13 mars 2008

Eux et nous, chronique égoïste

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .

tableaubruegel.jpg C’est raté ! Ce n’est encore pas ce matin que je vous parlerai du Musée du Chemin de Fer Canadien que nous avons visité en Septembre à Montréal. Je trouvais pourtant que ça faisait longtemps que je n’avais pas parlé de trains et ça me manquait. Enfin, je ne sais pas vous, mais moi si. Le brusque changement d’aiguillage de ma pensée est dû au cake au citron. Comme quoi, en fait, on a beau dire, mais le matérialisme dialectique… Hier soir, on a passé une soirée sympa, avec un copain qui va construire sa maison juste à côté de la nôtre et avec qui, pour l’instant, on n’a donc pas encore de mauvaises relations de voisinage ! Pascaline avait préparé un délicieux lapin moutarde, un gratin de courge, une salade de pissenlits et un cake au citron. Tout était très bon, d’autant que j’avais le privilège de mettre les pieds sous la table alors que, d’ordinaire, je mets souvent les mains à la pâte. Nous avons pris notre temps (« slow food » is good for us), bavardé, bu un canon ou deux, récupéré quelques centaines de calories excessives… en bref, profité de la vie quoi !

La suite de mon exposé nécessite une petit préliminaire… J’observe attentivement mes contemporains, grâce à un réseau de vidéo surveillance (c’est très à la mode) dont le poste de contrôle se trouve ici, dans un bunker enterré, au centre de la principauté du Charbinat. J’ai installé subrepticement des caméras dans les lieux de vie les plus communs (cuisine, salle à manger, bureaux, magasins, transports en commun). Je ne suis pas allé plus loin dans mes investigations visuelles, car je ne veux pas non plus être taxé de voyeurisme ! Ce blog a une certaine tenue et n’est pas annexé à un serveur d’images « érotiques » à deux balles. Mon ordinateur visionne, recoupe, analyse, synthétise toutes les données recueillies et, au petit matin, lorsque j’appuie sur la touche « bilan », il me donne quelques informations clés sur le mode de vie de mes cobayes.

cuisine-moderne.jpg Ce réseau performant explique que je puisse vous parler avec force détails d’individus que je ne fréquente pourtant que fort rarement. Prenons, Mr et Mme Michu par exemple (fausse identité, bien sûr, je préserve leur anonymat). Mme Michu est rentrée du boulot, crevée, vers sept heures. Monsieur Michu était vautré devant la télé en train de visionner « voulez-vous devenir plus c. », l’émission qui fait des ravages audimateux à cette heure-là. Elle lui a demandé : « tu as mangé ? » Il a répondu : « ouaip, j’me suis fait un snack » d’un ton distrait. Visiblement ça l’ennuyait d’être interrompu pendant qu’il cherchait à observer si le décolleté de la candidate n°1 était aussi profond qu’il en avait l’air. « Et les gosses ? » a ajouté Madame qui, décidément, ne voulait pas lui lâcher les baskets. « Je m’en fous ; j’crois qu’ils se sont fait un bol de flakes ». Madame Michu a renoncé à poursuivre la discussion. De toute façon, dans un quart d’heure, elle avait son cours de gym aquatique. Elle a ouvert le frigo et sorti un milk shake tout prêt, parfum fraise ou myrtille, ça n’avait pas d’importance vraiment. Les gosses étaient très occupés ; elle leur ferait la bise tout à l’heure en rentrant. Elle se rappela soudain qu’il fallait aussi qu’elle passe à l’école un de ces jours, voir l’instit. Elle avait l’impression que son petit dernier avait des difficultés croissantes en lecture.

tes-ou.jpg Gros handicap, nous n’avons pas de téléphone portable, ce qui nous oblige à faire les courses ensemble ou à faire preuve d’initiatives… Pas moyen d’appeler « l’autre » pour lui demander si les spaghettis qu’il achète ce sont des Baritruc ou des Panzamachin. Pas moyen de passer un coup de fil pour dire « je rentre un peu tard ; j’ai une réunion ; je mange au restaurant ». Nous sommes obligés de compenser en discutant de vive voix, pendant les repas, les moments de promenade ou à la fin des émissions de télé que nous regardons ensemble. Faute de moyen « commode » pour prévenir, nous avons une convention : quand l’un de nous deux part faire quelque chose tout seul (ce qui arrive souvent car nous ne sommes pas non plus « scotchés »), il donne une heure de retour, assez largement calculée pour avoir un espace de liberté, l’autre n’ayant pas le droit de s’inquiéter avant cette heure fatidique.

Mme Michu, elle, ne peut plus se passer de son téléphone portable. Elle a un terrible besoin de communiquer ; avec Monsieur Michu parfois (en général au téléphone il lui répond, ils sont même assez intimes), avec ses enfants (quand ils sont seuls à la maison, ce qui arrive souvent) mais surtout avec ses copines. Dès qu’elle a un moment de libre, elle leur raconte tout : où elle est, ce qu’elle fait, qui elle voit, de quoi elle a envie. L’autre jour au supermarché, elle était même un peu gênée parce que son amie Micheline n’arrêtait pas de lui poser des questions sur la liaison qu’elle a avec son chef de bureau ; Micheline la harcelait. Il fallait qu’elle donne des détails et le fait de parler « cul » en plein milieu du rayon jardinage la perturbait.

repas-de-famille.jpg Manger tout seul ce n’est pas toujours rigolo, j’en conviens. Mais quand on vit à plusieurs (je ne sais pas moi, le papa, la maman, la bonne, les enfants, la jeune fille au pair) l’existence de repas organisés, structurés, préparés, me paraît être quelque chose d’essentiel dans le déroulement d’une journée. Que les conditions de travail, de plus en plus délirantes, amènent à un éclatement des familles au moment de midi, j’en conviens. Que le repas du soir permette au moins de se retrouver, d’échanger. Cela veut dire que le repas doit aussi être préparé, même simplement, de manière à lui donner un caractère un peu cérémoniel. Manger ensemble a toujours été un moment essentiel à toutes les époques, dans toutes les civilisations, que ce soit un bol de soupe avec une tranche de pain ou un banquet festif. Il a fallu l’apparition de l’homo américanus contemporanus pour qu’on assiste à ce spectacle pitoyable du « manger commun » remplacé par un défilé rituel d’individus devant le réfrigérateur familial, puis devant le four à micro ondes et finalement en tête à tête avec la présentatrice de la télé. Allez donc lire à ce sujet l’excellent texte publié sur le site du Monde diplomatique et intitulé « vivre en troupeau en se pensant libre« . L’analyse faite par l’auteur ne manque pas de lucidité. Comment peut-on appeler encore « couples », « familles », « communautés »… des juxtapositions d’individus qui n’ont plus de moments communs pour échanger sans interface technologique ? Je hais les cuisines modernes avec leur comptoir rectiligne et leur alignée de tabourets de bar. Je déteste les salles à manger avec un téléviseur allumé en permanence. J’exècre cette société qui déstructure les individus pour mieux les asservir…
J’aime le silence pour pouvoir parler ou simplement observer les ombres et les lumières qui défilent sur le visage des personnes que j’aime.

Je reprendrais bien une tranche de cake au citron avant de répondre à ces deux questions dramatiquement épineuses :
« quelles illustrations mettre pour une chronique pareille ? »
« dans quelle catégorie vais-je ranger ce texte ? »
« Mon dieu, mon dieu, quelle prise de tête ! »

9 Comments so far...

fred Says:

13 mars 2008 at 09:02.

Fait la bise au TAF de ma part ô grand Zihou !
Je constate avec bonheur que tu fais partie de « ceux qui n’ont pas de portable »
on sera au moins deux comme ça !

Lavande Says:

13 mars 2008 at 10:18.

Y a pas photo, si je puis dire, je préfère être invitée chez Brueghel que chez madame Michu: la lumière verdâtre au fond à gauche fout carrément la trouille, ça fait un peu arrivée d’extra-terrestre!

Pascaline Says:

13 mars 2008 at 13:10.

A tout seigneur, tout honneur : voici l’adresse sur laquelle j’ai trouvé la recette du cake au citron
http://lesbonsptiplats.canalblog.com/archives/2007/04/18/4584807.html
En plus, un blog sympa, et des gîtes en Aubrac. J’ai des fourmis dans les pattes…
Mais, moi, j’ai pas mis de lait dans mon gâteau, et ça ne manque pas…

Clopopine Trouillefou Says:

13 mars 2008 at 13:49.

ah là là, je vous suis à 100 %… Bon le tableau de Brueghel représente une circonstance exceptionnelle, puisqu’il s’agit d’un mariage et non d’un souper quotidien, mais on vous pardonnera parce que c’est un tableau génial. et puis je l’aime bien à cause de son « défaut »…. Car il en a un, disons plutôt une anomalie – vous la connaissez sans doute ? Sinon, donnez votre langue au chat : je vous la rendrai sans faute !

Bien à vous, Clopine.

Ps : je vais même plus loin que vous, et considère que la confection des repas du soir (par obligation professionnelles, les repas du midi, en semaine s’entend, sautent !) est une sorte de cadeau, un geste genre « potlatch ». C’est la source d’un de mes conflits principaux, at home. J’aime les repas harmonieux, les gens qui s’attendent avant de commencer à manger, et j’ai du mal à devoir appeler « à table » cinq fois de suite avant d’être entendue, et de passer le repas dans une ambiance tendue de pugilat.

Mon compagnon, dont l’enfance fut bercée par les injonctions « finis ton assiette »et « on ne joue pas avec la nourriture » a intégré que le repas doit, pour recevoir l’AOC, ressembler à une sorte de pugilat, où l’on règle les comptes de la journée, d’une part, où l’on régit l’assiette du voisin, d’autre part, et où l’on critique les défauts de ce qui vous est présenté, enfin, dans le style « tu l’as achetée où, cette viande ? Mais tu n’as pas cuisiné le reste de pommes de terre ? Et cette crème, d’où sort-elle ? » ; l’enfant, malgré tous mes efforts, a compris que le jeu du repas est de faire « craquer » l’autre, et s’y emploie avec une joie parfois mauvaise. Ce qui devrait donc être un moment de partage est donc petit à petit devenu un cauchemar, et j’avoue, je le fuis de plus en plus…

Tout en gardant l’espoir, hein. Tous les soirs, je « dresse la table » comme on projette une fête, veillant à ne rien oublier et à tout placer à portée de main. J’essaie d’équilibrer les menus, mais avant tout j’essaie de me, et de, « faire plaisir » (même s’il faut pour cela oublier les règles de la diététique). Evidemment, si vous faites la cuisine vous allez parfaitement comprendre ce que je veux dire, le « timing » est essentiel : c’est une technique, que d’amener au degré de cuisson voulu, en temps donné, les différentes composantes du repas… hélas ! Trois fois hélas ! C’est d’autant plus décourageant de devoir supplier « les autres » de venir s’asseoir, alors qu’ils ont mille choses plus intéressantes à faire…
Un jour, prise de rébellion, je décidai de ne plus débarrasser, jamais. En effet, mon compagnon, qui donc ne fait pas les courses, ni la cuisine, ni ne met la table, ni ne sert les repas…. n’admet pas devoir débarrasser,une fois le repas fini. IL veut bien le faire, mais une fois la soirée passée. Et j’ai personnellement horreur des reliefs et des assiettes sales. Pour ne pas avoir, ni à débarrasser moi-même (vu que je fais tout le reste, je me dispense de cet effort), ni subir la table encombrée, je m’en vais… et la soirée se déroule solitaire.

Je déplore tant que je peux cet état de choses, mais ne sais comment y remédier, à moins soit d’en faire un enjeu disporportionné, soit de subir encore un peu plus. Je m’en vais de table de plus en plus tôt, mais, incorrigible optimiste, continue cependant à confectionner les repas, dans l’espoir que, ce soir au moins « cela se passera bien »…. Mais cela ne se passe jamais bien !

Je crois que, dans de nombreuses familles, les repas sont le lieu de tensions et d’enjeux. Peut-être est-ce AUSSI pour cela que la solution du « frigo où chacun se sert » se généralise ?

Clo, preneuse de toute solution miracle, hein !

bien à vous

fred Says:

13 mars 2008 at 14:41.

La seule solution miracle dans ce cas chère Clopopine, me semble être le célibat mixé avec un poil de schyzophrénie ! On se fait le repas pour soi-même avec nos ingrédients préférés, à l’heure voulue. Ensuite pour la conversation (et c’est là que la schyzo est intéressante), il suffit de se faire les questions et les réponses ! (des fois, j’arrive même à m’engueuler malgré tout !)

Chris Says:

13 mars 2008 at 15:15.

Merci d’avoir testé mon cake au citron et d’avoir parlé de mon blog!
Pourquoi pas quelques jours de détente dans un coin perdu de la campagne aveyronnaise oà il fait encore bon de se retrouver autour d’une table bien garnie?!
Bonne journée!

Lavande Says:

13 mars 2008 at 17:17.

Clopine (pourquoi diable ce logiciel s’entête-t-il à vous appeler Clopopine?) j’ai une proposition:
le porteur en rouge a un sabot (ou une espèce de chaussure) au pied droit et une chaussette au pied gauche?

Clopine Trouillefou Says:

13 mars 2008 at 19:47.

OUI, c’est bien de lui qu’il s’agit, mais son cas est encore plus grave que de mettre une chaussette à un pied et un sabot à l’autre, puisque, si vous regardez bien, il en a 3 , de pieds !

Eh oui, comment expliquer autrement la chaussette du milieu, d’une part, et le pied légérement en avant (bien plus plausible) de la porte-plateau ?

Renseignements pris, on m’a expliqué que l’erreur provenait sans doute de la fabrication du tableau (en plusieurs parties), qui fait que l’ensemble n’est pas « raccord ». Mais je préfère penser que Breghuel en avait « fait d’exprès »…. Les artistes sont parfois facétieux.

Tenez, un autre exemple : nous avions un copain africain qui était un joueur reconnu de Cora (ou Kora, je ne sais) cette grosse calebasse prolongée d’un manche …. euh…. turgescent à souhait et qui est en fait une harpe (les clés sont remplacées par des bracelets de cuir, serrées sur le manche). Il appartenait à une grande famille de griots africains, les Kuyaté, (attention à la prononciation, décidément mon histoire est scabreuse) et se produisait en concert, en donnant des morceaux de son pays, à la harpe africaine donc… Un soir, dans une MJC, il jouait devant un parterre de jeunes femmes européennes, qui se récriaient toutes sur la beauté de l’instrument (ben tiens…) la virtuosité de l’interprète et surtout, surtout, la puissance (!) de la musique africaine, qui vous emporte comme là-bas, dis… Sura Kata me fit alors un petit clin d’oeil, et sans rien dire n’est-ce pas, commença un morceau à la harpe… breton… du Alan Stivell en fait ! Je commençais à sourire largement, mais me rendis compte que personne, et surtout pas les auditrices, ne s’était rendu compte de rien, et « que je continue à gloser sur la musique, l’Afrique, que quand on a entendu ça une fois on l’a dans la peau », et là-dessus il y avait un superbe an-dro qui continuait sur la Kora, avec Sura Kata, imperturbable, qui regardait sans piper mot les toubab’s !! Je lui ai fait des reproches (en fait, j’ai surtout rigolé), et lui ai demandé pourquoi il ne composait pas en mélangeant tout, l’Alan Stivell et les Mandingues, la Namibie et le pays bigouden !! IL m’a répondu « moi pas savoir la musique pas africaine » en rigolant…

Oui, j’aime bien penser que les artistes, même les plus grands, sont capables de pied de nez, et qu’il n’a pas fallu attendre Duchamp pour ça !

Bonne soirée à vous

Clopine

Lavande Says:

14 mars 2008 at 07:41.

Suite à l’affaire du nombre de pieds: je ne suis pas convaincue que la tâche noire au milieu (contre la jambe droite) soit censée être la jambe gauche, parce qu’avec deux jambes positionnées comme ça, à mon avis il bascule en arrière, les fesses dans la soupe. Ou alors on peut se dire que justement il a bien besoin d’une troisième jambe pour tenir debout!

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