20 octobre 2010

Les uns… Les autres

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique .

Trois infos relevées dans la presse ces derniers jours pour parler des UNS.
Premier titre : « Le luxe en pleine surchauffe » – « Les chiffres d’affaires du troisième trimestre sont étrennés par LVMH ce jeudi, avec une hausse de ses ventes de 23,6% au troisième trimestre, confirmant la croissance spectaculaire du début de l’année. » Pour les ignorants ou ceux qui fréquentent plus souvent les marchés aux fripes que les boutiques bon chic bon genre, le groupe LVMH ce sont les marques Vuitton, Hermès, Dior, Kenzo… J’en passe et pas des moindres.
Second titre, tout aussi édifiant : « Millionnaires : la France est au troisième rang mondial » – « Selon une étude Crédit Suisse 9% des 242 millions de millionnaires en dollars dénombrés dans le monde vivent dans l’Hexagone. La France devance largement ses voisins européens. » Concrètement, sur le terrain, cela donne 2,2 millions de millionnaires dans notre beau pays. Cela étant dit, on va pouvoir tranquillement causer troubles sociaux, revendications économiques et changements politiques à venir… En toute sérénité, mais avec un réalisme cruel aussi…
Troisième titre, pour faire bonne mesure : « A Paris, place aux nouveaux palaces » – « Les palaces ont la cote à Paris: fort d’un regain d’intérêt massif pour ce type d’établissements, pas moins de quatre nouveaux hôtels de pur luxe sont annoncés dans la première ville touristique du monde. » Quand on pense à tout ce qu’il va falloir réquisitionner pour les sans abris, ça laisse rêveur !

Les AUTRES, la presse est obligée d’en parler aussi ces temps-ci, car ils sont dans la rue pour dénoncer le fait qu’ils ne veulent pas bosser jusqu’à plus soif pendant que certains se rincent les dents au Champagne, ou bien qu’ils en ont marre de vivre des fins de mois qui commencent à être difficiles 30 jours avant l’échéance. Ils sont dans la rue, et ils semblent qu’ils aient bien l’intention d’y rester jusqu’à ce que la bande de marionnettes cyniques qu’ils ont en face d’eux entende leurs cris de colère, perde un peu de sa morgue et de sa suffisance ou mieux encore, aille se faire pendre ailleurs. J’aurais pu reprendre, comme titre pour ce billet, ce beau slogan affiché dans les manifestations : « pour les riches des couilles en or ; pour les pauvres des nouilles encore ! » Je pense aussi qu’il aurait fallu que j’invente un signe de ponctuation plus fort que les points de suspension pour séparer « Les uns » et « Les autres », tant il me semble que deux mondes se côtoient mais s’ignorent de plus en plus. Les pauvres ne réalisent plus à quel point les riches se moquent de leurs problèmes ; les riches, eux n’ont pas l’ombre d’une idée quant aux difficultés que peuvent avoir à résoudre ceux qui n’ont pas le même nombre de zéros sur leurs chèques en fin de mois. Ainsi que je l’écrivais dans une chronique historique à propos des révoltes populaires qui ont précédé la Révolution Française, ce problème n’est pas nouveau… « Ils n’ont plus de pain, ils n’ont qu’à manger de la brioche » n’est pas une provocation récente. Ce qui est nouveau c’est qu’en deux siècles et demi, la société prétend avoir évolué, s’être civilisée, avoir accompli un certain nombre de progrès, notamment dans le domaine de la communication, et que l’on en soit encore là. La plaie pour les citoyens de ce pays au XVIIIème siècle, c’étaient la noblesse et ses larbins ; la plaie pour les citoyens de ce pays au XXIème siècle, ce sont tous ces énarques et autres produits divers de grandes écoles, qui ne sont pas capables de voir plus loin que le bout étroit de leurs privilèges de laquais. Les maîtres ont changé de costume mais nous ne nous en sommes aucunement débarrassés.

La question du grand ménage se repose donc, avec d’autant plus d’acuité, que la folle course aux profits dans laquelle nous sommes lancés nous mène droit au mur. Lucidité d’un Victor Serge, quand il écrivait, juste avant le deuxième conflit mondial : « Une civilisation s’en va, sans invasions de barbares, parce qu’elle a ses propres barbares, d’autant plus inconscients et cruels qu’ils sont ses maîtres » Lui au moins avait compris semble-t-il, que l’on ne sauverait pas la planète en suppliant nos gouvernants de bien vouloir protéger quelques hectares de forêts ou en achetant des coccinelles aux multinationales qui fabriquent les pesticides. Le problème c’est que, depuis des décennies, pour ne pas dire un siècle ou plus, le peuple, dans la rue, se cherche mais ne se trouve pas. Les exploités cherchent de nouveaux maîtres, inconscients de leurs propres forces, et désespérés par la similitude de comportement entre ceux qui les gouvernent et ceux qui se proposent de les gouverner. Tant que la question de la nocivité d’un pouvoir central élu sans programme, sans mandat et sans contrôle ne sera pas posée, il y a des chances que l’errance continue longtemps. De nouveaux maîtres remplaceront les anciens sur la base de promesses qu’il ne tiendront pas, à grand renfort de mensonges et de répression, jusqu’à ce que d’autres, un peu plus démagogues ou simplement plus photogéniques ne se substituent à eux. On appelle ça « l’alternance » droite/gauche, ou, selon les contrées, Républicains/Démocrates.  Certes, le bouleversement complet des règles du jeu que nous espérons en fait n’est pas facile à réaliser : à force de courbettes l’on peine parfois à se redresser… Mais les signes d’espoir, depuis le début des luttes ouvrières, ne manquent pas. Seule, la propagande par le fait, c’est à dire montrer, par l’exemple, qu’un privilège peut être aboli ou qu’un système peut fonctionner, en réseau, à l’horizontale, sans avoir besoin forcément d’un gourou au milieu, seule cette démonstration-là pourra redonner confiance aux gens et les rendre méfiants à l’égard de toute soumission.

Un véritable élan populaire pour le changement suppose que l’on sache ce que l’on va construire derrière, et que ce nouvel édifice présente un attrait quelconque. Expliquez aux cheminots en grève reconductible, ou aux ouvriers qui bloquent les raffineries, que s’ils mènent le mouvement jusqu’à la victoire, il y a des chances que cela permette d’amener le père Strauss Kahn au pouvoir en 2012. Vous croyez que l’enthousiasme des masses va perdurer ? Si je choisis cet exemple c’est parce que le patron du FMI est très en vogue en ce moment dans les journaux qui amusent la galerie avec leurs pronostics au rabais pour les futures consultations populaires. Franchement… lâcher Fillon pour Rocard, Alliot Marie pour Aubry, ça vous soulève un vent d’espoir ? De quoi gonfler les voiles et prendre le large à la prochaine manif ? Heureusement que l’on espère autre chose, un chambardement à la fois violent et pas trop méchant, un autre futur en quelque sorte, comme les camarades espagnols en 1936. Mais que de pouvoirs à abattre, de caquets à rabattre, et de questions à débattre avant cela ! Chimères que tout cela vous diront les camarades « responsables » du lourd appareil des barons du PS. Ce que tous ces politicards ignorent, car eux aussi font partie de cette élite que je dénonçais un peu avant, c’est ce que veulent réellement les porteurs de pancartes, de drapeaux et de mégaphones. Jusqu’à preuve du contraire je ne pense pas que la tronche de Hollande ou de Royal les fasse particulièrement bander. Il y a des leçons de l’histoire qu’ils n’ont pas su tirer, ne serait-ce que pour inventer de nouveaux chemins plutôt que de défiler toujours dans le même sens.

Je reviens à la Révolution espagnole de 1936, car j’adore rabâcher : ce qui a entrainé les foules derrière un drapeau noir et rouge, c’est que le changement social on allait s’en occuper tout de suite. On allait collectiviser les terres (sans obliger ceux qui refusaient tout processus collectif d’y participer), autogérer les entreprises, et veiller immédiatement à ce qu’il y ait la même quantité de pain pour tous. Dans la foulée, on défendait la République et l’on essayait de repousser l’ennemi commun. Tout à fait le contraire de ce que proposaient les « raisonnables de l’époque » qui rêvaient de conscription, de mobilisation populaire pour défendre la République et se débarrasser des fascistes…. Après, une fois la bataille gagnée, on s’occuperait du problème social. APRES, le peuple espagnol était suffisamment lucide pour savoir que trop souvent cela avait été synonyme de « jamais ». Certes, les Républicains ont perdu… mais rappelez vous que cette armée de gueux, mal équipée (les pays voisins ont fait tout ce qu’il fallait pour cela), souvent minée par les divisions intérieures, a résisté trois ans face aux nationalistes surarmés et bénéficiant du soutien clair et indiscutable des deux dictatures fascistes alors en place… Utopique le combat pour la Révolution ? Il est sans doute probable que privée de cet enthousiasme populaire, la contre-insurrection n’aurait pas tenu bien longtemps.

Je ne sais pas ce qui nous attend dans les semaines à venir, et je vous avoue que, très sincèrement, mon espoir de voir les choses évoluer favorablement (du moins à mon idée) est bien mince. Mais toutes les occasions sont bonnes à prendre et chaque fois que l’on donne un coup de pioche, le désherbage des pommes de terre progresse. Les luttes collectives sont d’intenses moments d’espoir, d’échange et de construction, et il ne faut pas gâcher des instants pareils. Si de tels événements pouvaient au moins naître quelques outils de contre information efficaces, cela serait toujours ça de gagné, car notre problème principal, à l’heure actuelle, c’est le fait que les médias, totalement sous le contrôle du pouvoir (par un biais ou par un autre), nous saturent de mensonges jusqu’à plus soif. Un jeune qui ne veut pas se faire canarder comme un lapin par des robocops suréquipés devient un casseur dans la bouche d’un reporter. Les pourcentages de grévistes sont dictés directement par l’Elysée et la retraitée du troisième (qui n’a pas de voiture) se plaint du manque d’essence… Peut-être faut-il, pour gagner, se donner des objectifs raisonnables à court terme, mais ne pas oublier, entre deux manifs, que ce que nous voulons  c’est pas seulement la charité, c’est le droit de vivre, d’espérer un futur meilleur pour tous et pour la planète, le désir d’enlever le cadenas qu’ils ont posé sur nos rêves les plus fous.

Trois articles relevés ces derniers jours sur Internet pour parler des AUTRES et garder espoir :
Premier titre : « Choisis ton camp, camarade » – « Humm, que j’aime le claquement des banderoles dans le petit matin frais ! » Bien sûr c’est Agnès Maillard sur le Monolecte. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer un autre petit morceau choisi de son billet : « Toi aussi, tu les vois, camarade, en train de dépecer notre tissu social comme une meute de charognards excités par l’odeur lourde et collante de la misère et du malheur des exploités. Tu as encore tant de choses à perdre, camarade, que tu refuses encore de descendre dans la rue. Tu as tant de choses à perdre, et eux ne voient là qu’autant de choses à te reprendre. Et ils le feront. Petit à petit. Morceau par morceau. Jusqu’à ce qu’il ne te reste rien de ce que tu t’échines à construire depuis tant d’années. Ce n’est pas qu’une question de retraite, camarade. Et tu le sais bien. C’est une vision du monde, un choix de société. Ce sont les forces de l’argent qui ont décidé qu’elles en avaient marre de concéder des miettes aux pauvres pour avoir la paix. Ce sont nos exploiteurs qui ont décidé que nous étions des gêneurs, des surnuméraires, des empêcheurs de jouir de tout comme des porcs. Alors, ils reprennent tout : le droit de se reposer après une vie de labeur, le droit de ne pas vieillir dans la misère, le droit d’être soigné, le droit d’être instruit, le droit d’être convenablement nourris, le droit d’être correctement logé, le droit à une vie décente… »

Second titre : « En passant devant la réalité, je lui ai donné un grand coup d’épaule » – « Nous ne nous rasons pas devant des miroirs dorés à l’or fin en rêvant d’être les maîtres du monde, mais nous arrivons quand même à réaliser qu’une vie professionnelle riche en formations pointues et régulières n’existe que dans les images de la racaille publicitaire. Notre rêve récurent est simple et quotidien. Échapper au management de la terreur au boulot, à la télé, dans nos vies envasées. Nous avons compris désormais, malgré notre nette infériorité naturelle, que le travail consiste et consistera à faire une activité au maximum de nos capacités pour un salaire voué au minimum, en sachant que nous serons déstabilisés, menacés, humiliés et pour finir jetés dehors. Huit heures par jour rayées de la carte de la Vie, ça fait pas mal, jour après jour… »

Troisième titre : « Générations sacrifiées » Un autre chroniqueur que j’apprécie beaucoup : Patrick Mignard, une analyse lucide et percutante. « Affirmant cette absurdité absolue « qu’il faut travailler plus longtemps puisque l’on vit plus longtemps », le pouvoir déclare sans rire que sa réforme est faite dans l’intérêt des jeunes générations…, prenant ainsi lycéens et étudiants pour de parfaits imbéciles. La manipulation gouvernementale n’a pas fait long feu. Expression d’un gouvernement discrédité et largement corrompu (des exemples ?) elle a vite cédé la place à la menace de recours à la violence. Livrés aux brutes policières sous la direction d’un Ministre de l’Intérieur condamné pour racisme (on ne prête qu’aux riches), estropiés et blessés commencent à se compter parmi celles et ceux « pour le bien de qui, la réforme des retraites est faite » (sic). Que fait la BAC (Brigade Anti Criminalité) dans des cortèges de jeunes ? Que font les « cowboys au flash-ball » dans des manifestations lycéennes et étudiantes ? »

NDLR : les photos sélectionnées pour illustrer cet article proviennent, pour la plupart, du site « Jura Libertaire« .

9 Comments so far...

Zoë Says:

20 octobre 2010 at 13:55.

Oui, ça s’est fait en douceur et en profondeur et actuellement c’est le coup de maillet pour enfoncer le clou. Les riches ont repris leur droit à l’arrogance et au mépris (où est-elle la toute petite période bénie où ils rasaient les murs et portaient des jeans troués pour passer incognito). Sauf qu’ils n’ont pas compris qu’en éradiquant le base ils seront peut-être les derniers à se casser la g. mais de plus haut. Parce qu’une économie capitaliste qui lamine sa classe moyenne est condamnée à la banqueroute. Non seulement ils sont avides, cupides mais au final ils sont très cons.

Lavande Says:

20 octobre 2010 at 15:55.

Une chose qui devrait vous plaire particulièrement (ainsi qu’à vos lecteurs enseignants) c’est l’utilisation par la classe politique du mot « pédagogie ». Quand les gens refusent de se laisser berner, ce n’est pas parce qu’une réforme est mauvaise, c’est parce qu’on n’a pas fait assez de « pédagogie ». C’est à dire que pour « eux », la pédagogie c’est du bourrage de mou!

Lavande Says:

20 octobre 2010 at 17:11.

Tiens j’utilise sans vergogne mes « réseaux » pour faire de la pub à des très bons copains qui ont ouvert un superbe gîte en Ardèche: jugez par vous-même

http://www.leblanzon.com

On vous le conseille … si vous n’êtes pas trop dans la catégorie « les autres »…

Pourquoi Pas ? Says:

21 octobre 2010 at 06:32.

«
M. Bush a indiqué au cours d’une conférence dans une université du Texas où il réside, que peu après avoir quitté Washington, il a dû gérer une situation que l’étiquette lui épargnait auparavant: ramasser une crotte de son chien Barney sur la pelouse de son voisin.

«Dix jours après la fin de ma présidence, je me suis retrouvé là avec un sac en plastique à ramasser ça, ce que j’avais pu éviter pendant huit ans», a dit l’ex-président cité dans un article du Tyler Morning Telegraph, dans un discours dont les termes ont été confirmés par son bureau.

L’ancien président s’est confié sur sa nostalgie de la vie à la Maison-Blanche: «être bichonné me manque, Air Force One (l’avion présidentiel) me manque, être le commandant en chef d’une armée formidable me manque».
»

Extrait d’un article qui parle de l’Autre, qui est quand même un peu aussi un « les uns » mais très clairement pas un « les autres ».

Paul Says:

22 octobre 2010 at 12:39.

Je relaie ce texte du site « Retraites Enjeux Débats » que je trouve d’une importance extrême. Il s’agit d’une adresse aux syndicats pour que soit organisée une collecte de fonds efficace pour soutenir les grévistes.
« Adresse du 20 octobre à Bernard Thibault, François Chérèque et Jean-Claude Mailly »

Paul Says:

22 octobre 2010 at 12:42.

A compléter par cette adresse-là où sont jetées les bases d’une collecte sérieuse et efficace :
http://www.bizimugi.eu/grevesolidaire/

François Says:

25 octobre 2010 at 20:29.

Oui, l’arrogance actuelles des élites est sidérante. Hélas, ces élites sont largement épaulées par une grosse couche de la population vaguement désignée sous le terme de « classe moyenne », qui sait qu’elle n’est qu’à un cheveu de retomber en-dessous de la moyenne et qui est prête à cracher sur n’importe qui (étrangers, handicapés, etc.) pour conserver sa très modeste aisance.

Paul Says:

25 octobre 2010 at 20:45.

@ François – Je te lis, là, à l’instant, après avoir rédigé une première ébauche de ma prochaine chronique. Je crois que tu donnes le petit coup de pouce qui manquait à ma mauvaise humeur. J’hésitais à la publier telle quelle… je crois que je ne vais guère la retoucher. Je verrai… la nuit porte conseil ! Merci en tout cas pour ton attention !

Floréal Says:

31 octobre 2010 at 20:04.

Quand je lis le post d’un « François », ça me rend immédiatement agressive. Merdalors, ces cons de la miteuse classe moyenne reçoivent mal la « pédagogie » d’un tas de sociologues. Au fait, ça gagne combien un sociologue de l’EHESS ou du CNRS?

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