18 juin 2009

Un géant de pierre dans les Vosges : Ortenberg

Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage; vieilles pierres .

donjon-dortenberg Chaque première rencontre avec un château est singulière. Il y a parfois l’effet de surprise que crée la découverte d’une tour ou d’un vieux mur en ruines, au détour d’un sentier. Il y a le côté impressionnant de ces géants de pierre que l’on aperçoit de fort loin mais dont on appréhende réellement les dimensions que lorsqu’on se trouve à pied d’œuvre ; il y a enfin le côté romantique, mystérieux, un peu magique que l’on ressent lorsque l’on est entouré par quelques murs encore intacts et que l’on tente un voyage temporel toujours difficile à réaliser. Le château d’Ortenberg, une visite faite lors de notre escapade alsacienne d’avril, appartient à cette collection relativement restreinte de monuments qui resteront certainement gravés dans ma mémoire pour longtemps. Il n’y a pourtant pas vraiment de surprise lors de sa découverte, puisque la silhouette impressionnante de la forteresse est visible longtemps à l’avance : nombre de voyageurs qui parcourent la route allant de Sélestat à Sainte Marie aux Mines puis à Saint-Dié ont l’occasion de l’apercevoir à l’horizon. Ortenberg avait en effet pour rôle stratégique la surveillance du débouché du Val-de-Villé sur la plaine d’Alsace. Le château est également visible de loin lorsque l’on parcourt la très fréquentée « route des vins ». Celui qui veut véritablement visiter les lieux doit cependant faire l’effort de quitter son véhicule. Il faut une bonne demi-heure d’ascension pour accéder à la crête où se dessine la silhouette du donjon. Lorsqu’on pénètre dans l’enceinte à proprement parler, on perçoit toute la magnificence des lieux et le calme qui y règne : bien que situé à quelques kilomètres à vol d’oiseau du château « reconstitué » de Koenigsbourg, Ortenberg n’attire pas une telle foule de visiteurs. Certes il faut faire quelques efforts ; aucune animation autre que le vol des corbeaux et des rapaces n’attend le visiteur sur place ; il n’y a point de parking pour les cars scolaires, de guichet d’entrée et d’hôtesse souriante pour proposer quelques cartes postales. Comme Puylaurens dans les Fenouillèdes, Château Rocher dans l’Allier ou Commarques en Dordogne, il s’agit là d’un site historique plus que touristique, pour amateur de vieilles pierres et d’authenticité ; la visite ne prend toute sa dimension que si l’on est capable de se laisser envoûter par le décor.

ortenberg-contreplongee-don Je pense faire partie de cette catégorie des « amateurs de vieilles pierres ». Il y a longtemps que je suis attiré par le Moyen-Âge – non l’histoire évènementielle, mais la vie quotidienne des différentes couches de la société féodale – et je crois que c’est à Henri Paul Eydoux, cet écrivain remarquable, que je suis tributaire de ma passion singulière pour les châteaux-forts. C’est à sa remarquable série d’ouvrages, « châteaux fantastiques », que je dois d’avoir initié une approche de ces vieilles pierres autre que celle que l’on a à travers les images d’Epinal des livres scolaires ou des guides touristiques classiques. Il est des chapitres de ces livres que j’ai lus et relus à de nombreuses reprises, tellement la description faite par l’auteur des amoncèlements de pierres me faisait « vibrer ». L’édition que je possède de ces ouvrages date d’une trentaine d’années et la reliure étant d’une piètre qualité, certains volumes voient leurs feuillets se détacher progressivement, à mon grand regret. Alors je guette les occasions à un prix raisonnable chez les bouquinistes, soucieux de remplacer les plus abîmés. La dernière fois que j’ai acquis l’un de ces précieux tomes que je possédais déjà, je l’ai offert à un ami, pour le plaisir d’une découverte partagée. Evidemment, ce n’est pas mon vieux volume corné que je lui ai donné ! Parmi les rencontres que nous avons faites et qui m’ont permis d’appréhender encore plus facilement l’univers mystérieux des vieilles fortifications, il y a eu celle de Max Pons, longtemps guide conférencier au château de Bonaguil. Lui avait eu la chance de rencontrer, à plusieurs reprises, Henri Paul Eydoux, qu’il appréciait tout particulièrement. La visite de Bonaguil, avec ce personnage hors du commun, était un grand moment de bonheur : anecdotes, détails historiques, précisions techniques sur la construction, aucun aspect de la vieille forteresse ne lui était inconnu. Il avait d’ailleurs était largement impliqué, avec une autre personne « haute en couleurs », Fernande Costes, dans la réhabilitation de ce château situé hors des routes touristiques, à l’écart de la vallée du Lot. Tous les personnages que je viens de citer sont maintenant disparus et c’est une perte pour la vulgarisation de la castellologie (étude des châteaux). Beaucoup d’historiens ou d’archéologues partageant cette passion ont le défaut d’être quelque peu hermétiques, voire même carrément indigestes. Ils possèdent la science et le vocabulaire mais ne savent pas donner une âme à leurs mots… Je termine là cette digression, et je reviens, à petits pas, au « géant » qui est l’objet de cette chronique. J’espère que vous me pardonnerez cet écart par rapport à l’itinéraire balisé, mais il fallait bien que je vous explique pourquoi je passe autant de temps à musarder sur les chemins pierreux !

ortenberg-reconstitution Ortenberg possède un point commun avec Bonaguil et quelques autres châteaux construits en différents points de notre territoire : un donjon élevé, impressionnant, paraissant totalement inexpugnable. Une photo prise en contre plongée accentue cet effet de grandeur, mais la taille conséquente de la tour d’Ortenberg n’a point besoin de cet artifice pour subjuguer le visiteur. Le cliché que j’ai choisi, en tête de cette chronique, n’est d’ailleurs pas pris de l’intérieur de la cour, mais d’un point extérieur, légèrement culminant : il aurait donc tendance, a contrario, à donner une impression moindre de la hauteur. Celle-ci n’en reste pas moins spectaculaire. Je ne prétends pas que le donjon d’Ortenberg soit le plus haut de France. Je ne suis pas en train de travailler pour le « Guinness book » de la castellologie et j’avoue que je moque de ce genre de classement idiot. La comparaison serait d’ailleurs peu aisée à faire car nombre de tours majestueuses des châteaux-forts ont été arasées à l’époque du roi Louis XIII. Parfois, seuls quelques croquis ou descriptions littéraires servent de référence ! Louis XIII (appuyé par son âme damnée, le cardinal de Richelieu) a été le plus grand destructeur de châteaux-forts de notre histoire nationale. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, plus de fortifications et de tours ont été rasées à son époque, que pendant la Révolution française. Nos gardes rouges de l’époque n’ont pas été aussi performants que les équipes de terrassiers embauchées par Richelieu. Nombre de sites historiques portent les stigmates des colères du Cardinal. La raison d’un tel comportement est simple à expliquer : la monarchie s’impose (on parle, à bon escient, de « monarchie absolue ») ; les temps féodaux sont dépassés ; le pouvoir est centralisé ; les nobles perdent une bonne partie de leur statut de « potentats locaux » et deviennent progressivement de simples « courtisans ». Il est hors de question qu’ils puissent afficher le signe d’une puissance supérieure à celle du monarque. Or le donjon a deux fonctions essentielles. La première est symbolique : affirmation du pouvoir et de la grandeur de celui qui réside en ce lieu. La seconde est d’ordre défensif : la tour sert d’ultime refuge pour les propriétaires en cas d’assaut menaçant. La fonction résidentielle est accessoire, du moins dans les grandes forteresses. Dans un grand nombre de cas, le seigneur et sa famille habitent dans un bâtiment indépendant du donjon, nommé « aula », plus confortable et souvent plus lumineux. Ces bâtiments résidentiels, généralement couverts par une charpente, des tuiles ou des lauzes, ont été les premières victimes du temps ou des conflits, et il n’en subsiste que peu de traces (c’est le cas à Ortenberg) d’où le rôle de logement attribué pendant longtemps à des donjons pourtant bien sinistres. Il est évident que ceci est une règle générale, et que toute règle générale, notamment dans le domaine historique, souffre de nombreuses exceptions. On peut sourire de cette conception de la grandeur associée au nombre de pierres qu’un être humain est capable d’empiler. Mais notre époque a-t-elle échappé à de tels comportements ? On peut en douter quand on voit la surenchère à laquelle se livrent actuellement les quartiers d’affaires des plus grandes villes du monde… Certes le béton et le verre ont remplacé la pierre et le bois, mais le prestige attaché à la hauteur d’une construction reste un élément majeur pour les gouvernants et leurs architectes. Ce ne sont pas les dernières réalisations et encore moins les projets prévus dans les Emirats, à Dubaï en particulier, qui démentiront mon propos.

interieur-cour-ortenberg Il est difficile de disserter longuement sur le logis seigneurial à Ortenberg car ne subsitent plus que les courtines (murs extérieurs) et la tour maîtresse. Les aménagements intérieurs à la haute-cour ont disparu. Il n’en subsiste que les ouvertures extérieures et des traces de construction. On peut donc en deviner les proportions et l’usage, mais la vision que l’on peut en avoir est bien limitée. Du coup, la ruine donne une impression de dépouillement ne correspondant nullement au décor original, lorsque la cour était en partie occupée par divers logis et communs.
Ortenberg est un château ancien dans les Vosges. Son emplacement était hautement stratégique et il est certain qu’une construction s’élevait déjà en ces lieux autour de l’an Mil. Elle était l’œuvre d’un seigneur nommé Walter d’Ortenberg. Les ruines actuellement visibles correspondent à des bâtiments construits ultérieurement, au milieu du XIIIème siècle par Rodolphe Ier de Habsbourg.  La destinée de la forteresse a été assez mouvementée et elle a connu divers propriétaires, dont certains fort renommés comme les Hohenzollern ou les Habsbourg, sans oublier Charles le Téméraire, tout puissant Duc de Bourgogne. Celui-ci n’en restera propriétaire que quelques années, le temps cependant d’effectuer de solides travaux de rénovation et d’entretien, après avoir fait dresser un état des lieux minutieux par son maître des comptes. Ce document est important car il permet d’avoir une vision assez détaillée du château au milieu du XVème siècle. La forteresse est très habilement construite : elle épouse la forme de l’éperon rocheux sur laquelle elle se trouve, en tirant partie au mieux. L’emplacement du château ne se situe pas au point culminant du massif du Ritterberg (Mont des Chevaliers) et pour l’isoler du relief dominant côté montagne, un impressionnant fossé a été creusé en travers de l’arête rocheuse. Ce côté étant par ailleurs le « point faible » du système de défense, c’est là qu’a été bâtie la tour maîtresse, haute d’une quarantaine de mètres et dominant l’ensemble du paysage. Pour consolider l’ouvrage, l’architecte l’a doté d’un mur bouclier qui l’entoure étroitement du côté où peuvent survenir les assaillants. De nombreuses archères sont percées dans cette haute muraille. A l’intérieur de l’ouvrage, un passage étroit (quelques mètres entre le mur du donjon et la courtine défensive), autrefois protégé par des galeries de bois, permettait à la garnison de circuler et de se ravitailler en munitions en passant d’un point stratégique à un autre : le système était ainsi conçu qu’une garnison de dix ou douze hommes permettait de tenir tête à n’importe quel adversaire. On est loin des sièges « hollywoodiens » avec des centaines de soldats perchés sur les remparts et arrosant leurs assaillants de projectiles divers (et pour la plupart imaginaires). Garnison réduite, cela signifiait approvisionnement réduit et dont possibilité de tenir un siège relativement long. Là aussi les choses doivent être ramenées à leur juste proportion.

ortenberg-mur-bouclier-inte Je doute que les péripéties qui ont entraîné le passage d’un propriétaire à un autre vous intéressent beaucoup. Quelques évènements méritent cependant d’être contés. S’il a eu des propriétaires prestigieux, Ortenberg a traversé quelques périodes sombres dans son histoire. Le château est devenu ainsi, pendant de longues périodes, un simple repaire pour chevaliers brigands, nobles peu scrupuleux profitant de la position stratégique de la forteresse pour rançonner voyageurs et habitants. Parmi les faits marquants de l’histoire locale, il y eut par exemple cette bataille épouvantable qui se déroula à la fin de la « révolte des rustauds », vaste soulèvement des paysans contre leurs seigneurs, en l’an 1525. Elle se déroula au pied des murs d’Ortenberg et marqua la défaite finale des révoltés. Près de quinze mille hommes furent massacrés par les troupes du Duc de Lorraine… A l’époque on ne faisait pas dans la dentelle, surtout lorsqu’on avait l’occasion de mater la populace. Quelques temps plus tard, pendant la guerre de trente ans, ce sont les Suédois qui s’emparèrent d’Ortenberg comme de pas mal d’autres places fortes dans le secteur. Les habitants des localités voisines, excédés par les exactions dont ils étaient constamment victimes, menèrent la vie dure à la garnison étrangère… Le château termina son existence « militaire » en 1633, sous le règne de Louis XIV. Au XVIIIème siècle, un officier de Napoléon s’en porta acquéreur et procéda à quelques travaux de restauration. De nos jours, Ortenberg appartient à la commune de Scherwiller. Les lieux sont soigneusement entretenus, mais cela n’empêche que la visite est libre et gratuite et que c’est bien plaisant. Il n’est plus possible de pénétrer à l’intérieur du donjon. C’est dommage car, même s’il était impossible de l’escalader, on pouvait, selon les premiers auteurs qui ont décrit le bâtiment, se rendre compte de l’étroitesse de l’espace habitable et de l’impressionnante épaisseur des murs.

ramstein Le même jour, nous avons visité également le Ramstein, un château se dressant en contrebas d’Ortenberg. Il n’en reste que quelques pans de murs et il ne présente qu’un intérêt limité. Le seul détail intéressant concernant ce château est le motif de sa construction : il servait de base arrière pour les troupes assiégeant Ortenberg à la fin du XIIème siècle, comme quoi un siège pouvait, à l’époque, être une entreprise de longue durée. Un peu plus tard dans la journée, quelques kilomètres supplémentaires à pied nous ont conduit aux ruines du Bernstein, mais ceci est, selon la formule appropriée, une autre histoire ! Cette région est, en tout cas, un véritable paradis pour les amateurs de vieilles pierres et de marche à pied. Les sentiers sont nombreux et bien entretenus. Le balisage est effectué avec sérieux et minutie par les clubs de randonneurs vosgiens. Pour peu que le beau temps soit de la partie, et cela a été le cas pour nous, le pays offre de belles perspectives pour un tourisme à la fois sportif , culturel et gastronomique.

7 Comments so far...

Lavande Says:

18 juin 2009 at 22:42.

Dommage que tu n’aies pas photographié la clé correspondant à la serrure de la dernière photo: elle doit être maousse costaud!

Lavande Says:

18 juin 2009 at 22:43.

Pstt: il connait pas l’heure d’été ton blog?

Paul Says:

19 juin 2009 at 06:20.

@ Lavande – Ce serait un beau trou de serrure inversée effectivement. Si tel était le cas, il faudrait au moins deux larbins pour porter la clé. Il s’agit en fait d’une archère (meurtrière) creusée dans l’un des murs, aménagée postérieurement en bouche à feu pour les mousquets (d’où le trou rond en bas).

Paul Says:

19 juin 2009 at 06:24.

Le blog, il est comme ses patrons : des fois à l’heure, des fois pas. Ce sont les mystères de l’informatique. Des fois ça marche, des fois ça marche pas. Dom, quand ça fonctionne, a une très belle expression… Il dit « c’est tombé en marche »… Il pense aussi que « quand ça marche, il ne faut surtout rien toucher. De toute façon ça ne va pas durer ». Pour les non initiés : Dom c’est notre ambassadeur en Suisse et, accessoirement, les petites mains qui bricolent la partie souterraine du blog et qui font qu’il ne marche pas trop mal, en fait…

Lavande Says:

19 juin 2009 at 07:52.

Courageux mais quand même pas téméraires mes neveux : ils n’ont pas choisi des pays où l’on parle le Thaïlandais-Pattachote ou l’Inuktitut-Nunavit! 🙂

Fred Says:

13 juillet 2010 at 20:37.

Effectivement le donjon de l’Ortenberg n’est pas le plus haut de France. Il ne fait que 30 mètres de haut (sans compter la toiture qui devait être en place durant le moyen-age).
Le plus haut donjon de France etait celui du chateau de Coucy avec plus de 50 mètres de hauteur. Malheureusement, il a été détruit par les troupes allemandes durant la première guerre mondiale (en 1917), par explosion, afin que les troupes francaises ne puissent l’exploiter comme point d’observation.

Merci beaucoup, Paul, pour cette page, ou l’on retrouve l’ensemble des informations permettant de mettre ce magnifique édifice en valeur.

Nota: faisant actuellement des recherchessur l’architecture de ce château ainsi qu’un projet de reconstitution en 3D, je serai heureux de pouvoir bénéficier d’image(s) telle que celle montrant la recontitution. Par avance merci…

Paul Says:

15 juillet 2010 at 06:21.

Merci pour votre commentaire. Je vous adresserai, personnellement, une sélection des photos les plus intéressantes que j’ai pu faire de ce château. J’espère qu’elles vous seront utiles. La visite du site m’a laissé une très forte impression et j’escompte bien pouvoir y retourner un jour. Ce sera l’occasion pour moi aussi de découvrir d’autres ruines, plus au Nord de Sélestat. Les premiers sommets des Vosges en dessus de la plaine d’Alsace étaient riches en constructions défensives.

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