6 février 2009

Le gars des champs dans la grande froidure urbaine

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour...; Carnets de voyage .

Exercice périlleux pour moi d’arriver à tenir, à la fois, le journal de voyage perso et manuscrit que j’ai l’habitude de rédiger lorsque je quitte la calme tranquillité de mes pénates et de vous en proposer une version bloguée et pas trop buggée. Cela nécessite que je sépare le signifiant pour moi, insignifiant pour les autres, des quelques bribes présentant un intérêt pour au moins deux ou trois lecteurs sympathiques qui voudront bien me lire jusqu’au bout ! Côté « illustration » de ces chroniques, l’appareil photo numérique n’appréciant pas vraiment les grandes froidures, je ne sais pas trop ce que ça va donner. Je remercie en tout cas ma photographe préférée. C’est intéressant de savoir en tout cas que lors de la prochaine grande glaciation, l’être humain, s’il est devenu totalement numérique, aura du mal à survivre !

img_7525 Trêve de considérations sérieuses… Nous commençons notre périple québecois par trois journées à Montréal, le temps de redécouvrir la ville et de nous adapter au climat local un tant soit peu rigoureux cette année. La météo a fait un effort sympathique puisque nous bénéficions de températures maxima évoluant entre moins douze et moins vingt degrés histoire de faire un apprentissage progressif avant de nous rendre à Québec. Si je parle d’effort sympathique c’est parce qu’au mois de janvier il y a eu une dizaine de journées pendant lesquelles le thermomètre s’étalait langoureusement entre moins vingt et moins trente. En fait, on réalise pleinement la température qu’il fait lorsque souffle un petit coup de vent vicieux qui vous saisit lâchement de face alors que vous êtes occupés à suivre à la trace la piste à peu près dégelée qui sillonne entre les monticules de neige sur les trottoirs. Avant de s’aventurer dans le monde extérieur il y a donc tout un rituel préalable d’équipement : chacun sait qu’il faut emballer soigneusement la viande avant de la déposer dans le congélateur, sinon elle prend de vilaines marques noires et un goût déplorable. Tant que Monsieur Celsius vous gratifie d’un trait rouge qui ne franchit pas la limite fatidique des moins dix-huit, la phase préparation est relativement rapide. Une amie montréalaise nous fait d’ailleurs remarquer, lors de nos déambulations communes, que jusqu’à cette « basseur » du thermomètre, la mode d’hiver impose encore ses règles ainsi qu’une certaine élégance. Une fois franchi le seuil de non-retour, notamment les jours où il y a du vent, c’est le sauve-qui-protège-toi général. Tant pis si la « tuque » n’est pas parfaitement coordonnée avec la couleur des gants et de l’écharpe, l’essentiel, c’est la survie.

img_7587 Il y a un autre facteur qui facilite l’acclimatation à Montréal, c’est l’existence de la « ville souterraine » et de nombreux passages protégés. Nous avons découvert hier, avec l’aide de notre guide aussi compétent qu’attitré, qu’en fait, une partie de cette ville dite souterraine est en réalité aérienne. Tout un dédale de couloirs, d’escaliers, de cours abritées, permet de passer d’un bloc d’immeubles à un autre, d’une station de métro à un centre commercial, d’une salle de spectacle à une zone de restauration… Ceci est vrai bien entendu dans le centre ville et en particulier dans le quartier des affaires. La partie abritée de Montréal n’est pas, comme je le croyais, un immense centre commercial : de longs couloirs désertiques (mais néanmoins chauffés) s’enchaînent les uns aux autres. On n’y croise que des hommes d’affaires pressés et des employés modèles, jeunes cadres dynamiques commentant les derniers cours de la bourse ou les prix d’achat de leurs « lofts » respectifs. Le vrai courage c’est, après avoir remonté son col et ajusté son bonnet, de franchir à la première occasion, l’une de ces grandes portes à tambour qui vous permettent de rejoindre le monde extérieur. Heureusement qu’il n’y a pas de porte à tambour chez moi car je crois que je serais perpétuellement couvert de bleus tellement je synchronise bien ma démarche vacillante avec le cours des événements extérieurs.

img_7533 Sainte Catherine et Saint Denis, les deux grandes artères incontournables de Montréal, sont bien différentes au cœur de l’hiver. Si l’affluence y est toujours importante, l’ambiance n’est pas la même qu’à la belle saison. Les gens se déplacent assez rapidement d’un point à un autre et on ne voit guère d’attroupements devant les vitrines. Il y a relativement peu de touristes. Les amateurs de températures fraîches qui viennent au Québec en cette période ne font que transiter par la grande ville, avant de repartir vers les chalets où ils s’installeront pendant une semaine ou deux pour faire du skidoo, de la raquette ou du ski de fond. C’est la neige qui attire les visiteurs dans ce pays et la poudreuse ce n’est pas tellement dans les zones urbaines que l’on en profite ! Le gros problème ici c’est plutôt de l’éliminer afin de rendre la circulation des gens et des véhicules possibles. A la tombée de la nuit, la sirène d’un véhicule annonce le passage des souffleuses qui viennent balayer, ou plutôt aspirer la neige, pour la charger dans d’immenses remorques. Mieux vaut alors déplacer sa voiture et se faire tout petit sur les trottoirs car ces monstres rugissants avalent tout sur leur passage. On comprend mieux d’ailleurs pourquoi subsistent de-ci de-là, en plein milieu de la ville, de vastes terrains déserts : ils servent à stocker ces monceaux de neige collectés à chaque nouvelle tempête. Lorsque l’on voit ces no man’s land, l’été, on a l’impression que certains quartiers ne sont pas achevés ou sont, au contraire, en cours de démolition. Ce sont en fait des entrepôts à neige. L’hiver dernier, il est tombé de telles quantités de poudreuse que le stockage n’était pas évident. Dans cette lutte contre les éléments, l’homme dispose quand même de sacrés moyens techniques, du moins dans les zones où les perturbations sont fréquentes. Quand on raconte aux Québécois que certaines zones urbaines sont complètement bloquées par une chute de cinq centimètres, ça les fait plutôt rigoler.

Un autre truc qui les fait plutôt rigoler les Québécois, ce sont les gesticulations de notre Président, et les avis irremplaçables qu’il se permet d’avoir sur tous les sujets. Ses dernières déclarations aussi maladroites qu’insultantes concernant le Québec n’ont provoqué que peu de réactions de colère. Cela n’empêchait cependant pas l’un des journaux que j’ai entraperçus hier de titrer : « Jamais un chef d’Etat étranger n’a autant manqué de respect aux plus de deux millions de Québecois ». Le Parti Québecois et le Bloc Québécois, partisans de l’autonomie de la province, ont quand même tenu à ne pas laisser passer sans réaction les propos de notre Premier Consul et ont adressé une vive protestation par voie diplomatique à l’Elysée. Personnellement, ce type de discours ne me surprend pas trop car ce n’est pas la première fois que le Petit Timonier se distingue sur la scène internationale. Il ne lui reste plus qu’à prendre encore quelques cours auprès de Berlusconi et de Bush Jr et il pourra vraiment jouer un rôle de premier plan. Cette attitude arrogante et stupide a au moins le mérite d’écorner une image de marque que je trouve encore un peu trop positive. En tout cas, je constate que même à six mille kilomètres de mon pays ce bonhomme est encore capable de me provoquer des poussées d’adrénaline.

img_7549 Hier matin, nous avons pris le bus à la gare routière pour aller voir une amie qui habite à Saint Jean sur Richelieu au Sud de Montréal. Nous avons franchi le Saint-Laurent par le pont Champlain. Le fleuve est en partie pris par les glaces mais les bateaux circulent toujours : on discerne facilement les zones de passage. Montréal et sa banlieue s’étalent sur une immense superficie. Je me souviens, lors d’un précédent voyage, d’avoir parcouru plus de soixante kilomètres en voiture pour me rendre d’un point à un autre de l’agglomération. Les trois millions d’habitants sont donc très répartis. Il y a peu d’immeubles élevés et les voies de circulation sont larges ce qui fait que l’on n’a jamais cette impression d’étouffement fréquente dans les villes européennes. Par contre, moi qui n’aime pas les paysages de banlieue, je suis plutôt servi : le centre ville est relativement petit et le bus traverse des kilomètres de zones artisanales aussi peu diverses que possible. Les Mac Do jouent au coude à coude avec les Tim Hurton, les grandes surfaces de distribution et les multiples enseignes de discount. Les pylones électriques et les panneaux publicitaires forment de véritables forêts et les autoroutes s’enchevêtrent avec leurs multiples bretelles. La superficie de terrains, sans doute anciennement agricoles, recouverte par le bitume est démesurée, laide et sans attraits. Quelques exploitations agricoles subsistent encore dans cette banlieue sud de l’agglomération, mais la pieuvre des lotissements les engloutit peu à peu, et ce sont elles qui paraissent presque anachroniques dans le décor.

img_7530 Dans une chronique publiée avant Noël, Sébastien vous a longuement parlé du renouveau de la tradition du conte au Québec et vous a signalé le travail effectué par le conteur Fred Pellerin. Nous sommes allés voir au cinéma le film « Babine » qui a été tiré de l’un de ses derniers recueils d’histoire intitulé : « il faut prendre le taureau par les contes ». Fred Pellerin a rédigé le scénario et les textes de ce film et le résultat est vraiment une grande réussite. Mon seul regret est qu’il ne sortira sans doute pas sur les écrans français ; le thème sera sans doute jugé trop local ou trop singulier. C’est dommage car, pour une première en la matière, c’est vraiment une réussite. Il y a sur Montréal une vie culturelle vraiment intense et d’importants efforts sont faits pour que la population s’intéresse à tous les événements qui ont lieu. Nous avons eu ainsi le plaisir, grâce au savoir faire de notre ambassadeur, d’assister à un spectacle gratuit pour les résidents, associant différentes disciplines artistiques : théâtre, cirque, danse, musique, multimédia… Ça s’intitulait « ce n’est pas une fable » et nous avons beaucoup apprécié la qualité de la mise en scène ainsi que le travail des comédiens et des artistes impliqués. D’ici peu nous avons prévu de nous rendre à un match d’improvisation théâtrale. Ici c’est quasiment un « sport » national, et la saison bat son plein.

Bref tout va bien à bord ; la seule chose dont je me plains présentement c’est d’avoir à m’habiller et à me déshabiller sans arrêt, sans compter les chaussures à lacer et à délacer. Moi qui passerais bien ma vie en charentaises, je trouve ça épuisant. A la revoyure, avec un billet rédigé sans doute depuis Québec. Il neige ce matin et je vais étudier sérieusement la situation.

2 Comments so far...

Lavande Says:

6 février 2009 at 17:43.

A Washington, pour 2,5 cm de neige, les écoles ferment. Obama les a traités de mauviettes et leur a dit qu’ils devraient prendre exemple sur Chicago, ce qui n’a pas plu aux bobos de la capitale.

Zoë Lucider Says:

8 février 2009 at 18:00.

Découverte de ce site grâce à Lavande, merci Lavande. Connais pas Montréal par temps gelé seulement à l’automne. Je venais du New Brunswick où j’avais roulé de Frédéricton à Moncton avec un type qui me disait que sur ces routes les accidents étaient quasi exclusivement dûs aux grosses bêtes genre élan surgissant des bois, et où les cadavres sur le bas-côté attestaient ses dires. Des kilomètres de forêt d’érables au meilleur de l’automne. Après, Montréal, c’était le retour à le civilisation et une visite à mes copains Jocelyn et Beth. Une autre fois en été. Délicieux. Bon voyage camarade, je viendrai vous rendre visite. Vos photos m’ont bien fait rire.

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