20 mars 2013

Loin des bruits et de l’agitation de ce monde…

Posté par Paul dans la catégorie : Notre nature à nous .

petites nouvelles printanières de notre ruralité

 C’est incroyable l’importance que peuvent revêtir, à nos yeux, mais pas seulement aux nôtres – je m’en rends bien compte – ces premières journées ensoleillées de printemps, surtout lorsqu’elles succèdent à un hiver plutôt frais et bien gris. Je crois d’ailleurs que quelle que soit la couleur de l’hiver, l’événement a toujours la même ampleur. Les rayons de soleil ont un effet dopant considérable et c’est le moment où l’on éprouve ce que peut être le phénomène de mue dans le monde animal. Nous ressemblons alors un tout petit peu à la libellule qui se débarrasse du carcan de son enveloppe et déploie ses ailes scintillantes sur les bords de la mare. En ce qui me concerne, plus les années passent, plus je ressens cette métamorphose printanière. Il me semble que je vieillis de deux ou trois années chaque automne et que je rajeunis de façon compensatoire au mois de mars, de façon à respecter la loi commune de l’évolution.
Le plus époustouflant, c’est la vitesse du changement qui s’opère dans la nature, à la faveur surtout du rallongement du jour. Il suffit d’observations régulières, conduites avec un brin d’attention, pour se rendre compte que le comportement des animaux et des plantes change de jour en jour et parfois même d’heure en heure. Les perce-neige ouvrent le bal de façon spectaculaire mais ils ne sont pas les seuls acteurs du monde végétal à ressentir ce besoin d’exubérance. Chaque année, peu ou prou à la même date, les artistes effectuent leur tour de piste, en solitaire tout d’abord, avant de revenir en force pour la grande parade du mois de mai. Dès à présent s’exhibent fièrement les fleurs jaunes des cornouillers mâles, les jonquilles, les primevères, les bourgeons argentés des saules… Les magnolias, les lilas, les bourgeons d’amélanchier, les viornes, attendent leur tour derrière le rideau.

 Avec l’arrivée de journées plus longues et plus ensoleillées, les projets ressortent des dossiers dans lesquels nous les avions enfouis en novembre… La moindre idée prend alors son importance et l’on sent le besoin de la réaliser dans l’heure. Cette année, c’est certain, on fera tout ce que l’on n’a pas réussi à faire l’an dernier : la cabane des enfants aura un beau toit rouge ; je fabriquerai de nouveaux portiques pour les grimpantes ; la cabane « pour les écrivains » verra le jour aussi dans le petit enclos du fond… On corrigera toutes les erreurs de tir : les végétaux les plus grands se rangeront sagement derrière les plus petits ; les plantes frileuses bénéficieront d’un abri pour les jours de frimas…  On sera beaucoup mieux organisés et plus performants : on remettra toujours les outils en place ; les manches tordus seront remplacés et les outils tranchants seront affûtés quand c’est le moment. Bien entendu on économisera nos forces et on profitera longuement de la beauté du spectacle que nous essayons de créer de nos mains ! J’appelle ça « mes utopies printanières ». Fort de mon expérience passée, qui s’allonge peu à peu (une année tous les douze mois), je pourrais sagement me dire que les choses ne se dérouleront certainement pas comme je les planifie, mais à quoi bon ? Le potentiel d’énergie qui se libère au mois de mars balaie toutes les objections de la raison raisonnante. En cas d’échec total ou partiel, tout un tas de bons alibis restent disponibles et il sera toujours temps de les mobiliser pour se donner bonne conscience. « Quand je pense que j’aurais pu faire cela cet hiver, cela m’aurait gagné bien du temps… » ou « avec une météo pareille, de toute façon, personne n’y serait arrivé ». En tout homme il doit y avoir un avocat qui sommeille. Chez moi, en plus, il est gratuit. Je lui ai téléphoné l’autre soir parce que je m’étais bien juré qu’on finirait de couper le bois de chauffage avant le milieu du mois de mars. Sa réponse a été très claire : « impossible cette année ! La météo a travaillé contre vous ! ». Merci et à bientôt !

Dans cette longue liste de projets, il en est toujours deux qui tiennent le haut du pavé.

 Le premier concerne notre environnement végétal. Depuis 2001 nous transformons progressivement un ancien champ de maïs qui jouxtait la maison en parc arboré. Les premières plantations ont une douzaine d’années et certains arbres atteignent maintenant une taille raisonnable. Plusieurs offrent même, au début de l’après-midi, une ombre suffisante pour permettre une sieste réparatrice et bienfaisante. Je ne sais pas combien de trous nous avons creusés pour planter tous ces végétaux, mais cela dépasse indubitablement plusieurs centaines. L’état de mon dos vaut tous les témoignages écrits et tous les serments d’ivrogne… Le résultat est plutôt plaisant, même si les volumes souhaités ne sont, bien évidemment, pas encore en place. Un jour je m’amuserai à dresser une liste complète des essences représentées dans le parc – le côté « arboretum » en quelque sorte ; je dirais au moins une soixantaine d’espèces différentes pour les arbres, avec une jolie collection d’érables et une petite centaine pour les arbustes. En ce qui concerne les sujets de petite dimension, certains sont parfois présents en de nombreux exemplaires. Nous avons appris peu à peu à respecter les exigences de dame nature et abandonné les spécimens qui refusaient obstinément de s’habituer à notre sol et à notre climat. A quoi bon vouloir à tout prix des végétaux méditerranéens ou des arbustes à terre de bruyère, quand on n’a ni le climat ni le sol requis. Parfois nous avons persévéré, malgré plusieurs échecs, comme pour les tulipiers par exemple, et nous avons eu raison. Ces arbres sont allergiques aux résidus de pesticides, et dans un sol qui a subi pendant plusieurs dizaines d’années l’assolement maïs/maïs/maïs à répétition, il faut savoir faire preuve de patience. Quelques arbres fruitiers ont trouvé leur place dans cet ensemble, ainsi que quelques massifs de fleurs et un jardin potager.

 Le second projet concerne l’habitation et les dépendances et il est plus ancien que le premier puisque cela fait une quarantaine d’années que nous habitons au même endroit. Nous aménageons peu à peu les corps de bâtiment qui constituaient l’ancienne ferme familiale de façon à utiliser à fond leur potentialité : l’objectif est de pouvoir accueillir, quand nous le souhaitons, le plus de monde possible, mais aussi de pouvoir disposer de locaux adaptés à différents usages. Il ne s’agit pas de faire dans le luxe, mais de pouvoir partager avec nos amis et relations, le cadre sans doute idyllique mais lourd en charges et en contraintes, dans lequel nous évoluons au quotidien. Faire en quelque sorte de notre « Feuille » (avec un F majuscule mais sans prétentions), un havre de paix et d’hospitalité. Depuis plus d’un an, en plus des voyageurs de passage, adeptes du Couch’surfing ou membres de l’association BeWelcome, nous accueillons aussi des jeunes et des moins jeunes séjournant dans le cadre des échanges de service avec Helpex. Nous offrons logement et nourriture pour quelques semaines, en échange d’une participation aux travaux d’entretien quotidien de toute nature. Cette dernière formule est plaisante pour nous, à deux titres principalement. D’une part, elle nous soulage de gestes parfois pénibles et accroit notre efficacité : il y a deux ans par exemple, nous avons laissé tomber pratiquement toute la récolte des groseilles, faute de temps et d’énergie ; l’année dernière nous avons tout récolté avec quelques mains supplémentaires. D’autre part (et je dirais même surtout) elle permet des contacts humains d’une grande richesse. Nous voyageons en quelque sorte à domicile, grâce à la diversité que nous font connaître tous nos invités de passage. Nous goûtons à la cuisine sud-africaine, enrichissons notre vocabulaire québecois, écoutons des chants traditionnels en swahili… Les uns et les autres nous apprennent les trucs qu’ils connaissent et de notre côté, nous apportons notre propre expérience, notre façon de voir les choses, et nous donnons quelques cours de français aux voyageurs soucieux de connaître un peu mieux notre belle langue. Il n’est pas question pour moi de feuilleter un album de souvenirs, vieux d’une année seulement, mais qui déborde déjà d’anecdotes fort plaisantes. N’empêche qu’un jour je vous ferai une petite chronique sur « les voyageurs », tant nous avons découvert qu’il existe de variétés différentes d’individu(e)s de cette espèce !

 Bref, nous essayons de mettre en place, autour de nous, une qualité de vie que nous souhaiterions peu à peu voir déborder dans un environnement de plus en plus vaste. Nous aimerions aussi, cette année, rencontrer du monde autour de projets musicaux, littéraires, théâtraux… Le temps passe, file entre nos doigts sans que l’on puisse rien y faire sauf marquer chaque heure, chaque minute, chaque seconde d’un doigt d’éternité. Je vous l’ai dit plus haut : le printemps rend possibles toutes les audaces, même les plus romantiques. En octobre viendra le temps des bilans ; d’ici là, mordons dans la vie à pleines dents. Voilà la philosophie qui sous-tend les projets que je vous ai décrits de façon fort sommaire et tous ceux dont je ne vous ai pas encore parlé. Il faut œuvrer dès aujourd’hui pour faire évoluer les rapports humains, en attendant que la société change en profondeur, chose à laquelle nous aspirons de tous nos vœux. Emma Goldman résumait cela en disant : « si je ne peux pas danser, ce n’est pas ma révolution ». Bref, il n’est pas question d’attendre demain pour respirer, puisque nous avons encore un peu d’oxygène et beaucoup d’ami(e)s autour de nous ! En fait, contrairement à ce que pourrait laisser entendre le titre de ce billet, nous sommes loin de vivre dans un ermitage… Le bruit et l’agitation du monde nous interpellent toujours, mais nous avons parfois besoin de bouchons d’oreille pour supporter les trop nombreux grincements dans les rouages d’une société finalement bien en désordre.

Ouf, j’ai enfin trouvé une conclusion « morale » (à défaut de « politique ») à cet article « petit-bourgeois » décomplexé !

5 Comments so far...

Madame La Feuille Says:

20 mars 2013 at 10:58.

Pour ce qui est du bois, on a fini l’abattage, et j’en suis quand même satisfaite, surtout en faisant le décompte des jours où nous serions allés à la coupe si la météo n’en avait pas décidé autrement.

Et puis tu fais bien de m’y faire penser : je viens de visiter les lilas, pour l’instant juste des figures géométriques vertes sans rien d’autre de visible, en effet.

Mais le petit magnolia de la haie la plus au Sud commence à ouvrir ses boutons ! Un peu plus et je ratais l’occasion de rajouter quelques centaines de photos aux dizaines de milliers qu’on a déjà. Merci de m’avoir interpellée là-dessus !

Zoë Lucider Says:

20 mars 2013 at 17:52.

Je le confirme : le temps, cette année, nous a fait perdre trop de temps ! 🙂

Paul Says:

20 mars 2013 at 18:08.

@ Zoë – Si en plus d’un avocat, j’ai une avocate, c’est le bonheur ! Plus qu’à retourner faire la sieste…

la Mère Castor Says:

20 mars 2013 at 20:13.

un très beau billet plein de promesses et de projets, oui, c’est le printemps. Et bien mérité.

Grhum Says:

28 mars 2013 at 23:04.

Toutes ces idées de projet qui jaillissent comme si elles sortaient d’une corne d’abondance, même si elles ne se concrétiseront sans doute pas toutes, sont assez réjouissantes
Le projet de cabane pour les écrivains m’interpèle…

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