La feuille Charbinoise

17 juin 2008

Eurosatory (2) : le panier de la ménagère

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique .

Pour peu qu’on ait des intentions tant soit peu belliqueuses, on trouve de tout au salon Eurosatory. De tout, certes, mais que du neuf toutefois, rutilant, astiqué, performant, chirurgical… un mégatonne de rêve, un feu d’artifice d’inventivité, le must du génie créatif de l’espèce humaine. Le matériel d’occasion ne se trafique que dans les coulisses… A l’heure du recyclage, on ne peut pas jeter comme ça des fusils d’assaut qui n’ont servi que pour quelques exercices d’entrainement et ne sont même pas rouillés. Heureusement qu’il y a de la demande sur le « marché parallèle » !
On ne baigne pas dans la barbarie que j’évoquais dans ma chronique d’hier : on est entre gens de bonne compagnie, bien élevés, et, dans le silence feutré des stands recouverts de moquettes vert prairie, il n’est point question de membres arrachés, de corps calcinés ou d’enfants handicapés, transformés en pauvres Pinocchio de bois grâce à l’efficacité des explosifs à retardement. Quand on vous montre l’explosion d’une bombe, c’est toujours vu du ciel, afin que vous puissiez juger de la hauteur du nuage et de la richesse du coloris des flammes, à la nuit tombante (rappelez-vous Bagdad…). Les armes sont astiquées, luisantes de graisse et vous pouvez juger de leur efficacité sur grand écran, installé dans un fauteuil confortable, un verre de champagne à la main. Une hôtesse est là, prévenante, prête à satisfaire au moindre de vos désirs. Son sourire égaie, il faut bien le dire, un décor un peu terne, limité au vert de gris, rouille et brun des camouflages.

La clientèle est aussi diversifiée que l’offre : armée, police, milices privées, sociétés de gardiennage et même pompiers sont invités à ce grand raout de la défense. La diversité du matériel présenté et l’imagination perverse dont font preuve les exposants est impressionnante : nouveau fusil d’assaut proposé par les industriels chinois, véhicule blindé Xtream fabriqué par les Israéliens, mais aussi électronique embarquée, matériel de surveillance… La totale. Plus de 50 pays exposants ; on se croirait au salon du tourisme. L’occasion rêvée par exemple de découvrir le nouveau modèle de Taser (pistolet à décharge électronique) dont sera bientôt équipé le policier qui surveille le coin de votre immeuble. Le commercial cravaté vous expliquera que cet engin est un véritable bijou : le moyen de prévenir l’agression sans blesser, une « technologie révolutionnaire qui a fait ses preuves ». Il faut dire que la décharge électrique c’est quand même plus propre que la balle caoutchouc ou la grenade à fragmentation. N’essayez pas de faire remarquer à l’hôtesse que la rumeur prétend que son engin est plus dangereux qu’il n’y parait… La société Taser France pourrait bien vous trainer au tribunal pour assertions mensongères : le RAIDH (Réseau d’Alerte et d’Intervention pour les Droits de l’Homme) en a fait les frais par exemple.

Tout cela ne vous motive guère ? Le costume de Rambo dont sera équipé le CRS qui préviendra vos débordements ne vous excite pas ? C’est dommage, les organisateurs font un gros effort pour renouveler le spectacle. La grande nouveauté cette année, c’est la possibilité d’assister à des démonstrations sur terrain : comme l’indique le site officiel Eurosatory, vous pourrez voir évoluer de façon dynamique des robots terrestres suréquipés, pour le combat diurne, nocturne, en milieu hostile, par temps de brouillard, sous la pluie… Vous pourrez même demander à les piloter : un jeu vidéo extraordinaire, en 3D. Ne sont-ils pas mignons ces petits drones d’emploi facile pour soutenir l’action au sol de l’infanterie et renseigner sur les mouvements de l’adversaire ? Les exposants peuvent faire admirer leurs joujoux en train d’évoluer sur un parcours d’obstacles savamment disposés, et montrer ainsi de quelles prouesses sont capables ces coûteuses réalisations électroniques. « Coûteuses », le mot est lâché… Il faut bien, à un moment donné, sortir son stylo Mont Blanc et apposer une signature au bas du parchemin enluminé. Le règlement viendra plus tard bien sûr, le temps que le contribuable ait été convaincu de la nécessité de mettre la main au portemonnaie. Heureusement, le contexte est favorable : les dépenses (stictement militaires, on n’aborde pas les budgets de sécurité intérieure) ont atteint 1 204 milliards de dollars US en 2006 selon le SIPRI, Stockholm International Peace Research Institute. La hausse est de 37 % en dix ans (il faudra envisager de nominer Al Quaïda pour un prix Nobel de la relance économique) ; la moitié du total est dépensée par les USA. De plus en plus d’armes sont vendues et revendues aux pays du Moyen Orient et de l’Asie centrale, les zones les plus fragiles du globe… Un jour, le rêve des uns va devenir le cauchemar de tous !

Trève de considérations aussi oiseuses que philosophiques : Madame Michu a bien rempli son panier, mais elle n’est pas une cliente assez intéressante pour faire partie du Gratin de l’association KGB, « Képi, Grenades et Bombinettes » qui est invité aujourd’hui à une soirée de gala au Musée du Louvres : tapis rouge, petits fours et visite privée du Musée. Quand je vous disais que nous étions entre gens de la bonne société, amateurs d’œuvres d’arts et de bibelots fragiles. Quand on pense que des manants du syndicat SUD Culture Solidaires se permettent de protester contre cette initiative… Les marchands d’armes et leurs clients sont des humains sensibles, comme les autres, et quoi de plus agréable, en fait, que de papoter sur « la défense du futur » et les « vilénies de l’axe du mal » en admirant les corps musclés de ces combattants grecs à moitié nus se livrant à leur sport favori dans les vastes plaines du Péloponèse. Non, vraiment, je ne vois pas le problème !

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