16 septembre 2010

Escale culturelle à Vienne

Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage .

Notre périple se poursuit d’une ville européenne à une autre. Après Fribourg et Munich, la famille Baluchon pose ses valises à Vienne. De Munich nous n’avons vu principalement que les parcs. A Vienne, notre objectif va changer un peu : nous allons trainer nos savates de touristes dans les musées, avec un arrêt imposé à la grande bibliothèque nationale autrichienne. En fait, les trois expositions auxquelles nous avons consacré l’essentiel de notre temps sont organisées par cette bibliothèque qui s’affiche parmi les plus grandes au monde. Dans un premier temps, j’ai surtout envie de visiter sa partie historique, la salle d’apparat baroque, appelée « Prunksaal ». Après avoir parcouru un certain nombre d’autres grandes bibliothèques historiques, et en avoir parlé dans ce blog, j’avais hâte de découvrir cette merveille d’art baroque et de la comparer avec St Gall, Gratz, Coimbra ou la « Long Room » de l’université de Dublin.

On accède à la Prunksaal en grimpant au premier étage d’un bâtiment plutôt massif situé sur la Josefplatz, en plein centre de Vienne, dans le quartier impérial. La salle d’apparat a été construite de 1723 à 1726 par l’architecte Fischer von Erlach. Son commanditaire était l’empereur Charles VI. Le bâtiment devait permettre d’héberger l’ensemble des ouvrages possédés par la bibliothèque de la cour impériale, dans de meilleures et surtout de plus prestigieuses conditions d’exposition. Lorsque l’on franchit le seuil de la salle on est tout de suite frappé par ses dimensions impressionnantes, évoquant celles de la « Long Room » irlandaise : près de 78 m de long, 14,2 m de large et presque 20 m de hauteur. Les boiseries sont beaucoup plus claires qu’à Dublin : les menuisiers n’ont pas employé le bois d’ébène mais essentiellement du chêne doré me semble-t-il. Comme il se doit pour un monument de l’art baroque, le plafond est entièrement orné de fresques peintes, y compris la coupole de 30 m de haut qui s’élève dans sa partie centrale. Je vous fais grâce des noms des différents artistes qui se sont escrimés à réaliser tous ces chefs d’œuvre. Pour ma part, je n’en apprécie aucunement le style, mais je suis fortement impressionné par la qualité de la prestation… L’ensemble possède un charme, certes désuet, mais indiscutable. Les amateurs d’art baroque doivent être en extase lorsqu’ils visitent. La plupart des visiteurs ayant le nez en l’air tout au long de leur parcours, il est heureux que l’architecte ait eu la bonne grâce de ne pas placer quelques marches d’escalier par ci par là !

En réalité, j’avoue que mes yeux ne se posent que de façon distraite sur ces fresques peintes. Ce qui me fascine, moi, amateur invétéré de vieux ouvrages, ce sont les centaines de mètres de rayonnages en bois et les dos en cuir ou en toile des dizaines de milliers de livres qui reposent tranquillement en ce lieu. Certains d’entre-eux sont exposés de façon permanente dans les vitrines qui s’alignent dans la travée centrale. Anecdote amusante, l’un de ces manuscrits va répondre au moins partiellement à l’une des questions que nous nous sommes posées en Suisse au cours de nos discussions avec nos hôtes de l’un des jours précédents : « à quand remonte l’usage du ‘quatre-vingts’ en France, à la place du ‘huitante’ de nos amis helvètes ? S’agit-il d’une évolution langagière récente ? » Eh bien non ! dans un manuscrit rédigé en vieux français et provenant du Duché de Bourgogne – document ayant pour objet le célébrissime Godefroy de Bouillon et datant du début du XVIème siècle – la dénomination ‘quatre-vingts’ est déjà employée… Dans une autre vitrine figure un autre manuscrit qui me laisse pantois : il s’agit d’une reproduction très ancienne de la carte du monde dessinée par Ptolémée… J’en fais une observation prolongée, avant de la comparer avec d’autres documents géographiques du même type, mais plus récents, figurant dans les cases voisines. Vers le milieu du XVIème siècle, la représentation des principaux continents était déjà d’un réalisme que je trouve impressionnant. De plus l’Australie avait la chance inespérée de vivre encore tranquille à l’écart des conquistadores européens…

Outre les ouvrages en exposition permanente, la Prunksaal offre à ses visiteurs de nombreuses expositions temporaires, histoire de faire partager aux profanes la richesse de son patrimoine (dormant pour une bonne part dans les salles climatisées de son sous-sol). Le thème de l’exposition en cours est passionnant puisqu’il s’agit de l’échange des connaissances qui se fait, à la fin du Moyen-Age et pendant la Renaissance, entre les trois grandes cultures religieuses qui se côtoient et se mélangent tout autour du bassin méditerranéen : Islam, Catholicisme et Judaïsme. Les vitrines sont classées par thèmes : médecine, botanique, astronomie, philosophie… De nombreux ouvrages sont exposés, montrant par exemple le rayonnement des découvertes médicales des médecins arabes du royaume d’Al-Andalus. Leurs théories sont reprises par leurs confrères catholiques de Rome ou de Montpellier (siège d’une université de médecine réputée à cette époque). Je ne rentrerai pas dans des détails compliqués, mais la juxtaposition des œuvres exposées montre fort bien la circulation importante d’idées qui existe à cette époque-là et l’enrichissement collectif que provoque cette interaction culturelle. Il y a là des leçons à méditer pour certains esprits intolérants…

En quittant la Prunksaal, nous nous rendons dans un musée entièrement consacré aux globes terrestres et célestes, depuis leurs représentations les plus anciennes. Le musée est très bien aménagé et possède une collection extraordinaire de par sa richesse et la qualité des pièces exposées. Dans les nombreuses vitrines, on peut admirer des objets datant du XVIème siècle, parfaitement restaurés et très instructifs quant à la vitesse à laquelle évolue la représentation de la géographie terrestre que l’on se fait à la Renaissance. Au fur et à mesure des explorations, les contours des masses continentales se précisent, les distances se représentent avec une plus grande précision. L’enchainement avec ce que j’ai vu dans les planisphères de la Prunksaal est prodigieusement intéressant. Certains de ces appareils possèdent des mécanismes complexes permettant de simuler le mouvement des planètes. Il y a même des globes s’ouvrant en deux parties dont l’extérieur représente océans et continents et l’intérieur la voute céleste. Suivant l’usage auquel ils sont destinés certains de ces instruments ont une apparence plutôt austère alors que d’autres sont de véritables œuvres d’art, surchargées de représentations symboliques, où monstres marins directement issus de cerveaux fertiles côtoient les signes zodiacaux en tout genre.

Avant de débuter notre journée de tourisme, nos hôtes nous avaient prévenus que Vienne recelait des trésors en matière de musées originaux. Nous n’avons pu qu’effleurer la question, laissant de côté un singulier musée de l’espéranto, par exemple, ainsi que plusieurs autres consacrés à des objets de la vie quotidienne. En tout cas, nous n’avons pas été déçus par notre programme et nous avons regagné nos pénates avec un bon nombre de kilomètres de marche dans les jambes !

3 Comments so far...

Cathy Says:

17 septembre 2010 at 12:12.

Fabuleuse bibliothèque ! Merci de nous la faire partager.
As-tu lu « La bibliothèque, la nuit » d’Alberto Manguel » ? (Actes Sud). C’est un livre qui devrait te plaire, ainsi qu’à tous les amoureux (et amoureuses 😉 des livres et des bibliothèques…

Paul Says:

17 septembre 2010 at 16:33.

@ Cathy – Non je n’ai pas lu l’ouvrage dont tu as donné le titre, mais ça m’intéresse et je le mettrai dans ma liste de commandes quand je quitterai la Roumanie pour rentrer « a casa mia » ! En tout cas, le nain hongrois a beau continuer à gesticuler, les Français ont toujours la côte en Roumanie et on profite pleinement de notre séjour.

Clopin Says:

17 septembre 2010 at 20:51.

Passionnant tout ça ! Vivement la suite !

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