4 février 2009

Délocalisation, philosophie et petits plaisirs

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour...; Carnets de voyage .

Décidément, la délocalisation est à la mode. Sauf que là, ce n’est pas pour des raisons économiques que la « feuille charbinoise » s’installe à Montréal pour quelque temps, mais simplement pour le plaisir ! Un grand bond à l’Ouest tout simplement puisque nous n’avons pratiquement pas changé de latitude ; un saut de puce de six mille kilomètres par dessus la « grande flaque »; une douzaine d’heures de TER, TGV et avion, tout mis bout à bout. Le voyage s’est déroulé sans encombre. La paranoïa sécuritaire est de plus en plus contraignante certes mais on n’a guère le choix… A Roissy les services de contrôle ont un peu flashé sur la caisse de mon accordéon diatonique et sur mes brodequins… Moi j’ai quelque peu flippé lorsque la charmante contrôleuse m’a demandé, au sujet de l’accordéon, si elle pouvait l’ouvrir. C’est ça le rural en déplacement : je n’avais pas compris que c’était de la caisse qu’elle parlait et pas de l’accordéon. Je l’imaginais, quelque peu paniqué, le tournevis à la main, en train de démonter le soufflet. Pour me consoler, elle m’a dit qu’elle regrettait que je ne puisse pas lui jouer un concert et qu’elle le trouvait très joli. Pour ne pas être en reste de gentillesse, je lui ai répondu qu’elle avait de la chance au contraire, parce qu’avec trois mois de pratique le résultat ne serait pas bien probant et que l’acoustique de l’aérogare n’était pas terrible à mon avis…

img_7501 Pendant l’avant dernière heure de voyage, nous avons survolé un territoire immense, gris et blanc, qui semblait totalement désert. Le plan de vol n’étant pas affiché, je pensais que c’était Terre-Neuve… Un moment plus tard, j’ai compris que nous arrivions plus au Nord et que nous passions en dessus du Labrador. Un paysage en deux couleurs, noir et blanc : en noir les zones rocheuses ou boisées, en blanc les vastes surfaces d’eau gelées et les champs de neige. Nulle trace de présence humaine, pas une tache de couleur, pas le moindre panache de fumée. Il faut dire qu’à dix mille mètres d’altitude, ces détails ne sont guère visibles, mais nous avions déjà survolé la province lors de notre premier voyage, en été, et j’avais déjà été frappé par l’aspect désertique de cette immense zone sauvage. Le fil du Saint-Laurent est enfin apparu sous les ailes de l’avion, puis les vallées de ses affluents : le ruban blanc du Saguenay, avec le lac Saint-Jean perdu au Nord dans le brouillard, la rivière Richelieu… La neige faisait particulièrement bien ressortir de longues bandes blanches semblables à des canaux ou à de larges autoroutes. Derrière le minuscule hublot, j’avais l’impression d’être un peu un astronome observant la surface de la Lune. En laissant trainer une oreille indiscrète, j’ai compris à quoi correspondaient ces longues trainées blanches : ce sont les lignes à haute tension qui transportent le courant fabriqué dans les centrales hydrauliques, notamment les différents barages de la Manicouagan. Elles traversent de vastes zones qui ont été déboisées pour éviter tout incident : la neige fait particulièrement ressortir cette emprise humaine sur la nature.

img_7503 Je me suis replongé pendant la dernière heure de vol, dans cette réflexion qui m’occupe l’esprit chaque fois que je me déplace dans les zones les moins peuplées du Québec. J’ai énormément de mal à « prendre possession » d’un territoire aussi vaste. Il y a une différence fondamentale avec les territoires que nous avons l’habitude de côtoyer. Lorsque l’on survole en avion, et plus encore lorsque l’on parcourt les routes et les pistes en voiture, le fait que l’on contourne des zones mesurant parfois des centaines de kilomètres carrés dans lesquelles nul accès n’est aménagé, ceci crée une sensation étrange. Dans les pays d’Europe de l’Ouest, chaque pouce de terrain donne l’impression d’avoir été foulé, exploré, marqué par l’empreinte de l’homme. Dans la région où nous habitons, un maillage de routes, de chemins, de sentiers, permet d’imaginer que l’on peut connaître chaque parcelle de la terre où l’on se déplace. Si nous ne l’avons pas explorée, d’autres l’ont fait avant nous : le nombre de villages, de ponts, de talus empierrés, de signes quelconques d’une présence humaine en témoigne. Au Québec, comme bien sûr dans d’autres régions du monde que je ne connais pas, ce sentiment d’appropriation est totalement absent et je trouve qu’il a un petit côté, certes fascinant, mais avant tout angoissant. A l’inverse, peut-être est-ce ce sentiment d’une nature immense, difficile à apprivoiser, menaçante parfois, qui soude les communautés humaines et fait que, quand nous séjournons ici, nous sommes frappés par la gentillesse et le sens de l’hospitalité des habitants…

img_7502 Lors d’un autre voyage, après une traversée du Saint-Laurent, nous sommes allés réserver une chambre d’hôte dans la bourgade de Baie Comeau. Il était tard, nous étions fatigués et nous avons demandé un logement pas trop éloigné car nous n’avions plus envie de rouler. Notre souhait a été exaucé et une chambre a été réservée, sur la route que nous prendrions le lendemain pour partir, à la limite de la commune. Nous avons quand même parcouru une quarantaine de kilomètres ! Pendant la soirée, nous avons discuté avec d’autres touristes français présents : hasard fréquent en voyage, ils étaient originaires de notre région et habitaient… à une quarantaine de kilomètres de chez nous. Nous nous sommes alors amusés à calculer combien de communes nous traverserions, en France, pour aller de chez eux à chez nous : une bonne dizaine sans doute, en respectant une ligne à peu près droite… Cet exemple montre bien la façon différente dont, dans ces conditions, nous appréhendons les distances. Le lendemain, en partant, nous avons parcouru une quarantaine de kilomètres sans qu’il y ait de hameaux, de village, de château, de croix… Et je n’arrêtais pas de me demander ce qu’il pouvait bien y avoir entre la route et le fleuve, dans ces immenses étendues boisées. Je crois aussi malheureusement que c’est cette incapacité à apprécier une étendue trop vaste, qui a entraîné le déboisement massif dont le Canada a été victime : à quoi bon s’arrêter de couper, puisque le paysage va plus loin que la ligne d’horizon mentale de l’homme…

img_7513 A une centaine de kilomètres de Montréal, le Boeing a commencé sa descente. J’étais impatient que cela se termine. Deux raisons à cela : il y a un moment où, si elles sont encore vivantes, les sardines ont envie de se libérer de leur boîte ; j’ai horreur des atterrissages dans ces gros avions. C’est curieux parce que le décollage ne me crée aucune sensation désagréable, alors que le retour sur le plancher des vaches m’indispose sérieusement. La voix de l’hôtesse nous a informés qu’il faisait – 12° au sol. Il suffisait d’observer la tenue des techniciens opérant sur la piste pour comprendre qu’elle ne racontait pas de bobards. Le tralala sécuritaire a repris et nous a occupés à nouveau un bon moment… Deux bonnes heures plus tard, nous déambulions, les pieds dans la neige, le long du canal Lachine, histoire de reprendre contact avec la ville, de retrouver « nos marques » et de ne pas céder tout de suite à l’envie irrésistible d’aller dormir. Sur ce point là un bon petit souffle d’air bien frais et bien mordant, je vous garantis que c’est efficace. Soirée brève mais chaleureuse : le plaisir de retrouver notre fils pas vu depuis, à notre avis, bien trop longtemps ! Le cidre était particulièrement goûteux et nous avons parlé des projets pour les jours à venir. A la revoyure !

4 Comments so far...

Clopin Says:

4 février 2009 at 17:07.

Putain, ça fait envie ! On attend la suite de ces carnet de voyage avec impatience…

Clopine trouillefou Says:

4 février 2009 at 17:17.

Clopin, je te retrouve ici, et justement je me disais que ton fils à toi pourrait bien faire un effort pour aller là-bas, histoire qu’on aille l’y rejoindre, ahaha.

Bibi j’aimerais bien voir le Saint Laurent pris en glace…

Clopine

Lavande Says:

4 février 2009 at 22:17.

Bon, je vais faire comme Clopine, un message perso: grosses bises à mon neveu d’outre-Atlantique et à Brigitte.

fred Says:

5 février 2009 at 10:27.

Bigre ! les Aventures du Grand ZIHOU chez les Crazy Canucks ! c’est vrai que ça donne envie …

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