21 août 2008

Le cheminement incertain d’une pensée vagabonde

Posté par Paul dans la catégorie : Boîte à Tout .

C’est l’été, enfin le calendrier affirme que c’est l’été, je dirai même qu’il martèle cette information afin qu’on arrive à y croire. Donc c’est l’été… C’est fou ce que les gens arrivent à faire pendant l’été : du bronzage idiot sur les plages, à l’intense réflexion philosophique, en passant par les compotes et les confitures, les records de distance en VTT ou la peinture de la salle à manger… Moutons dans le troupeau, nous n’échappons pas à ces comportements divaguants et nous nous immergeons dans ce délicieux fatras d’activités, ce qui explique, en partie, le ralentissement des publications charbinoises. Il faudra que j’engage un jour une réflexion sur la notion de « vacances » pour un retraité… En tout cas, ce relâchement doit avoir des répercussions sur le fonctionnement neuronal car je n’arrive pas à établir le cheminement pervers qui m’a amené à rédiger cette chronique sans queue ni tête. J’ai boudé ces sujets de choix que constituaient les guerres du Caucase et leur dimension géopolitique, les réunions d’urgence de Monsieur Fillon pour nous expliquer qu’il va falloir ajouter des trous pour serrer un peu plus la ceinture ou la mort « regrettée mais malheureusement inévitable » de nos « enfants de la patrie »…

Je dirais que j’ai plutôt suivi les méandres de la cuillère brassant la confiture de mûres, sans vous donner notre recette ; j’ai abandonné en chemin le château des Allymes dont je tenais à vous parler et j’ai boudé pour un temps le petit plaisir de vous parler des dernières BD que j’ai découvertes (Manu Larcenet devra patienter…). Tout ça pour en arriver à cet amoncèlement de phrases que je vais baptiser « chronique » sans aucun respect pour mes lecteurs (et lectrices). D’ailleurs je m’en fous, la moitié d’entre eux (d’entre elles) sont en train de voyager, de philosopher, de bouder ou de participer à l’Université d’Eté des FARC pour préparer leur rentrée ménagère et sociale. Ce sont Google et Yahoo qui assurent une partie de mon lectorat en ce moment et certains ne doivent pas être déçus du voyage ! Je me refuse à faire la moindre pub pour ce blog, ne serait-ce d’ailleurs que – même si ce n’est pas la vraie raison – parce qu’il ne rentre dans aucune catégorie préétablie de la blogosphère et que je ne veux pas être squatté par les polémistes professionnels. Tant pis pour le classement dans le Who’s who internet, je compte sur vous pour le bouche à oreille, tout en prévenant vos correspondants qu’ils vont se retrouver dans une sacrée pétaudière, comme disait ma grand-mère, bonne maman, celle qui faisait des confitures.

A chaque problème il faut un coupable, c’est une évidence de base, même lorsqu’il s’agit d’égarement dans le cheminement intellectuel. Alors j’ai décidé que tout ça c’est la faute de « Libération ». Je n’ai jamais aimé ce canard sauf au tout début peut-être, car j’ai trouvé qu’il avait très vite rompu les amarres avec son projet initial. Je n’ai jamais eu de sympathie pour Mr July dont je n’apprécie pas la prose, et je me suis toujours méfié de lui. je ne lis donc ce « France Dimanche (feu) de Gauche » que très occasionnellement, généralement lorsque quelqu’un l’oublie en quittant la maison. Tant mieux si Mr Rotschild est content de le financer : il fait ce qu’il veut de son argent, tant qu’il ne nous emm… pas. Certains pleurent en tout cas régulièrement sur la dégénérescence de leur feuille de chou ex-préférée et cherchent des explications… Plusieurs Sherlock Holmes du Web se sont amusés à faire l’historique du titre – historique remontant à une période antérieure à la Résistance – et, grâce à leur travail, j’ai découvert un personnage assez étonnant et un « ancêtre » de notre « feuille charbinoise ». Le Monsieur auquel le trust July-Rotschild devrait verser des droits d’auteur s’appelle Jules Vignes et c’est sans doute lui qui a publié le premier journal « Libération », à St Genis Laval (Rhône), en 1927. D’inspiration nettement libertaire, cet ancêtre illustre témoignait d’une très nette volonté d’ouverture en ce qui concerne sa philosophie éditoriale et son contenu. Ceux qui sont intéressés par cette histoire sont invités à consulter l’excellente étude publiée à ce sujet sur Rebellyon.

Moi, ce qui m’a plu, c’est que ce Monsieur Jules Vignes, militant anarchiste de longue date, n’en était pas à sa première publication. Avant d’imprimer et de diffuser « Libération », il avait réalisé « La Torche », en 1908, puis « La Feuille » en 1917. Ce dernier titre verra sa publication interrompue, puis elle reprendra en 1945 à la Libération. Jules Vignes publiera encore « Le vieux travailleur » en 1951, puis « Le travailleur libertaire » en 1957 ; il mourra à Lyon en mars 1970, sans avoir vu son rêve de transformation sociale radicale se réaliser. Une petite recherche sur son journal « La Feuille », m’a permis de faire une découverte surprenante : outre l’anarchisme, le rédacteur de cette gazette, était également propagandiste de l’idisme. Certains articles étaient écrits en « ido ». Vous connaissez cette langue ? Eh bien moi non, jusqu’au moment où j’ai découvert sa mention dans l’historique de « La feuille ». L’ido était (et est toujours) un langage international, comme l’espéranto. Selon Wikipedia, il s’agissait d’une simplification de l’espéranto. L’ido a été mis de côté après 1920 mais il est à nouveau utilisé de nos jours. Toujours selon la même source, il y aurait environ deux mille locuteurs de l’Ido, quelques revues publiées, et à ma grande surprise, près de quinze mille articles dans l’encyclopédie participative en ligne… Histoire de couper l’herbe sous les pieds à certains de ma connaissance, je précise que la pratique de l’ido n’est pas l’idolâtrie…

Je ne revendique aucune filiation directe entre « La feuille charbinoise » et « La Feuille », même si j’ai des sympathies marquées pour les idées de Monsieur Jules Vignes, mais je suis fier que notre blog ait de tels ancêtres. Le militant anarchiste intègre, éditeur de la première « Feuille » aurait sans doute trouvé déplacées les digressions auxquelles se livre l’auteur de « La feuille » pixellisée, mais la publication originale se distinguait déjà par la grande diversité des thèmes abordés… Jules Vignes écrivait sur les sujets qui lui tenaient à cœur, de l’antimilitarisme à la lutte contre l’alcoolisme, en passant par une réflexion sur l’alliance entre l’Eglise et l’Etat, une dénonciation du « phallocratisme » et la promotion d’une langue compréhensible par tous. Le militant avait évolué du syndicalisme à l’individualisme car il se méfiait des jeux de pouvoirs et de l’intégration (déjà !) de certaines structures syndicales.

De fabricant de galoches, Vignes était devenu trimardeur avant de se fixer dans l’Allier, puis dans le Rhône où il exerça différents métiers. Il était très apprécié de ses compagnons de lutte pour sa rigueur morale. Dans sa biographie, j’ai rencontré le nom de Célestin Freinet, l’un de mes maîtres à penser, dont il a publié une brochure juste avant la guerre. Jules Vignes n’a pas laissé de « marque profonde » dans l’histoire, car il appartenait à cette race de gens qui n’avaient pas pour but ultime le fait de monnayer leurs compétences ou leur philosophie. Nous vivons dans une époque de « paillettes » et de « superficialité » dont ces gens, militants profondément ancrés dans la réalité quotidienne, n’avaient même pas idée. Actuellement on mesure l’amplitude de la pensée d’un philosophe ou d’un militant politique au nombre de ses passages devant les médias ou au volume de tirage de ses « ouvrages de réflexion » (Lire l’excellent billet de Sébastien Fontenelle au sujet de BHL ce jour). Elysée Reclus, Louise Michel, Emma Goldmann, Francisco Ferrer, Célestin Freinet, Louis Vigne, Emilie Carle, avaient les galoches au pied et les mains dans le charbon. Eux, et beaucoup d’autres anonymes, je les respecte profondément. Tous n’étaient pas des manuels ; certains étaient des intellectuels purs et durs : là n’est pas le problème. Ces gens avaient des racines (ce n’est pas la même chose qu’une patrie), ils étaient le reflet des êtres humains qui les entouraient et non des pantins désarticulés. Puisqu’on est dans les galoches, « Chemin faisant », je mettrais bien Jacques Lacarrière dans le même sac, même si je suis quelque peu hérissé par ses penchants tardifs pour le bouddhisme. Quoique, après tout, je me suis aussi intéressé aux œuvres d’Alexandra David-Neel qui a réussi le grand écart entre la pensée libertaire et la philosophie orientale !

Sur ce, je vais laisser se refermer mon livre d’histoire et je vais me remettre à mesurer, scier, raboter et assembler les éléments de la Pergola que je suis en train de construire dans le jardin. La qualité des emboîtements de mes tenons-mortaises m’intéresse plus que l’influence de Spinoza sur la décadence de Charlie Hebdo. Un jour, quand même, je vous causerai un peu philosophie, dans un domaine qui m’interpelle beaucoup, surtout en ce moment, celui de l’éducation des enfants : on décortiquera les termes « autorité » et « responsabilité » très à la mode en ce moment. Mais là y’a du travail si on veut causer sérieusement et, comme je le disais juste avant, j’ai du rabot sur la planche et des courgettes à me farcir !

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