22 novembre 2007

Le placard de ma mémé

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .

Le placard de ma mémé n’existe pas, il est du domaine de la réalité virtuelle, du simple concept… à moins que “le placard de ma mémé” ne soit multiforme : le coin sombre d’une grande armoire, la petite étagère d’un confiturier, un casier à bouteilles dans la cave, un vieux placard dans le coin d’un atelier.
Parfois on achète, sur un coup de cœur ou un coup de folie, un objet, un vêtement, une bouteille… que l’on a pas envie de “dévorer” de suite, soit parce qu’on attend l’occasion, l’ami, le jour J… ou simplement parce qu’on a envie de l’apprivoiser, de l’approcher tranquillement, d’en prendre toute la mesure avant de faire le pas.
Parfois on reçoit un cadeau, quelque chose auquel on ne pensait pas, ou qu’on ne croyait pas avoir un jour et qui nous inquiète peut-être un peu. Là aussi, il faut apprivoiser, attendre l’occasion, l’envie, l’instant clé où le cadeau provoquera un plaisir parfois décuplé. Ce jour là, on va faire un tour dans le placard de la mémé, le coffre au trésor que l’on garde dans un coin de sa tête et l’on craque : Tee Shirt neuf que l’on décide d’enfiler, bouteille de vieille prune que l’on va sacrifier à la bonne cause. Il arrive même que certains objets retournent dans le placard de la mémé après un petit tour en liberté : l’objet est alors un peu sacralisé. Il ne correspond pas seulement à un désir à l’instant T, mais il est adapté à certaines grandes occasions et à celles là seulement. Bien entendu, dans ce cas, l’objet doit retrouver son emballage d’origine. Tout au plus est-il tolérable d’enlever une étiquette ou un ruban qui ne sont pas indispensables à la conservation de ce précieux patrimoine.

porte d’armoireLe placard de la mémé est le compagnon des jours de fête, plus que celui des jours de déprime. Il ne crée pas l’instant de bonheur, il l’accompagne. Certains objets séjournent parfois longtemps dans ce paradis secret. D’autres n’y font qu’un bref passage. Il y a aussi parfois erreur dans la classification et l’heureux élu, après quelques hésitations, abandonne le sacro saint placard, pour aller rejoindre le tiroir, l’étagère, le casier des utilitaires, des besogneux, du quotidien parfois chaotique. Il arrive aussi qu’on ait un besoin crucial de l’objet en question, qu’on se dise “tiens je l’aurais bien mis dans le placard de ma mémé”, mais que, la nécessité ayant force de loi, la distinction ne soit qu’intentionnelle et ne soit pas concrétisée.
Je remarque par contre qu’il n’arrive jamais à un objet qui a bénéficié de l’honneur suprême d’être rangé dans le placard de la mémé, d’être totalement disqualifié et de finir, rejeté, honni, banni, dans la benne de tri ou dans les bras de quelqu’un d’autre. C’est un objet distingué, pas un « matom » que les hobbits font circuler de foyer en foyer.

Le placard de ma mémé n’est après tout qu’un placard. Ce n’est ni un hangar ni un entrepôt. La taille des objets que l’on y place est limitée. Ce n’est pas que l’on ne puisse pas avoir envie de quelque chose de volumineux, mais je constate qu’il ne m’est jamais arrivé de mettre un téléviseur, une bétonnière ou une voiture dans le placard de ma mémé. Souvenir de l’ours en peluche de notre enfance, peut-être, il faut pouvoir tenir dans ses bras l’objet convoité, ce qui exclut toute utilisation d’un chariot élévateur ou d’une grue.

Quand ma grand-mère est morte, on a retrouvé dans son armoire toutes sortes d’objets, non pas inutiles, mais inutilisés : cadeaux reçus à l’occasion de fêtes de Noël ou de fête des mères par exemple. Des objets pour lesquels elle avait un tel respect, conséquence d’une vie marquée par la pénurie, qu’elle n’a jamais osé les utiliser de peur de les endommager, sans doute, ou de ne plus les avoir neufs, de côté, avec tout ce qu’ils représentaient comme sécurité, comme bien-être, trop souvent absents du quotidien.

Peut-être que pour certains, le placard de la mémé ne contient que de l’argent, liasse de billets ou livret d’épargne bien garni. Je les plains sincèrement car l’argent, contrairement à certains objets, n’a pas d’âme et n’est pas un réservoir à souvenirs.
Le placard de la mémé se referme définitivement lorsque celui qui l’a créé disparaît. Libre à ceux qui se partagent ses souvenirs de ranger ou de ne pas ranger ces trophées dans leur propre placard, de leur trouver ou de ne pas leur trouver une place dans leurs propres fantasmes. Pour celui qui est parti cela n’a plus guère d’importance : lorsque l’on se réincarne en chêne ou en dahu, on n’a plus besoin de placard !

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