19 juin 2008

Vandana Shiva et le mouvement « Navdanya »

Posté par Paul dans la catégorie : le monde bouge .

Nous laisserons de côté Mr Hortefeux et ses 80 % d’expulsions supplémentaires de sans-papiers, pour tourner notre regard aujourd’hui vers quelqu’un de nettement plus intéressant, quelqu’un qui œuvre pour sortir l’humanité de l’ornière dans laquelle elle s’enfonce chaque jour un peu plus profondément, ce qui n’est pas le cas du ministre français cité précédemment… Je voudrais vous parler d’une militante indienne, peu présente à la une de nos médias, mais qui est, dans son pays une personnalité très écoutée et révérée, notamment dans les classes populaires en milieu rural. Il s’agit de Mme Vandana Shiva, physicienne, écrivain, docteur en philosophie des sciences, militante écologiste de la première heure, et rédactrice adjointe de la revue internationale « The ecologist ». On pourrait dire d’elle aussi qu’elle est altermondialiste et féministe, et que les médias, qui adorent coller des étiquettes à tout le monde, la considèrent comme l’homologue féminin de José Bové, avec qui elle a par ailleurs de nombreux contacts (elle a été citée comme témoin au procès de Millau par exemple). Cette carte de visite impressionnante donne une petite idée de la complexité de son parcours…

Ardente défenseuse de l’agriculture paysanne et biologique, elle ne manque pas une occasion de dénoncer la tentative de mainmise des multinationales de l’agroalimentaire sur les semences agricoles. Elle s’oppose avec vigueur à ce qu’elle nomme la biopiraterie, le « brevetage du vivant », à savoir les tentatives répétées des mêmes sociétés pour s’approprier et confisquer, par le biais de dépôts de brevets, les substances végétales traditionnellement utilisées dans les pharmacopées indienne, chinoise et celles de l’ensemble des peuples indigènes. Je termine la lecture de l’un de ses livres, « la vie n’est pas une marchandise », dans lequel elle dénonce les méfaits de l’introduction des D.P.I. (droits de propriété intellectuelle) dans les termes de l’Accord général sur les taris douaniers et le commerce (GATT). La signature de ce « traité » a légalisé le « pillage » des savoirs indigènes, après que la colonisation ait permis le pillage des ressources en énergie et en matières premières. Le summum de ce processus a été atteint lorsque la Cour suprême des Etats-Unis a décidé de traiter la vie comme une invention et d’autoriser le dépôt de brevets sur le vivant. L’argumentation de Mme Shiva est rigoureuse et sa démonstration des conséquences rendues possibles par de tels « accords » fait froid dans le dos. Monopole sur les semences, manipulations génétiques, confiscation des substances végétales présentant un intérêt indéniable pour l’agriculture et la recherche pharmaceutique… Où s’arrêtera le cynisme des laboratoires occidentaux ?

En appui à sa démonstration, cette scientifique de haut niveau, présente l’exemple du Neem (margousier) qui est utilisé depuis des siècles dans la pharmacopée indienne et dans l’agronomie. Des textes vieux de plus de 2000 ans le présentent comme un remède à presque toutes les maladies de l’homme et de l’animal, grâce à ses vertus insectifuges et antiparasitaires. L’industrie chimique occidentale et surtout l’opinion publique de ces mêmes pays, ont pris conscience de la toxicité des insecticides proposés sur le marché, toxicité liée à la complexité de leurs molécules, à leur rémanence dans le milieu naturel et à leur faculté à se lier à d’autres molécules pour constituer parfois de nouvelles substances encore plus toxiques. le « naturel » a le vent en poupe, mais il faut bien trouver des traitements pour lutter contre les parasites qui s’attaquent très souvent aux monocultures. En 1971, l’importateur de bois Robert Larson a découvert l’utilisation du neem en Inde, a importé des semences dans le Wisconsin, puis a conduit diverses recherches aboutissant à la mise au point d’un insecticide pour lequel il a déposé un brevet, revendu ensuite à la multinationale de produits chimiques Grace. Depuis, cette société réalise des profits considérables en cédant des licences d’exploitation à ses filiales dans le monde. Depuis 1985, des dizaines d’autres brevets ont été déposés pour des substances extraites du neem. Une filiale de Grace en Inde a pris le contrôle de la filière de production de semences de margousier. Le prix des graines est maintenant si élevé qu’il n’est plus accessible aux petits paysans qui ont ainsi perdu l’accès à une ressource essentielle à leur survie. L’exemple du neem est loin d’être le seul fourni dans le livre.

En 1993, Vandana Shiva a été lauréate du « prix nobel alternatif » pour l’ensemble de son œuvre. Après s’être battue contre la déforestation et contre la mise en place d’énormes barrages sur la rivière Narmada, elle a créé en 1987 le mouvement « Navdanya » qui œuvre pour la protection de la biodiversité et pour la protection des droits des fermiers. Elle bénéficie du soutien de plus de 200 000 paysans indiens regroupés autour d’une trentaine de banques de semences coopératives. L’association possède plusieurs fermes, dont celle de Dehra Dun, où sont préservées plus de 300 variétés de riz traditionnelles. Les paysans proches de « Navdanya » ont d’abord commencé à sauvegarder les semences, puis ils se sont lancés dans l’agriculture biologique de façon à ne plus avoir à acheter d’engrais chimiques et de pesticides. Cette démarche accomplie, ils ont travaillé à défendre leur propre marché. « Les paysans bio sont les seuls à ne pas souffrir du déclin des prix – explique Vandana Shiva – parce que, partout où les multinationales contrôlent l’agriculture, les deux choses qu’elles font sont augmenter les coûts de production, dans le but de créer de nouveaux marchés de semences et de produits chimiques ; et diminuer les prix des produits agricoles, afin d’accroître leur profit. Et les paysans sont pris au piège… »

D’autres livres de Vandana Shiva ont été traduits en français : « Le terrorisme alimentaire – Comment les multinationales affament le tiers-monde », publié en 2001, « Main basse sur la vie – Ethique et agro-industrie », publié en 1996, mais aussi « Ecoféminisme » et « La guerre de l’eau – Privatisation, pollution et profit ». Il faut savoir aussi que Vandana Shiva est une militante féministe convaincue et que pour elle, il y a un rapport étroit entre la crise écologique, l’exclusion des femmes et le modèle de développement économique dominant… Vaste sujet qui mériterait développement tant il est intéressant. Cela aurait pu faire un excellent thème de réflexion pour le Baccalauréat ! En Inde, elle est également la fondatrice et la présidente de la fondation RFSTE (Research Foundation for Science, Technology and Ecology). Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette militante et sur l’ensemble de son œuvre tant sur le terrain que sur le plan intellectuel. Je terminerai par un détail biographique qui me touche personnellement : j’ai la fierté d’être né le même jour qu’elle, la même année et je dois vous dire que je préfère nettement avoir comme conscrite une telle femme plutôt qu’avoir un rapport quelconque avec le sinistre individu cité en avant-propos ! Ouf !

One Comment so far...

Evelynej Says:

20 juin 2008 at 12:48.

Bonjour,

Article très intéressant, à faire lire à un maximum de gens !
Si cela ne vous ennuie pas, je peux le mettre en lien sur mon blog pour que mes visiteurs aillent sur votre site pour en prendre connaissance. J’attends votre accord.

Au plaisir de vous lire.

EvelyneJ « Scribouille et peinturlure »

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