12 décembre 2007

La cité des chats

Posté par Paul dans la catégorie : Le chat noir; les histoires d'Oncle Paul .

Nous nous sommes levés particulièrement tôt ce matin. Nous ne savons pas exactement où nos pas vont nous conduire et combien de temps va durer notre mystérieuse excursion. Nous avons laissé notre voiture garée sur un parking minuscule, au bout de la route goudronnée, après une longue ascension ponctuée de multiples épingles à cheveux et de passages plutôt vertigineux dans les éboulis. Nous marchons sur un chemin étroit, parfois caillouteux, parfois à peine dessiné dans la végétation. Nous sommes peut-être à la poursuite d’un mirage, comme cela arrive aux aventuriers dans le désert. Comment le savoir ? Nous partons à la recherche d’un village mystérieux qui apparaît et disparaît au gré du jeu de la lumière et des ombres.

Cette histoire a commencé un soir, vers 18h ; je ne saurais même plus dire quel soir exactement. Nous étions accoudés à la fenêtre de notre gîte, observant le spectacle grandiose qu’offrait le coucher du soleil sur le paysage avoisinant. Soudain Caly m’a fait remarquer qu’il y avait un dernier rectangle ensoleillé sur la montagne, de l’autre côté de la vallée. Tout était sombre maintenant, sauf ce petit groupe de maisons blotti autour d’un clocher, qui bénéficiait des derniers rayons du soleil. Nous en avons discuté un moment avant d’aller dîner : cet habitat témoignait encore une fois de l’ingéniosité de nos ancêtres, tirant parti, pour leurs constructions, de la moindre ressource de la nature : des sources, de la pierre, et même des bienfaits de cette lumière solaire, si rare en hiver. Rien de bien exceptionnel en fait, car cette vallée provençale nous avait témoigné déjà à de multiples reprises de cette débrouillardise mais aussi de cette persévérance qui avait caractérisé la vie des anciens : cultures en terrasses minuscules bordées de pierres extraites du sol au prix d’un labeur immense, canalisations creusées sur des centaines de mètres pour conduire jusqu’aux cultures vivrières la moindre goutte de cette eau si précieuse, abris minuscules nichés au creux des anfractuosités pour protéger les bergers…

Les faits que nous avons observés ce soir-là, sont devenus mystérieux le lendemain. A notre réveil, il n’y avait plus aucune trace de ce village dans le paysage, comme s’il avait été gommé pendant la nuit et remplacé par des alpages… Après avoir longuement discuté de ce phénomène, nous l’avons laissé de côté et nous nous sommes lancés dans l’exécution de notre programme de journée, toujours chargé lorsque l’on fait du tourisme. Le soir, aucun élément nouveau : il y avait trop de nuages pour que l’on puisse observer quoi que ce soit. Même situation les deux ou trois jours suivants, puis, la veille en soirée, le village était réapparu dans le paysage, au centre de son minuscule carré de lumière, avant de disparaître ce matin à notre réveil. Cette fois, il y avait un vrai problème : nous n’avions pas la berlue. Il y avait même une petite route goudronnée qui partait depuis le fond de vallée et s’élevait dans cette direction. La décision a été prise rapidement : tant pis pour l’excursion prévue ce jour, il fallait partir à la recherche du village fantôme et ce serait le but de notre expédition.

citedeschats2.jpg Après une solide grimpette, nous parvenons sur un replat du terrain. Une centaine de mètres pour se reposer les mollets, puis l’ascension reprend. Plus nous montons, plus nous avons l’impression que le nuage qui flottait, assez haut dans le ciel, se rapproche de nous, et nous enveloppe progressivement. Au bout d’une dizaine de minutes, nous avançons dans le coton. Nous distinguons les obstacles, et le brouillard ne ralentit pas notre marche, mais nous n’avons plus aucun point de repère dans le paysage : ni vallée, ni sommets de la montagne. Nous ne nous posons même pas la question de nous arrêter. Il semble au contraire qu’une ardeur nouvelle guide nos pas. Le sentier est toujours visible et il avance en ligne droite en direction de l’astre solaire face à nous. Il semble en fait que nous soyons enveloppés d’une mince couche de brume, une dizaine de mètres de hauteur tout au plus, un voile de protection qui masquerait ce vers quoi nous marchons, à moins que ce soit nous qui bénéficions de cette couverture pour dissimuler notre approche.

Un coup d’œil à la montre : deux heures que nous avons laissé la voiture au parking. Logiquement, nous devrions être rendus à la ligne de crête : quatre ou cinq cents mètres de dénivelé, à l’allure à laquelle nous marchons, il ne faut pas beaucoup plus de temps. C’est curieux, depuis notre départ, nous n’avons pratiquement pas échangé un mot, ni évoqué à haute voix les questions que nous nous posons sans doute tous les deux. La marche, encore la marche, de façon mécanique, sans réflexion, sans repos. Soudain, nous sortons du brouillard, d’un coup, sans avertissement, sans l’avoir vu diminuer : comme si l’on franchissait une porte, un mur, une frontière…

Caly me fait remarquer que des toits en lauze apparaissent un peu plus haut sur notre droite, de l’autre côté d’un repli du terrain. Après un bref arrêt pendant lequel j’essaie sans vraiment de succès, de comparer ce que j’aperçois avec l’image que j’ai fixée dans ma mémoire hier soir, nous franchissons la centaine de mètres qui nous sépare des premiers murs. Dans notre dos, la vallée est toujours dissimulée par le brouillard, mais ce que nous avons devant nous c’est bien un village, quelques maisons assoupies autour d’un clocher dans la chaude température d’un milieu de journée. Nous progressons dans la ruelle qui se dirige vers l’église. Les maisons sont anciennes, et elles semblent en bon état, mais il n’y a aucun signe d’occupation humaine : pas de rideaux aux fenêtres, de fleurs dans les vasques ou de linge accroché aux fils d’étendage. Tout semble plongé dans une léthargie intemporelle. Avons-nous découvert le royaume de la Belle au bois dormant ?

citedeschats1.jpg

Quand nous arrivons sur la place, devant l’église, nous découvrons nos premiers êtres vivants : toute une assemblée de chats est réunie là, devant nous. Il y en a de toutes les couleurs, de toutes les tailles, de toutes les longueurs de poils. Ils sont allongés sur les pierres, paresseusement étirés pour profiter des moindres rayons du soleil, dans une attitude de notables ou de patriciens romains à la fin d’un banquet. Notre présence ne semble absolument pas les déranger, comme si nous leur étions totalement indifférents. Des chats, il n’y en a pas que sur les dalles de la place ; nous en découvrons tout autour de nous, au sommet des murets, derrière les vitres des fenêtres, sur les marches conduisant à l’église. Dix, vingt, trente, cent… Impossible de les dénombrer. Leur attitude est totalement décontractée. Ils sont les maîtres du lieu : ce village est leur monde, à eux et à eux seuls, et nous, humains, avons l’impression d’être des pièces rapportées, des reporters venus de l’au-delà. Leur nombre n’a rien d’inquiétant et pourtant, sans nous concerter, nous restons tous deux immobiles. Il n’est pas facile de discuter avec un chat et ce ne sont sans doute pas eux qui répondront à nos multiples questions : où sont les habitants de ce village ? Pourquoi n’y a t il que des chats ? Comment se fait-il que le village apparaisse ou disparaisse au gré des caprices de la lumière ? Nous resterons sans doute sur notre faim en repartant, mais pour l’heure, le lieu a quelque chose de magique et de reposant. Et si nous faisions un instant comme eux ? Si nous arrêtions de courir pour savourer le plaisir intense d’un moment de chaleur, allongés sur la pierre, dans un lieu d’où l’agressivité même semble avoir été bannie ? Caly me donne l’exemple en s’asseyant sur une marche d’escalier. Je me pose à ses côtés, la tête contre ses jambes et nous laissons filer le temps. Le matou gris le plus proche de moi, m’observe fixement et je suis comme hypnotisé par son regard. A l’arrière-plan, un matou noir, allongé sur une dalle de pierre, les oreilles dressées, nous surveille d’un œil goguenard…
Nous sommes rentrés au gîte vers 18 h, du moins c’est ce que disait le clocher du village. Nous n’avons pas le moindre souvenir de notre trajet de retour jusqu’à la voiture. Nous ne ressentons aucune fatigue, au contraire, plutôt un immense sentiment de bien-être. Nous nous sommes assis vers la fenêtre. Le soleil illumine un dernier carré de montagne. Le village est là, face à nous, et peut-être sommes-nous les deux seuls êtres humains à le savoir.

One Comment so far...

fred Says:

12 décembre 2007 at 10:47.

ouah ! ça me fait un peu peur cette histoire !
Ce n’est pas les Egyptiens qui se servaient de chats comme gardien ?
De là à ce que vous réveillez une momie endormie…
Si elle est autant de charmante humeur que certains le matin, ça promet !!

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