1 septembre 2008

L’ami des grives, des sculpteurs et des nymphes

Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres .

Son nom latin, Sorbus Aucuparia, ne vous dit probablement pas grand chose… Son nom commun, Sorbier des Oiseleurs, est sans doute plus évocateur. Arbre sacré pour les peuples nordiques, sa place est bien discrète dans notre monde moderne et il est pratiquement absent des plants de reboisement de nos architectes forestiers. S’il n’avait trouvé sa place, bien méritée, comme arbre d’ornement dans les parcs, ce digne représentant de la famille des sorbiers, cousin des alisiers, des poiriers et des pommiers, figurerait sans doute dans le catalogue des arbres considérés comme « de peu d’intérêt économique » et par conséquent « en voie de disparition ». Ce serait parfaitement injuste car le sorbier des oiseleurs ne manque pas de qualités. Les quelques lignes qui suivent ne sont donc pas objectives : elles ont pour but de faire l’éloge de cet incompris, et de vous donner aussi l’envie d’en planter un, si vous avez la chance de posséder un bout de terrain où il serait sans doute heureux de s’épanouir.

Tout comme la place qu’il occupe dans les programmes de reforestation, il faut dire que l’arbre par lui-même est relativement discret. Il atteint généralement une dizaine ou une quinzaine de mètres de haut, avec un tronc d’un diamètre maximum de 30 ou 40 cm : ce n’est donc pas un géant du monde végétal, si on le compare au sapin de Douglas ou au chêne Rouvre. Les traités d’arboriculture le qualifient généralement de « petit arbre ». Sa durée de vie n’excède pas le siècle, ce qui n’a rien d’exceptionnel non plus, lorsque l’on songe à la longévité de certains de ses grands frères : tilleuls, oliviers, châtaigniers ou, pourquoi, pas séquoïas, largement millénaires lorsque l’homme leur en laisse le temps. Faible diamètre de tronc, petite quantité de bois, le sorbier n’intéresse guère les exploitants forestiers et encore moins les scieries. En fait, depuis que la mythologie « païenne » a reculé, depuis que l’homme ne témoigne plus qu’un respect minimal aux puissances de la nature, les principaux amis que le sorbier a conservés, ce sont les oiseaux, en particulier les grives, qui sont friandes des grappes de baies rouges, d’un beau rouge bien criard, dont notre grand timide se couvre à la fin de l’été. Ce pêché de gourmandise coûtait autrefois fort cher à ces pauvres grives car l’homme, toujours à l’affût d’une faiblesse qu’il puisse exploiter, se servait des baies du sorbier pour les attirer et les capturer ; d’où la désignation populaire de sorbier « des oiseleurs ».

Il y eut une époque aussi, en grande partie révolue, où le sorbier attirait les sculpteurs, car son bois brun rougeâtre, assez dur, se travaillait et se polissait fort bien. Mais, dans ce domaine, le sorbier des oiseleurs a un cousin qui lui fait du tort, même s’il a un nom moins charmeur : le sorbier domestique ou Cormier. Le bois de ce dernier arbre possède toutes les qualités énoncées pour le sorbier, mais multipliées par deux ou trois. Le bois de cormier est le plus lourd et le plus dense de nos bois indigènes et il est tellement dur qu’on l’utilisait autrefois pour réaliser des semelles de rabot par exemple, ou des engrenages, du temps où l’on se servait encore du bois dans certaines transmissions mécaniques. Par souci de simplification, Les menuisiers appellent la première essence tout simplement « sorbier » et la seconde « cormier », sans se compliquer la vie. Dans les pays nordiques, les planchettes de sorbier, à cause de la finesse de leur grain, étaient utilisées pour la gravure des textes en runes : les Norvégiens l’appelaient d’ailleurs « rogn » et les Suédois « ronn ». La ressemblance avec « rune », terme signifiant « secret magique », est assez évidente… Nous allons donc nous tourner vers les contrées du Nord pour trouver le sorbier des oiseleurs à une place plus honorifique que celle qu’il occupe chez nous.

En Scandinavie, le sorbier des oiseleurs est un arbre important dans les traditions populaires et dans la mythologie. Selon Helmut Pirc, dans son livre « arbres de A à Z », en Finlande, dans la célèbre épopée nationale, le Kalevala, le sorbier des oiseleurs est le seul arbre qui puisse servir de refuge à la nymphe Philajatar. Certains vont sans doute se demander qui est cette créature délurée qui a besoin de se réfugier dans les arbres… Le texte auquel se réfère Helmut Pirc, Le Kalevala, est un immense poème de plus de vingt mille vers, composé à partir de chants et de récits populaires finnois. Il se situe donc à mi-chemin entre l’histoire et la mythologie, et il faut savoir que notre bon vieux Tolkien s’en est quelque peu inspiré (parmi d’autres ouvrages bien sûr) pour développer certains personnages de la mythologie de la Terre du Milieu. Ce texte, dans sa version définitive, a été rédigé en 1849 par Elias Lönnrot, médecin et folkloriste, épris de traditions populaires… Certains des récits qu’il a utilisés sont sans doute vieux de un ou deux millénaires. Et notre nymphe dans tout ça ? Eh bien elle est l’une des créatures magiques de l’univers dans lequel évoluent les personnages centraux de la saga, Wäinämöien, le barde, Ilmarinen, le forgeron, et Lemmikaïnen, le fier guerrier, le séducteur. Le Kalevala, récit épique, conte les démêlés de ces héros aux pouvoirs surnaturels, avec les forces du mal, incarnées par une tribu de créatures malfaisantes habitant une région tout à fait au Nord du monde connu, le Pohjola. Il existe une traduction du Kalevala en français (Gallimard, collection « aube des peuples, traducteur Gabriel Rabroucet, 1991), et vous pouvez vous y reporter pour connaître plus en détail les aventures de Philajatar. Vous pouvez aussi consulter ce site ou celui-là et vous apprendrez des milliers de choses sur l’œuvre et son auteur.

On trouve aussi le sorbier à une place de choix dans les traditions et légendes écossaises. Ses rameaux protègent des mauvais sorts et chassent les sorcières et les sortilèges. Selon Pierre Lieutaghi (livre des arbres, arbustes et arbrisseaux), les fermiers des Highlands les plantaient à proximité de leur demeure, et, le premier mai, ils faisaient passer moutons et agneaux dans un cerceau de sorbier pour les préserver de tout accident. En Ecosse également, on trouve des sorbiers plantés non loin des cercles de pierres dressées. On ignore toutefois s’il s’agit d’une association rituelle entre les mégalithes et la symbolique particulière attribuée à ces arbres ou si, au contraire, ils ont été plantés, a posteriori, comme protection contre la terreur que pouvaient susciter ces anciens lieux de culte dans l’imagination populaire. Les sorbiers se retrouveraient alors dans un rôle protecteur proche de celui qu’ils jouent avec les troupeaux.

Singularité de la botanique : bien qu’ils soient classés dans la même famille, sorbier et alisier se distinguent très facilement par la forme de leur feuille. Celle des alisiers est simple, alors que celle des sorbiers est composée, comme celle du frêne par exemple. Si vous vous décidez à planter un sorbier pour pouvoir, vous aussi, bénéficier du spectacle de ses branches couvertes par une nuée d’oiseaux à l’automne, sachez qu’il s’agit d’une espèce de lumière (inutile donc de la planter en sous-bois) et qu’il apprécie les sols légers et plutôt frais. La plupart des plants que l’on trouve dans les pépinières sont obtenus par une greffe sur aubépine et, les premières années au moins, leur croissance est relativement rapide.
Si vous n’avez pas la possibilité de planter cet arbre magique, repérez en un lors de l’une de vos promenades. Un soir, au crépuscule, lorsque la lune est presque pleine mais que le brouillard lui donne un contour un peu diffus, peut-être aurez-vous la chance de rencontrer Philajatar. Donnez-lui le bonjour de Tom Bombadil ou d’Arwen Undomiel, cela lui fera toujours plaisir !

5 Comments so far...

fred Says:

1 septembre 2008 at 16:12.

En lisant en diagonale j’ai cru l’espace d’un instant que tu parlais du sorbet, l’ami du givre, qui lui aussi aime les endroits plutôt frais. Mais non finalement … Et puis après j’ai cru que tu parlais d’un voisin pénible et que tu voulais nous donner aussi l’envie d’en planter un … Décidément, je ne devrais rien lire un 1er Lundi de Septembre.

leirn Says:

1 septembre 2008 at 17:46.

Et la confiture de baies de sorbier, c’est bon. 🙂

fred Says:

2 septembre 2008 at 09:36.

Pourtant ça ressemble vraiment à des trucs qu’il faut éviter de manger ! Du style petites boulettes rouges empoisonnées ! C’est vraiment comestible ? Ou seulement en confiture ?

Paul Says:

2 septembre 2008 at 16:35.

Les fruits du sorbier des oiseleurs sont comestibles, mais de préférence cuits. Crus, ils ne sont pas très savoureux, un peu amers et contiennent, en petite quantité une substance toxique, l’acide prussique. Ce poison (léger à petite dose) disparaît totalement lors de la cuisson. Mieux vaut donc utiliser ces fruits en confiture, ou alors les distiller (saveur voisine de celle du kirsch).

fred Says:

3 septembre 2008 at 09:37.

L’acide Prussique ? Moi qui suit germanophile j’y suis complètement immunisé !

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