3 mars 2008

Les petits mots jolis

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour...; Des livres et moi .

sentier.jpg A priori, l’étymologie me rebuterait plutôt et je n’aurais guère envie de la pratiquer de façon systématique, et pourtant… j’ai quand même une certaine fascination, une curiosité je dirais, pour les mots, pas tous les mots, mais quelques-uns, les petits mots jolis qui chantent à mon oreille. J’aime que les mots aient une histoire et ça m’intéresse de la connaître, au détour d’un chemin, au hasard d’une rencontre. Notre langue a connu un cheminement extraordinaire parce qu’elle a une multitude d’origines et de racines et que toutes ces origines et ces racines se sont emmêlées les unes les autres, créant ainsi des arbres avec de nombreuses ramifications. Notre académie bien pensante s’imagine régner sur l’empire de la langue française, mais elle n’en gouverne qu’une bien modeste province ; à force d’ignorer les mots et les tournures de la langue populaire, à force de ne vouloir se complaire que dans les divans confortables du parler des salons de la capitale, à force de rigidité, elle ne représente qu’une petite partie des richesses culturelles de la Francophonie.

chemin-faisant.jpg Certains auteurs nous donnent un aperçu de cette richesse de la langue populaire. Suivons par exemple Jacques Lacarrière, ce grand voyageur, malheureusement disparu, dans son périple à pied du Nord au Sud de la France. Au fil des pages de son livre « chemin faisant », on découvre par exemple quelques-uns de ces mots peu connus qui servent à peindre le paysage de nos régions : bétoire, bouchure, dolline, capitelle, bouzigue, échallier, fleurine, garissade, gâtine, restanque, roubine, varaigne… Certains sont encore dans les dictionnaires, d’autres en ont disparu ou n’y ont jamais été. Ce ne sont pas des mots de patois mais des mots simplement régionaux nous dit Lacarrière, qui rêve « d’un dictionnaire du paysage français qui recueillerait, avant qu’ils ne disparaissent, tous ces mots qui décrivent notre sol, nos fleuves, nos montagnes, nos herbes, nos maisons… »

Il faut aller au Québec, dans les régions un peu éloignées des grandes métropoles, comme la Gaspésie ou le lac St Jean, pour retrouver certains de ces mots perdus, certaines de ces tournures, originaires de notre France rurale, que nous avons tout bonnement oubliés, ou dont nous avons grandement modifié le sens. En défendant leur singularité culturelle, nos cousins francophones ont préservé cette partie de la langue disparue chez nous. Au lieu d’adopter simplement certains mots anglais, comme nous l’avons fait souvent par snobisme ou par bêtise, ils ont francisé leur forme ou leur prononciation. Notre « week-end » est resté là-bas une « fin de semaine » alors que le verbe anglais « to brake » (freiner) a pris la forme infinitive de « braker » : « il faut braker là, t’as pas vu le clignotant ? » Mixage des langues ennemies, mais assez souvent à l’avantage du français : « jaser » au lieu de « parler » mais « joke » au lieu de « plaisanterie ». Nous avons rencontré en Gaspésie une Française qui retrouve dans cette province certains mots, certaines tournures de phrases, qu’elle n’avait plus entendu depuis le décès de sa grand-mère poitevine.

freinet.jpg Après cette brève escapade, retour dans notre vieil hexagone. Certains mots charment mon oreille et j’ai plaisir à les employer. Autant me déplait le « jargon » des spécialistes, autant j’aime entendre un mot que je ne connais pas, surtout si on m’explique bien d’où il vient et à quoi il sert précisément. Je sais ce que sont la varlope ou la plane utilisées par le menuisier et j’aime ces mots. Le verbiage pédant de certains « experts » m’ennuie, et ce, quel que soit le champ de leur expertise. Je me rappellerai toujours cet article paru dans un numéro du « Nouvel Educateur » (la revue du mouvement pédagogique Freinet). Dans une colonne se trouvait un texte pédagogique de Célestin Freinet, écrit avec le langage simple et imagé qui était le sien. Dans la colonne voisine se trouvait la traduction « universitaire » de sa façon de parler, comme si l’auteur de l’article trouvait insupportable l’emploi d’un vocabulaire insuffisamment ésotérique. Je ne vous explique pas le côté ridicule de la deuxième version, mais je vous laisse le soin d’imaginer de quelle façon on peut pervertir, avec le langage universitaire approprié, une image très parlante telle « on ne peut pas faire boire un cheval qui n’a pas soif » (expression de Freinet), pour la rendre acceptable par un expert hautement qualifié. Freinet, militant pédagogue issu du peuple, connaissait la richesse de notre langue quotidienne et savait l’utiliser pour exprimer ses idées. Il n’avait pas besoin de qualifier un « ballon » de « référentiel bondissant » comme nous l’avons vu faire dans certaines circulaires de l’Education Nationale.

marche-sentier.jpg Chacun de nos voyages est maintenant l’occasion de compléter notre bagage de mots. Intrigué par le terme « lipsanothèque », j’ai demandé à l’un des guides du palais des rois de Majorque, à Perpignan, de m’expliquer ce qu’il voulait dire (à vous de chercher !). La veille, au détour d’un improbable sentier botanique, nous avions appris que « acéré » venait du nom latin « acer » donné aux érables : les légionnaires romains se servaient du bois d’érable pour fabriquer la tige de leurs lances. Le même lieu nous avait appris l’origine du mot « coriace » : dur comme du cuir… Autre voyage, autre destination : en Dordogne, lors de la visite guidée du château de Lanquais, d’autres termes, d’autres expressions nous avaient déjà dévoilé leur sens. « Faire sa toilette » par exemple : dans la chambre de ces dames, la même petite table servait à beaucoup d’usages ; avant d’y déposer broc, cuvette et ustensiles divers pour se nettoyer les mains ou le visage, on y ajoutait une petite toile brodée… toile, toilette… Dans la chambre de Monsieur, la table servant aux écritures était protégée par un morceau de bure… bure, bureau… Ce jour-là nous avions déjà fait connaissance avec le « petit four » à côté du grand, qui servait à cuire les pâtisseries car il était moins chaud… On servait alors le « dessert » après avoir desservi la table.

Vous allez me dire qu’il existe toutes sortes de livres savants pour expliquer l’origine des mots et des expressions de la langue française, mais leur approche est souvent rébarbative parce que trop systématique. Ce n’est pas d’un dictionnaire dont j’ai envie, mais, comme je l’ai déjà dit, de rencontres hasardeuses au détour d’un chemin ou d’un paragraphe : la saveur du mot est bien plus grande lorsque la découverte de son existence ou de son sens ont eux-mêmes une histoire. Je comparerais cela au plaisir que l’on a de déguster un vin lorsque derrière l’étiquette se cache le souvenir d’un voyage, la saveur d’un lieu ou le sourire et les anecdotes du vigneron qui l’a élaboré. Inutile de vous dire à quel point les cours de français du collège et du lycée m’ont barbé et à quel point je comprends que les adolescents n’en aient rien à f… de savoir quels mots de notre langue viennent du latin, du celte ou du papou. La scolastique détruit beaucoup de choses… Ces mêmes cours de français avaient aussi réussi à me dégoûter de François Rabelais : c’est tout dire ! Il a fallu un certain temps avant que l’abbaye de Thélème retrouve enfin grâce à mes yeux…

lacarriere1.jpg Le mot de la fin pour Jacques Lacarrière, encore… Lors d’une rencontre, son interlocutrice emploie le mot « traîneries », au sens, non pas de durée, mais de fatras, de choses qui traînent. « Je m’émerveille de ce mot, cueilli sur cette bouche coléreuse comme une fleur insolite. C’est ainsi que vivent les langues, qu’elles évoluent, qu’elles créent des mots nouveaux ou renouvelés. Je me prends à rêver sur tous ces mots possibles que le français dit correct n’utilise ou n’invente jamais. Et j’imagine déjà un lexique des mots potentiels de la langue française, grâce à cette traînerie entendue ce matin… »

8 Comments so far...

Clopine Trouillefou Says:

3 mars 2008 at 11:08.

ah, j’ai le mêm goût que vous… Mais qui s’étend aux livres. Un mot nouveau est savoureux quand, derrière lui, s’étend la région où on l’a entendu prononcer, le moment où il est passé, le souvenir avec lequel l’accrocher. Mais les livres où l’on découvre des mots nouveaux sont tout aussi précieux. Tenez, au hasard (humum), les dix premières pages de « Notre-Dame de Paris », vous m’en direz des nouvelles ! Pas moins de quinze mots absolument inconnus à mon bataillon…

bien à vous,

Clopine

Sébastien Says:

3 mars 2008 at 18:03.

Je me permets une petite correction au niveau de la traduction :
« il faut braker là, t’as pas vu le clignotant ? »
Devrait plutôt se dire « Brake icitte, t’as pas vu l’flasher » ?

Paul Says:

3 mars 2008 at 19:01.

Merci Seb, je n’étais plus très sûr de moi. C’est ça les vieux, en quelques mois ça oublie et ça fait des erreurs grossières !

Lavande Says:

4 mars 2008 at 07:43.

J’ai souvenir d’un beau texte de Colette (détails non garantis) dans lequel elle raconte qu’elle avait eu un coup de foudre pour le mot « presbytère » sans savoir ce que cela voulait dire bien sûr. Du coup tout ce qu’elle aimait était qualifié de presbytère. Un joli caillou: « j’ai trouvé un beau presbytère »; elle caressait son chat: « mon petit presbytère chéri ».
Evidemment quand elle a appris le sens du mot ça en a cassé la magie. Quoi que…
« Le presbytère n’a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat ».
Savez-vous dans quel roman cette jolie citation sert de phrase codée?

Clopine Trouillefou Says:

4 mars 2008 at 08:22.

ben c’est carrément une sorte de petite nouvelle -je verrais bien ça dans Sido, et je me souviens de la fin, exquise comme d’hab’ chez Colette – elle montre à sa mère un joli escargot jaune et noir en le nommant « presbytère », et sa mère s’esclaffe, alors, la petite fille, sachant dorénavant ce que veut dire « presbytère » mais ne voulant pas renoncer à la magie des mots, rebaptise le mur du jardin sur lequel elle est assise « presbytère », et devient…. curé sur un mur !

Bonne journée à vous, Lavande !

Clo

Lavande Says:

4 mars 2008 at 09:06.

Ah Clopine merci, j’avais oublié la fin! un petit bonheur!

…et ma devinette vous ne savez pas y répondre?

Paul Says:

5 mars 2008 at 13:25.

“Le presbytère n’a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat”
On la trouve comme phrase clé dans le « mystère de la chambre jaune », mais bien sûr ce n’est pas la réponse… On a les références qu’on peut !

Lavande Says:

6 mars 2008 at 18:21.

Et le gagnant est… Paul! C’est bien au « mystère de la chambre jaune » que je faisais allusion!
Faut pas croire… on peut aimer Colette ET Gaston Leroux.

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