24 février 2017

Tranches de vie

Posté par Paul dans la catégorie : l'alambic culturel; mes lectures .

vagabondage littéraire sur les chemins fleuris de la littérature prolétarienne

Je lis de belles choses en ce moment… Comme en plus les températures ont radouci et que le soleil a fait une brillante réapparition, l’attitude grognonne dont je faisais montre dans mon billet précédent n’a plus vraiment lieu d’être. Je garde soigneusement close aussi, l’armoire politique française, essentiellement garnie de linge électoral. Je suis les informations régulièrement et elles m’intéressent autant que les relevés de température à la surface de la planète Mars… J’ai la tête dans les livres et les mains dans le compost ! J’espère que le sous-titre ne va pas décourager trop de lecteurs : le terme « prolétaire » n’est plus guère à la mode de nos jours, surtout dans la future « Macron Society ».

un ouvrage de référence en la matière

un ouvrage de référence en la matière

Je continue mes lectures par listes… Un ouvrage sert de déclencheur pour en ouvrir un autre, puis, de temps à autre, je provoque une rupture et je commence à suivre un nouveau fil rouge. Formule printanière : celle du papillon qui butine au hasard de son plein gré ! En ce qui concerne la série d’ouvrages dont je vais vous parler dans ce billet, il y a eu deux déclencheurs. Lediazec d’abord, l’ami blogueur qui lance avec constance ses « Cailloux dans le brouillard« , m’a donné envie de lire « la maison du peuple » de Louis Guilloux ; peu de temps après, il y a eu la fournée de vieux livres que j’ai rapportés, un certain samedi de janvier, provenant tous de la dispersion de la collection (fabuleuse) d’ouvrages d’un copain disparu au printemps dernier. Dans cette fournée, quelques volumes d’Henry Poulaille, de Lucien Descaves, de Michel Ragon et d’autres auteurs d’une même lignée (Ludovic Massé, Lucien Bourgeois, Ferdinand Teulé) que je garde sous le coude pour une prochaine exploration. Complétez tout cela avec quelques volumes qui figuraient déjà dans ma propre bibliothèque et le parcours de la fin du mois de Janvier et du début de Février étaient entièrement tracé.

Henry Poulaille

Henry Poulaille

Comme nous vivons dans un monde qui adore classer, étiqueter, normer, les écrivains que j’ai mentionnés ci-dessus (ainsi que bon nombre d’autres) font partie d’un genre littéraire que l’on a baptisé « littérature prolétarienne ». Certains ont côtoyé la mouvance libertaire, d’autres ont été attirés par les lumières du Parti… Très vite, ces tentatives de mise en boîte se sont avérées délicates, bien que Poulaille ait donné une définition assez stricte des « écrivains prolétariens »… Dès le départ, ses suggestions ont été rejetées par la nomenklatura stalinienne qui avait ses propres critères pour distinguer les bons des mauvais : la fidélité aux diktats moscovites, l’appartenance au sérail du parti… étaient deux critères importants pour déterminer si l’on était dans le camp des « bons » ou dans celui des « mauvais ». Pour Poulaille, le seul critère était l’origine sociale. Nul n’est mieux placé pour décrire le milieu ouvrier ou paysan que celui qui en est issu. L’auteur écrit-il par « ouï-dire » ou avec ses tripes ? Pour ceux que j’ai nommés dans le premier paragraphe, la réponse est évidente : il suffit de les lire. Pour approfondir cette idée de « littérature prolétarienne », on peut se reporter à la notice assez synthétique que Wikipédia consacre à ce sujet, ou au livre beaucoup plus complet de Michel Ragon.

Louis Guilloux

Louis Guilloux

« La maison du peuple » de Louis Guilloux est un magnifique récit autobiographique. « Le pain » d’Henry Poulaille implique, de la part de l’auteur, une totale connaissance du milieu des artisans et des ouvriers parisiens. Quant aux ouvrages de Michel Ragon, ils dénotent d’une parfaite imprégnation du milieu rural vendéen. Mais a-t-on besoin d’établir tous ces étiquetages, toutes ces catégories ? Jouent-ils un rôle quelconque dans le plaisir que l’on peut avoir à découvrir les ouvrages de certains de ces auteurs, souvent méconnus ? J’avoue que je n’en sais rien, si ce n’est qu’ils permettent d’opter pour des « fils de lecture » comme je l’ai fait encore une fois. Je crois simplement que l’envie qui m’a amené à passer d’un de ces auteurs à un autre a été la richesse de leur témoignage concernant la vie quotidienne de nos ancêtres : non point les banquiers, les ministres ou les amiraux, mais ceux qui ont payé chèrement leur pain quotidien avec leur sang et leur sueur.

maison du peuple J’ai donc commencé par « la maison du peuple » et je me suis régalé. L’histoire se déroule avant la guerre de 14 à Saint-Brieuc. Il s’agit d’une tranche de vie : celle d’un cordonnier qui essaye de créer une section socialiste dans sa ville. Déçu par les politiques, leurs promesses et leur absence totale de moralité, il décide de se lancer dans une réalisation concrète et prometteuse, celle d’une « maison du peuple ». Ce local, construit à plusieurs mains, accueillera ceux qui ont besoin d’un lieu de rencontre pour partager leurs malheurs et leurs rares instants de bonheur. Il y aura sans doute plus d’espoir entre ces quatre murs qu’entre les paroles mensongères de ceux qui n’attendent des urnes qu’une fraction de gloire et de pouvoir supplémentaires. L’histoire est profondément touchante et humaine, sans sombrer dans le mélo, et elle remet à la place centrale des « gens de rien » qui constituent l’âme d’un pays. Il y manque un peu la « gouaille » qui va rendre plus vivant encore le « pain quotidien » de Poulaille que j’ai lu peu de temps après.

le-pain-quotidien  C’est son père qui a servi de modèle à l’écrivain pour le personnage central du « pain quotidien », Magneux, le charpentier. Sa mère aussi était canneuse de chaises comme la femme de Magneux dans le roman. L’histoire commence par un accident du travail : après être tombé d’un échafaudage et s’être blessé grièvement au dos, le charpentier va être obligé de garder le lit pendant plusieurs mois. L’assurance se débrouille pour ne lui verser aucune indemnité et seule la solidarité des compagnons et des voisins va permettre à la famille de survivre tant bien que mal. A partir de cet événement, l’auteur va conter la vie quotidienne de la famille et de son voisinage… Mes craintes de voir le récit virer dans le mélodrame n’étaient aucunement fondées. Au contraire, je trouve que c’est un grand espoir qui se dégage des faits-divers successifs qui sont décrits parfois avec beaucoup d’humour. J’ai savouré cette tranche de vie et apprécié le style et le vocabulaire très imagés de Poulaille où j’ai retrouvé des termes d’argot qui me sont familiers. J’étais fin prêt pour enchaîner sur d’autres œuvres du même auteur…

le-train-fou J’ai choisi « le train fou », roman cinématographique. Au delà du fait central, une locomotive dont les mécaniciens perdent le contrôle et un train qui devient un monstre errant sur les rails, Henry Poulaille choisit de décrire non seulement la vie quotidienne des cheminots et leur immense fierté vis à vis de leur travail, mais aussi les rapports hiérarchiques au sein de l’entreprise et la difficile reconnaissance du travail accompli. Le personnage central du roman ne manque pas de carrure : il sait à la fois s’opposer au chef « ingénieur » tout puissant, puis à son patron, et mobiliser les ressources nécessaires pour tenter d’éviter une catastrophe quasi inéluctable et sauver la vie des passagers qui lui sont confiés. Tableau profondément humaniste d’une entreprise et de son personnel, mais aussi réflexion sur le pouvoir et ses limites. Le style, méritant parfaitement le qualificatif de « cinématographique », est très prenant et l’on a envie de tourner les pages sans relâche, afin de savoir quelle issue l’auteur a choisie pour cette histoire haletante.

souvenirs_oursJ’ai été déçu par les « souvenirs d’un ours » de Lucien Descaves, récit autobiographique que j’ai trouvé parfois longuet et pas toujours très intéressant, bien que l’auteur nous fasse connaître nombre de personnalités hautes en couleurs qu’il a côtoyées au long de sa vie. J’ai bien aimé mon choix suivant : « D’amour et d’anarchie » de Claire Sainte Soline. Il s’agit encore une fois d’une tranche de vie, mais point d’une autobiographie. L’auteure a recueilli le témoignage d’une femme, Marie, qui, pendant une bonne partie de sa vie a été la compagne d’un artisan cordonnier militant, Célestin Legrain. A cause des choix politiques et de l’engagement constant de son compagnon, la vie de Marie n’a pas été une sinécure. Grâce à la plume de Claire Sainte Soline, la « moitié » de Célestin décrit son quotidien, la façon dont elle a été éduquée, les petits métiers qu’elle a exercés, les rapports, souvent abjects, qu’elle a eus avec ses employeurs, la difficile coexistence avec un homme que la militance a rendu parfois aigri et incompréhensif. Un portrait social qui complète bien ceux peints par Guilloux et Poulaille.

enfance_vendeenne Michel Ragon, lui, n’appartient pas à la même génération puisqu’il a écrit (et continue à écrire !) l’ensemble de son œuvre après la seconde guerre mondiale. De cet auteur prolifique, je connaissais surtout le versant « anarchiste » de ses écrits : « la voie libertaire », « la mémoire des vaincus », son « dictionnaire de l’anarchie »… Cette fois c’est l’aspect autobiographique de son travail d’écrivain qui m’a intéressé. J’ai conclu cette balade dans la littérature prolétarienne (en attendant la suivante !) en lisant « enfance vendéenne » (suivi de « adolescence à Nantes »), édité dans la collection « point virgule ». C’était un bon choix pour une fin d’étape ; je vous le recommande… Michel Ragon dresse le portrait des membres de la « tribu » familiale qui l’ont accompagné tout au long de son enfance dans le bourg de Fontenay en Vendée : du grand-père Sourisseau, le taiseux, ancien cocher, devenu jardinier de son état, à Marie, la cousine, fermière dans la plaine de Luçon, reine du jambon. L’auteur dépeint toute une économie domestique étroitement liée aux cueillettes, aux récoltes, aux bonnes opportunités offertes par la nature. La vie est sans doute plus facile, pour les pauvres gens, que dans les quartiers urbains dépeints par Poulaille. Les portraits ne se limitent pas aux membres de la famille. Au long des pages, on croise également Rabelais ou Georges Simenon qui ont laissé aussi leur empreinte dans le Fontenay de son enfance ! Le style de Ragon est plaisant, très imagé et savoureux. Au fil des pages, par touches successives, l’auteur réalise un tableau qui me rappelle des situations vécues pendant ma propre enfance.

Il est vrai qu’en un demi-siècle écoulé, beaucoup de choses ont changé, en bien comme en mal, dans nos vies… Même dans les rues de nos bourgades actuelles, on ne voit plus guère de jardinier poussant sa brouette ou d’enfants jouant aux cerceaux. La vie s’est repliée derrière les portails clos et les fenêtres à double vitrage. Les enfants passent l’essentiel de leur temps devant des écrans ; quant aux parents, ils smartphonent à tout va… On n’a jamais parlé autant de communication et pourtant !

2 Comments so far...

lediazec Says:

24 février 2017 at 18:11.

Merci l’ami pour ce relais et, je m’en vais te l’avouer (honte à moi !), je n’ai jamais ligoté une ligne d’Henri Poulaille. Erreur que je vais corriger sans tarder. Donc, merci encore !
Le bon weekenge à toi et aux passants.

Lavande Says:

27 février 2017 at 18:00.

Louis Guilloux! Ça m’a rappelé des souvenirs (lointains): « Le sang noir », un très beau roman dont le personnage principal était un prof de philo, moqué sous le nom de Cripure (critique de la raison pure).
Belle tête en plus ce monsieur Guilloux! J’ai appris au passage que les gens de St Brieuc (comme lui) s’appellent les Briochins ce que je trouve fort joli.

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