9 janvier 2011

Une banale journée d’hiver, début janvier

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .

Je crois que c’est le ventilateur de la nouvelle chaudière à bois qui m’a réveillé, un peu avant sept heures. La locomotive a faim et il va falloir prélever quelques bûches dans le tender pour remplir le foyer. Il ne faut pas compter sur les raies de lumière sous le volet pour fournir une quelconque information horaire. A cette heure-là, il fait encore nuit ; les oiseaux n’ont pas quitté leur abri et on ne peut pas se fier aux coqs du voisin, toujours aussi tapageurs : ils sont complètement déréglés et il faudra rétablir la liaison avec le satellite… On les entend parfois à cinq heures du matin ou même avant. Ils doivent confondre les lumières de la zone artisanale du village voisin avec le lever du soleil. Je crois que j’ai hérité de l’ancienne chaudière le réflexe de me précipiter à l’extérieur de la maison, aussitôt habillé. Je n’ai pas encore intégré le fait que la nouvelle occupante de la chaufferie est beaucoup plus patiente : le ballon d’eau volumineux qu’elle alimente pendant la nuit de ses calories en excès nous permet de faire la grasse matinée jusqu’à des heures innommables. Je vais donc faire ma petite BA du matin avant de me rendormir pendant un bon moment devant un bon bol de darjeeling fumant à la salle à manger. Ma compagne dort généralement une bonne heure de plus que moi, alors j’essaie de m’agiter sans créer trop de dommages collatéraux. Lorsque la lueur du jour se décide enfin à éclairer les activités humaines, je suis généralement installé devant l’écran à la luminosité un peu trop agressive (à cette heure-là) de mon ordinateur.

L’une de mes premiers plaisirs, bien souvent, c’est de découvrir les courriels reçus pendant la nuit. Comme je décroche tôt, le soir, il est rare que la boîte magique ne contienne pas quelques messages d’intérêt parfois fort divers. Il y a les traditionnels messages commerciaux dont je peine à me débarrasser… Au milieu d’un fatras d’annonce, une petite perle, courrier d’ami(e) ou commentaire sympa sur le blog viennent renforcer l’effet dynamisant des premiers rayons du soleil. Quoique, ce matin, c’est plutôt raté… L’anticyclone annoncé par la vamp de la météo à la télé est bien là ; ses effets se font déjà sentir sur nos têtes ; une lourde chape grise recouvre les arbres que je peux apercevoir par la fenêtre. Par contre j’ai une bonne vue sur les deux mangeoires à oiseaux situées au Nord et au Sud de la maison. Ces derniers jours ce sont les chardonnerets qui font la loi en début de journée : ils ont damé le pion aux mésanges charbonnières pourtant habituées à régner sans partage ! Autre changement depuis l’an dernier, le retour en force des mésanges bleues. J’observe le manège de toute cette petite troupe pendant un bref moment. Pour ce qui est du soleil, je crois qu’il faudra se contenter d’un coup d’œil de temps à autre à l’image de mon fond d’écran. Hier, j’ai enlevé la vue sacrément belle mais un peu trop grise, des côtes Ouest de l’Irlande, pour la remplacer par un paysage du Portugal. Les courriels lus, et parfois relus, je fais ma petite tournée informative du matin : sauts de puce de blog en blog et de site d’infos en site d’infos. La version revue et corrigée de mon journal, ma pipe et mon chien, sans journal, sans pipe et sans chien…

La thématique de la matinée se dessine peu à peu. Je me décide à quitter mon siège lorsque j’ai un programme à peu près tracé dans ma tête. Avant de descendre brasser une fournée de pain, je « chausse » mon accordéon et me dérouille les doigts sur quelques morceaux irlandais plutôt alertes. Décidément, je ne quitte pas l’Irlande ces jours-ci. Le pétrissage du pain me prend une demi-heure environ, le temps de rassembler le matériel nécessaire et de peser les ingrédients. La suite de la matinée va être très axée « bois ». En chargeant la chaudière, je me suis aperçu que la réserve de bois proche, celle que j’appelle « le tender », était quasiment vide. Il est temps de faire un geste, en l’occurrence de remplir deux ou trois brouettes pour satisfaire la voracité du monstre. Les premiers jours de janvier n’annonçant en rien la fin de l’hiver, je pense qu’il faudra finir aussi de débiter le tas de bois mis de côté pour être brûlé cette saison. Compte-tenu de la consommation de novembre-décembre,  ce n’est pas cette année que nous ferons des réserves ! Les travaux extérieurs se prolongent donc un peu. Comme les travaux « physiques » ont été plutôt ralentis pendant cette période de festivités, on fatigue assez vite et, au bout de cinq six brouettes chargées d’un côté puis rangées d’un autre, l’ouvrier et l’ouvrière estiment que le programme de la matinée est suffisant comme cela. Chacun retourne dans son boudoir, les joues rouges et la goutte au nez, histoire de s’adonner à quelques activités plus intellectuelles. En ce moment, je suis plongé dans la lecture ou la relecture, accompagnées de quelques recherches annexes, de divers ouvrages écrits par Elysée Reclus, qui est, je l’avoue sans gêne aucune, l’un de mes maîtres à penser, si tant est qu’il existe un personnage quelconque qui joue vraiment ce rôle dans mon esprit. Mon panthéon personnel comporte bien d’autres figures, mais Reclus, en ce moment, m’interpelle plus particulièrement.

Le temps passe vite… beaucoup trop vite, et le repas de midi est croqué ; j’ai pourtant l’impression de n’avoir presque rien fait. Le kangoo de la poste s’arrête alors que je n’ai même pas tapé deux mots de ma prochaine chronique. La factrice m’offre deux belles surprises : le courrier d’une collègue normande avec qui j’avais fait de la correspondance scolaire il y a un nombre respectable d’années. Nous nous étions perdus de vue après des échanges pourtant très sympas ; c’est elle qui rétablit le fil et je suis très content d’avoir de ses nouvelles. L’autre surprise, c’est un chouette bouquin que m’offre un copain en plus de ses traditionnels vœux de nouvel an. C’est un énorme pavé intitulé « histoire de la vigne et du vin en France » (1) et la quatrième de couverture me semble particulièrement alléchante. L’auteur, Roger Dion, aborde le thème sous un angle plutôt original en établissant le lien entre le développement des grandes régions viticoles et l’activité humaine : le terroir en tant que fait social et non géologique… une approche géographique plutôt « reclusienne » au premier abord ! Plus de 700 pages par contre… on ne rigole plus ! La pile des livres « en attente » grossit un peu plus et j’adore cet état de fait car j’ai ainsi le choix très gastronomique du mets que je pourrai déguster lors de mes poses rituelles à venir !

La suite du programme de l’après-midi se déroule dans les bois à quelques centaines de mètres de la maison. Ce n’est pas tout de brûler du bois en quantité (astronomique ce début d’hiver) ; il faut aussi pourvoir aux réserves pour les vagues de froid des prochaines années. Sauf exception, la bûche de bois demande au moins deux ans de séchage bien conduit si l’on ne veut pas encrasser inutilement les cheminées tout en se gelant les orteils à cause d’une combustion défaillante. Il faut donc être prévoyant. Le travail ces temps-ci est un peu fastidieux et je vous ferai grâce d’une description minutieuse des différentes opérations qui se succèdent. Ce qui est plaisant c’est qu’au tomber du jour, trois stères supplémentaires sont alignés dans la réserve en plein air. Comme leurs collègues des fournées passées et futures, ils vont passer une bonne année à la pluie et au soleil, histoire d’être débarrassés des tanins qui brûlent mal et endommagent les foyers. Il s’agit en effet principalement de châtaignier, bois pour lequel un solide lavage est d’une importance capitale. En délaçant les chaussures, le soir, vers 17 h, je m’aperçois que je suis bien las ; heureusement mon dos ne me fait pas trop souffrir malgré le portage de nombreux billots plus lourds que de raison. Il me semble en fait que plus je m’active et moins ma colonne vertébrale m’empoisonne la vie. Une bonne odeur de pain traine dans la maison. C’est la première récompense du boulanger. La seconde viendra dans une heure ou deux quand on tranchera une miche bien fraîche pour voir si la fournée est bien réussie.

Lecture, musique, vidéo, internet, cuisine, rangement…. le choix d’activité est largement trop important pour toucher à tout dans les heures qui viennent. La tentation est forte de plonger le nez dans les bouquins après avoir fait le tri dans les papiers qui s’accumulent sur mon bureau. Je relis des textes que j’ai commencé à rédiger il y a quelques années. Ce qui me fait une drôle d’impression, c’est que je ne reconnais jamais mon style et que je suis toujours étonné par ce que j’ai couché sur le papier. Dès que j’ai fini de rédiger un texte, je m’en détache totalement, je n’ai plus l’impression d’en être l’auteur. L’avantage, c’est que je relis souvent avec intérêt ; l’inconvénient, c’est que j’ai du mal à reprendre le fil des opus inachevés !
La pause crépusculaire est brève car il faudra, à un moment donné, s’intéresser à la « question alimentaire », ce qui veut dire, en général, faire un peu de ménage dans la cuisine avant de se torturer les méninges pour savoir comment préparer un dîner à peu près équilibré. Si l’on ne sentait pas l’ombre terrifiante de la faculté de médecine planer dans notre dos (à surveiller le moindre de nos gestes), le choix serait grandement simplifié : le traditionnel « touski » (2) québecois consistant à ouvrir le réfrigérateur et à étaler son contenu, relativement riche, sur la table de la salle à manger. Je crains malheureusement que l’assortiment de charcuteries et de fromages dont l’image se forme dans mon esprit – accompagné d’un bon verre de côtes du Roussillon pour parfaire le crime – ne convienne au diktat de la diététique. Je complèterai bien tout ça par quelques fruits frais, une bonne assiettée de salade et une tartine de tapenade, mais j’ai bien peur que ce beau geste ne suffise pas à obtenir quelques indulgences. Reste encore à prouver que le « fay ce que voudras » de l’abbaye de Thélème ait vraiment des conséquences néfastes pour l’espérance vie ! Mais je ne me sens pas de taille à affronter de tels débats philosophiques avec mon généraliste. Finalement, après discussion entre les deux participants concernés par les agapes à venir, on se met d’accord sur une solution de compromis. Ça sera moins gastronomique qu’espéré mais pas trop mal quand même, histoire de ne pas être trop gêné par notre conscience pendant la digestion. Pas de renoncement par contre en ce qui concerne le verre de rouge : le travail de bûcheron mérite récompense substantielle…

De temps à autre pépé et mémé se font une petite infusion de verveine (3). Monsieur Lafeuille en profite pour donner un coup d’œil à la télé (infos, météo, documentaires plus ou moins plats). Ce soir c’est bref : j’allume le récepteur, je m’assieds dans mon fauteuil, je pousse un bon coup de gueule, je me relève et j’éteins. Durée chrono de l’opération : cinq minutes maximum sans doute. Je ne prive aucunement Madame Lafeuille dont l’œil n’est guère attiré par l’étrange lucarne. Elle est bien assez grande pour défendre ses intérêts par ailleurs ! Bien d’autres activités me tendent les bras et les tentations ne manquent pas à l’étage supérieur. Trois petits coups de torchon et puis s’en vont (4). Ce n’est pas le jour à regarder un film. Madame Lafeuille travaille d’arrache-clavier sur une chronique qu’elle m’a promise pour le blog et moi je vais retrouver le roman dans lequel je suis plongé en ce moment. Cela fait plus de deux semaines que notre fiston a remis les voiles pour la « Belle Province » mais moi je m’y promène aussi, en lisant « le canard de bois » de l’écrivain québécois Louis Caron. C’est le premier volume d’une trilogie « les fils de la liberté » qui raconte, à sa façon, une partie de l’histoire des Canadiens français. C’est prenant, même si je trouve certains passages un peu longs (5). Nous avons récupéré la suite (les tomes 2 et 3) à Noël, au pied du sapin, et j’ai bien l’intention de ne pas lâcher en route. La description des longs hivers en Mauricie au Nord du Saint-Laurent, dans la région de Trois-Rivières, me donne envie de rapprocher un peu plus mon fauteuil du radiateur contre lequel je suis blotti. Ce que je lis me paraît carrément inimaginable et, une chose est sûre, je ne me sens absolument pas l’âme d’un pionnier ou d’un colon s’installant contre vents et gelées dans un pays pareil. Pour tout dire, j’ai encore des étendues blanches devant les yeux lorsque ceux-ci papillonnent et que nous décidons d’un commun accord que la soirée a assez duré.

C’est commode de rédiger le récit d’une journée car on a une fin toute trouvée lorsque la lampe de chevet s’éteint. J’ajouterai que la nuit a été bien calme, contrairement à une autre, plus récente, où nous avons été réveillés par un combat de fouines dans le grenier en dessus des combles. Il ne faut pas croire que la vie s’arrête lorsque l’on ferme les yeux. En tout cas, je suis content de vous avoir raconté tout cela. Sans doute mon tempérament de « conteur » qui se réveille. J’ai un peu triché dans la chronologie, en me permettant de mixer en une seule journée des événements qui se sont sans doute déroulés sur deux ou trois. Ce qui est drôle, en relisant mon premier jet, c’est que je trouve qu’une forte impression de routine se dégage de ce texte. Et pourtant, les journées sont loin de se ressembler, ne serait-ce que par le fait que la météo conditionne beaucoup (surtout en hiver) le choix des activités. Allez donc assembler des planches quand il fait moins trois degrés dans l’atelier, ou planter un arbre quand le ciel libère des torrents de pluie… Ce qui est certain c’est qu’à cette période de l’année les visiteurs se font rares et que nos veillées se font souvent à deux. L’approche du printemps va sûrement bousculer tranquillement tout ce bel échafaudage de rituels. Tant mieux… Comme je le disais souvent à mes élèves, en classe, il est important d’avoir quelques habitudes pour pouvoir mieux les déranger de temps à autre !

(1) Histoire de la vigne et du vin des origines aux XIXème – Roger Dion – CNRS Editions
(2) Ce qui est drôle c’est qu’en vérifiant, avec l’aide de mon navigateur, la façon dont nos amis québécois écrivent ce mot, je tombe sur un site et un lieu qui m’ont l’air, ma foi, singulièrement sympathique : la coop Touski, café de quartier à Montréal…
(3) Je n’ai rien contre le calva non plus, ou la poire william puisqu’il est question de fruits…
(4) Phrase ajoutée dès ma première relecture car je crains que certaines militantes de ma connaissances ne sombrent dans la confusion en croyant que Monsieur télévisionne pendant que Madame s’agite derrière les fourneaux. On a sa dignité quand même après un demi-siècle de militantisme acharné pour l’égalité des droits. Bon, j’arrête avant d’en faire un peu trop !
(5) Les fils de la liberté – Le canard de bois (T1) – La corne de brume (T2) – Le coup de poing (T3) – éditions Boréal compact – Facile à trouver au Québec, plus dur en France, mais la recherche en vaut la peine. Ma critique porte surtout sur le tome 1… Comme quoi la persévérance paie parfois en littérature !

7 Comments so far...

la Mère Castor Says:

9 janvier 2011 at 21:48.

J’ai tout lu, tout compris et je ne me suis pas ennuyée de ta journée. Chapeau.

Lavande Says:

10 janvier 2011 at 22:51.

La deuxième photo me remémore un commentaire d’un ami, qui m’avait rempli d’admiration. Il avait fabriqué, m’avait-il expliqué, des maisonnettes-mangeoires avec des entrées de gabarits différents pour les différentes tailles d’oiseaux. Ainsi les pies ou les corbeaux par exemple ne piquaient plus la nourriture des mésanges ou des rouge-gorges. Eh oui, chez les oiseaux aussi, ce sont plutôt les gros qui se nourrissent au dépens des petits. Cet ami m’avait aussi expliqué que certains oiseaux ne prennent de la nourriture qu’au niveau du sol et pas en hauteur (ou l’inverse) d’où une autre possibilité de discrimination (positive bien sûr!) par le positionnement de la mangeoire. Enfin évidemment la nature de l’alimentation variait avec les oiseaux auxquels elle était destinée. Bref il avait carrément réinventé des restaus du coeur pour oiseaux!

Clopin Says:

11 janvier 2011 at 02:08.

C’est marrant, en Normandie c’est un peu pareil, les journées de Janvier…dans le désordre : accordéon, bois, menuiserie, nourrissage de bestiaux divers et montage vidéo (Ca avance !) Et en prime, vers 1h du matin, un petit contact Skype avec mes Québécois à moi !

Cathy Says:

12 janvier 2011 at 09:02.

Je profite de ce début d’année pour souhaiter une bonne année à la Feuille et à ceux et celles qui la font. Que cette année soit pleine de belles journées banales comme celle qui tu nous proposes dans ce post !

fred Says:

12 janvier 2011 at 11:36.

ha ! l’heureux homme !
Et dire qu’on a pris deux années de labeur supplémentaires avant de pouvoir vivre la même chose !

Michel Berthelot Says:

24 janvier 2011 at 18:39.

Il est bien agréable de vous lire Paul. On chemine en votre compagnie sans même se rendre compte de l’ampleur de la promenade. Je vais de ce pas vous référencer sur Altermonde. Merci à vous.

leirn Says:

26 janvier 2011 at 00:12.

gniarf, fait la militante 🙂
Moi, j’ai arrêté la télé, c’est pas bon pour mon petit coeur…

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