25 juin 2008

L’or noir de l’ébéniste

Posté par Paul dans la catégorie : le verre et la casserole; voyages sur la terre des arbres .

Je m’aperçois que la Saint-Jean est passée et que j’ai oublié ce jour-là de vous parler du noyer, arbre des plus communs en Dauphiné, surtout dans l’Isère et dans la Drôme. Pourquoi vous entretenir du noyer le jour de la Saint-Jean ? Eh bien parce que c’est la période idéale pour ramasser les fruits afin de préparer ce délicieux breuvage qu’est le vin de noix. Si, comme moi, vous n’avez pas profité de la journée la plus longue pour faire cette cueillette, il est encore temps de réparer votre oubli. Il faut que les noix ne soient encore pas trop grosses et que la coquille qui deviendra du bois soit encore bien verte. C’est le moment où l’équilibre des parfums est parfait. Si vous attendez trop longtemps, votre apéritif sera amer et peu agréable à boire. La recette de base est simple : 40 noix, 40 jours, 5 litres de vin (rouge ou blanc selon les endroits), un litre d’eau de vie neutre (eau de vie pour fruits). Les noix sont coupées en morceaux et le sucre n’est ajouté qu’en fin de macération lorsqu’on filtre. Les variantes sont nombreuses : certains par exemple ajoutent une gousse de vanille pour enrichir le goût.

Si vous venez juste de planter votre noyer, il vous faudra être patient. L’arbre ne donne rien à ceux qui sont trop pressés. Il faut que le noyer soit « majeur » (autour de 18 ans) avant qu’il ne produise ses premières fleurs. Cette attente sera compensée par le fait que la fructification peut durer 200 ans (mais elle a tendance à diminuer lorsque l’arbre atteint le siècle). L’ombre du noyer est très particulière : peu de plantes se développent dans une plantation de Juglans Regia (nom latin) et ce n’est pas l’arbre idéal à choisir pour faire une petite sieste. Celui qui s’endort à l’ombre d’un noyer, disaient les anciens, perdra sa santé au réveil… Ce jugement sans appel est sans doute un peu exagéré, mais il repose néanmoins sur des éléments de vérité. L’ombre des branches est très fraîche et, surtout, les racines contiennent une substance toxique, le juglon, qui agit comme un véritable herbicide pour la végétation environnante. Ses effets sur l’homme sont mal connus, mais sa présence explique certainement une partie des légendes maléfiques entourant l’arbre.

Le noyer aime la lumière, l’isolement et les sols profonds. On comprend qu’il ne soit guère fréquenté par d’autres espèces d’arbres ou d’arbustes vu son comportement d’empoisonneur ! Cela n’empêche pas que ce soit un végétal particulièrement précieux. Les vertus culinaires de son fruit sont connues même si les propriétés médicinales sont un peu oubliées. Grignoter 5 ou 6 noix par jour est un moyen beaucoup plus économique de lutter contre vos carences en magnesium, qu’aller acheter un flacon de comprimés à la pharmacie… L’huile de noix est délicieuse dans les sauces de salade ; elle est aussi excellente pour la santé. Elle aurait un effet revitalisant sur le cuir chevelu (mais évidemment, il y a le problème de l’odeur !) Le brou, obtenu en écrasant les écorces vertes, est une teinture puissante utilisée en ébénisterie et en couture. Le bois, eh bien le bois, c’est peut-être ce que le noyer nous offre de plus précieux à la fin de sa vie, lorsque la production des fruits commence à décliner.

Le bois du noyer est blanc, veiné de noir dans son cœur, lorsque l’arbre est suffisamment âgé. Là aussi, il faut savoir être patient car si la croissance a été trop rapide (ce qui est le cas dans les plantations car les arbres bénéficient d’apports d’engrais importants et parfois même d’irrigation) le bois a certes un grain très fin, mais sa couleur reste désespérément très claire. Lorsqu’ils repèrent un arbre de bel prestance, les bûcherons prennent soin de le désoucher et non de le tronçonner à vingt ou trente centimètres du sol, comme on le fait pour un chêne ou un épicéa. D’une part parce que le bois est tellement cher qu’il vaut mieux optimiser la coupe pour ne rien perdre, d’autre part parce que le pied de l’arbre, au départ des racines, peut recéler une véritable merveille de la nature, la « ronce », qui est un dessin particulièrement sophistiqué de la veine, lié à un développement végétal quelque peu anarchique (comme quoi, l’anarchie…).

L’arbre peut offrir d’autres trésors comme la « loupe », une excroissance sur le tronc, dont les dessins sont également très recherchés. Les plus beaux noyers partiront au placage : ronces et loupes constitueront le fleuron décoratif des meubles précieux. Les ébénistes utilisent les feuilles de bois obtenues par tranchage, de façon symétrique, sur les portes des buffets ou le plateau des tables. Sur les meubles anciens prestigieux, certains motifs, que j’apprécie peu, paraissent presque artificiels tellement ils sont chargés. Dans les meubles contemporains apparaissent de nouvelles techniques d’emploi des bois de placage et de la marquetterie. La mode des teintures sombres s’estompe aussi peu à peu, et le veinage naturel est de plus en plus perceptible. Lors d’un salon consacré à l’artisanat d’art que j’ai visité récemment, j’aurais bien « craqué » si mes moyens me l’avaient permis, sur un petit buffet deux portes, associant des motifs en frène, noyer et orme… Il y a longtemps que je n’avais pas eu un tel coup de cœur pour un meuble ! Faire un chèque pour une voiture, ça me rend malade… Pour un objet d’art en bois, ça ne me pose aucun problème. Vous me direz que l’usage n’est pas le même ! En tout cas, le jour où j’apprendrai que j’hérite de mon tonton aux Amériques, ça va faire mal !

Il est de plus en plus difficile pour un amateur, de se procurer du noyer présentant des qualités esthétiques remarquables. Les prix atteignent des sommets exorbitants pour les plus beaux arbres, et les négociants en bois « raflent » les lots les plus intéressants dans les scieries. A l’autre bout de la chaîne, un meuble en noyer massif est un luxe également ! Et pourtant, quel plaisir de travailler une matière au grain aussi fin ! Parmi les bois autochtones, seuls les autres bois fruitiers comme le merisier ou le poirier permettent de telles acrobaties techniques… Poncé avec dextérité, un panneau de noyer peut devenir aussi lisse qu’un miroir et prendre une patine à nulle autre pareille. La photo qui illustre ce paragraphe montre la façade d’une armoire, fabrication maison, datant de l’époque où je n’avais pas trop peur de me couper les doigts. Elle est assez représentative de la veine du noyer local et je dois avouer que c’est l’une des réalisations dont je suis le plus fier !

Il y aurait encore beaucoup à dire sur le noyer, mais cette fois, j’avais décidé de « centrer » ma chronique sur le bois. A l’occasion d’une autre « Saint-Jean », je vous parlerai du folklore qui entoure cet arbre dans les traditions populaires, et je vous dévoilerai peut-être la recette de notre tarte au noix « maison ». En attendant, ne ratez pas une occasion, si vous passez en Suisse, de goûter cette spécialité de l’Engadine : même lorsqu’elle est de fabrication commerciale, elle est absolument délicieuse. 500 calories pour 100 grammes, une paille sur le plan diététique !

NDLR : la photo de ronce et celle de loupe proviennent du site www.marquetterie.com qui propose toute une documentation sur cet art très particulier qu’est la marquetterie.

6 Comments so far...

François Says:

25 juin 2008 at 21:56.

Tiens, tu t’es mis à faire ta propre tarte aux noix? Il est vrai que si tu attendais mes passages, tu n’en aurais pas souvent…

A propos de tarte aux noix, nous avons récemment passé des vacances dans la haute vallée du Rhône et nous y avons trouvé (outre des paysages magnifiques) un tarte aux noix artisanale à mourir!

Evelynej Says:

25 juin 2008 at 23:14.

Bonsoir,

Pour fêter le solstice d’été, jour le plus long de l’année, je vous invite autour d’un grand feu de bois. Venez l’écouter crépiter !

Evelynej « Scribouille et peinturlure »

Paul Says:

26 juin 2008 at 07:42.

Si vous voulez voir de magnifiques photos d’un « bûcher » embrasé à l’occasion de la Saint-Jean, allez faire un tour sur le blog d’Evelyne : http://evelynej.unblog.fr/2008/06/25/feu-de-la-saint-jean/

Cela fait plusieurs années que j’aurais voulu relancer cette tradition du feu de la Saint-Jean, mais c’est encore raté en 2008. Comme le dit Pascaline, il faudrait organiser ça un peu à l’avance plutôt qu’en parler le surlendemain… Quelle sagesse !

Pascaline Says:

26 juin 2008 at 07:51.

Eueueueuh… Sagesse si tu veux, mais par cette chaleur, faire du feu ne me motive guère.

Pourtant, le bûcher d’Evelyne est une sacrée belle chose !

Y repenser, donc…

Patrick Says:

5 mai 2015 at 17:29.

Bonjour,
je suis émerveillé par la teinte de la porte-armoire présentée dans l’article ci-dessus. Pouvez-vous nous dire comment vous vous y êtes pris pour arriver à un tel résultat. J’ai déjà essayé plein de choses (brou, mélanges de teintes type merisier (pour le jaune) / palissandre (pour le rouge), mais sans grand succès. Merci d’avance pour nous faire partager votre expérience.

Paul Says:

5 mai 2015 at 19:09.

@ Patrick – Je crois que la belle teinte est naturelle et liée au temps. C’est une armoire que j’ai faite il y a un peu plus de trente ans. Je n’ai utilisé aucun colorant, seulement de la cire d’abeille sans teinture. J’en avais assez des meubles en noyer trop sombres où l’on ne voyait pas la veine du bois à cause des couches successives de brou. J’ai donc décidé de laisser le bois le plus clair possible ; il a foncé couleur dorée.
Enfin je ne pense pas me tromper si ma mémoire est encore bonne !
Ma dernière découverte en matière de veine de bois, c’est le « frêne olivier », mais là, ce n’est pas moi qui l’ai travaillé. Je ne pratique plus assez pour faire des choses compliquées.

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