1 avril 2018

Un jardin… Oui, mais quel jardin ? Le nôtre pardi !

Posté par Paul dans la catégorie : Notre nature à nous .

 Il ne fait pas très beau ; il ne fait pas très chaud ; mais l’envie est là, pressante… Il faut que j’y aille. Certains matins, les rayons du soleil percent la couverture nuageuse et la luminosité devient exceptionnelle. Le jardin m’attend et tous les prétextes sont bons pour répondre à cet appel ! Les fleurs des Prunus et celles du Magnolia se sont ouvertes… Les campanules font une discrète apparition. Les festivités printanières sont lancées… Les bourgeons des amélanchiers que j’ai déjà si souvent photographiés sont au faite de leur splendeur. Toute cette verdure renaissante m’attire comme un aimant puissant et irrésistible. Je me restreins un peu le matin : il fait encore trop froid ; si j’étais un tant soit peu raisonnable, je pourrais attendre encore un moment… Mais à quoi bon puisqu’il y a la serre et qu’à l’intérieur la température a sans doute gagné les quelques degrés qui me manquent pour avoir plaisir à m’activer. C’est le matin que l’attirance est la plus forte, dès que mes neurones engourdis ont été réveillés par l’arôme du thé. Fut une époque où Monsieur aurait lu le journal en caressant son chien, mais nous ne sommes pas en train de mettre en scène un roman d’Agatha Christie… Temps modernes : Internet remplace le quotidien local et c’est un sacré pas en avant compte-tenu de la sélection de sites que je visite. Après avoir pris connaissance des nouvelles angoissantes du monde, j’obéis à ma pulsion première : sortir… Alors j’enfile les sabots (en caoutchouc) et le vieux pull qui me tiennent lieu d’accoutrement. J’ai, heureusement, laissé tomber le bonnet ; ce fichu bonnet que j’ai eu tant de mal à accepter car je le perçois comme un signe de fragilité et de vieillesse. Mais bon, maintenant je fais avec : je n’aime pas le vent du Nord, la bise comme on dit par ici, et cette année nous avons été particulièrement gâtés sur la fin de l’hiver. J’ai beau attendre le printemps pour aller rendre visite  à la coiffeuse, mes oreilles sont devenues frileuses ! La tête au chaud je résiste mieux aux frimas du petit matin et j’évite ces maudits rhumes printaniers qui me rendent grincheux.

 En soirée la même passion me taraude. J’ai tendance à poser les lectures sérieuses, les polars accrocheurs ou les récits de voyages exotiques, pour me pencher sur des ouvrages franchement orientés botanique. Pour la vingtième année de suite, je feuillette le dernier numéro des « quatre saisons du jardinage bio » pour voir si l’on sème toujours les poireaux au même moment dans le calendrier ou s’il y a un truc nouveau pour enquiquiner les limaces croqueuses de salade. La veille au soir, après avoir relu la préface de Michel Tournier à un bouquin sur les jardins de curé acheté il y a un an ou deux chez mon bouquiniste favori, j’ai enchainé avec le dernier numéro de la « Garance voyageuse » dont le sommaire me paraissait particulièrement aguichant. Rassurez-vous, la nuit me délivre de mes obsessions du moment. Je ne rêve ni de plantations ni de lâcher de coccinelles par drone. La seule interférence qu’il y ait entre mon sommeil et la croisade potagère quotidienne, ce sont les cris de révolte de ma colonne vertébrale et de mes divers muscles dorsaux. Ils m’envoient des signaux d’avertissement que j’oublie (malheureusement dirait mon ostéopathe) au petit matin.

Au deuxième plan, un araucaria qui a bien profité depuis sa plantation !

La dimension « potagère » de notre projet agricole est ancienne. Je crois bien avoir semé nos premiers haricots en 1973. Par contre, le projet de parc arboré ne remonte qu’à 2001. Certains des spécimens que nous avons plantés atteignent déjà une taille raisonnable. Dès le début du jardinage je me suis intéressé aux diverses techniques proposées par l’agriculture biologique. Je peux rassurer les angoissés : en plus de quarante années de pratique, le rendement de mon jardin a sérieusement augmenté, même si j’ai commis quelques erreurs… Pas de miracle en matière d’agriculture : « il ne suffit pas de… » et « Y’a qu’à… » sont des expressions à remiser dans le placard à balais. Il y a des tas d’impondérables que l’on ne peut éviter et ceux qui ont réponse à tout feraient mieux de fréquenter à nouveau l’église plutôt qu’un potager. Lorsque nous avons débuté la plantation du parc, nous avons fait de la permaculture avant l’heure. Je n’avais pas de plan préconçu mais il me semblait logique que plus on s’éloignait de la maison d’habitation, plus les arbres pouvaient être de grande taille : les zones proches sont celles que l’on fréquente le plus souvent ; on ne va un peu plus loin que pour la promenade, l’agrément… Plus on s’éloigne, moins on a besoin de la tondeuse… L’existence d’une mare est un plus incontournable dans un espace vert. Le potager doit rester à portée de mains. Le mélange des cultures présente plus d’avantages que d’inconvénients… etc… Ceux qui ont « inventé » la permaculture n’ont fait que recycler diverses techniques largement recommandées en agriculture bio ou écologique, familiale. Mais je crois que notre époque a besoin cycliquement de ce vernis de nouveauté. On découvre périodiquement les méthodes de pédagogie active, l’autogestion, la désobéissance civile. Si tout cela permet d’avancer vers un monde meilleur, tant mieux. S’il s’agit d’un retour permanent à la case départ, dommage. Lors de notre bref voyage en Inde, je me suis aperçu que certaines techniques présentées comme « révolutionnaires » étaient des pratiques anciennes dans d’autres contrées (je pense en particulier à l’agroforesterie).

L’hiver, les résineux sont plus photogéniques que les feuillus !

Au fil des années j’ai appris à maitriser mon penchant à la mégalomanie. J’ai admis que mon potager n’avait pas vocation à nourrir la planète. Lorsque je suis passé à la dimension « parc arboré », j’ai compris que je n’étais pas un héritier de la famille Vilmorin et que je ne réaliserai pas une copie du gigantesque arboretum de Verrière, des Barres ou de Balaine. Notre terrain était petit (sauf pour mon dos) et il fallait trouver une technique pour l’agrandir virtuellement. J’ai fait le choix d’implanter des haies intermédiaires pour donner une impression de labyrinthe et créer des tours, des détours, et des coins un peu isolés. Je n’aime pas les jardins tirés au cordeau, les massifs savamment ordonnés, les arbustes taillés artistiquement… que l’on qualifie de jardins « à la française » ou « à l’italienne ». La désignation « à l’anglaise » recouvre beaucoup de styles différents et se rapproche un peu plus de ce que je souhaitais faire. Cependant la taille réduite ne permet pas vraiment « d’effets de perspective » sur le paysage environnant. J’ai laissé énormément de droits à la Nature, d’une part parce que j’aime l’improvisation, d’autre part parce que je travaille avec un budget très limité et un nombre de bras itou. Je suis ravi d’observer la multiplication spontanée de certaines plantes, le développement de fleurs sauvages aussi gracieuses que mellifères, l’adaptation facile de certains végétaux à notre terre et à notre climat. Le maître mot a donc été simplification : lorsqu’une plante est trop « caractérielle » et nécessite que l’on soit aux petits soins avec elle, elle perd vite sa place dans ma jungle apprivoisée. Le seul qualificatif qui me plait pour mon jardin eh bien c’est une catégorie nouvelle : l’anarcho-jardin. La nature propose, et le jardinier dispose, histoire d’être en accord avec l’environnement… Si ce n’est pas de la permaculture ça ! Disons que j’ai quand même évacué la dimension mystico-cosmique. Je ne considère pas le recours au Mandala comme un incontournable, et je respecte le calendrier lunaire chaque fois que j’y pense. Il m’arrive de semer des carottes un jour « feuille » et de ne pas être obligé d’aller à confesse pour cela.

Des petits panneaux au contenu aussi sérieux que possible !

Ces derniers temps, j’ai constaté que les (rares) visiteurs s’intéressaient plus aux aménagements réalisés (bancs, cabanes, décorations…) qu’au nom des plantes quand il est indiqué. Cela ne m’empêche pas de continuer à développer la signalétique. C’est l’une des évolutions qui vont de pair avec mon vieillissement assumé. Pour le potager, je construis de plus en plus de bacs pour surélever le niveau du sol, au fur et à mesure que mon dos perd de sa souplesse. Pour la signalétique, les petits panneaux verts suppléent à ma mémoire défaillante. Ce ne sont pas les plantes les plus originales que j’ai repérées en premier, mais celles dont je n’arrive (presque) jamais à mémoriser le nom. Ce travail est long, coûteux et un peu fastidieux mais je persévère. Les petits panneaux permettent aussi d’indiquer si un arbre est lié à un événement quelconque (parrainage, naissance, décès et je ne sais quoi d’autre). Je constate que nombre de mes amis sont illettrés en la matière et que leurs connaissances se limitent aux platanes du bord des routes et aux peupliers faciles à identifier. Pour ma part, je possédais cette infirmité, mais je souhaite guérir partiellement d’ici ma disparition. Je ne voudrais pas mourir idiot, c’est à dire sans connaître au moins quelques dizaines de noms de plantes, d’oiseaux, de cailloux, d’étoiles, d’insectes… Je pense que c’est comme les voyages, ça ouvre des fenêtres au niveau du cerveau ! Puisqu’on parle d’ouverture, ce projet de parc a eu un autre mérite, celui de nous pousser à accueillir des aides bénévoles, voyageurs jeunes et moins jeunes, avec lesquels nous avons eu le plaisir de partager des moments hors du commun. Les volontaires d’Help’x ou de Workaway nous font voyager sans quitter notre radeau.

jardinage en bacs, sans travail du sol en profondeur

Je n’ai pas envie d’enfiler une casquette et de me transformer en guide touristique, mais j’avoue que cela me plaît que l’on s’intéresse un peu à notre travail. Cela contribue à lui donner un peu de sens. Cette année, nous comptons bien ouvrir « officiellement » notre sanctuaire une journée ou deux à la visite. Cela fait plusieurs années que l’on en parle, mais cette fois on va passer à l’acte un week-end du mois de juin. Nous avons rejoint le projet d’une association régionale qui soutient ce genre d’initiatives. Juin c’est un moment où la visite est facile : la nature déploie ses charmes et certaines plantes sont au summum de leur élégance. Alors pourquoi s’en priver ? Il paraît qu’un homme qui possède une bibliothèque et un jardin est proche de la béatitude… Ce n’est pas faux, mais il manque à cette liste de priorités amour, amitié et gastronomie ! A quoi bon jouir d’un privilège, posséder quelques connaissances, si ce n’est pour les partager ?

PS : Je mets la dernière touche à ce texte, et voilà que dehors il pleut averse. Je parlais d’Inde ? On croirait la Mousson, chaleur en moins… Grr !

Au début du printemps, la pulmonaire se pare de couleurs somptueuses.

 

2 Comments so far...

la Mère Castor Says:

1 avril 2018 at 15:25.

1 – de même, je me suis cette année mise au bonnet, méprisé jusqu’ici…
2 – j’adhère à l’anarcho-jardin et au nom des plantes le plus souvent possible. Tout le monde s’en fiche mais c’est plus fort que moi : il me faut savoir et faire savoir (malgré la mine navrée de mes auditeurs qui s’en fichent la plupart du temps) le nom des plantes, des arbres… Au Togo ce fut tentant mais difficile, la végétation tropicale est riche, étonnante mais les informations difficiles à obtenir…
3 – Merci pour la pulmonaire, qui pousse en abondance en Auvergne et qui m’émerveille toujours.

Zoë Lucider Says:

1 avril 2018 at 23:57.

Moi aussi j’aime connaître le nom des arbres et des plantes. mais mon jardin est encore plus anarcho que le vôtre -manque cruel de temps et de technique sans doute-, mais je persiste.

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