25 avril 2008

A bas les chefs…

Posté par Paul dans la catégorie : Le clairon de l'utopie .

Les rapports hiérarchiques pourrissent les relations humaines. Ce n’est pas nouveau : c’est comme ça depuis la nuit des temps et on n’est pas au bout du tunnel. La révolution de 1789 s’est arrêtée en cours de chemin, puisqu’elle s’est contentée de changer l’ordre des strates dans la pyramide sociale et celle de 1917 en Russie n’a pas fait mieux. Il semble que ces deux mouvements aient quand même eu leur importance, puisque avant de pouvoir raser la pyramide, il faut bien s’apercevoir qu’elle est constituée de différentes couches. Il faut surtout prendre conscience du fait qu’elles sont mobiles les unes par rapport aux autres et que certaines secousses sismiques peuvent provoquer des changements, parfois salutaires. En tout cas, il va bien nous falloir un jour nous décider à reprendre le chemin des transformations sociales interrompues, avant que certains charlatans ne réussissent à nouveau à nous convaincre que l’état actuel des choses est d’ordre divin et éternel.

La découverte du caractère pervers de la relation d’autorité n’est pas immédiate pour tout le monde, loin de là. Celui qui commande, d’abord, ne trouve rien de pervers à sa situation : il a des dons, des compétences, un dynamisme, qui lui permettent de réagir rapidement à une situation donnée, et sait profiter de l’indécision de ceux qui l’entourent pour indiquer, tel le berger à son troupeau, le bon chemin à suivre. Celui qui est commandé ne voit pas forcément non plus un problème dans son état. Etre guidé, dirigé, réprimé, c’est parfois vécu comme un confort de vie : pas d’autre initiative à prendre autre que celle de chercher à biaiser par rapport aux ordres donnés, pour laisser un peu plus libre cours à sa paresse… C’est aussi la facilité de pouvoir critiquer, intérieurement ou à haute voix (selon le caractère plus ou moins coercitif du rapport hiérarchique), l’orientation des décisions prises par « le chef », sans avoir rien d’autre à faire, en cas de naufrage de l’embarcation que d’enfiler son propre gilet de sauvetage, sans se soucier de l’état du navire… Avoir à décider quelque chose, même en ce qui concerne sa propre vie, n’est pas toujours une situation confortable, et certains aiment se laisser porter par le flots des événements plutôt que de prendre des initiatives. Il y a aussi ceux, nombreux, qui considèrent l’obéissance comme un « mal nécessaire » et qui se consolent comme ils peuvent, en mijotant leur vengeance au coin du feu ou en attendant leur réincarnation dans un monde meilleur.

Tous ces comportements relèvent-ils de données inscrites dans les gênes de l’individu ? S’agit-il en réalité d’une modélisation de la personnalité liée à l’éducation reçue ? Je pencherai, personnellement, pour le second facteur, ayant trempé suffisamment longtemps dans le milieu scolaire pour pouvoir me rendre compte du formatage impitoyable qui s’y déroule… Mais, en réalité, le débat n’a strictement aucune importance. Il y a à cela plusieurs raisons que je vais essayer de débroussailler un peu. Beaucoup d’encre a déjà coulé sur ce thème de l’autorité, des pages ont été noircies et des forêts entières abattues pour essayer d’y voir un peu plus clair dans cette problématique. Partant du principe qu’il n’y a pas de raison que les petits Mickeys ne se confrontent pas aux « grands philosophes », je vais vous livrer quelques éléments de ma réflexion à ce sujet. Depuis que je vois la place que réservent les médias à des médiocrités genre BHL, Minc, Finkielkraut ou Glucksmann, je me libère peu à peu de mes complexes. Heureusement qu’il y a encore de vrais « maîtres à penser » pour m’en laisser un peu !

D’abord, le comportement des personnes n’est certainement pas immuable et change en fonction du contexte social. Chacun d’entre nous possède un mécanisme d’auto défense contre les agressions extérieures, et lorsque le milieu met en cause notre propre sécurité, ou lorsque nous le percevons comme agressif, notre attitude change du tout au tout. Dans la vie de tous les jours, par exemple, les gens sont globalement insensibles aux problèmes « des autres », sauf réaction émotionnelle ou purement intellectuelle. Un ouvrier métallurgiste sortant de son usine ne prêtera qu’une attention distraite au tract distribué par le cheminot en grève, quelle que soit la gravité des problèmes que celui-ci rencontre… S’il est un intoxiqué de la messe de 20 h sur l’étrange lucarne, son indifférence peut même aller jusqu’à l’agressivité. Le jour où sa propre sécurité est mise en cause (fermeture d’usine pour délocalisation par exemple), on le retrouvera côte à côte avec le cheminot devant la préfecture. La remise en cause de son processus de vie semble agir comme un stimuli sur un certain nombre de fonctions cérébrales « endormies » jusqu’alors. Le rapport avec une remise en cause de la hiérarchie ne parait pas évident, certes, mais cette situation que j’ai rencontrée à de nombreuses reprises lors de conflits (sociaux ou autres) dans lesquels j’ai été impliqué, démontre bien que le la relation d’une personne avec son entourage peut évoluer. Quand un premier verrou saute et que l’on commence à sortir d’un individualisme quasi paranoïaque pour comprendre l’intérêt de la solidarité, une grande porte est ouverte.

Deuxième remarque importante, l’abolition d’un rapport hiérarchique ne suppose pas l’obligation pour la personne qui ne décidait rien dans son état antérieur, de devenir du jour au lendemain un initiateur de projets. Il faut respecter le confort d’autrui ! Ce qu’il faut donc, pour que s’établisse de façon harmonieuse un rapport non hiérarchisé, c’est que soient mis en place un certain nombre de garde fous :
• tout d’abord un dispositif garantissant un fonctionnement tel que la personne, passive à l’instant A, puisse prendre place entière dans le processus de décision, à l’instant B.
• ensuite un ensemble de règles limitant le champ d’action de la personne qui dirige temporairement, c’est à dire qu’elle ne puisse s’écarter de ce qu’elle s’est engagée à faire, ni s’appuyer sur une compétence réelle ou estimée pour élargir ses pouvoirs.
En termes politiques, on parlera de délégué ayant un mandat limité, responsable de son exécution devant l’assemblée et révocable à tout moment par la même assemblée. Pas grand chose à voir avec les pratiques « démocratiques » actuelles.

Oui mais… et s’il existait des chefs vraiment compétents, un gouvernement de savants par exemple ? Le mythe « scientiste » ayant quelque peu du plomb dans l’aile, on entend ce genre de suggestion de moins en moins fréquemment… Heureusement ! Pour reprendre une métaphore classique, je suis prêt à faire confiance à mon cordonnier pour réparer mes chaussures mais pas forcément pour gouverner ma cité. Je fais relativement confiance à mon médecin, mais le jour où celui-ci décidera de m’enlever un hémisphère cérébral, je pense que je consulterai plusieurs spécialistes avant de prendre une décision !
Un monde dirigé par des « experts » dans différents domaines serait probablement pire que le monde actuel. D’autant que ceux-ci ont des champs de connaissances de plus en plus approfondis mais de plus en plus étroits aussi, et qu’il leur manque quelques centaines d’heures d’initiation à la philosophie des sciences, dans leur formation, pour acquérir cette ouverture d’esprit, et cette humilité qui leur font souvent cruellement défaut. Le « chercheur » actuel n’a plus qu’un lointain rapport avec le savant du siècle des lumières ou de la Renaissance: à l’époque, sciences et philosophie se mêlaient étroitement, de même qu’il n’y avait guère de frontière entre les recherches fondamentales ou appliquées. Comme le disait le trublion Michel Bakounine, « la science a pour mission unique d’éclairer la vie, non de la gouverner ».

Voilà, je voulais jeter en vrac, sur le clavier, quelques-unes de ces idées qui vont et viennent dans ma tête depuis des dizaines d’années. Le champ de réflexion sur ce thème de l’autorité est vaste et je sais qu’une chronique de blog ne peut que l’effleurer… Disons que j’aime bien lancer des appâts, des hameçons, des « ouvertures » comme on dit. Je reviendrai sans doute sur ce problème, un autre jour, d’une autre façon, car s’il y a bien une chose dont je suis convaincu c’est que nous n’avons pas besoin de chefs, qu’ils soient de « droit divin » ou soi-disant « démocratiquement élus ». A tout seigneur, tout honneur, je remercie Joseph Déjacque, l’écrivain, pour m’avoir fourni le titre de ma chronique. Alors… « A bas les chefs » ? Enfin, oui, tous, sauf moi évidemment…

NDLR : les illustrations de l’article proposent une biographie sur le sujet, totalement hors des sentiers battus bien entendu. A défaut de relire les textes, un peu anciens je le reconnais, du « barbu » de l’Association Internationale des Travailleurs, je vous recommande au moins de vous attarder sur l’œuvre de Pierre Clastres, l’ouvrage indiqué ainsi que « Recherches d’anthropologie politique » aux éditions du Seuil.

One Comment so far...

fred Says:

25 avril 2008 at 15:30.

Je ne peux qu’opiner du chef (et non pas copiner le chef !) en signe d’approbation.
Le chef est il un mal nécessaire ? J’aurais tendance à dire oui peut être à cause des ravages que crée l’individualisme forcené mais bon … Il en faut pour se sentir l’âme d’un leader. Et si l’homme fonctionne comme le rat, l’autopsie du cerveau du chef nous montre que c’est sans doute lui le plus stressé de nos congénères ! Il boit le calife (à la place du calife) jusqu’à la lie !

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