19 janvier 2012

« Les indignés » à Paris, place de l’Opéra, en janvier 1891.

Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Philosophes, trublions, agitateurs et agitatrices du bon vieux temps .

Un texte de Michel Zévaco, publié dans le journal « L’égalité », le 23 janvier 1891

« Le mouvement se propage – l’Italie, l’Angleterre, l’Espagne, la France. Réunion publique des sans-travail. En plein air !

Les idées vont vite, plus vite que les morts de la célèbre ballade allemande. Semblables au fécondant pollen des plantes africaines, que le simoun emporte en une course vertigineuse sur ses ailes enflammées, les idées voyagent, font le tour du monde, pénètrent les cerveaux, sapent les vieux édifices branlants, et partout déposent les germes de l’incessant renouveau dont vit l’humanité.

A quoi bon prêcher, A quoi bon essayer de répandre les théories nouvelles ? A quoi bon parler dans les réunions publiques, écrires dans les brochures, les journaux et les livres ? Pourquoi noter, étudier, analyser les dernières secousses du monde agonisant et les premiers vagissements de la société future ?

A quoi bon ?… Pourquoi ?

Mais parce que la parole qui tombe du haut d’une tribune, l’écrit qui s’en va sur les pages humides d’un journal font germer les idées, et que les idées peu à peu se condensent en une vapeur révolutionnaire ; et que la vapeur enfin fait sauter la chaudière où elle est comprimée.

L’Italie a cessé d’être une vague et insaisissable formule ; elle a pris corps ; elle se montre ; et elle montre les dents.

A Londres, les menaçantes processions d’affamés ont jeté la terreur dans la société bourgeoise.

En Espagne, la Catalogne s’est dressée le couteau à la main.

La France était en retard.

La voici qui se met en fin de la partie. Il y a deux jours, à Rouen, les sans-travail parcouraient les rues, pillant les boulangeries, brisant les devantures des magasins.

Demain, ce sera Paris qui essaiera de sortir de son engourdissement, qui tentera d’affirmer le droit à l’existence pour ceux qui ne vivent pas.

Car ce n’est pas vivre que de manger au fourneau économique et de coucher à l’asile de nuit.Demain, à une heure, place de l’Opéra, les gueux se réuniront pour discuter, librement, pour étaler leurs misères à la face du ciel. Voici l’affiche qui convie les misérables à cette manifestation.

Aux ouvriers sans travail
Grand meeting
Sur la place de l’Opéra, vendredi 23 janvier 1891 à 1 heure.
CAMARADES
Nous convions tous les ouvriers sans travail, de toutes les corporations, tous les miséreux, à venir manifester, place de l’Opéra, le vendredi 23 janvier 1891.
Nous sommes convaincus que tous ceux qui souffrent répondront à notre appel.

Camarades,
Assez de lâcheté. Alors que partout s’étalent les richesses que nous avons produites, n’est-il pas honteux de notre part de crever de faim et de froid dans les faubourgs .
N’ayons donc pas de honte d’étaler aux yeux des repus notre misère et nos loques.
De l’énergie et du cœur ! Que les bourgeois comprennent enfin qu’il y a une question sociale.
Que pas un sans-travail ne manque au rendez-vous ; même ceux qui travaillent aujourd’hui, car demain ils seront peut-être comme nous, par la force des choses, sans logement et sans pain !
Donc tous, tous à l’Opéra !

Un groupe d’ouvriers sans travail.

Demain, donc, devant le superbe monument doré où toute la morgue bourgeoise éclate en un luxe insolent, la misère viendra s’affirmer. Ce sont réellement des ouvriers sans travail qui iront, place de l’Opéra, crier aux oreilles des repus, de ceux qui ont des fourrures sur le dos, qui mangent et boivent à leur faim, toutes les désespérances de l’hiver, toute la haine qu’ils ont au cœur.

Des journaux ont laissé entendre que le meeting n’est pas organisé par des ouvriers : nous affirmons le contraire. Nous connaissons les organisateurs qui sont de nos amis ; et ce sera le devoir de tous les révolutionnaires d’aller prêter leur concours aux sans-travail.

Emeute, peut-être !

Qui sait quelles tempêtes la bise d’hiver peut avoir soufflées dans l’âme du miséreux ? Qui sait quelles colères vont se produire demain, au grand jour ? Emeute ?… Révolution, peut-être !
Peut-être rien, peut-être tout ! Révolutionnaires, faites votre devoir !»

Notes : pour ceux qui connaissent mal Michel Zévaco, talentueux écrivain populaire, créateur du personnage mythique de Pardaillan, héros de cape et d’épée, la Feuille Charbinoise lui a consacré une chronique il y a quelques temps de cela que vous pouvez relire. Sur la presse de l’époque, on peut relire aussi les deux billets consacrés à Séverine. Les images, toutes d’actualité bien sûr, proviennent de sites divers sur la toile. Le texte cité de Michel Zévaco provient d’un ouvrage dont je vous recommande vivement la lecture : « De cape noire en épée rouge », articles de Michel Zévaco, choisis et présentés par Laurent Bihl aux éditions Ressouvenances. Ce livre est illustré de magnifiques gravures d’époque, notamment des dessins réalisés pour divers journaux humoristiques par des caricaturistes comme Steinlen, Willette, Robida… Passionnant !


3 Comments so far...

Zoë Lucider Says:

19 janvier 2012 at 22:45.

Chère Feuille, j’ai reçu aujourd’hui un mail avec ce lien http://www.ouvriersgensdici.net/
Ceci est en résonance il me semble avec ce que vous nous donnez à lire.

Ketje Siska Says:

21 mars 2012 at 20:49.

Bonjour

Samedi 19 mai 2012 à 14h30, les grands-parents et les retraités de la France entière se rassembleront sur toutes les places des villes et des villages.

Parce que nous n’avons pas travaillé pour laisser un monde aussi triste à nos enfants et petits-enfants, parce que leur avenir est bien plus sombre que ne l’était le nôtre, parce que la solidarité inter-générationnelle va dans les deux sens, parce que nous avons plus de temps et que la vie pèse moins lourd sur nos épaules, nous nous assemblerons sur les places pour manifester notre soutien aux jeunes générations.

Pour cette première édition de la manifestation nationale des grands-parents, soyons nombreux ! Montrons à ceux qui nous gouvernent que nous refusons de disparaître dans un monde sans espoir !

Paul Says:

22 mars 2012 at 08:14.

@ Ketje – Merci pour ce communiqué. En tant que grands parents, en plus d’être militants touristes, nous sommes effectivement tout à fait concernés par ces questions… Nos ancêtres luttaient pour leur survie et ils avaient pourtant le temps de penser à l’avenir. Notre survie est – pour une large part – assurée, et nous bradons le futur en adoptant la posture de l’autruche…

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