21 juin 2010

Premiers émois ferroviaires

Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; La grande époque des chemins de fer .

Je relis avec plaisir le livre documentaire fort bien écrit et illustré d’Henri Vincenot « l’âge du chemin de fer », paru il y a quelques années chez Denoël. Cet ouvrage ainsi que quelques autres ont inspiré la chronique ci-dessous. On retient très souvent, dans l’histoire du chemin de fer français, la date de 1827 comme date officielle de circulation du premier train. Il s’agit là de la mise en service d’une ligne allant de Saint-Etienne à Andrézieux et permettant aux houillères stéphanoises de transporter leur charbon à bon compte jusqu’aux berges de la Loire. C’était un chemin de fer un peu particulier puisque la traction des wagonnets était assurée par des chevaux. Les industriels tiraient donc partie de l’invention des rails mais n’utilisaient encore point cette merveille, mise au point par Stephenson, qu’était la locomotive à vapeur. La réduction du frottement, grâce aux rails, permettait quand même à un seul cheval de tirer quatre wagonnets chargés de huit tonnes de charbon. Un tel exploit n’aurait pas été possible sur route. La direction des houillères confia aux frères Seguin, la construction d’une nouvelle ligne reliant St Etienne à la vallée du Rhône. L’ainé, Marc Seguin, se rendit en Angleterre, étudia l’engin mis au point par Stephenson et, le trouvant un peu primitif et particulièrement peu performant, décida de le perfectionner. Il mit au point la fameuse chaudière tubulaire qui devait équiper pendant des années les locomotives à vapeur. Sa première machine fut utilisée pour tracter les wagons à la place des chevaux sur la nouvelle ligne ferroviaire juste inaugurée. La liaison Saint-Etienne-Lyon fut opérationnelle en 1833 : un parcours bien aménagé de 58 kilomètres à double voie. Dès 1831, la compagnie autorisa l’accès à bord de voyageurs payants. Ces premiers aventuriers pouvaient aller de Saint Etienne à Givors, à condition de voyager dans un wagon à marchandises, bien peu confortable il faut le dire…

Deux années plus tard, en 1835, les premiers wagons conçus spécialement pour le transport des personnes étaient disponibles. Dès le début la notion de « classe » apparut et l’on construisit des voitures confortables appelées « les financières » et d’autres beaucoup plus sommaires baptisées « cadres ». Le premier modèle était fermé et l’on pouvait voyager à l’abri de l’air. Le second n’était qu’un simple wagon plat muni d’un toit et équipé de bancs en bois plutôt sommaires. L’ouverture de la ligne aux voyageurs, jusqu’à Lyon, puis jusqu’à Roanne, ne passa pas inaperçue dans le public. Les journaux croulaient sous les articles, les dessins d’art ou les caricatures présentant ce moyen de transport, « révolutionnaire » pour les uns, « diabolique » pour les autres. Même la profession médicale se passionna pour la question. Certains médecins mettaient en garde le public contre les risques de pneumonie, d’autres insistaient sur le fait que le déplacement rapide à l’air libre constituait un excellent moyen de lutte contre la coqueluche. D’un côté l’on prédisait les pires catastrophes : incendie, déraillement, maladie pulmonaire à cause du charbon, déplacement des organes à cause des vibrations. De l’autre on ne manquait pas d’arguments pour vanter les mérites du serpent de fer. Tous les pays d’Europe se lancèrent dans la compétition tant l’engouement du public était grand. Dès 1832, la famille impériale d’Autriche faisait son petit tour sur les rails et inaugurait un tronçon entre Linz et Budweis. L’engouement du public était tel que très vite on renonça à l’idée de réserver ces nouveaux axes de transport aux seules marchandises. A partir de 1835, de nouveaux tronçons ferroviaires furent inaugurés un peu partout en Europe.

Après avoir joué un rôle précurseur, coude à coude avec l’Angleterre, la France se retrouva plutôt à la traîne au milieu du siècle. Aux yeux de certains, l’excellence du réseau routier et la présence d’un grand nombre de voies navigables, rendaient peu intéressant l’investissement énorme que représentait la construction d’un réseau ferré complet. Mais la locomotive était lancée sur les rails, à des vitesses de plus en plus étonnantes, et il était difficile de ralentir vraiment le mouvement. Les Saint Simoniens, fervents partisans du chemin de fer, militèrent ardemment pour sa cause. Les constructions reprirent donc de plus belle. Le 24 août 1837, on inaugura la ligne Paris-St Germain. La capitale ne pouvait rester longtemps à l’écart d’une telle nouveauté. Le banquier Emile Pereire (Saint Simonien convaincu) et son frère Isaac étaient à l’origine du projet. L’idée était de créer une ligne desservant les lieux d’agrément de la bourgeoisie parisienne et de l’intéresser, par ce biais, à investir dans ce nouveau moyen de locomotion. Il s’agissait plus d’une opération de promotion que d’une réponse à un véritable besoin populaire. La reine de France et ses trois rejetons participèrent à la cérémonie d’inauguration. Les conseillers de Louis Philippe déconseillèrent au Prince de s’exposer à un tel risque. Le dimanche qui suivit l’inauguration, il y eut plus de vingt mille voyageurs et, au bout d’un mois, la compagnie vendit le cent trente millième billet. Les wagons étaient tractés par des locomotives de fabrication anglaise et l’on effectuait le parcours de 16 kilomètres en 26 minutes. L’investissement n’était pas négligeable puisque le ticket coûtait la bagatelle de deux francs en première classe, un franc cinquante en deuxième et un franc en troisième. Mais quand on aime on ne compte pas, et pour aimer, eh bien oui on appréciait ce déplacement à des vitesses vertigineuses. L’événement fit l’objet de la une des journaux pendant des jours et des jours. On jouait même, au théâtre de la Porte Saint-Antoine, une pièce intitulée « Le chemin de fer de Saint Germain ». En 1844 un court tronçon de cette ligne pionnière servit à tester un dispositif nouveau mais peu convaincant : le chemin de fer atmosphérique.  Ce système, employé auparavant à deux occasions, en Irlande et en Angleterre, était sensé faciliter le franchissement par les trains de fortes déclivités. Il reposait sur l’utilisation de la pression atmosphérique agissant sur un piston placé dans un tube étanche à l’intérieur duquel on avait réalisé un vide partiel. Cette anecdote permet de se faire une idée du « bouillonnement intellectuel » qui régnait autour de la nouvelle invention. Cette intense activité de recherche explique la rapidité des progrès effectués, tant sur le matériel de traction que sur la construction des voies elles-mêmes.

Malgré ces quelques réalisations spectaculaires, la France prenait du retard par rapport aux pays voisins. Les liaisons entre les grandes villes se multipliaient dans la plupart des pays européens, mais c’est en Belgique que le programme de construction avançait de la façon la plus spectaculaire. C’est en Belgique aussi que les célébrations étaient les plus extraordinaires (voir avant-dernière illustration de cette chronique). Il y eut ainsi trois jours de fêtes ininterrompues pour l’inauguration du tronçon Malines-Gand. Je cite Henri Vincenot : « … comme le premier convoi avait été baptisé Bayard, du nom du cheval légendaire des quatre fils Aymon, on avait fait un de ces corsos carnavalesques dont les Belges ont le secret, avec un défilé conduit par un immense cheval Bayard monté par les frères Aymon, suivi d’un banquet, puis d’une kermesse avec bal, concert public, feu d’artifice, remise de décorations, puis un deuxième banquet le soir, suivi d’une folle nuit breughelienne dont les dessinateurs de l’époque […] nous ont conservé le souvenir… ». En Sicile on construisit l’une des premières voies à vocation essentiellement touristique, le chemin de fer régional de Naples. Le train permettait aux voyageurs d’arriver à Portici, au pied du Vésuve et connut un grand succès populaire lui aussi. En Russie, on cherchait des solutions pratiques aux immenses problèmes que soulevaient les distances à parcourir et les conditions climatiques extrêmes. On travaillait à la construction d’une voie reliant Saint-Petersbourg à Moscou et le Tsar était enthousiasmé par ce projet dont il avait parfaitement saisi l’intérêt (stratégique en particulier).

Le premier homme d’état français vraiment convaincu de l’importance du développement du chemin de fer, c’est Louis Napoléon Bonaparte. L’Empereur va donner le coup de pouce nécessaire pour que la France rattrape son retard en la matière et les résultats sont vraiment spectaculaires. La carte du réseau ferré français à la fin de son règne (désastreux par ailleurs) témoigne du progrès des réalisations. En 1852, après avoir effectué les travaux nécessaires pour joindre les différents tronçons existant déjà, la célèbre liaison Paris Lyon Marseille est enfin opérationnelle. Parallèlement à ces grands travaux a lieu un débat d’importance sur la propriété du réseau ferré. L’Etat doit-il conserver le monopole des investissements et de l’exploitation ou bien faut-il recourir à des sociétés à capitaux privés ? On choisit dans un premier temps une solution intermédiaire : le gouvernement confie à des sociétés privées la gestion au quotidien tout en conservant un contrôle assez strict de ce qui se passe. Selon la loi du 11 juin 1842, baptisée « charte des chemins de fer », L’État reste en effet propriétaire des terrains choisis pour les tracés des voies et il finance la construction des infrastructures (ouvrages d’art et bâtiments). Il en concède l’usage à des compagnies qui bâtissent les superstructures (voies ferrées, installations), investissent dans le matériel roulant et disposent d’un monopole d’exploitation sur leurs lignes. Il faudra attendre 1936 pour une étatisation complète des diverses compagnies ferroviaires. Dès 1859, six grandes sociétés se partagent l’exploitation du réseau. L’une des plus célèbres d’entre-elles est la PLM, Paris-Lyon-Méditerranée (et non Marseille pour le M), créée en 1857 par fusion de plusieurs sociétés plus petites. Cette compagnie occupe très vite une place toute particulière dans l’imaginaire des amoureux du train. Outre la ligne Paris-Marseille, d’autres lignes secondaires viennent compléter son réseau, notamment en direction des Alpes et des stations touristiques. La multitude d’affiches publicitaires crées par le PLM vont faire rêver, pendant de nombreuses décennies, les amateurs de destinations exotiques… Aller visiter San Salvadour, à côté de Hyères (illustration n°1 de la chronique), n’est-ce point là une idée pittoresque ? (*)

L’épopée du chemin de fer est lancée, et bien lancée, sur le vieux continent, mais partout dans le monde la fièvre ferroviaire gagne les investisseurs… Les projets les plus fous naissent dans le cerveau des ingénieurs. Des milliers d’êtres humains paieront de leur vie la réalisation de certaines de ces entreprises. L’invention du chemin de fer – et je rejoins à ce sujet le point de vue d’Henri Vincenot – est probablement l’une des plus importantes dans l’histoire de l’humanité, au même titre que celle de l’imprimerie par exemple. Le XIXème siècle est indubitablement celui du rail et de la vapeur. Dans un futur article, j’aborderai ce phénomène sous un autre angle : celui de la naissance de la corporation des cheminots, leurs conditions de travail, leurs organisations professionnelles et… bien entendu… les premiers mouvements sociaux, car, déjà au temps du PLM, les « gueux » n’hésitaient point « à prendre en otage les malheureux voyageurs » !

Notes – (*) Pour ceux qui (comme moi) ignoreraient en quoi consiste Sans Salvadour, je vous propose un petit lien de secours culturel.
Photos – images 1, 2, 4 et 5 prises au musée de Mulhouse – © La Feuille Charbinoise – image 3, imprimerie Pellerin Epinal – autres illustrations, recherche en cours.

4 Comments so far...

Pascaline Chion Says:

21 juin 2010 at 14:22.

Pendant que tu rédiges des chroniques, moi je lis des romans sur le même sujet.

Le livre, c’est “le chemin des larmes” de Christian Laborie, éditions de Borée : une chronique paysanne au milieu du dix-neuvième, au moment de l’installation de la ligne de chemin de fer La Grand-Combe Alès (qui s’écrivait “Alais” à l’époque).

Ouvrage très documenté, qui souligne a posteriori l’absurdité de l’abandon de ces lignes qui ont coûté si cher, y compris en souffrances et en vies humaines.

la Mère Castor Says:

21 juin 2010 at 21:36.

J’ai visité avec plaisir le musée de Mulhouse (avec une classe, on ne se refait pas) il y a quelques années, et j’avais remarqué la présence de cheminots amoureux des machines et grands connaisseurs, ce qui ajoute au charme de ce musée pas comme les autres.

JMD Says:

28 juin 2010 at 07:24.

Salut,
Et si tu rajoutes la carte du réseau ferré français en 1900, tu obtiens celle des cambriolages de cet honnête homme que fut Alexandre Jacob et ses Travailleurs de la Nuit.
Vachement bien aussi ton papier sur Eugène Bizeau.

Paul Says:

28 juin 2010 at 18:11.

Tout à fait, mon cher, tout à fait ! Il me semble que tu avais parlé de ça dans le Jacoblog, mais pas moyen de retrouver dans quelle chronique. Dommage, j’aurais bien donné le lien pour les curieux. En attendant, vous pouvez, chers lecteurs, faire le travail de recherche à ma place et plonger dans le « Jacoblog » à pieds joints.
Rappel du lien direct.

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