26 janvier 2009

Jurij Vega, les décimales de π et les cratères de la lune

Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Sciences et techniques dans les temps anciens .

Petit portrait du mathématicien Jurij Vega

baron Voyage en Slovénie, l’automne dernier. Une petite route dans le parc de Kozjansko, un château ancien fort intéressant à visiter (Podsreda). Tout au long d’un couloir, à l’étage, des maquettes en bois, très bien réalisées, présentant un certain nombre de dispositifs techniques imaginés par un savant slovène dont nous n’avons jamais entendu parler. Cela suffit pour exciter ma curiosité et me donner envie de combler une lacune évidente dans mes connaissances (modestes) sur l’histoire des sciences et des techniques. Vous allez profiter aujourd’hui de mes découvertes ainsi que de quelques-unes des jolies photos que nous avons prises de cette exposition. La première idée qui m’était venue, après la visite, c’était de comparer le personnage à Léonard de Vinci. Après avoir un peu « farfouillé » dans la documentation relativement modeste disponible en français sur ce personnage, j’ai renoncé à cette idée : trop d’années séparent les travaux de ces deux hommes d’une part ; d’autre part, le champ d’investigation de Vega me paraît plus restreint et ne comporte en particulier pas le domaine artistique. S’ils ont un point commun par contre c’est la part importante de la technologie militaire dans leurs inventions. Vinci devait répondre aux demandes pressantes des princes bellicistes qui le « sponsorisaient » ; Vega, lui, était militaire – officier dans l’artillerie de l’armée autrichienne – et donc directement concerné par la question : la balistique était l’un de ses dadas. Là où Vinci s’ingéniait à fabriquer des ponts de bateaux pour franchir les rivières, Vega s’intéressait à la trajectoire des obus ou concevait des treuils efficaces pour soulever les canons et leurs affûts. Là s’arrêtera la comparaison. Pour la postérité, le savant slovène est surtout resté célèbre en tant que mathématicien.

machine-vega-1 Jurij (Georges) Vega est né en 1754 dans un petit village de montagne, Zagorica, non loin de la capitale actuelle de la Slovénie, Ljubljana, où il a fait ses études. A la fin de sa formation, il reçoit le diplôme d’ingénieur naval. Il entre dans l’armée en 1780 et devient professeur de mathématiques à l’école d’artillerie de Vienne (rappelons qu’à cette époque, la Slovénie était l’une des provinces de l’Empire Austro-Hongrois). Il participe à plusieurs grandes campagnes militaires. Il se bat d’abord contre les Turcs et joue un rôle actif dans la prise de Belgrade. Ensuite, en tant qu’officier de l’armée autrichienne, il participe à la grande coalition contre les révolutionnaires français mais aussi à la guerre contre la Prusse. Le conflit contre la France lui permet de tester de nouveaux mortiers dont il a essayé de perfectionner le fonctionnement. Tout ceci se fait, bien entendu, sur le dos de nos ancêtres, les « sans culottes ». L’artilleur peut être fier de lui : grâce à ses savants calculs, la portée de ses engins de mort a doublé, mais cela ne suffit cependant pas à l’armée autrichienne pour éviter la déroute… [NDLR : voilà maintenant que ce blog immoral et apatride rend hommage aux ennemis de la nation, on aura tout vu !]. Entre deux campagnes, notre mathématicien réfléchit, calcule, vérifie, note… bref, occupe laborieusement ses journées. L’essentiel de son œuvre est rédigé en une vingtaine d’années seulement, entre 1780 et 1800. Vega meurt jeune, à l’âge de 48 ans. Il semble que son statut de militaire ne soit pour rien dans les conditions de sa disparition. Celle-ci a lieu dans des conditions mystérieuses, en septembre 1802, non loin de Vienne. Ses camarades retrouvent son corps sur les berges du Danube. Accident ou crime crapuleux ? Jusqu’à ce jour, Sherlock Holmes n’a pu résoudre cette énigme, alors vous pensez, ce n’est pas avec mes modestes talents que je vais le faire ! Un bon thème en tout cas pour un polar historique qui reste encore à rédiger.

log En fait, s’il y a une chance que vous ayez entendu parler de Vega pendant vos études, c’est probablement à cause du nombre π : c’est en effet lui qui, le premier, a énoncé les cent quarante premières décimales de ce nombre énigmatique, en 1789 (les cent vingt six premières – seulement – étaient justes…). Malheureusement pour lui, ni le Guiness Book, ni le prix Nobel de mathématiques n’existaient encore. Vega fut un ardent défenseur de l’introduction du système métrique décimal dans le domaine des poids et mesures. Il plaida cette cause difficile sans succès auprès de la monarchie des Habsbourg en 1781. Il fallut un siècle de plus pour que l’empereur François Joseph franchisse le pas et adopte le même système que ces « maudits Français ». Rappelons que chez nous, c’est par un décret de la Convention, en date du 7 avril 1795 que la révolution eut lieu dans le domaine des mesures. Il y eut ensuite une contre révolution de 1812 à 1830 puis une restauration définitive en 1830. L’un des travaux les plus remarquables de Jurkj Vega est la publication de volumineuses tables de logarithmes qui restèrent en usage jusqu’au début du XXème siècle. Par la suite, les ordinateurs prirent la relève pour les calculs. Certains se moquaient ouvertement de cet amoncèlement de données numériques et l’histoire raconte que l’on avait même promis une pièce d’or à qui trouverait une erreur. Mais Vega avait procédé à de nombreuses vérifications. La petite histoire précise même qu’il « occupait » à ce travail les soldats de son régiment… Un exemplaire au moins de cet ouvrage majeur « Thesaurus Logarithmorum Completus », appartenant à l’un de ses contemporains, Charles Babbage, (l’un des pionniers de l’informatique dont j’aurai l’occasion de reparler), est actuellement conservé à l’Observatoire Royal d’Edimbourg. Ce livre, publié une première fois à Leipzig, fut ensuite réédité une centaine de fois, jusqu’en 1924 au moins. En récompenser de cet important travail, l’Empereur d’Autriche lui accorda le titre de « Baron », ce qui, pour le fils d’une famille modeste (paysans pauvres), orphelin très jeune, fut sans doute une distinction appréciée.

Dernier champ d’investigations : notre homme était également un passionné d’astronomie et ses calculs ont entrainé la découverte d’étoiles que les instruments d’observation de l’époque ne permettaient pas d’observer. En hommage à ses succès dans ce domaine, un cratère de la lune et un astéroïde portent son nom. En 2004, la Slovénie a célébré le deux cent cinquantième anniversaire de la naissance de son héros, dont l’effigie ornait (avant le passage à l’euro) un billet de 50 tolars. Plusieurs livres, brochures et timbres lui sont également dédiés. Un musée est consacré à ce grand homme : il se trouve à Zagorica, à l’emplacement de sa maison natale (infos sur le site du musée).

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4 Comments so far...

Lavande Says:

26 janvier 2009 at 18:34.

Pas de prix Nobel en mathématique!
La légende (fausse) a longtemps été que Madame Nobel ayant un amant mathématicien, Monsieur s’est vengé en excluant les maths de sa dotation. En fait c’était simplement une grande inimitié entre Nobel (chimiste) et le plus grand matheux suédois de l’époque, très imbu de lui-même et déplaisant.
L’équivalent du Nobel pour les matheux est la « médaille Fields ». Plusieurs Français l’ont reçue.

Lavande Says:

26 janvier 2009 at 18:40.

Encore moi: tous ces beaux engrenages sont-ils en cormier?

Paul Says:

26 janvier 2009 at 20:50.

En cormier non je ne pense pas car dans une maquette les conditions de travail du bois ne sont pas les mêmes. A voir les photos agrandies, je pense que c’est du hêtre…
Merci pour les précisions sur le Nobel.

Grhum Says:

26 janvier 2009 at 23:23.

Oui pour compléter les explications de Lavande, c’est bien pour éviter d’avoir à attribuer le prix au mathématicien que le prix Nobel de Maths n’a pas été créé.
Quand à la médaille Fields, elle a plus de prestige que le Nobel car n’est attribuée que tous les quatre ans.

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