4 mars 2008
Sur le pont d’Ansignan…
Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage; vieilles pierres .
Aujourd’hui j’ai décidé de vous parler d’un aqueduc romain, comme ça, sans préavis, sans lien quelconque avec les chroniques précédentes. Ce n’est ni le pont du Gard, ni le viaduc de Garabit, mais un ouvrage qui se trouve sur la rivière Agly, en contrebas de la petite commune d’Ansignan, dans les Pyrénées Orientales. Ceux qui suivent le blog régulièrement ont sans doute remarqué à quel point j’étais fasciné par les vieilles pierres, en particulier par les bâtisses plus ou moins fortifiées datant du Moyen-Age. Cette passion pour les antiquités ne s’arrête pas à la féodalité, mais englobe également le patrimoine industriel et agricole des siècles précédents, en particulier l’histoire du chemin de fer et de tous les ouvrages qui lui sont reliés d’une manière ou d’une autre. Beaucoup de ces réalisations architecturales, même si elles ne présentaient aucun attrait artistique à l’origine, ont maintenant une sorte de patine qui les intègre au paysage. Elles emprisonnent aussi, et là c’est essentiel à mes yeux, l’âme de ceux qui ont les ont bâties.
Dans sa partie qui enjambe la rivière, notre aqueduc comprend en fait deux ouvrages superposées : la partie inférieure est un pont tunnel, servant de passage aux hommes et aux animaux, et la partie haute permet la circulation de l’eau. Le couloir est assez large et il a la forme d’un dos d’âne de façon à épouser l’arche du pont. J’avance de quelques mètres puis je m’arrête un instant. Il n’y a aucun bruit, ce qui est suffisamment rare pour être noté. Petit à petit, une sorte de bruissement, de rumeur, monte à mes oreilles. Ce n’est pas le chuintement de l’eau qui a déserté depuis des siècles le conduit à ciel ouvert qu’elle empruntait au temps des légionnaires, mais ce sont les bruits des voix, des pas, des roues de chariot de tous ceux qui ont suivi, pendant deux mille ans, le chemin que nous suivons tous les deux avec Pascaline. Ils sont emprisonnés dans la pierre, mais se révèlent au visiteur pourvu qu’il soit un tant soit peu discret et attentif. L’ensemble forme un joyeux brouhaha dans lequel il est difficile de distinguer les cris des enfants qui se poursuivent, les rires des amoureux cachés dans l’ombre d’un pilier ou le braiment des ânes portant les paniers de vendange. Pour un peu, nous ne serions pas surpris de nous retrouver nez à nez avec le pilum d’un légionnaire romain !
Des ouvertures cintrées, en partie murées, permettent cependant à la lumière d’entrer généreusement, et au regard de se perdre dans les vignes qui s’étalent au fond de la vallée de part et d’autre du pont. Le paysage était-il le même il y a mille ou deux mille ans ? C’est une question que l’on peut se poser de façon presque rituelle lorsque l’on se trouve dans ce genre de lieux. L’homme a tellement modelé le paysage, au gré de ses besoins, de sa présence, voire même je dirais parfois, de sa malfaisance. Le village se dresse à flanc de coteau, dans un emplacement protégé des sautes d’humeur de la rivière. Comme souvent, les maisons sont blotties les unes contre les autres, tellement serrées qu’on se demande s’il y a la place de faire passer une rue. Un homme travaille dans son jardin un peu plus loin. Notre présence ne l’interpelle guère. Il faut dire que les touristes ne doivent pas manquer à la belle saison. Mais là, en plein hiver, nous sommes seuls ; rien ne vient perturber notre rêverie.
On ne peut plus suivre le chemin de l’eau, en haut de l’aqueduc. Le passage est interdit. L’ouvrage n’est pas très haut, mais il n’y a pas de parapet. En se plaçant du côté de l’amont, on voit quand même la pente douce, très régulière, que l’eau suivait pour traverser la vallée. Comme il faisait usage de pont, sans doute, ce monument a été bien entretenu au fil des siècles. Il faut dire que sa construction, en grande partie en briques, comme beaucoup d’ouvrages romains, semble particulièrement robuste. Il a résisté aux outrages du temps pendant 1700 ans. Une belle histoire…
