14 janvier 2019

La ligne bleue du Jura…

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour...; Notre nature à nous .

 Notre maison est située dans une région intéressante de par son voisinage géographique : les basses terres du Rhône – terminologie à rapprocher de celle de « Bas Dauphiné », plus vaste, à laquelle nous appartenons également. Certains Dauphinois du Sud nous casent dans la région des « Terres froides », mais ce sont des ignares, des gens qui pensent que le Nord de leur département se situe dans la banlieue de Lille ou d’Amiens. Laissons les à leur inculture pour reprendre notre brillant exposé. Placez vous avec moi à la fenêtre de la salle à manger… A main gauche, juste derrière le Rhône, les premiers contreforts du Jura ; à main droite, les massifs des pré-Alpes, la Chartreuse et le massif des Bauges en particulier. Ce sont les reliefs les plus proches : quelques kilomètres à vol d’oiseau pour le Bugey, à peine plus pour l’avant-pays savoyard. Dans notre dos, le Massif Central, mais la distance est plus conséquente pour atteindre le Vivarais ou les Monts du Lyonnais ; il faut bien compter une centaine de kilomètres. Le Jura est notre lieu de prédilection pour les randonnées « montagne à vache ». Les points culminants les plus proches s’élèvent à mille mètres environ. Nos principales références en matière d’orientation : le plateau d’Innimond, ou la Dent du Chat qui domine le lac du Bourget.

 L’intérêt de ce dernier massif, c’est de nous permettre de savoir dans quelle direction se situe le Mont-Blanc… En raison d’un caprice du relief, nous ne pouvons voir le « Top of Europ » comme disent une partie de nos visiteurs étrangers, depuis nos fenêtres. Il faut parcourir une centaine de mètres sur la petite route qui passe devant chez nous, et nous diriger vers le Nord-Ouest, pour savoir si « sa majesté » daigne se montrer ou pas. La netteté ainsi que l’éloignement de sa silhouette nous informent sur la météo des jours à venir. Si on n’arrive pas à le voir, eh bien, comme on dit en Bretagne ou en Irlande, c’est qu’il va pleuvoir ou qu’il pleut déjà. Si le sommet semble proche et que ses lignes semblent tracées au crayon sur le ciel, c’est que la pluie attendra une ou deux journées. Lorsqu’on peine à le distinguer parmi les autres monts, c’est plutôt bon signe pour les amateurs de soleil que nous sommes.

 Le plateau d’Innimond, dans le Bugey voisin, joue un rôle plus modeste, mais néanmoins non négligeable. Rares sont les journées sans que l’on fasse une remarque à son sujet. La face Sud que nous apercevons par nos fenêtres, est couverte d’une grande prairie. La neige y est bien plus présente que dans notre jardin ; c’est logique puisque pour atteindre le sommet de ce géant du Jura il faut franchir un dénivelé de plus de 700 m. Alors les remarques vont bon train :
– Tu as vu ? Il a neigé sur Innimond.
– Tiens ! La neige a déjà fondu sur Innimond.
– Tu te rends compte ! Ça fait au moins une semaine que c’est tout blanc par là-haut.
– Vu la couleur, la neige a dû fondre sur les pentes ensoleillées, mais je suis sûr qu’à l’arrière c’est encore tout blanc..
Et ainsi de suite, ça continue l’été…
– Y vont se prendre un orage là-haut ! Tu as vu les gros nuages noirs ? [Excusez le « Y » mais c’est l’une des caractéristiques du parler local : des Y partout…]
– Y font chier à Innimond, la pluie c’est toujours pour eux, jamais pour nous…
Je vous en passe et des meilleures.

 Pour ceux qui s’intéressent à l’histoire et aux traditions locales, le village d’Innimond, au pied du plateau d’Innimond, a toujours constitué une mine de trouvailles pittoresques pour les ethnologues en herbe. Des revues comme la défunte « Evocations » remplissaient leurs pages d’historiettes, de contes en patois, de traditions singulières collectées dans ce village… L’un des charmes de ces récits c’est qu’ils étaient fort souvent truculents et à la limite d’une grossièreté bon enfant qui avait de quoi ravir le chaland trop habitué à des articles policés. Dans ces récits bugistes traditionnels, les personnages n’hésitaient point à ponctuer leurs aventures de flatulences diverses et de jurons hauts en couleur. Pour le dire de manière un peu crue, mais sans aucune intention de mal juger quiconque, ces montagnards « un peu à l’écart » étaient considérés un peu comme arriérés. C’était comme cela il y a un bon demi-siècle, disons, d’autant que l’accès dans ce genre de village isolé n’étant pas simple, les progrès élémentaires tels que courant électrique, remonte-pente, brosse à dents atomique et autres quads, avaient mis un peu de temps avant de parvenir à ces altitudes.

Deux petites formulettes pour illustrer mon propos :

Il était une fois un rat
Qui avait une musique
Sous la queue.
Quand le rat pétait
La musique allait.
Quand le rat ne pétait plus
La musique n’allait plus. (*)

Pète, pèteras-tu
Quand le moulin tourne
Le derrière se déchire.
Quand le grain est moulu
Le derrière est cousu. (*)

 Depuis, les choses ont bien changé et les agriculteurs, quelque peu dégoûtés par la rigueur de leurs conditions de vie et le mépris des citadins, ont eu tendance à brader leurs demeures traditionnelles et à préférer s’entasser dans les tours exemplaires de nos banlieues modernes. Les temps ayant changé, cet exode bienvenu a permis à tous les citadins un peu fortunés d’acquérir de superbes fermettes en pierre, et de les utiliser comme résidences secondaires, tertiaires ou quaternaires. Revirement d’opinion n’ayant rien de bien surprenant, sachant que tous ces connaisseurs cherchaient un terrain de jeu pour leurs 4×4 et un champ de tir pour s’exercer à la chasse au sanglier, ont considéré finalement que ces bouseux avaient bien de la chance d’habiter dans un décor aussi sublime ; d’autant que les nouveaux venus pouvaient passer l’hiver bien au chaud dans leur loft en centre ville, un peu étroit mais bien conçu, et s’adonner assez fréquemment aux joies du shopping. La campagne certes – c’est bon pour les enfants – mais de là à manquer le « black friday », faut pas exagérer !

 En fait, il faut le dire, ces gens-là n’étaient guère intéressants et ne le sont toujours pas : peu fréquentables à cause de leurs opinions à la droite de la gauche, et surtout de l’argent frais qui s’écoulait entre leurs doigts peu économes. Heureusement, une autre vague d’immigration rurale et montagnarde a suivi… Elle était constitué de gens beaucoup moins fortunés, ne trouvant plus aucun charme à leur travail et à leur vie urbaine, et souhaitant impulser à nouveau un minimum de vie locale ; et ce toute l’année et non le week-end et les jours fériés. J’arrêterai là cette dissertation car ce n’est point là l’objet de ce billet. L’auteur n’étant point sociologue laisse à d’autres le soin de disserter sur les ruraux, les néo-ruraux ou les zozos matelassés de billets. Mon propos de bouseux de la plaine se limitera en effet à expliquer l’importance de voir, depuis sa fenêtre, la ligne bleue du Jura et de savoir en extraire toute la substantifique moelle pour enrichir son quotidien.

 Le plateau d’Innimond présente un autre centre d’intérêt essentiel à nos yeux, quand nous avons fini de disserter quotidiennement sur la météorologie ; à son extrémité droite (vue depuis la fenêtre), se trouve une table d’orientation facilement accessible par une petite route. Ceux qui suivent régulièrement ce blog d’intérêt international savent que nous hébergeons, à la belle saison, d’intrépides voyageurs venus des quatre coins de notre ronde planète, pour découvrir les mœurs des Français, excentriques et en partie ruraux, du Nord Dauphiné. Quand le temps des loisirs arrive, après avoir désherbé les carottes, mis en confiture les groseilles, et transformé les bambous en choucroute pour le compost, vient le moment exquis de la balade, afin de découvrir les points d’intérêts majeurs de la région… à pied, en vélo et en voiture bien entendu, puisque l’automobile prend sa place parmi les objets utilisés par les autochtones. Alors on propose bien entendu à nos valeureux stagiaires de découvrir les lieux incontournables (genre Halles de Crémieu, la brasserie locale ou les grottes de La Balme)… mais on les conduit en priorité à la table d’orientation du plateau d’Innimond… C’est un must dans notre programme de découverte locale. D’abord ça me permet de leur coller un cours de géographie gratuit (on ne change pas la mentalité pourrie d’un instit retraité), mais ce n’est pas tout. Ce lieu charmant est aussi le point de départ de une ou plusieurs randonnées pédestres particulièrement plaisantes (un peu moins au mois de septembre quand il faut zigzaguer entre les balles des vaillants nemrods d’opérette traquant le redoutable cochonglier). Deux ou trois heures de marche plus tard, on peut aussi faire une halte non loin du « Sully » local, un magnifique tilleul qui fait l’admiration, méritée, des habitants du cru… Non loin de là il y a aussi une fruitière qui propose une sympathique sélection de produits régionaux…

 Béni soit donc ce plateau d’Innimond qui pourvoit aux besoins conversationnels quotidiens et permet aussi de se repérer dans une géographie jurassienne et alpine parfois bien complexe. Je concède qu’il s’agit d’une gloire géographique locale, très locale même, puisque mon fils aîné qui habite de l’autre côté du plateau, loin là-bas, dans l’Ain, quasiment à l’étranger, se réfère à d’autres centres d’intérêts bien plus considérables à ses yeux comme le sommet du Colombier qui écrase mon plateau préféré du haut de son altitude quasiment deux fois plus élevée. Mais ne soyons pas jaloux… Derrière la ligne bleue du Jura, se cache le pays des Helvètes, mais il s’agit là d’une toute autre histoire que vous pouvez, par exemple, découvrir dans un album de Tintin (bof !) ou en écoutant les sublimes chansons de l’ami Bühler (Michel de son petit nom). Quand je pense que ce troubadour de première classe envisage dans l’une des ses complaintes de raser les Alpes pour « qu’on voit la mer »… Heureusement qu’il ne s’attaque pas à notre célèbre plateau ! Nous les vieux, on a encore besoin de quelques repères, non mais !

Notes : (*) extrait d’un article de Charles Talon publié dans le n°95/96 de la revue « Evocations », janvier 1955

2 Comments so far...

Lavande Says:

15 janvier 2019 at 08:50.

Raser les Alpes pour qu’on voit la mer ?
Non moi je veux simplement raser le lycée Mounier pour voir le Vercors. Et chose incroyable, « y » vont pas tarder à le faire ! Alors que les Alpes…

Paul Says:

15 janvier 2019 at 09:21.

@ Lavande – C’est là qu’on voit que ce n’est pas inutile d’avoir des accointances avec la mairie… Mais généralement ce sont des valises de billets et non des bulldozers aux ordres que l’on reçoit ! Pauvre Mounier…

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