29 avril 2008

Maman, que va-t-on devenir ?

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour .

J’apprends hier, par le biais d’une brève d’agence de presse, que mon pays, mon grand, beau, fort pays dont je suis si fier, aurait l’intention de brader à une armée étrangère non identifiée, presque un tiers de notre parc de chars lourds Leclerc. Non pas pour racheter des chars Carrefour ou Auchan, non, tout bêtement pour faire des économies. Quelques jours auparavant, mon âme de patriote avait déjà subi un choc redoutable pour son métabolisme, en apprenant que la construction du deuxième porte-avions nucléaire, fer de lance de notre force de mégadissuasion fébrile, risquait d’être quelque peu différée. A part le besoin pressant de convaincre le bon peuple qu’il est nécessaire de faire des économies, apparemment pas de lien entre les deux nouvelles : le fait que l’on n’ait encore pas réussi à faire décoller notre bon vieux Leclerc du pont d’envol de notre bien dispendieux Charles de Gaulle n’établit pas une correspondance quelconque entre les deux choix stratégiques. De là à ce qu’on revende une partie de notre flottille de chasseurs Rafale, il n’y a qu’un pas.

Pour les chars Leclerc, on trouvera bien des acheteurs : l’engin consomme un peu plus de 300 litres de carburant au 100 km… Il est donc parfaitement adapté à la problématique actuelle de pénurie annoncée pour l’or noir. C’est un véhicule ayant des capacités remarquables, telle la possibilité de tirer sans arrêt, même pendant les manœuvres les plus délicates. Se pose évidemment le problème de l’angle du canon lorsque le véhicule franchit un talus quelque peu pentu : en cas de tir à la verticale, on ne sait toujours pas ce que devient l’obus, une fois sa course achevée… Pour le Rafale, c’est un tout autre problème, aucune armée de l’air n’en a jamais voulu, à part la nôtre, et il n’y a pas de raison que ça change. Le seul espoir, sous réserve que l’avion soit cédé à vil prix, serait d’intéresser une armée mercenaire low cost. Mais le concept reste à inventer car toutes les « compagnies de sécurité » qui travaillent pour le ministère de la défense US par exemple, sont plutôt du genre « high cost ». On comprend donc pourquoi le ministère liquide en premier nos véhicules de tourisme terrestres.

Bien entendu, pour trouver un acquéreur intéressé par un lot de 120 blindés dans un état presque neuf, mais pas tout à fait, n’ayant jamais servi (sauf au Kosovo et au Liban), mais d’occasion quand même, il va falloir faire un gros geste sur le prix de vente… Heureusement, la générosité du contribuable français est mondialement connue, et vous, autant que moi, sommes prêts à faire un petit sacrifice. Il ne faut pas être mesquin : si on a eu les moyens de balancer (par exemple) 1000 euro par la fenêtre, on doit s’estimer heureux d’en récupérer un tiers ou un quart. D’autant que, puisqu’on nage dans l’optimisme béat, on pourrait espérer que l’argent récupéré par cette manœuvre audacieuse serait généreusement remis par les militaires dans les caisses de l’Etat et permettrait de recréer les quelques dix mille postes d’enseignants supprimés. Le bénéfice de l’opération serait alors double : les lycéens, calmés, n’auraient plus à se fâcher avec le gouvernement ; quant aux enseignants, traditionnellement plutôt antimilitaristes (hum ! hum ! Je crois que je m’avance un peu, là), ça leur fermerait le caquet une bonne fois pour toute, et ils ne rechigneraient plus à faire chanter la Marseillaise dans les cours d’école et à accueillir les animateurs des stands d’infos de l’armée de terre pendant les cours de philo.

Je reconnais que le raisonnement basé sur 1000 euro n’était employé qu’à des fins pédagogiques. La réalité porte sur des sommes beaucoup plus conséquentes : la cour des comptes évalue le coût final de ce jouet à 15,9 millions d’euro l’unité (pour les vieux comme moi, ça représente environ 104 millions de francs). Arrondissons à 16 millions car mes chiffres datent de 2002 et vous savez comme moi que tout augmente, même les armes de destruction massive, et multiplions par 120. Nous arrivons à la bagatelle d’un investissement de pratiquement 2 milliards d’euro, considéré, au final, comme pas vraiment indispensable, par Monsieur Hervé Morin, notre ministre de la Défonce Nationale. En espérant qu’au souk un vendeur acceptable en tire le tiers, ça fera quand même plus de 600 millions d’euro à injecter dans l’embauche des profs, puis dans le salaire des infirmières, et, ô démagogie suprême, dans le fameux RSA (Revenu de Solidarité Active).

Il reste à régler un grave problème de déontologie : nous ne pouvons pas vendre ces merveilles technologiques à n’importe qui. Nos alliés les plus chers verraient d’un très mauvais œil une vente à la sauvette à l’Iran, à la Corée du Nord ou à un quelconque pilier du temple du Mal. Il ne faut pas non plus que l’acheteur soit un créancier douteux ou un pays susceptible d’utiliser un jour ce matériel flambant d’occasion contre notre amère Patrie (exclus d’office, le Lichtenstein, la Suisse, Andorre ou la Lituanie pour l’une des raisons énoncées, je vous laisse choisir). L’armée israélienne possède à la fois le budget et suffisamment d’agressivité pour avoir besoin d’un engin qui tire en roulant, mais Tsahal est une chasse gardée des industriels US. Les acheteurs les plus sérieux sont sans doute à chercher dans la péninsule arabique, mais l’Arabie Saoudite aurait déjà refusé l’ouverture qui lui a été faite ; il ne reste que les Emirats, encore faudrait-il que nos engins de tourisme soient climatisés. Il faudrait aussi sans doute fractionner le lot car certains de ces pays n’offrent pas une superficie de parking assez vaste pour garer 120 canons à roulettes… En fait, j’ai longuement réfléchi : le gouvernement canadien, par exemple, pourrait constituer un interlocuteur valable. Quel dommage que je ne travaille pas au cabinet de Monsieur Morin !

NDLR : j’ai cherché des illustrations pour cette chronique et j’ai eu du mal car je ne voulais pas la polluer avec des photos hideuses. L’époque où l’on vendait les chars comme les tronçonneuses, avec de belles femmes dévêtues au premier plan de l’illustration est malheureusement révolue (à cause des mouvements féministes dans les armées sans doute). Je vous ai suffisamment montré d’armes de guerre comme ça, alors les photos n’ont rien, mais alors vraiment rien à voir avec le sujet ! Seule une âme chagrine et antipatriote pourrait déceler un rapport quelconque entre le fardier de Cugnot et le bijou de feu GIAT industries (encore une boîte qui, comme COGEMA, a changé de Kelton).

2 Comments so far...

fred Says:

29 avril 2008 at 09:31.

Le CANADA les aurait volontiers acheté nos petits chars s’il ne fallait pas les repeindre en blanc pour une sombre histoire de « camouflage ». On peut essayer de les refourguer à Dany BOON vu la thune qu’il doit avoir ces derniers temps. Les Cht’is en profiteraient pour se venger de la banderole vengeresse de quelques Parisiens excités !

Clopopine Trouillefou Says:

29 avril 2008 at 17:24.

Ah, Paul, que j’ai ri ! Vraiment un super billet du jour,à encadrer à côté des photos du catalogue de chez Dassault.

Mais évidemment, vous n’y êtes pas. Un seul acheteur possible, enfin. Sérieux, avec lui pas de blabla, des résutats, plein de flamme, et une prodigieuse expansion. La Chine, oui, vous m’avez comprise. Et puis, si jamais il y a un autre Tien Anmen, avec un autre citoyen lambda venant regarder un char au fond des yeux, pensez au prestige français si c’est NOTRE camelote qui crève ainsi l’écran ?

Clopine

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