17 juillet 2022

Eh patron ! Une seconde tournée

Posté par Paul dans la catégorie : mes lectures .

Il y en a qui lisent beaucoup pendant les vacances !

Donc la dernière chronique ne suffira pas à les rassasier. Le grand manitou veille à la qualité de vos siestes…

Le serpent à deux têtes de Gani Jakupi

 Et une BD pour commencer, histoire de bousculer un peu le traintrain. La rencontre de deux personnages singuliers : M’rrangoureuk, valeureux guerrier aborigène mort par traitrise dans un combat que sa tribu a pourtant remporté, et le bagnard évadé William Buckley, moribond, effondré sur la tombe du héros défunt. Pour conter cette histoire, une bande dessinée « le serpent à deux têtes » et un auteur talentueux, Gabu Jakupi. La construction est originale : un récit à deux voix pour commencer. D’un côté, celui des membres de la tribu, découvrant un homme gisant sur le sol, la lance à la main ; la même histoire ensuite, racontée par le héros ressuscité.

Même si l’épouse du défunt refuse d’apporter caution à ce récit, les anciens de la tribu sont formels : ce corps nu, blanc de peau, aux cheveux clairs, est bien celui de M’rrangoureuk. La mort l’a profondément transformé, mais, puisque les dieux ont décidé qu’il devait revenir parmi ses frères, le groupe doit l’aider à redevenir lui-même. De fêtes en pratiques rituelles, de chasses en combats, le revenant trouve sa place dans la tribu. Il est grandement aidé par son « frère » Terreneuk. L’ancien bagnard mène la vie de ses nouveaux compagnons, même s’il éprouve parfois le besoin de s’isoler. Il prend une compagne dans une tribu amie, la belle Djoulibine. Comme le signalent ses compagnons : « la vie de couple opérait des miracles : M’rrangoureuk commençait à récupérer sa couleur. »

 Les années passent… La tribu croise à nouveau le chemin des colonisateurs blancs et l’histoire rebondit. Bien qu’isolés dans une région inhospitalière, les Aborigènes rencontrent une pirogue et découvrent la duplicité des nouveaux colons. Le M’rrangoureuk d’emprunt redevient William Buckley et son aventure fait la une des journaux de langue anglaise… Pensez ! Une disparition de plus de trente années ! Que d’histoires à raconter ! Le récit se termine par le retour de Buckley dans la colonie anglaise. Il commence à rédiger sa biographie et bénéficie d’une grâce gouvernementale.

Inspiré librement de faits bien réels, cette histoire va nettement plus loin qu’un simple récit d’aventure. L’auteur, Giani Jakupi, né au Kosovo en 1956, a publié sa première BD à l’âge de 13 ans. Il est également musicien de jazz et organisateur du premier festival de BD au Kosovo. Il s’intéresse, depuis des années, aux crises et aux mélanges identitaires et culturels. Un dossier documentaire de 12 pages est inclus dans l’ouvrage. Une jolie citation pour conclure : « Tous les prétextes pour ôter la vie à l’autre se valent dans leur imbécillité. »

Amalia Albanesi de Sylvie Tanette

 La lecture de « Un jardin en Australie » (chroniqué dans mon dernier billet) m’a donné envie de poursuivre ma découverte des romans écrits par Sylvie Tanette. J’ai bien aimé « Maritimes » (cadre géographique : une île de la mer Egée et cadre historique : la dictature des Colonels) mais j’ai décidé de vous parler de l’autre livre : « Amalia Albanesi ». L’auteure a choisi pour décor le petit village isolé de Tornavallo dans la région des Pouilles en Italie, et pour fil conducteur de son récit la création d’un arbre généalogique familial, devoir imposé par une maîtresse d’école voulant impulser quelques recherches pour motiver ses élèves. Dans l’une des branches de cet arbre, la bisaïeule de l’enfant, une femme hors du commun, Amalia. Le récit de l’existence de cette femme constitue la trame principale du roman, et ne croyez pas que la vie d’une enfant issue de la paysannerie « aisée » de ce village perdu aux fins fonds des Apennins se déroule de façon convenue !

 Drôle de personnalité en effet que cette Amalia, dont le comportement va tout d’abord étonner, puis irriter ses concitoyens. Dans une période historique finalement assez proche dans le temps, lorsque le comportement d’une femme sort un peu du commun, l’accusation de sorcellerie n’est pas loin. Heureusement que dans les Pouilles, au début du XXème siècle, la pratique des bûchers n’est plus à l’ordre du jour… Certains en viennent à murmurer que si l’on se promène non loin de la falaise avec Amalia, on a des chances de finir comme son âne, mort au pied des éboulis. Amalia, elle, rêve de voyage…

Un jour arrive le prince charmant, le beau Stepan, venu d’un lointain pays, de l’autre côté de l’Adriatique. Il conte de belles histoires et la Belle rêve de Constantinople ou de Dubrovnik. Les deux tourtereaux se marient. Amalia n’a que quinze ans, mais sa réputation de plus en plus sulfureuse la rend difficile à « caser ». De plus, l’étranger est costaud, travailleur et ne rechigne pas à travailler comme ouvrier agricole dans la ferme de ses beaux-parents. Amalia, elle, devient une brodeuse hors pair, et amasse un petit pécule grâce auquel les deux tourtereaux un beau jour, décident de s’envoler. Ils atterrissent à Alexandrie et une nouvelle phase d’aventures, de réussites et de déceptions commence pour Amalia. La suite, je vous laisse le soin de la découvrir. La plume de l’auteure est alerte et les personnages, principaux ou secondaires, prennent vie sous vos yeux au fil des pages. J’ai retrouvé l’ambiance à la fois intimiste et rebelle que j’ai ressenti avec plaisir dans les deux autres romans que j’ai lus et je range Sylvie Tanette dans la grande boîte des auteures à suivre attentivement !

Ensauvagé d’Héloïse Combes

Ce n’est pas une nouveauté puisque ce roman est paru en 2018. Mais vous savez que la chronologie m’indiffère et que cela ne me dérange pas, dans mes chroniques, de passer d’Henry Poulaille à Paolo Cognetti ! Il paraît que dans les librairies, avec le système des « offices », la durée de vie d’une œuvre est de plus en plus brève (sauf si elle atteint des sommets commerciaux). Ce genre de phénomène ne se produit pas dans ma bibliothèque.

Les personnages : un frère, François, et une sœur, Lise, unis par un lien très fort, un père, très occupé par une vie personnelle qui le tient éloigné du domicile conjugal la plupart du temps, une mère, artiste, fantaisiste, plus souvent amie que vraiment éducatrice. L’environnement immédiat : un petit village du Berry, avec ses habitants, quelques figurants ou quelques fortes personnalités qui meublent un peu le vide ambiant. La toile de fond : forêts, rivières et collines, une nature exubérante dont les multiples mystères attirent ceux qui y sont sensibles. Les relations entre les personnages sont parfois conflictuelles. Un mur de plus en plus épais sépare le père de ses enfants. La mère fait ce qu’elle peut pour désamorcer les conflits.

 Les années passent et François « s’ensauvage » de plus en plus. Ecole, cours de piano, lycée, toutes ces activités pourtant banales dans un parcours éducatif sont sources de tensions. Les relations avec le père qui a quitté définitivement le foyer pour s’installer dans un ailleurs plus paisible à ses yeux sont sources de frictions plus que de bonheur. François, le grand frère adoré, finit par être « exilé » à Montpellier chez une vieille tante revêche et avare qui n’a pratiquement plus aucun contrôle sur son éducation, se contentant d’encaisser le chèque mensuel de pension alimentaire, de proférer des menaces sans lendemain, et de décréter que les jeunes sont tous des vauriens. François se déscolarise complètement et mène sa vie dans les rues de banlieue. Un jour, sa sœur le rejoint et vient à son tour loger chez la tante. Elle continue sa scolarité mais se joint, lorsqu’elle le peut, aux errances de son frère. Nouveau milieu, nouvelles rencontres et irruption de Sam, une adolescente un peu déjantée, dont le garçon va tomber follement amoureux. Je vous laisse découvrir la fin de l’histoire, pas aussi convenue que l’on pourrait le penser. Beaucoup d’humanisme et une fine compréhension de la psychologie des ados « hors-normes »… L’auteure est aussi adroite à faire vivre ses personnages qu’à décrire les différents milieux dans lesquels ils évoluent… Une belle réussite…

Deux femmes et un jardin d’Anne Guglielmetti

La dernière page tournée, je n’ai pu m’empêcher de penser au livre « la jeune fille et le fleuve », déjà chroniqué dans ces colonnes. Comme dans le livre de Bernard Housseau il ‘agit, pour une bonne part, d’une histoire de rapprochement entre deux personnalités que tout oppose. L’histoire contée par Anne Guglielmetti (encore une romancière que je ne connaissais pas) est profondément touchante parce qu’elle met en scène des êtres simples, sensibles aux petits bonheurs du quotidien. Le récit ne se limite pas à ces deux personnages puisqu’il faut bien trouver un terrain de rencontre, un lieu qui joue un rôle à part entière dans le déroulement des faits. Dans l’autre livre que j’évoque, le troisième luron était le fleuve, la Garonne. Dans ma nouvelle découverte, c’est un jardin abandonné, une mine de trésors ensevelis.

Le fil de l’histoire n’est pas d’une très grande originalité, mais il tient. Un jour, Mariette Copiel reçoit le courrier d’un notaire lui annonçant qu’elle hérite d’une lointaine cousine. L’objet de l’héritage c’est une petite maison abandonnée dans un hameau en plein milieu de la campagne normande. Pour cette femme qui n’a jamais rien possédé, la nouvelle fait l’effet d’un coup de tonnerre terrifiant. Toute sa vie, Mariette a été femme de ménage, plus ou moins domestique, employée par des patrons peu généreux et surtout peu soucieux de son bien-être. Elle loge dans un appartement minuscule sous les toits de la capitale, et cette folie lui coûte déjà plus de la moitié de son revenu mensuel. L’annonce de cet héritage la déboussole complètement, même si elle sait parfaitement qu’il ne s’agit pas d’un château en Espagne. Premier effet : elle donne son congé à sa patronne, plutôt estomaquée, puis organise et finance un voyage à Saint-Evroult-Notre-Dame-des-bois. Pour quelqu’un qui n’a jamais quitté Paris, jamais voyagé, c’est sacrément compliqué. Je vous passe les péripéties de cette entreprise.

 Mariette découvre la petite chaumière entre deux grands arbres, au milieu d’un jardin ensauvagé. Elle se prend d’affection pour les lieux (après moult tergiversations) et décide de s’y installer. Bien que le hameau de La Gonfrière soit pratiquement désert, son arrivée n’est pas passée inaperçue. Une jeune adolescente, fille d’un professeur plus occupé par ses femmes successives et son travail que par l’éducation de sa descendance, observe attentivement les premiers efforts désordonnés de la vieille dame pour prendre possession des lieux. Entre elles, progressivement, va se nouer une relation difficile, faite de petits échanges quotidiens, de coups de main, de silences bienveillants et de questionnements multiples. La suite est à découvrir dans les 95 pages de ce court roman. Vous n’aurez pas le temps de vous ennuyer. La fin proposée par l’auteur est à la hauteur de ce récit palpitant. Encore une écrivaine que je vais suivre de près.

 

One Comment so far...

Anne-Marie Says:

17 juillet 2022 at 17:37.

Les livres de Sylvie Tanette et Anne Guglielmetti sont repris dans le catalogue du bibliobus, chouette !
Bémol, il va me falloir prendre patience, il ne sera de retour que le 29 août, après les vacances

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