14 avril 2008

Les tribulations d’un Templier suédois en Palestine

Posté par Paul dans la catégorie : mes lectures .

« La trilogie d’Arn le Templier » de Jan Guillou aux éditions Agone.

arn-tome-1.jpg Ça fait un certain temps que je ne vous avais pas parlé de livres dans « l’alambic » de ce blog. Deux raisons à cela : la première, c’est que j’ai été déçu par plusieurs titres de séries policières que j’appréciais dans l’ensemble et je ne vous en parlerai donc pas ; la seconde, c’est que la lecture de la saga historique de Jan Guillou, m’a non seulement passionné, mais également pris pas mal de temps (plus de 1300 pages quand même !). Jan Guillou est un auteur suédois, relativement peu connu chez nous, mais dont les livres se vendent « comme des petits pains » dans son pays natal. Il y a eu autour de la saga de Arn le Templier en Suède, un peu le même phénomène qu’autour du « Seigneur des anneaux » de Tolkien dans les pays anglo-saxons, même si les deux ouvrages n’ont aucun rapport. La trilogie de Jan Guillou est en effet un roman historique, basé sur des faits réels ; seuls son héros et quelques-uns des personnages qui l’entourent sont imaginaires et les écarts par rapport à l’histoire officielle sont plus dûs à l’interprétation que l’auteur fait des événements qu’à une quelconque invention. Grâce à ce roman bien documenté, on peut découvrir la société suédoise au Moyen-Âge et son extraordinaire dynamisme, se faire une idée bien précise de la vie dans les couvents à la même époque, appréhender les croisades en « terre sainte » d’une façon un peu moins conventionnelle que dans les récits historiques habituels, tout en assistant à la formation de l’actuelle « Sverige » (royaume de Suède)… Tout un programme… très prenant parce que très bien écrit et très bien traduit !

carte-vastra-gotaland.jpg Arn naît en 1150 à Varnhem dans le royaume de Vasträ Gotäland. Son père Magnus est le Seigneur du domaine d’Arnas. Il appartient à la famille norvégienne des Folkungär. Contrairement aux seigneurs des domaines voisins, Magnus est plus un bourgeois, passionné par le commerce, qu’un guerrier fasciné par les exploits chevaleresques. Sa mère, Sigrid, d’origine norvégienne également, est ce que l’on appelle « une femme de tête », intelligente et douée d’un sens pratique exceptionnel, ainsi que d’une foi catholique inébranlable. Nous sommes à la fin de la brillante période viking dans les pays nordiques. La région dans laquelle se situe l’actuelle Suède est partagée en différentes provinces, soumises aux influences opposées des royaumes voisins de Norvège et de Suède. Les querelles de trône sont nombreuses et les rivalités familiales pour le pouvoir entraînent de nombreux conflits avec leur lot de barbarie et de représailles. La religion catholique est bien implantée, surtout dans les familles nobles et dans les bourgs, mais les représentations « païennes » sont encore nombreuses et, dans les villages, on n’hésite pas à vénérer encore les Dieux du panthéon traditionnel nordique.

Un accident stupide va changer le cours de la vie du jeune Arn Magnusson. Âgé d’une dizaine d’années, il fait une chute du haut d’une tour du manoir d’Arnäs en voulant rattraper une corneille apprivoisée. Il tombe dans le coma et sa mère, Sigrid, fait vœu d’offrir son enfant à Dieu, si celui-ci lui laisse la vie sauve. Le miracle espéré se produit : Arn se réveille au bout de quelques jours, sans conséquences autres qu’une légère amnésie et quelques fractures. Sigrid oublie quelque peu ses promesses mais elle tombe gravement malade et interprète cela comme un avertissement divin. Une fois remis de ses blessures, le jeune garçon se retrouve donc confié aux bons soins de Frère Guilbert et du Père Henri, au couvent de Varnhem. Sa situation est un peu particulière car, depuis quelques années, les couvents cisterciens n’accueillent plus d’oblats, estimant que le choix d’une vie consacrée à Dieu est une décision suffisamment grave pour être prise à l’âge adulte et non après un « formatage » entrepris dans la plus tendre enfance. Arn va accompagner les religieux qui partent vers le Sud, et s’arrêteront à Roskilde, au Danemark pour participer à la création d’un nouveau couvent.

Son statut un peu spécial va permettre au jeune moine de recevoir une éducation variée et de posséder une culture, certes essentiellement religieuse, mais élargie à d’autres domaines d’habitude réservés aux « laïcs ». Le frère Guilbert, maître forgeron, mais aussi ancien chevalier Templier, lui apprend le maniement de l’épée ainsi que le tir à l’arc. Arn devient peu à peu un combattant redoutable… Estimant que la volonté de Dieu n’est pas claire en ce qui concerne le jeune garçon, Frère Henri se décide à le renvoyer à la vie civile dès qu’il atteint l’âge adulte. Ayant vécu la moitié de sa vie entre les murs protégés d’un couvent, Arn n’est guère préparé à ce qui l’attend hors de son refuge. Il a d’abord bien du mal à se refaire une place au sein de sa famille, car son père a tendance à le rejeter, puis il se heurte très vite à un autre écueil redoutable ! Certes, son éducation est complète, mais on ne peut guère compter sur les moines en ce qui concerne sa vie sexuelle par exemple, et notre futur chevalier va se faire piéger par ses « instincts » ! Lors d’une fête bien arrosée il se fait d’abord séduire par la fille aînée d’une famille voisine d’Arnäs, Katarina… Quelques temps plus tard, c’est de Cecilia, la sœur de Katarina, dont il tombe éperdument amoureux. Le mariage est prévu, annoncé…. mais les deux jeunes gens « fautent » avant la date fatidique, et leur incartade est dénoncée par la sœur aînée, quelque peu jalouse. Le fait paraît anodin, mais il ne l’est pas pour l’église. Coucher avec deux sœurs d’une même famille est une faute aussi grave, dans les lois religieuses en vigueur, que commettre le pêché d’inceste. La sanction va tomber lourdement : le mariage est annulé, les deux tourtereaux sont condamnés à vingt années de séparation. La belle Cecilia est enfermée dans un couvent dont la supérieure appartient à une famille rivale des Folkungär (qui entend bien régler ses comptes tranquillement), quant à Arn, à titre de réparation, son supérieur et conseiller, le Père Henri, l’incite à partir d’abord pour Rome, pour rejoindre l’ordre des Templiers, puis pour la Terre Sainte, afin d’aider les Croyants à chasser les Sarrasins de la Palestine. Toutes ces péripéties sont racontées, avec beaucoup d’humanité, dans le premier tome « Le chemin de Jérusalem ».

arn-tome-3.jpg « Le chevalier du Temple », le tome 2, se déroule alternativement en Palestine, où nous suivons pas à pas la vie d’Arn, devenu commandeur de la forteresse de Gaza, et au couvent de Gudhem, où nous allons découvrir quelle vie peut faire mener une supérieure sadique à sa jeune pensionnaire qui doit expier un double pêché capital : avoir cédé à ses pulsions primaires et surtout appartenir à une famille rivale à celle qui détient le pouvoir. « Cecilia était telle une chenille lâchée dans un nid de guêpes ». Certes le rôle central de l’histoire est joué par le super héros chevalier, mais Jan Guillou s’attache à donner aux personnages féminins une place importante dans son livre, ce qui est plutôt inhabituel dans bon nombre de récits historiques contant des épisodes à dominante guerrière. En Terre Sainte, Arn le Templier qui a pris le nom de Arn de Gothia, est devenu un grand stratège admiré même par ses adversaires qui le surnomment « Al Ghouti », et il mène une croisade bien singulière. Il devient rapidement l’ami de Salah Al-Din (Saladin, le prince qui va reconquérir Jérusalem en profitant des rivalités entre les chefs de guerre chrétiens) auquel il sauve, par hasard, la vie, dans une embuscade. Le récit de Jan Guillou sur la vie en Palestine est passionnant. Son héros a une vision très singulière de la civilisation arabe pour laquelle il a énormément de respect et d’admiration. Son jugement est sévère à l’égard de certains « croyants » qu’il va côtoyer lors des vingt années qu’il passe en Terre Sainte, et le portrait de certains chefs croisés n’est pas flatteur. Richard Cœur de Lion, Amaury de Lusignan et d’autres personnalités politiques et religieuses sont dépeintes sans complaisance : beaucoup de Croisés, qualifiés de voleurs, menteurs ou paillards, sont présentés comme plus portés sur la débauche et la trahison que sur la défense des intérêts de l’Eglise. Les manœuvres sont nombreuses autour du pouvoir, à Jérusalem comme au Vatican.

arn-tome-2.jpg Une fois son contrat rempli, Arn, passablement dégoûté par ce qu’il a pu voir du comportement quotidien des croisés, quitte la Palestine et rentre au Vasträ Gotäland, avec un important « trésor de guerre », offert par son ami Saladin, et un contingent respectable de « prisonniers » sarrasins, arméniens et autres, qui se sont engagés à le servir pendant cinq années pour acheter leur libération. Dans le tome 3, « Le royaume au bout du chemin », Arn va retrouver peu à peu une place essentielle dans sa famille et dans la société nordique. Son expérience humaine, politique, mais aussi économique, va lui permettre de jouer un rôle prépondérant dans la formation du Royaume de Suède. Avec l’aide des « infidèles » qui l’accompagnent, il va transformer en forteresses les propriétés familiales, et, en intégrant aux pratiques traditionnelles les savoir-faire de ses nouveaux compagnons, il va développer l’activité artisanale et mettre en place des réseaux d’échanges économiques florissants. Il sera largement aidé, dans tous ces travaux, par sa bien aimée Cecilia, qu’il retrouve après vingt années de séparation. La « reconstruction de l’amour » entre ces deux amants cruellement séparés par le destin, est racontée avec beaucoup de sensibilité et de finesse. Le roman de Jan Guillou n’est pas un conte à l’eau de rose et les portraits de ses personnages sont profondément empreints d’humanité. Tout autour du couple épanoui, les relations humaines évoluent aussi dans le bon sens (l’esclavage est aboli). Le rôle de son épouse est considérable tant en ce qui concerne la gestion du domaine que les choix économiques qui sont effectués. Une bien belle histoire…

jan_guillou.jpg Jan Guillou est lui-même un personnage singulier. Sa carrière littéraire a été marquée par un emprisonnement de dix mois pour avoir dénoncé un scandale lié au fonctionnement des services secrets suédois en 1973. Outre ses activités de romancier, il est aussi journaliste, et ses prises de position très critiques à l’égard de la politique US au Moyen Orient ou du comportement de l’Etat d’Israël vis à vis des Palestiniens, lui valent une inimitié très forte dans certains milieux ! Il a publié un autre roman célèbre également « La fabrique de violence », qui est une autobiographie de son expérience en matière d’éducation. Ce livre a été adapté au cinéma et au théâtre. Dernière chose, Jan Guillou, figurant sur la liste des terroristes établie par les services américains, sans doute à cause de ses sympathies pour le FDLP dans les années 60, est toujours « interdit d’entrée » aux USA, quarante années plus tard… Il faut dire aussi que lors d’un débat télévisé organisé à la suite des attentats du 11 septembre, il avait refusé d’observer les trois minutes de silence demandées par l’animateur, en mémoire des victimes, et précisé qu’à ses yeux « les Etats-Unis étaient les plus grands bouchers de notre temps » et que les attentats ne visaient pas le peuple américain mais les symboles de l’impérialisme… (source « Wikipedia »)

NDLR : La trilogie n’existe pas en version « poche » pour l’instant, et l’investissement pour l’achat des trois tomes est malheureusement important, autant vous prévenir ! Peut-être pouvez-vous en « suggérer » l’achat dans une bibliothèque que vous avez l’habitude de fréquenter si elle ne l’a pas déjà fait…

One Comment so far...

Paul Says:

5 juillet 2008 at 07:25.

Le film sort en Janvier 2009 en Suède. Bande annonce et images de tournage visibles à cette adresse : http://www.arnthemovie.com/
Espérons que ce ne sera pas un peplum hollywoodien ; la trilogie mérite mieux que ça !
site officiel consacré à Arn le templier à cette adresse : http://www.arnmagnusson.se/page/id___514.php
version anglaise (heureusement !)

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