Zinn aux éditions Agone, m’a occupé pas mal de temps car il s’agit d’un « pavé » de 800 pages, plutôt facile à lire, mais tellement passionnant qu’il est hors de question de le « survoler ». L’histoire présentée ici n’est pas une histoire classique, enchaînant la simple description chronologique d’évènements et de personnages jugés importants. Certes l’auteur suit le fil du temps depuis l’invasion par les premiers Européens jusqu’à la toute récente guerre en Irak, mais il décrit ce qui s’est passé, en orientant son récit, chaque fois que c’est possible, selon le point de vue des colonisés plus que des colons, des pauvres plus que des riches, des esclaves plus que des maîtres… Je dois dire que cet exercice est parfaitement réussi et que le livre d’Howard Zinn fourmille de citations, de témoignages, d’anecdotes, qui le rendent absolument captivant. Le point de vue de l’auteur n’est pas neutre, bien entendu, mais ses démonstrations sont solidement étayées et elles ont le mérite de nous permettre de mieux comprendre la façon dont fonctionne actuellement la vie politique dans ce pays par exemple. Beaucoup de mythes concernant la « démocratie », les « pères fondateurs » de la République, l’émancipation des noirs, l’égalité des droits, sont passés au crible et sérieusement écornés.

washington Ce que je trouve particulièrement intéressant c’est que cette histoire populaire examine à la loupe des évènements politiques et économiques que nous connaissons fort peu, nous autres citoyens de la « vieille Europe » parce qu’ils ne sont que très peu abordés dans les livres d’histoire que nous avons eus entre nos mains, au lycée par exemple. Je pense par exemple au développement de l’industrialisation aux USA pendant le XIXème siècle et aux crises économiques à répétition qui ont jalonné cette période. D’autres thèmes, traités par les autres historiens, sont largement approfondis dans le livre de Zinn et il en ressort bien souvent un éclairage différent de la réalité : c’est le cas par exemple pour les rapports complexes existant entre les blancs pauvres, les esclaves noirs et les autochtones « indiens » pendant les premiers siècles de colonisation. Les nombreux documents rassemblés permettent également de comprendre quelle était l’attitude des différentes fractions de la population à l’approche des nombreuses guerres coloniales dans lesquelles se sont lancés les dirigeants US pendant la seconde moitié du XIXème siècle. Cela rappelle étrangement le comportement de ce même pays depuis une cinquantaine d’années. Personnellement, j’avoue que j’ignorais une bonne part de ces « opérations ». Le prétexte n’était point à l’époque la lutte contre le terrorisme mais, en façade, la volonté (déjà) d’apporter la démocratie dans des pays jugés arriérés, et dans la réalité, une défense vigoureuse des intérêts américains. Pour mémoire : débarquement des Marines en Argentine en 1852, intervention au Nicaragua en 1853, en Uruguay en 1855, en Chine en 1859, en Angola en 1860, à Hawaï en 1893, à nouveau au Nicaragua, à Cuba… Le comble de l’horreur (si comble il y a) fut atteint lors de la guerre contre les Philippines. Les soldats US se livrèrent alors à un massacre systématique de la population indigène. Ce n’étaient que des « nègres » révoltés et leur vie ne valait pas bien cher au regard des intérêts de l’Amérique toute puissante. Howard Zinn analyse l’attitude des soldats noirs sous l’uniforme US pendant cette période et témoigne des premiers mouvements de révolte, d’insoumission et de désertion. Toute ressemblance avec la guerre au Vietnam n’est que purement fortuite… Mais l’on voit, grâce à ce livre, que le comportement impérialiste de cet état n’est pas une nouveauté dans l’histoire.

iww L’émergence des courants tels que le féminisme ou le pacifisme sont également examinés à la loupe. Une partie importante du volume est consacrée au développement du syndicalisme et aux longues grèves ouvrières qui ont marqué également l’histoire du pays. On voit, tout au long de ces évènements, la stratégie de division qui a été largement employée par les différents gouvernements pour maintenir l’ordre à tout prix : fermiers blancs pauvres installés sur la « frontière » avec les Indiens et victimes de tous les affrontements, immigrants « installés » opposés aux immigrants fraîchement débarqués, travailleurs noirs fréquemment utilisés pour « casser » les mouvements de grèves et cristallisant la haine des ouvriers blancs… Ce qui est tragique c’est que cette stratégie, à laquelle a eu recours le pouvoir quel que soit le parti auquel appartenaient ceux qui l’exerçaient, a bien souvent été payante. L’un des autres mérites de cette « histoire populaire » est aussi de montrer comment est né le bipartisme politique aux Etats-Unis et de quelle façon les deux tendances dominantes, Républicains, Démocrates (ou autre appellation antérieure pour ces deux partis), ont toujours été étroitement associées au « milieu des affaires », ne tenant compte des intérêts des couches populaires que par opportunisme et n’ayant aucune intention de modifier de façon importante les rapports sociaux au sein du pays. Cette étude permet de mieux comprendre le décalage qui ne manquera pas de se produire entre les promesses plutôt vagues du candidat Obama et la politique « réaliste » qu’il va sans doute être obligé de mettre en place.

emmagoldman-11 Tout au long des pages, on croise des personnalités connues ou inconnues des livres d’histoire classique, syndicalistes, militants socialistes ou anarchistes, écrivains plus ou moins engagés… Emma Goldman, Mark Twain, Mary Jones, Joe Hill, Alexandre Berkman apparaissent au fil des récits et des témoignages. La description de certains mouvements de grève et de la répression qui a suivi fait froid dans le dos… En Avril 1914, dans le Colorado, après une longue grève des mineurs, eut lieu le massacre de Ludlow. Onze mille travailleurs, pour la plupart des immigrants grecs, italiens ou serbes, résistèrent aux provocations de la garde nationale et aux pressions patronales pendant plus de six mois. Le mouvement se termina par un carnage : la famille Rockfeller, propriétaire des mines, n’hésita pas envoyer une milice privée équipée d’armes automatiques « nettoyer » les camps de grévistes dans les collines de Ludlow. Après le massacre, on retrouva dans des fosses communes des corps carbonisés de femmes et d’enfants. Il n’y a pas qu’en France que l’on faisait tirer sur les grévistes et Clémenceau avait des émules outre-Atlantique ! Le récit d’Howard Zinn permet aussi de découvrir l’histoire de certains personnages qui ont marqué et marquent toujours la Finance toute puissante : JP Morgan, Carneggie, Rockfeller, Gould… ont bâti leur fortune sur « l’aventure » du chemin de fer dans les grandes plaines de l’Ouest ou sur les ventes frauduleuses de fournitures frelatées à l’armée pendant la guerre de Sécession ou la guerre du Mexique. L’image de marque des « pères fondateurs », de Lincoln à Franklin en passant par Washington est sérieusement corrigée : ce dernier dirigeant par exemple était l’un des plus gros propriétaires fonciers et possédait l’une des plus grandes fortunes parmi les membres de l’élite aristocratique gouvernant les nouveaux Etats américains lors de la guerre d’Indépendance. Ces gens veillèrent bien entendu attentivement à ce que la nouvelle constitution ne remette pas en cause les droits qu’ils avaient acquis grâce à des manœuvres la plupart du temps douteuses.

Pour ceux qui s’intéressent principalement à l’histoire contemporaine des Etats-Unis, dont je reconnais avoir fort peu parlé dans cette chronique (je ne voudrais pas qu’elle devienne trop longue !), les Editions Agone proposent une version petit format de ce livre, moins onéreuse, ne comportant que la partie XXème siècle de l’étude. Personnellement, je trouve la version complète plus intéressante car elle traite d’une période et surtout de sujets qui sont un peu moins connus que la deuxième guerre mondiale ou le conflit du Vietnam. A vous de faire le choix en fonction de votre intérêt, mais, version courte ou longue, je trouve que la lecture de cet ouvrage est incontournable pour quiconque veut analyser de façon un peu approfondie la politique US actuelle. Je conclurai en vous proposant cette citation du « grand » Théodore Roosevelt en 1897 à propos des Etats-Unis confrontés à une énième crise économique : « J’accueillerais avec plaisir n’importe quelle guerre tant il me semble que ce pays en a besoin… » en émettant le vœu pieu que Mr Obama fasse preuve d’un peu plus de retenue et ne suive pas les conseils des « faucons » qui veillent dans son entourage. Tout cela me parait mal engagé ! La lecture de ce livre ne rend guère optimiste mais elle reflète la réalité.

Notes : au même titre que Noam Chomsky ,Murray Bookchin ou le Canadien Normand Baillargeon, Howard Zinn me parait être un « penseur » américain contemporain dont la lecture semble incontournable. Outre cette « histoire populaire », il a par ailleurs écrit « l’impossible neutralité », autobiographie d’un historien et militant, « Karl Marx, le retour », « En suivant Emma », « Nous, le peuple des Etats-Unis »… La lecture de ces auteurs est revigorante, tant il est dommage que nous n’ayions plus, pour l’essentiel, de ce côté de l’Atlantique, que des philosophes de salon dont la pensée militante principale n’a qu’un objectif : se faire inviter dans les « talk shows » télévisés !

3 Comments so far...

Phiphi Says:

5 janvier 2009 at 14:24.

Zinn, Chomsky et Baillargeon, je les ai découvert grâce à France Inter et Daniel Mermet.
En farfouillant sur la-bas.org, il est possible de réécouter ces émissions.
De plus, Mermet (et Baillargeon, si je me me buse) ont réalisé/participé à un DVD sur Chomsky.
Le film est sorti en salle récemment.

Paul Says:

6 janvier 2009 at 09:16.

Oui il est sorti en salle, mais pas moyen de le voir par chez nous en ce moment. je ne compte pas trop qu’il passe à Bourgoin et quant à aller le voir à Lyon ou à Grenoble, je pense qu’on attendra le DVD !

leirn Says:

7 janvier 2009 at 21:59.

Le filme sur Chomsky et ses amis dont Baillargeon et Bricmont vaut la peine. Vous trouvez sa kro avant celle du mirpoix de topinambours : http://blogs.bl0rg.net/finis_africae/2008/12/07/kro-178/

par ailleurs, ce livre me tente bien. Dommage, c’est trop tard pour la liste de noël, mais je trouverai une solution.

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