18 novembre 2014

Et si le Mélèze était l’axe du monde comme le pensent les Yakoutes ?

Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres .

600px-Larix_decidua_Saastal Le temps est venu de vous parler d’un bel arbre, un conifère bien singulier ; le seul, commun dans nos forêts, qui perde ses aiguilles chaque hiver pour en retrouver de nouvelles, d’un vert bien tendre, quand vient la saison où le grand tétras commence sa parade d’amour. « Arbre du monde » pour les peuples autochtones de Sibérie, les Yakoutes ou les Toungouses, il occupe une place importante dans la mythologie de tous les pays où il illumine les forêts par sa splendeur dorée à l’automne. Pour beaucoup d’Alpins, il est tout simplement le « seigneur de la forêt ». Les Gaulois puis les Latins l’ont baptisé Larix ; les Dauphinois lui ont sans doute donné son patronyme le plus connu : mélèze. Il pousse dans de vastes espaces boisés que l’on nomme mélézins. Dans les guides de voyage édités par les écureuils, ces lieux paradisiaques offrant l’un des meilleurs gîtes et un couvert exceptionnel sont labellisés cinq étoiles. Je vous propose de détailler quelque peu cette présentation grandiloquente, et de vous expliquer en quoi les éloges dont on couvre ce végétal aussi majestueux que modeste sont largement mérités.

290px-SubalpineLarch_7735tl Nul explorateur, nul botaniste distingué, n’a jamais implanté cet arbre dans nos forêts tempérées de montagne, puisqu’il en est originaire… Il a une préférence marquée pour la partie élevée de l’étage subalpin où il pousse jusqu’à 2500 m. Par contre son aire de répartition géographique est probablement plus réduite qu’elle ne l’était avant les différentes phases glaciaires qui ont marqué l’évolution de la faune et de la flore de notre continent. Il ne pousse plus en Scandinavie par exemple, alors qu’il y était sans doute très répandu à une époque que vous êtes trop jeunes pour l’avoir connue. Le mélèze sait se contenter de peu : il joue un rôle de pionnier dans le reboisement des terrains ravagés ; n’appréciant guère la concurrence d’autres espèces à croissance plus rapide, au bout d’un temps, ses descendants trouvent de nouveaux espaces pour s’implanter. Le mélèze est un arbre voyageur ! Il apprécie la pleine lumière, se contente d’une certaine sobriété en matière d’eau et de nutriments. Pour subvenir à ses besoins, il développe un vaste réseau de racines qui ont le mérite de maintenir en place les terrains dans les zones d’éboulements, les versants escarpés des terrains en bordure de torrents, ou les larges coulées des vallées glaciaires. Dans ces terrains arides, ses graines germent assez facilement, la végétation se développe et la chute régulière des aiguilles permet la constitution d’un humus favorable à la croissance d’autres arbres, le pin ou l’épicéa, par exemple.

Larix_kaempferi_(Trondheim) Le mélèze est un arbre à croissance lente, mais il peut atteindre des dimensions exceptionnelles lorsque l’écosystème lui est favorable. Sa silhouette est élancée ; son fût est droit et très élevé ; il atteint facilement 30 à 35 m de hauteur, mais certains spécimens connus atteignent ou dépassent 50 m. Sa longévité est considérable elle aussi : même s’ils se font rares, on sait que certains arbres vénérables de cette espèce dépassent le demi-millénaire. Contrairement aux plantations d’épicéas, par exemple, le sous-bois du mélézin est lumineux et souvent herbeux. Pendant longtemps les bûcherons des Alpes ont favorisé sa croissance en éliminant ses plus redoutables concurrents. Lorsque le sapin pectiné ou l’épicéa dominent, le mélèze perd de sa splendeur… En pratiquant des coupes sélectives dans lesquelles ils n’abattaient que ses cousins, les forestiers ont favorisé le développement de mélézins assez étendus. Cette tendance a peu à peu perdu de son importance et l’on a redécouvert ces dernières décennies, l’intérêt que présentait le bois du Mélèze, notamment pour les usages en charpente et en menuiserie extérieure. Ce bois, fortement imprégné de résine, présente la particularité d’offrir une excellente résistance aux intempéries. Les architectes contemporains découvrent à nouveau le charme que présente le bois dans la construction. La demande de « Larix decidua » (nom botanique de l’arbre) augmente régulièrement dans les scieries.

Bardeaux longueur unique, maison Malnou Les anciens connaissaient bien les vertus mécaniques et chimiques du mélèze. Tous ces chalets anciens que l’on peut admirer dans les différentes vallées alpines où les touristes affluent, Queyras, Abondance, Beaufortain… ont été bâtis avec ce bois incroyablement résistant. Nul besoin de lasure, vernis ou huiles diverses, pour qu’il se conserve. S’il est exposé « nature » aux intempéries, il ne présente qu’un seul défaut aux yeux de nos modernes bâtisseurs, celui de noircir à la lumière… Une fois traité avec un produit naturel, genre huile de lin par exemple, cet inconvénient (aux yeux de certains) disparait. Il suffit d’être soigneux et de renouveler fréquemment les premiers traitements. Quant aux lasures « écologiques » et autres « produits miracles », vous pouvez les laisser dormir tranquillement sur les étagères des supermarchés. Votre portefeuille ne s’en portera que mieux ! Les anciens se servaient même de troncs de jeunes mélèzes évidés comme chenaux ou comme tuyaux pour canaliser l’eau des sources éloignées du domicile ou du pâturage des animaux… Barrières pour les enclos, bardeaux pour couvrir les toits, bancs et coffres de bergers, abreuvoirs, tonneaux, ponts sur les torrents… dans les Alpes, les usages de ce résineux semblaient sans limites. Même la résine, recueillie par saignée sur les troncs, a été utilisée pendant des siècles, sous l’appellation fort exotique de Térébenthine de Venise. Ses vertus étaient nombreuses en médecine ou en droguerie. Selon Pierre Lieutaghi, les peintres l’employaient comme conservateur dans la dilution de leurs couleurs. Sans ce baume miraculeux, il est possible que les toiles de Rubens, par exemple, ne nous soient parvenues que bien affadies ! Ceux qui douteraient encore de la valeur de ce bois doivent savoir que dans l’embouchure de la Neva, près de Leningrad, on a découvert des navires coulés depuis un millénaire au moins. Une partie de leur structure était fabriquée en mélèze. Certains échantillons prélevés sur les épaves sont encore si durs qu’ils offrent une solide résistance à nos outils modernes…

bois meleze Il est intéressant d’estimer la valeur d’un arbre en étudiant la place plus ou moins essentielle qu’il occupe dans les légendes et traditions populaires… Celle-ci peut varier selon les régions du monde, en fonction de la richesse du patrimoine végétal disponible localement… En beaucoup de places, le mélèze était concurrencé par d’autres confrères prestigieux déjà évoqués dans ces colonnes : le frêne, le chêne, le châtaignier, l’if… nombreux étaient les arbres qui occupaient une place de choix dans le hit-parade des croyances régionales. En consultant la documentation disponible à ce sujet, il semble qu’il y ait au moins deux régions d’Europe où la place du mélèze ait été considérablement élevée. La palme doit sans doute être attribuée aux peuplades de Sibérie Orientale, les Yakoutes ou les Toungouses. Dans leur culture, le mélèze (appelé Tuuru par l’un de ces peuples), est considéré comme une axe de communication fondamental entre le monde aérien et le monde souterrain. Son tronc sert de demeure au Créateur et à la déesse d’or. Ses branches touchent au domaine des dieux solaires, les Aly qui habitent le ciel. Ses racines plongent dans le royaume des démons Abasy, refuge de prédilection du magicien noir. Les chamans des tribus Yakoutes utilisent le tronc du mélèze comme une échelle pour voyager entre les différents mondes, celui des dieux, celui des hommes et celui des morts. Voici ce qu’en disent les auteurs du livre « Histoires d’arbres » (*) :

« Chaque fois que de grands malheurs frappent son peuple, ou lorsque le gibier diminue, le prêtre escalade l’arbre sacré pour intercéder auprès des dieux. Pour certains Yakoutes, l’âme du chaman reçoit son éducation dans un mélèze aux neuf branches, sur lequel est perché un corbeau qui est leur professeur. Plus le chaman approche de la cime, plus il possède de science. Pour d’autres, l’âme du chaman est forgée par le forgeron mythique Kidaï-Bakhsy qui loge dans les racines de l’arbre. »

Dans le même ouvrage, vous trouverez à ce sujet une très belle légende yakoute intitulée « ar Koudouk Mas, l’arbre d’or sur la montagne d’or ».

Fotothek_Hugellandschaften Le Tyrol, en Autriche, est aussi une place où le mélèze occupe une place importante. Il arrive des aventures des plus improbables aux hommes et aux femmes qui se promènent dans les mélézins. Ainsi, près du village de Graun, habite une étrange créature ensorceleuse, la Salgfraülein, toute vêtue de blanc et terriblement séductrice. Elle est bien plus belle que ses consœurs terrestres et sa voix enivre d’amour ceux qui s’en approchent de trop. Les bergers tombent sous son charme. Elle les conduit alors dans sa grotte et leur fait admirer, non point ses attraits, mais une crèche dans laquelle trônent une multitude de petites figurines de chamois. S’il veut retrouver la liberté, le visiteur doit alors promettre de ne plus tuer de gibier et de se nourrir plutôt de fromage…
Le mélèze permet aussi, dans les mêmes contrées montagnardes, d’entrer en contact avec les disparus et de les aider à trouver le repos éternel. Lorsque l’on se promène dans une forêt de mélèzes, il faut alors prêter attention aux chants que l’on peut entendre autour de soi. Certains peuvent provenir de créatures tourmentées qui n’arrivent pas à sortir de leur errance. On peut alors accomplir une bonne œuvre en menant une quête permettant de faire disparaître la cause de leur tourment. L’arbre majestueux joue en de nombreuses autres occasions le rôle d’intercesseur entre les vivants et les morts. On le qualifie parfois « d’arbre des revenants ». Vous comprendrez pourquoi ! Le Christianisme a mis un peu d’ordre dans tous ces mythes, mais n’a pu faire disparaitre totalement les lieux qui les inspiraient. Il existe de nombreux endroits où l’on va en pèlerinage pour rendre grâce à une statue de la Vierge finement sculptée dans un tronc par un artiste local.

planche botanique Larix_decudua0 Si vous voulez admirer les superbes couleurs du mélèze, du vert tendre printanier au jaune d’or de l’automne, il ne vous reste plus qu’à vous promener dans les vallées alpines ou dans les arboretums, ou bien à en planter un près de chez vous, à condition d’avoir la place. Les teintes magnifiques que prennent les aiguilles, vous en profiterez rapidement. La croissance de l’arbre est en effet soutenue les premières années. En ce qui concerne la prestance magnifique d’un spécimen plus âgé, mieux vaut songer que vous travaillez pour les générations à venir. On ne devient pas « un arbre vénérable » (**) en quelques brèves décennies. Mais le jeu en vaut la chandelle car le mélèze n’est pas un arbre compliqué. Choisissez lui un bel emplacement, dégagé, ensoleillé, et il fera ce qu’il faut pour croître harmonieusement. Il est vrai qu’il n’apprécie pas vraiment les basses altitudes ou le climat océanique et ne deviendra pas multi centenaire sous n’importe quelle latitude. Il n’en reste pas moins qu’on devrait le planter plus souvent dans nos parcs, même en plaine. Sachez aussi qu’il existe une espèce proche du Larix decidua, le Larix leptolepis, ou mélèze du Japon, qui s’accommode mieux aux climats pluvieux. Sa croissance est plus rapide et son bois de très belle qualité également. Par contre, il n’apprécie guère les longues sécheresses estivales. Enfin, si vous souhaitez réaliser quelque bel objet en bois à placer en extérieur (nichoir, banc, gloriette ou autre ouvrage ornemental), pensez à choisir cette essence plutôt qu’un bois importé de quelques lointaines contrées… Par pitié, accordez la grâce aux quelques beaux cèdres rouges qui poussent encore dans certaines rares forêts primaires… On fait aussi bien en matière de construction avec du robinier (faux acacia), du châtaignier ou… du mélèze !

Notes – Cet article est publié à l’occasion du septième anniversaire du lancement de ce blog (c’est aussi le six cent soixantième !). Pour le rédiger, j’ai utilisé plusieurs sources documentaires, parmi lesquelles deux de mes bibles, une ancienne, mainte fois nommée dans ces pages, « le livre des arbres arbustes et arbrisseaux » de Pierre Lieutaghi, et une nouvelle, (*) « Histoires d’arbres – des sciences aux contes » de Philippe Domont et Edith Montelle. Si vous êtes, comme moi, un amoureux ou une amoureuse des arbres, je vous recommande vivement l’achat de ce dernier ouvrage publié aux éditions Delachaux et Niestlé.
Photo n° 1 : Maurice Perry, via commons wikimedia (photo prise dans le Valais en Suisse) – Photo n°2 : Walter Sigmund, via commons wikimedia – Photo n°3 : Daderot, via commons wikimedia – Photo n°4 : bardeaux en mélèze fabriqués par la coopérative « ambiance bois » en Limousin – photo n°6 : via commons wikipedia.
(**) Amateurs d’arbres vénérables, vous vous devez de rendre visite au blog de « Krapo arboricole », enfin sorti d’une longue période de sommeil. Vous découvrirez, à cette adresse, des photos de mélèzes vraiment remarquables.

2 Comments so far...

François Says:

19 novembre 2014 at 08:02.

Merci pour cette belle chronique. Je sais que l’actualité te révolte, et il y a de quoi, mais ça fait du bien de la laisser de côté de temps en temps, par exemple pour se rappeler les merveilles de la nature.

Patrick MIGNARD Says:

19 novembre 2014 at 09:27.

Oui c’est vrai,… ce blog permet de respirer,… et par les temps qui courent ce n’est pas un luxe ! ! ! ! !

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