23 août 2008

Labour partie : intermède

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .

Non, rassurez-vous, je n’ai pas l’intention de vous parler du parti travailliste de Monsieur l’illustre Blair. Je comprends fort bien qu’un tel sujet, d’un inintérêt aussi marqué, n’est guère porteur dans cette actualité frémissante de pré-rentrée (ou de fin de sortie selon le choix de chacun). Mon propos est tout autre… Ce qui m’intéresse aujourd’hui ce sont les grandes festivités qui ont lieu ce samedi, quasiment sous mes fenêtres : un grandiose concours de labour avec une soixantaine de tracteurs participant, une buvette, des exposants et une sono d’enfer que l’on entend à cinq kilomètres à la ronde. Au début, j’ai cru qu’il s’agissait d’un « technival », d’une « rave partie », quoique, avec le gros tracteur, reconstruit en balles de paille, qui trônait au carrefour, vers la départementale, j’avais des doutes… En fait de techno, c’est de technologie qu’il s’agit, en fait de rave, ça serait plutôt les champs de blés déjà moissonnés qui seraient tout retournés.

Ceux qui croient que nos campagnes végètent loin de toute animation culturelle (ou sportive) se trompent grandement. Durant tout l’été, les manifestations diverses, variées, mais non revendicatives, secouent la torpeur ambiante : merguez, moules, frites, sorbet cassis (servis séparément) des anciens de la FNACA (ah… l’Algérie…), comice agricole, intervillages, bal champêtre, feu d’artifice du 14 juillet, vente de gaufres au profit des caniches déplumés… et pour conclure ce mois d’août à la météo si excitante, un concours professionnel, un peu plus sérieux, un peu plus élitiste : la labour partie…

Certains sont arrivés de bonne heure ce samedi matin : isolés ou en bande, richement décorés de plants de maïs ou ornés de banderoles syndicales (notre région est un fief revendicatif des gauchistes de la FNSEA)… Il y en a des bleus, des verts, des rouges, des bleus, des verts, des rouges… Vu de loin, avec des jumelles mal nettoyées, on dirait un tableau de Monet : de fringants coquelicots ou de pétulants bleuets s’épanouissant sur le fond jaune des chaumes de blé. Une juste revanche de ces fleurs magnifiques quasi disparues des champs de céréales à cause des désherbants que nos joyeux agriculteurs épandent à foison sur ces terres bientôt stériles. Vu de près, le bruit des moteurs et surtout l’odeur du diésel mal combusté enlève un peu de poésie à la scène…

La plupart de nos valeureux concurrents sont venus avec un commando de supporters, discrets, distingués, mais efficaces : conjoint, conjointe, enfants, amis, marchands de machines agricoles « up to date »… Tous s’agitent autour de la bête de compétition, vocifèrent, gesticulent, font de savantes mesures à l’aide d’un mètre déroulant, voire même d’un décamètre selon les cas : parallélisme des sillons, profondeur, nombre de morceaux d’amphore romaine déterrée, os de mammouths… Car un concours de labour, c’est technique, très technique ! Les parcelles labourées sont de petite dimension et, vue l’énormité des engins, la zone de manœuvre en bout de rang est aussi importante que la zone travaillée. En observant la chose de près, on comprend la nécessité du remembrement, l’absurdité de la haie ou de l’arbre isolé qui, à eux seuls, font perdre au moins dix minutes en braquage, contre-braquage, basculement de soc, reprise de sillon… etc…

Je connais bien la question car, quand j’ai débuté dans le métier, ô combien risqué, d’enseignant, j’avais la joie de travailler dans une classe unique (plaisir bien réel) et celle d’avoir affaire à deux enfants d’agriculteurs qui avaient été nourris au biberon par un tracteur. Pour l’un, c’était Someca, et pour l’autre, Mac Cormick, si ma mémoire n’est pas trop défaillante (à moins que ce soit Alzheimer, mais je ne suis pas sûr que cette marque fasse dans le matériel agricole). Chaque fois que je les appelais (bien gentiment) à mon bureau, l’un ou l’autre se levait, embrayait, passait les vitesses, levait la charrue et amorçait une manœuvre complexe dans les rangées. Je ne vous explique pas l’état des cartables ou des êtres humains de taille inférieure qui avaient le malheur de se trouver sur le parcours. A l’arrivée au bureau, j’avais droit à toutes les opérations en ordre inverse. J’avoue que, malgré le talent des imitateurs, je n’ai jamais été capable de distinguer (les yeux fermés) le Someca du Mac Cormick. Quant à l’Education Nationale, je n’ai jamais su (et je ne sais toujours pas) quelle étiquette elle apposait sur ce genre de « troubles » du comportement et quelle « remédiation » elle avait à proposer à ces clients singuliers. A la lumière de cette anecdote, vous comprendrez qu’un concours de labour sous mes fenêtres ça ne peut pas me laisser indifférent !

A l’heure où j’écris ces lignes, les labours se terminent juste et le jury n’a probablement pas encore fait son travail. Si l’on y réfléchit un peu, ce n’est pas évident de noter soixante parcelles labourées ! C’est autre chose qu’un cent mètre brasse dans la piscine olympique ou qu’une pile de copie de philo à corriger. Les critères sont tout autres que le chronomètre ou le divin respect de la trinité « thèse – antithèse – synthèse ». Il est fort probable que c’est une expérience palpitante que je ne vivrai pas d’ici ma disparition, même si, comme je le souhaite vivement, celle-ci n’est pas trop prématurée. Vous me direz que je pourrais être indiscret et que, profitant de mon statut de non-concurrent, je pourrais observer en douce les membres du jury pour connaître tous leurs secrets d’alcôve à six socs. Non, je ne le ferai pas ; je préfère conserver l’auréole de mystère et de prestige qui entoure ce genre de concours ; j’aurais trop peur d’être déçu et d’apprendre qu’il y a des malversations, voire du dopage dans cette noble discipline. De nos jours, on n’est plus à l’abri de rien : il y a tant de gens malhonnêtes…

Si le beau temps veut bien s’installer, et si j’ai du temps à perdre, j’irai peut-être faire un tour sur le champ de foire. J’écris ce billet avant même la remise des prix. Vous ne saurez donc pas le nom du vainqueur, mais je ne suis pas sûr que cela vous fasse beaucoup de peine ! De toute façon, ne soyez pas inquiet, si la finale de cette manifestation est à la hauteur de l’entrée en matière, je ne manquerai pas de vous en informer ! J’espère en tout cas que les djeunes qui viendront faire de la musique dans les champs labourés les semaines qui viennent, ne retrouveront pas des seringues usagées, des préservatifs en mauvais état et des canettes d’extabière de partout. Les « labour parties » ont leur réputation à préserver !

2 Comments so far...

Pascaline Says:

23 août 2008 at 16:49.

Rassure-toi, je surveille par la fenêtre. C’est vachement curieux ces champs toujours désert, envahis aujourd’hui par une foule disparate. Et l’élection de miss Vache, elle est prévue ?

Grhum Says:

25 août 2008 at 22:37.

Ah labour ! Toujours labour !…

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