10 mars 2008

Le poids des morts… le choc des origines

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour .

mort-1.jpg Je ne vais pas vous ennuyer avec un énième commentaire sur les résultats du premier tour des élections municipales. Je ne voudrais pas ternir, par quelques propos acerbes et malvenus, la joie de ceux qui fêtent la reconquête de la mairie de Trifouilly les Oies, détenue par la droite depuis plus de trente ans, par une liste d’Union de la Gauche et du Centre Mou (du latin modem). Je préfère « creuser » un thème que j’avais commencé à traiter dans une chronique de début d’année : la façon dont les moyens d’information (presse, radio, télévision) traitent de la mort des gens. Je vais commencer par enfoncer une porte ouverte en disant que dans nos médias, à la fois guides et reflets de l’opinion publique, la mort ne pèse pas le même poids selon que l’on est (que l’on naît aussi) mineur chinois ou policier français. L’origine géographique joue un rôle, la catégorie socio professionnelle à laquelle on appartient, l’âge que l’on a, les circonstances de l’événement, mais aussi la nature du public auquel le média destine l’information. Petit B A BA journalistique : l’importance d’un événement va conditionner la grosseur du titre qu’on va lui accorder (nombre de colonnes), la page qui va être choisie, la « une » est primordiale, mais le choix entre page de gauche et page de droite a son importance aussi, de même que la mention en « pages intérieures » ou en « dernière page ». Un événement d’une importance colossale va « tenir » la une pendant plusieurs jours d’affilée, avant d’être chassé, plus ou moins vite, par un autre événement ou simplement par le fait qu’on a épuisé toute la « matière première » et les exégèses possibles sur le premier. Amusons nous donc à construire une petite pyramide.

mort-2.jpg Première clé de tri, l’origine géographique. Pour nous, Français (le « nous » me gêne un peu car je ne m’inclus pas dans ce que je vais énoncer…), la mort d’un compatriote est quelque chose de grave. Viendra ensuite la mort du citoyen d’un pays proche, mais « très civilisé, presque comme nous », genre Belge, Allemand, Anglais ; en troisième position nous classerons les « civilisés du sud », comme les Italiens ou les Espagnols, puis les civilisés « de plus loin », Norvégiens, Américains, Israéliens… Arrive, pour terminer, un peloton de morts souvent important, dont la position hiérarchique n’est pas toujours facile à déterminer : les « civilisés mais pas comme nous », Américains du centre ou du sud, Russes ; « à peine sortis de leur vie tribale mais plutôt sympathiques », Africains ou Polynésiens ; « suppôts de Ben Laden en guerre contre la civilisation » que l’on appelle aussi « il n’y a rien à faire moi je ne les aime pas » au café du commerce. Reste le cas particulier de l’Asie, elle aussi difficile à classer dans le baromètre « bien de cheu nous » des sympathies ou des antipathies médiatiques : « ils sont différents, donc pas comme nous, et puis surtout ils sont tellement nombreux… Que voulez-vous, chez eux, quand un typhon en tue mille ou deux mille, c’est une paille ! Vous avez déjà posé la soustraction deux milliards moins mille ? Le résultat est encore plus long à écrire que le nombre de départ. C’est tout dire ! ». En conclusion de cette première partie de l’étude, nous dirons donc qu’un citoyen français mort vaut, grosso modo, autant que 5 Européens proches, pas trop au sud, ou bien autant que 8 Italiens, 10 Israéliens, 100 Mexicains, 1000 Sénégalais ou 10 000 Chinois, Vietnamiens… (la Malaisie on ne sait même pas si c’est sur terre). Je pense que les Palestiniens par exemple, doivent se situer quelque part entre les Mexicains et les Sénégalais (dans les périodes favorables) ou entre les Sénégalais et les Chinois (lorsqu’un communiqué d’Al Quaïda vient d’être publié).
Vous trouvez que j’exagère un peu ? Regardez dans vos journaux la différence de traitement entre la répression israélienne dans la bande de Gaza (plus de 100 morts, dont de nombreux enfants) et l’attentat contre l’école religieuse à Jérusalem (8 morts).

mort-3.jpg Deuxième point essentiel dans la construction de notre pyramide, la position du défunt dans l’échelle sociale. Pour simplifier l’analyse, nous allons nous recentrer sur l’essentiel c’est à dire la société française. Par degré d’importance, nous placerons tout en haut papes et chefs d’état (bien que les décès de papes d’origine française soient rares ces temps-ci dans les médias). La mort d’un président de la République (du moins jusqu’à présent) occupe les journalistes et la une des journaux, pendant des jours et des jours. Arrive derrière, assez loin, le décès d’une « personnalité » politique de premier plan ou de l’un de ces personnages mythiques qui ont « contribué à la grandeur de la France » sur l’échiquier international (prix Nobel connu, artiste de cinéma, chanteur de variété, sportif médaillé). C’est enfin le tour des anonymes, mais nous allons voir que tous ne sont pas égaux devant la mort. Parmi eux, il y a d’abord les militaires, soldats ou gendarmes, dont le dévouement (exemplaire) doit être particulièrement honoré. Les soldats posent un problème particulier : autrefois, ils avaient tendance à mourir en grande série à la fois et il était parfois difficile, comme à Verdun par exemple, de les célébrer dignement de façon individuelle. Le statut du soldat a heureusement évolué : comme ils coûtent cher à former et à équiper, on en tue de moins en moins. Notre Président a d’ailleurs évoqué ce problème en rappelant que tuer un militaire français, c’était vraiment un acte de barbarie. Quelques anonymes peuvent se détacher du lot s’ils sont morts dans des conditions honorables : infirmières (plutôt qu’infirmiers), médecins, curés (quoique… ils ont moins le vent en poupe avec toutes ces affaires de pédophilie). Le reste, ce ne sont plus que des citoyens vraiment anonymes quoique français, et leur mort ne présente un attrait vraiment spécifique que si, éventuellement, ils ont été tués par des « pas encore civilisés » lors d’un « séjour à risque » dans un club de vacances situé dans une zone où sévit le terrorisme international.

La pyramide se complique, je vous l’ai dit, avec d’autres facteurs tels que l’âge du défunt : la mort d’un enfant, de nos jours, fait beaucoup plus pleurer que celle d’un adulte ou d’un vieillard. La façon de mourir aussi importe : un brin d’originalité ne nuit pas. Un suicide sur le lieu de travail peut attirer l’attention, sauf si c’est le troisième de la semaine ou si la société concernée est un gros annonceur publicitaire sponsorisant le média. Le public visé par l’information a son importance : une chaîne de télévision comme ARTE provoquera peut-être un brin d’émotion en parlant de la mort d’un chef d’orchestre ou d’un cinéaste vedette des salles d’art et d’essai. D’autres journaux, d’autres chaînes de télévision, éviteront ce genre de sujets peu vendeurs « à la une », mais feront la part belle au décès d’un pilote de moto au « Paris-Dakar ».

mort4.jpg Le métier de journaliste n’est pas simple et je compatis pleinement… Cette chronique n’a pas la prétention d’être une thèse de doctorat en sociologie et je suis bien conscient du fait qu’elle ne fait qu’effleurer un vaste sujet ! Je n’ai pas évoqué par exemple, la solidarité professionnelle qui fait que, pour un journaliste, la mort d’un autre journaliste est plus importante que la mort d’un facteur ou d’un menuisier. Je n’ai pas abordé aussi cet étrange phénomène qu’est la « loi des séries » dans les médias. Pendant un temps on va s’intéresser à la violence dans les établissements scolaires : les professeurs poignardés feront recette et l’on va dénombrer méticuleusement les moindres petites agressions. Puis la mode changera et le sujet sera casé dans les archives, un bon « marronnier » à ressortir à l’occasion.

Si vous avez bien compris mon propos, il ne vous reste plus qu’une façon vraiment remarquable de mourir : Français, jeune, Pape ou Président, tué au « champ d’honneur » dans un lâche attentat commis sur le sol national, par un commando palestinien brandissant un portrait de Hugo Chavez. Tout un programme !

NDLR : vous remarquerez que j’ai évité de publier une photo de Claude François. Cette chronique est sans aucune relation avec l’actualité du week-end.

6 Comments so far...

Clopine Trouillefou Says:

10 mars 2008 at 09:44.

ah merci, décidément ton blog me plaît de plus en plus. Bon, il faudra sans doute faire évoluer le concept de traitement de l’information « mort » avec les nouvelles technologies : l’agonie d’une petite américaine, certes, mais du Sud, là bas loin, même pas célèbre, hein, lors d’une de ces catastrophes qui réduisent le sort des participants à leur nombre, peut parfaitement « tenir » le scoop… si elle est filmée « en direct » et dure plusieurs heures,l’enfant coincée sous une poutre…

Je prédis cependant, via les téléphones portables/caméras/accès internet immédiat, une « banalisation » de la mort en direct. Faudra pimenter un peu le tout. J’sais pas, moi, des arènes, des fauves et une peine de mort à la clé ?

Clopine

fred Says:

10 mars 2008 at 09:53.

Il paraît que la Terre subit tous les 65 millions d’années une « extinction de masse ». Là, on en serait à peu près à 10 millions d’années de la prochaine … D’après certains chercheurs, cela correspondrait au voyage de notre système solaire au sein de la galaxie. De temps en temps (tous les 65M d’années) on se balade en périphérie de notre chère galaxie et du coup on se prend un max de rayonnements cosmiques. Y’a pas à dire, l’extinction de masse, c’est quand même autre chose ! Du coup je me tâte… vaut il mieux se prendre un astéroïde géant sur la ganache ou se prendre un rayonnement cosmique intense ? Ou alors décéder du réchauffement climatique ? Ce qui est chouette avec la vie, c’est qu’on peut l’arrêter de pleins de façons ! Et quand notre univers s’effondrera sur lui même ? y’aura plus rien derrière ?

Clopopine Trouillefou Says:

10 mars 2008 at 16:20.

y’a la moitié des commentaires qui sont bouffés par la trappatrous. La trappatrous s’ouvre n’importe comment, faut dire. Chez moi, elle est spécialisés dans le divorce des chaussettes…au sortir de la machine à laver. Tu crois que tu as mis deux chaussettes dans la machine, tu ouvres, y’en a plus qu’une. Et la malheureuse va errer toute seule, pendant que sa moitié prend son pied avec n’import qui, une socquette ça se trouve…

Chez moi, la trappatrous attrape aussi les clés, les papiers importants, les messages laissés sur le répondeur et la liste des commissions dans la poche du manteau qu’on ne prend pas pour aller faire des courses. Mais je ne savais pas qu’elle sévissait aussi sur internet…

Clopine (en plus, elle laisse ici juste la vilaine moitié de mon nom, de cheval, quoi…)

faudrait voir à la boucher, quoi

Paul Says:

10 mars 2008 at 16:39.

Eh ben, je ne comprends pas, voici le quatrième commentaire et les trois autres sont bien là, bien lisibles et bien intéressants. La trappatrous doit frapper de façon aléatoire, certains ordis et pas d’autres ? Diantre, diantre…

Lavande Says:

10 mars 2008 at 21:04.

Bizarre, avant hier MàC se plaignait aussi d’avoir été éjecté, je cite:
« Arrrgh!! Là aussi y a des modémachins….. »

De toutes façons il ne se manifestera pas en ce moment car la rumeur publique du blog d’Assouline nous a appris qu’il était hospitalisé pour des problèmes cardiaques. Un dommage collatéral des élections? Souhaitons-lui en tout cas de vite revenir.
Souhait

fred Says:

13 mars 2008 at 09:04.

une petite pensée au passage pour le dernier « poilu » Français décédé hier …
« Heureux ceux qui ont du poil aux pattes, ils auront chaud l’hiver ! »
Ce ne sont pas les témoins de Jehovah qui disent que lorsque le dernier juste de 14 sera décédé alors viendra l’apocalypse ?
Brrr ! ça fait peur !

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