30août2010

Pour quelle raison n’y aurait-il pas un bric à blog en août ?

Posté par Paul dans la catégorie : Bric à blog; l'alambic culturel.

Introduction dans le vif du sujet (sans illustration). C’est fou ce qui se passe au mois d’août pendant que certains se bronzent sur la plage et que d’autres se morfondent dans des bureaux déserts où ils n’ont rien d’autre à faire qu’enchainer morpion sur morpion en bâillant aux corneilles (évitez d’inverser). Je ne vais pas vous faire un récapitulatif de toutes les raisons que vous avez de faire grève en septembre. Ce n’est pas la fonction de ce blog qui prône amour et paix sociale en accompagnant les couplets du Père Lapurge à l’accordéon. Ce qui est sûr c’est que le plan de sabotage social suit son cours : à la rentrée, pôle emploi, Educ Nat, Poste, Hôpital Public, EDF, service de répression des fraudes, inspection du travail, ONF…. devraient fonctionner un peu moins bien qu’en janvier (2010) et un peu mieux qu’en janvier (2011). On n’en est pas encore à supprimer une journée de classe par semaine pour les gamins, comme dans certains états étatsuniens, ni à renoncer à payer une partie des enseignants, comme en plein d’endroits, mais l’idée suit son (Betten)court. On attaque tout de suite par les sujets qui fâchent, histoire d’écrémer un peu le lectorat feuillesque !

Rubrique vive le Maréchal. Expulse un Rom de France. Si tu ne sais pas pourquoi, lui n’en ignore pas la raison. Et puis virer les Roms c’est facile : ils ne votent pas, ne disposent pas de groupe de lobbying à l’assemblée et ils n’ont pas la cote avec Monsieur Toulemonde.  « Le courrier des Balkans » propose une carte de France de la honte, actualisée camp par camp : à chaque intervention musclée de la police, le camp démantelé est signalé par un petit drapeau. Si ça continue, on va finir par se faire mal voir par la Roumanie et par se faire critiquer par le comité de lutte contre les discriminations raciales de l’ONU. C’est parfaitement injuste et vexant pour un pays ayant obtenu le label éternel et immuable « lumières et droit de l’homme » ! Pour une fois on ne les parque pas dans des camps d’internement, on augmente au contraire leur mobilité en leur offrant un forfait route + avion. On attend avec impatience un coup de gueule de BHL, à moins qu’il n’ait trop à faire sur d’autres fronts… Il y a tant de gens qui disent du mal de la politique de Tel Aviv… En attendant, en lisant ce bon article de Télérama (je cite Télérama pour montrer que je suis un esprit ouvert car je n’aime pas Télérama), j’ai appris que certaines populations roms sont arrivées en France quelques siècles avant le réfugié hongrois dont nous supportons les exactions depuis un peu trop longtemps à mon goût.

Rubrique philo. Je lis régulièrement les billets du « Monolecte » dont j’apprécie énormément le ton et le contenu. J’attire votre attention sur cette courte mais intense réflexion sur les représentations du monde et sur le rôle que peut jouer un réseau internet non neutre. Ça s’intitule « L’invention du monde » ; c’est pas trop fatigant à lire pour une fin d’été vaseuse et ça a le mérite de soulever quelques problèmes d’envergure avec autant d’aisance qu’une barre à mine agissant sur un bloc de marbre. Donne moi un « Monolecte » à lire et j’essaierai de comprendre le monde qui m’entoure… Un grand merci à Agnès Maillard.

Rubrique bourrage de mou. « Ici Washington… Téhéran ment ; les Iraniens sont méchants ; l’Iran va s’en prendre plein la gueule ». Ça leur apprendra à ces ordures à lapider les femmes alors qu’on peut tout simplement les faire mourir par injection de poison (comme dans la plus grande démocratie du monde), les arroser de napalm (comme dans la plus grande….), demander à un drone de leur envoyer un missile dans les jambes (comme dans la plus…) ou bien leur laisser le choix entre l’uranium appauvri ou le phosphore en guise de raffinement. « Ici Tel Aviv… Téhéran ment ; les Iraniens sont méchants ; l’Iran va s’en prendre plein la gueule ». Toute ressemblance avec un message de propagande préalablement diffusé n’est que pur hasard. « Ça y est Oncle Sam ! Je peux taper ? Je peux taper ? J’ai fait assez de diplomatie ? » Vous trouvez bien trop sommaires les fines analyses de la Feuille Charbinoise ? Alors je vous propose plus nourrissant ; Iran : « War Games et Sinuosités Stratégiques…« , un article de Georges Stanechy publié sur le site « Le Grand Soir ». L’auteur fait le point des velléités bellicistes des pays occidentaux contre le régime iranien. Non que je sois un fan des ayatollahs, mais je sais qu’au bout du compte toute intervention militaire aboutit au même résultat : une détresse insoutenable et une misère aggravée pour les couches populaires. Alors les croisades du bien contre le mal (une de plus) méfiance absolue et refus total. Ces apprentis sorciers finiront par ravager la planète à la grande joie des marchands d’armes.

Rubrique coup de gueule : j’ai bien aimé « pourquoi je ne reviendrai pas travailler en librairie de neuf » sur « feuilles d’automne », le blog exposant « les coquecigrues d’un libraire d’occasion et de ses amis ». Pour l’instant, je n’ai lu que ce texte et il m’a bien plu. J’adore les gens qui donnent des grands coups de pied dans les fourmilières. J’aime les coquecigrues : je n’aime pas beaucoup les petites fourmis industrieuses et monomaniaques… Il va sans dire que je vais continuer à explorer ce blog : un site qui jacte de livres, tu parles !

Rubrique propagande politique. Sur l’anarchisme, un article posé et intéressant qui va un peu plus loin que « fais gaffe mamie ! le jeune, là, il porte la tenue des blacks blocs et il a une grenade dégoupillée entre les dents » – Et je vous rassure tout de suite, « Le devoir » est un journal québecois intéressant mais n’est aucunement un média extrémiste financé par le terrorisme international. Alors, si vous voulez lire, ça s’appelle « Saisir l’anarchisme à travers les nuages opaques de la désinformation« . J’aime ce texte car il va dans l’une des orientations que je veux donner à ce blog : banaliser l’anarchisme et en faire une éthique ou un système philosophique et politique auquel on peut se référer sans avoir aucun complexe de marginalité… On peut être libertaire et parler d’autre chose que de barricades ; on peut aimer la nature, les arbres, s’intéresser à l’histoire ou aux conséquences des battements d’ailes de papillon (il n’y a qu’à lire Elisée Reclus pour se faire une idée de la question). L’anarchisme est un mode de pensée qui n’est pas exclusivement politique mais qui touche à tous les domaines de la vie. Je dirais même qu’il est le mode de pensée qui traduit le mieux le fonctionnement du réel, mais je ne voudrais pas perdre la vie trop vite dans une querelle idéologique indigeste. De plus, je n’aime ni les crises, ni les professions de foi(e). Je ne suis membre d’aucune organisation autre que la mienne, et je n’ai donc pas de cartes à vous vendre autre que routières.

Rubrique « on n’en cause pas au café du coin ». Il est plus facile de trouver des informations sur les opposants à Castro libérés puis « expatriés » en Espagne, que sur la trentaine d’indiens Mapuche emprisonnés au Chili, en grève de la faim depuis plus d’un mois. Normal, selon la « nomenclatura » occidentale, Cuba est une dictature et le Chili une démocratie modèle dont devraient s’inspirer les Vénézuéliens. La lutte des Indiens Mapuche pour avoir le droit d’exister en tant que communauté indigène et ne plus avoir le triste privilège d’être au plus bas de l’échelle sociale dans leur pays, on en a déjà parlé dans la Feuille Charbinoise, et je vous avais promis que l’on reviendrait sur le sujet. C’est chose faite. Les Mapuches ont visiblement plus de mal à se débarrasser du Néo-libéralisme que des Incas ou des Espagnols. Ils sont en butte, depuis des années, à une répression féroce de la part des gouvernements successifs du Chili, de droite comme de gauche. Présidente socialiste battue aux dernières élections, Michelle Bachelet, emprisonnée et torturée pendant la dictature Pinochet, n’a pas tenu la promesse qu’elle avait faite de ne pas se servir de la loi antiterroriste disponible dans l’arsenal législatif du pays. Les tribunaux chiliens en ont fait usage… contre les Mapuches. Ceux-ci se battent, depuis des années, contre les multiples spoliations de terres dont ils sont victimes. S’ils n’ont à se reprocher aucune mort d’homme parmi ceux qui les traquent, ce n’est pas le cas de la police chilienne. Les doigts de la main ne suffisent plus pour compter le nombre d’indiens assassinés par la police. La dernière victime en date se nomme Jaime Mendoza. Ce père de deux enfants a été assassiné le 12 août 2009 lors d’une opération de récupération de terres. La grève de la faim en cours dans différentes prisons du pays pourrait bien alourdir le bilan. Pour suivre cette actualité de près, vous pouvez vous rendre sur le site du comité de soutien au peuple mapuche qui relaie les informations locales.

Rubrique découverte blog. Des fois je me dis que ce bric à blog devrait changer de nom car on n’y parle pas que de blogs mais de la toile en général. Et puis non. On revient aux blogs. Ce mois-ci, par exemple, en travaillant sur ma chronique consacrée à l’auteur du « Père Lapurge », j’ai découvert « le vieux monde qui n’en finit pas« , un blog très sympa, un peu « touche à tout » comme la Feuille, dans lequel je me suis promené avec grand plaisir. Je pense que les gens qui aiment lire « la Feuille charbinoise » (il y en a bien deux ou trois quand même) éprouveront une grande satisfaction à arpenter les pages du « vieux monde ».  Ce blog a un petit côté « plein de choses », fourmille de trouvailles et d’imagination dans les sujets traités : un petit côté « cabinet de curiosités », des chroniques ciné à l’ancienne, de jolies photos rétro, des notes bibliographiques passionnantes, notamment sur les Roms au cours du mois d’août, bref beaucoup de grains à moudre. Si vous perdez l’adresse, vous la retrouverez dans les « liens permanents », colonne de droite, celle que vous ne consultez jamais !

Rubrique « on joue et on se marre ». Je vous propose de jeter un œil ludique (et non lubrique) sur la chronique « Pognon, le jeu » du blog « l’actu en patates » de Martin Vidberg. Merci à mon pote Xavier qui m’a filé l’adresse. Par contre, faites pas comme moi, j’ai choisi « Bob » comme personnage et je me suis un peu ennuyé. Lire aussi les commentaires car il y a d’excellentes suggestions d’achat de vrais jeux de plateau à deux. Au  fait, vous ne le saviez pas, mais parmi d’autres tares, je suis aussi joueur, sauf dans les casinos et les tournois de belote. On a sa fierté quand même. Un jour, histoire de désorienter un peu plus mes lecteurs/trices, je vous ferai un article là-dessus. Vous verrez que je suis définitivement perdu pour la « Cause », toutes les causes, juste bon à dire des âneries. En tout cas, baladez vous au milieu des « patates » de Martin Vidberg, y’en a des vraiment chouettes. A l’époque où j’étais un enseignangnant un peu moins honoraire qu’aujourd’hui, j’avais adoré « le journal d’un remplaçant ». Mon point de vue n’a pas changé !

7 

27août2010

« Le Père Lapurge », chanson thérapeutique en onze couplets

Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Philosophes, trublions, agitateurs et agitatrices du bon vieux temps.

Eh hop, une chronique anniversaire ! Merci « l’éphéméride anarchiste » pour l’idée. Merci Constant Marie pour une partie du contenu, et bon anniversaire en ce 27 août puisque tu aurais 172 ans si ta santé avait été aussi vivace que tes idées ! Je dédie cette chronique à tous ceux à qui cette période de rentrée « scolaire » et/ou « sociale » provoque des éruptions cutanées en chaîne. Rien de tel qu’une petite chanson empreinte de poésie pour éliminer ses pulsions meurtrières en fin de journée. Je ne vous propose cette chronique qu’à des fins thérapeutiques bien sûr, et ne vous invite nullement à passer aux actes. Je ne voudrais pas que la « Feuille Charbinoise » soit responsable d’une nouvelle épidémie d’hystérie au Ministère de l’Intérieur franco-français.

« Je suis le vieux père Lapurge
Pharmacien de l’humanité
Contre la bile je m’insurge
Avec ma fille Egalité.

J’ai ce qu’il faut dans ma boutique
Sans le tonnerre et les éclairs
Pour bien purger toute la clique
Des affameurs de l’univers.

Non pas que je sois convaincu que le moment soit venu de faire péter tous azimuths les pains de dynamite et autres marmites à clous, mais en ces temps indécents, le retour aux grands classiques soulage le système nerveux. Texte magnifique, bien d’actualité, musique entrainante, plaisante à jouer à l’accordéon… La chanson reste célèbre, mais son compositeur, lui, a disparu dans les fosses abyssales de l’oubli collectif. Entre deux couplets de ce pamphlet révolutionnaire réjouissant, vous ne m’en voudrez donc pas de « résurrectionner » le brav’gars qui l’écrivit à l’origine. Il se nomme Constant Marie. C’est un « communard », encore un, qui a bien failli laisser sa peau lors des combats dans les tranchées du fort de Vanves. Ce joyeux luron avait plus d’une corde à son arc puisqu’il fut tout à la fois ou successivement maçon, chansonnier et cordonnier. « Le Père Lapurge » est resté dans les mémoires. C’est son « bébé » le plus célèbre, mais il est également l’auteur d’un certain nombre d’autres chansons sympathiques comme « Dame dynamite », « la muse rouge » ou « l’affranchie ». Répertoire orienté, certes, puisque l’auteur ne cache point ses sympathies pour l’anarchisme ou pour « la propagande par le fait », très en vogue dans les milieux libertaires des années 90 (non, réfléchissez un peu, pas 1990 !). C’était l’époque où il ne faisait pas bon, lorsqu’on était banquier, monarque ou patron, se promener dans les rues, les mains dans les poches, ou se pavaner sur une calèche dans les avenues trop fréquentées. Ce fut aussi une époque que j’estime funeste pour les libertaires puisqu’elle permit à la bourgeoisie de faire cette assimilation hâtive « anarchisme = boum boum », toujours très en vogue aujourd’hui dans les salons du Ministère de l’Intérieur. Quand une bonne partie des militants remisa ses pains de nitroglycérine pour intégrer les bourses du travail et s’intéresser aux luttes ouvrières, il y avait du boulot à faire pour contrer la propagande déchaînée de la bourgeoisie… Il faut reconnaître cependant que certains jours, on apprécierait de voir disparaître quelques individus malfaisants dans un nuage de fumée purificatrice. Excusez ce dérapage violent et politiquement incorrect mais il y a des jours ou « une bonne purge » ça ne soulage pas que la tripaille…

Son mal vient des Capitalistes
Plus ou moins gras, à la ronger,
En avant, les gars anarchistes,
Fils de Marat, faut la purger.

J’ai du pétrole et de l’essence
Pour badigeonner les châteaux
Des torches pour la circonstance
A mettre en guise de flambeaux

J’ai du picrate de potasse,
Du soufre et du chlore en tonneaux,
Pour assainir partout où passent
Les empoisonneurs de cerveaux.

Constant Marie est donc né le 27 août 1838 à Sainte-Houvrince dans le Calvados. Il exerce la profession de maçon. De sa participation active à la Commune de Paris, il récolte une blessure qui va le contraindre à changer de métier et à s’installer comme cordonnier, rue de la Parcheminerie dans le cinquième arrondissement, un quartier populaire de Paris berceau de nombreux soulèvements. Sa participation aux activités de divers groupes anarchistes ainsi qu’aux fêtes et aux meetings, n’est pas du goût de la préfecture de police qui le fait surveiller activement. Il est arrêté le 1er juillet 1894 après une perquisition de son domicile. La police se saisit de nombreux documents : livres, brochures et manuscrits originaux de ses chansons. Il est inculpé « d’affiliation à une association de malfaiteurs » et reste enfermé plusieurs semaines à la prison de Mazas. A part la prose virulente qu’il emploie dans ses chansons, le Ministère de l’Intérieur n’a aucun élément pour l’inculper sur un quelconque autre motif. En 1901, un groupe d’artistes, poètes et chansonniers, prendra comme appellation le titre de l’une des chansons de Constant Marie : la Muse Rouge. A ce groupe appartiendront de nombreux personnages dont nous avons eu (ou dont nous aurons) l’occasion de parler ici : Gaston Couté, Eugène Bizeau, May Picqueray, Sébastien Faure, Maurice Doublier, Clovys… et bien entendu Constant Marie. Quelques décennies plus tard, Jacques Prévert et Pierre Dac feront aussi partie de ce groupe d’artistes informel et peu conventionnel au sujet duquel on peut lire l’intéressant ouvrage de Robert Brécy, intitulé « Autour de la Muse Rouge – 1901-1939 ».

J’ai des pavés et de la poudre
De la dynamite à foison
Qui rivalisent avec la foudre
Pour débarbouiller l’horizon

Le gaz est aussi de la fête
si l’on résiste à mes joyaux
au beau milieu de la tempête
je fais éclater ses boyaux

J’ai poudre verte et mélinite
De fameux produits, mes enfants
Pour nous débarrasser plus vite
De ces mangeurs de pauvres gens

Constant Marie est mort le 5 août 1910. Comme tant d’autres il a sombré dans l’oubli et une partie importante de son œuvre est restée méconnue. Certains chanteurs comme Marc Ogeret ont su redonner vie à ses chansons. Le Père Lapurge figure dans le disque « Chanson contre » sorti en janvier 1989. Contrairement à ce qui se passe pour d’autres chansonniers, la vie de Constant Marie est assez mal connue ; pour ce que j’en sais, aucun ouvrage biographique n’a été écrit et le peu de notices que l’on peut trouver à son sujet contiennent à peu près toutes les mêmes éléments. Sauf erreur de ma part, j’ai l’impression d’avoir fait le tour de tous les éléments biographiques connus ! Merci de compléter mes lacunes. Thierry Maricourt dans son « histoire de la littérature libertaire en France » ne lui consacre que quelques lignes. Certes, contrairement à Louise Michel par exemple, la production du « Père Lapurge » se limite à une bonne série de chansons révolutionnaires et il n’a jamais vraiment écrit de « littérature ». Peut-être se serait-il satisfait, après tout de cet anonymat, ou plutôt du fait que son « pharmacien de l’humanité » soit resté plus célèbre que son patronyme.

J’ai pour les gavés de la table
La bombe glacée à servir
Du haut d’un ballon dirigeable
Par les toits pour les rafraîchir

Voleuse et traître bourgeoisie
Prêtres et bandits couronnés
Il faut que d’Europe en Asie
Vous soyez tous assaisonnés

J’ai ce qu’il faut dans ma boutique
Sans le tonnerre et les éclairs
Pour bien purger toute la clique
Des affameurs de l’Univers. »

Vous voilà en tout cas pourvus d’une bonne chanson à interpréter lors du soulèvement populaire prévu pour le 7 septembre… En fait je crois que j’exagère un peu puisqu’il s’agit d’une énième grève de 24 h pour pleurer sur tout ce qu’on a perdu. Puisse « Le Père Lapurge » redonner un peu d’énergie aux mouvement sociaux, tout en sachant que le picrate de potasse ou la mélinite ne résolvent pas forcément tous les problèmes d’un coup de bâton (de dynamite) magique !

NDLR : On peut écouter « le père Lapurge » sur le site « MusicMe » ainsi que toutes les autres chansons du disque « chansons contre » de Marc Ogeret. On peut aussi trouver la partition pour guitare sur le site « la boîte à chansons ».

1 

22août2010

Problème de titre… entre autres !

Posté par Paul dans la catégorie : Boîte à Tout.

Bon, voilà : en fait, c’est un atelier d’écriture en direct… Je cherche un titre pour une chronique que je n’ai pas encore rédigée, et dont j’ignore, pour l’instant, le contenu. J’aimerais écrire un texte inspiré et messianique, concis mais un peu alambiqué, au style gouleyant tout autant que limpide. J’ai essayé différentes techniques pour débloquer la situation et j’ai fait appel à un certain nombre de substances licites pour stimuler ma créativité. Le shampoing pour caniche nain n’a pas donné plus de résultat que le punch au lait de coco et à la farine complète. J’ai donc renoncé aux ersatz. Comme le disait le prof de maçonnerie que je n’ai jamais eu, rien ne vaut la truelle pour se gratter la tête… Pour l’instant voilà ce que j’ai trouvé comme « accroche » :

  • prémices laborieux
  • aurore brumeuse sur un lac de cendres
  • petit matin sanglant aux halles de Rungis
  • de l’art et la manière de bien s’introduire dans un sinusoïde
  • les caprices dispendieux d’une aventurière désœuvrée
  • les idées saugrenues d’un Rajah colérique
  • de l’influence de la métempsychose sur le renouvellement du mythe freudien
  • la cueillette des olives dans le Bas-Berry
  • les idées de ma sœur sur les croyances des crapauds
  • massacre à l’université d’été de l’UMP
  • approche tout en finesse d’un train d’idées reçues immobilisé dans une station service du Morbihan
  • mais où on va ma bonne dame si ça continue comme ça et qu’on ne peut plus lyncher un jeune de temps à autre…
  • est-il encore utile d’illuminer des pixels sur un écran quand on barbote dans un marécage de clichés et d’idées reçues ?
  • le trémolo dans la voix permet-il de mieux faire passer les idées généreuses dans les chroniques d’actualité ?
  • un blog de brute est il vraiment utile dans un monde aussi charitable ?
  • viens chez moi, je te montrerai mon candidat aux élections présidentielles !
  • (variante) viens chez moi, je te montrerai ma candidate au titre de miss blog 2010 !
  • écrire pour ne rien dire : ne s’agit-il point là, pour un cerveau fertile, d’une manière de toucher l’absolu et de le dégoûter à jamais de hanter nos nuits ?

Je m’interroge grandement et votre aide sera sans aucun doute une compresse bienfaisante sur la brûlure purulente qui ronge mon moignon de cerveau. Je n’ai plus que quelques heures pour rédiger ce billet, faute de quoi je perdrai mon quatre cent dix septième lecteur/trice. Il ne saurait être question que je continue à écrire pour 416 salariés/ées qui ont du temps à perdre au boulot. Ceci est une grande cause nationale et stupide : je vous demande bien sincèrement de vous impliquer dans sa résolution. Inutile de me faire une réponse de normand ou de dahu : point de propos boiteux, soyez francs du collier, donnez moi votre avis. Songez aux conséquences de votre silence oppressant ; tournez trois fois votre langue dans votre bouche de dégoût ; ne passez pas par la case départ, et regardez bruler votre immeuble rue de la paix. Je souhaite monopolyser votre attention une fois pour toute. Bête en cour qui mâle y pense.

Il va de soi que si, nonobstant le fait de choisir un titre, vous m’adressiez la chronique qui va avec, nous pourrions parler de rétribution pour service rendu et je serais prêt à partager « fifty-fifty » mes honoraires de bénévole grassement non subventionné. Si je choisis le terme « subventionné » c’est de mon plein gré : en matière de culture – et je m’y connais dans ce domaine-là – on ne salarie pas, on subventionne. Rien n’a changé depuis les temps lointains du règne des monarques ensoleillés : l’artiste reste au service du puissant. Même lorsqu’il rue dans les brancards, il a besoin, s’il veut manger autre chose que du riz complet, de l’oseille des possédants. La seule grande nouveauté du XXIème siècle, c’est qu’une nouvelle catégorie de travailleurs manuels rejoint peintres, musiciens, sculpteurs, et autres théâtreux : ce sont les agriculteurs. Eux-aussi ne survivent que grâce à la charité des cours européennes…. D’ici quelques années, le cours du blé sera fixé par les collectionneurs. Pour l’instant il l’est par les spéculateurs, comme pendant la période avant la révolution de 1789. Faute d’espèces sonnantes et répugnantes, je pourrais toujours vous inviter sur l’île que je viens d’acheter, par inadvertance dans l’archipel des pingouines. Il y fait froid, humide et le sable y est poisseux du pétrole des dégazages sauvages. Seules les femelles de pingouins acceptent d’y séjourner mais si l’expérience vous tente je demanderai à mon amie Liliane de vous y accompagner.

Certains esprits malveillants pourraient insinuer que je laisse faire tout mon sale boulot au lecteur. C’est une erreur d’analyse : je cherche moi aussi. Je crois bien avoir trouvé une phrase de conclusion, à moins que ce ne soit un sous-titre ou encore le synopsis (j’aime les mots compliqués – c’est une tare qui subsiste de mon long passage dans l’EdNat) (*). Là aussi, on pourrait procéder par sondage, en orientant habilement le questionnement. Si vous choisissez la dernière phrase – et vous conformez donc au choix que j’ai fait moi – votre nom figurera obligatoirement dans la liste des gagnants ! Allez on y va pour une seconde liste : j’adore les énumérations sans queue ni tête.

  • Les lettres « F », « I » et « N » apparurent sur l’écran. Il mit un temps certain à les assembler puis à comprendre leur signification. Il quitta la salle obscure et se précipita au restaurant en se disant : « les cons, ils ont fait une faute d’orthographe ».
  • Alors Bambi attrapa le virus H1N1 et mourut dans d’atroces souffrances ; le charcutier du village décida de transformer son corps en saucisses et plusieurs de ses clients finirent à la morgue.
  • Pendant des heures, il chercha dans sa bibliothèque, l’ouvrage dans lequel Gandhi se référait à Bakounine. Il laissa tomber sa recherche, complètement désabusé.
  • Depuis que la commune avait confié la gestion des eaux à Véolia, sa facture avait encore augmenté ; il utilisa ses derniers écus pour acheter une carabine.
  • Fichus pour fichus, autant utiliser ces maudits pixels pour écrire un hymne à la sodomie des dyptères du Miocène par un proctologue énamouré (***).
  • Le douanier lui confisqua les versions rarissimes qu’il possédait de la bible, de la torah et du coran : c’étaient les seules au monde imprimées par les éditions « Ni dieu ni maître ».
  • Quand le feu passa au vert, il accéléra et écrasa la vieille dame qui traversait – en retard- tout en lisant le dernier numéro du Figaro. Sa clémence eut été plus grande s’il s’était agi du « Canard enchaîné ».
  • Mon dieu, qu’ai-je fait ? s’écria-t-il en s’asseyant sur le tapis roulant devant la caisse enregistreuse. La caissière, agacée, lui répondit qu’il n’avait même pas de code barre et qu’il n’existait pas.
  • Il renonça temporairement à écrire sa chronique et retourna s’occuper de la confiture de quetsches qu’il était en train de préparer à la cuisine.

Notes facilitant la compréhension : (*) voir (**) – (**) voir (***)
(***) Je vous rassure tout de suite : l’EdNat pourrait – à la rigueur – parler de « dyptères du Miocène ». En aucun cas, et je le jure sur les instructions officielles, je n’ai jamais entendu un Inspecteur Général ou Maréchal, parler de « proctologue énamouré ». Il s’agit là des élucubrations débridées d’un cerveau délavé. Excusez moi, messieurs les ministres (les femmes sont rares au Ministère de l’EdNat).

5 

17août2010

Ali Sarko et les quarante fripouilles

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique.

Conte plus orienté qu’oriental

Oncle Paul s’assit sur une grosse pierre, s’assura que son auditoire était bien rassemblé autour de lui, et commença à raconter l’un de ces contes politiques qui avaient sa faveur lorsqu’il n’était pas trop bien luné ou qu’il se sentait démuni face à la bêtise du monde environnant. La nuit tombait et l’on n’entendait que quelques aboiements dans le lointain ainsi que les hululements d’un oiseau de nuit attendant l’heure de pointer au chômage. Le moment était propice ; il débuta son récit, à voix basse, sans doute histoire d’obliger ses auditeurs à tendre un peu l’oreille, à moins que ce ne soit pour éviter qu’un politicien en maraude ne se sente outragé dans ses fondements tricolores…

« Je vais vous conter l’histoire d’un chef de bande redoutable qui se nommait Ali Sarko… Ali Sarko était à la tête d’une troupe de malfrats aussi discrets qu’efficaces pour piquer les ronds là où il n’y en avait guère. Le comportement d’Ali Sarko exaspérait bien des citoyens de ce lointain pays d’Orient, nommé la Francosie, mais le chef de la bande savait qu’il pouvait compter sur une certaine impunité : bon nombre de citoyens naïfs, se méprenant sur ses intentions, lui avaient demandé de veiller sur leurs économies et de défendre leurs intérêts. Il prenait également bien soin à ce que ses hommes de main ne se servent jamais dans les coffres-forts de ses amis les plus riches. Ali n’était pas fou, il savait bien que s’il pouvait dormir bien au chaud dans les draps moelleux de sa caverne élyséenne et rêver paisiblement à sa prestigieuse collection de montres bracelets, il le devait à ses copains fortunés et à personne d’autre. Tant qu’il n’empiétait pas sur leurs privilèges, ces puissants personnages se contentaient de lui verser de temps à autre quelques gratifications : voyage en yacht privé, soirées mondaines ruineuses et autres bricoles. De toute façon, il était tranquille : ses potes contrôlaient la plupart des moyens d’information du pays, surtout ceux qui étaient grandement appréciés par les petites gens. Comme ils tenaient les cordons de la bourse de bon nombre de journaux, radios et autres chaînes de télévision, il savait que les exactions que sa bande commettait au détriment des honnêtes citoyens, ne faisaient jamais la une des informations. Quand un groupe de braves gens se faisait détrousser, qu’on leur ôtait les derniers avantages sociaux dont ils jouissaient, la rumeur publique contrôlée traitait les victimes de privilégiés, ou disait que c’était la faute à pas de chance, la faute à d’autres bandes de voleurs, la faute aux Roms et à tous les basanés, mais jamais la faute à la bande de fripouilles que dirigeait Ali Sarko. Quand les petites gens se plaignaient, Ali Sarko compatissait si bien à leur malheur que personne ne pouvait croire qu’il en était vraiment responsable. En d’autres temps et d’autres lieux, il eut été très apprécié comme acteur de théâtre, spécialement dans les seconds rôles des comédies de boulevard.

Ali Sarko menait donc une vie paisible, trop occupé à compter et à recompter les pièces d’argent de ses coffres, ainsi qu’à préparer ses somptueux déplacements dans les royaumes voisins, pour s’occuper des plaintes des miséreux et de l’indignation populaire qui croissait tranquillement mais sûrement. Il était tellement pris par ses différents hobbys et par la contemplation béate de l’image grandiose que lui renvoyait son miroir déformant personnel, qu’il n’avait pas vraiment le temps de contrôler ce que faisaient ses fripouilles entre deux rapines. Ce manque de sérieux dans la surveillance du comportement de la bande provoqua les premiers dysfonctionnements de son système mafieux parfaitement rôdé… Certains de ses hommes de main les plus connus se targuèrent d’adopter le même mode de vie que leur chef, et d’étaler leur fortune aux yeux des plus humbles, distribuant avec largesse à leurs propres amis des biens qu’ils avaient prélevés peu de temps auparavant dans le trésor commun à la population : sa richesse nationale. D’autres décidèrent de vivre sur un grand pied et d’imiter le chef. Lorsqu’ils se déplaçaient dans de lointaines cités ils empruntaient les moyens de transports les plus onéreux, dormaient dans des palaces luxueux et se pavanaient dans les réceptions en fumant moult cigares ou en buvant sans retenue des alcools de grand prix. Malgré le contrôle relativement strict des moyens d’information, le récit de ces frasques finit par faire grand bruit et nombre de manants privés d’emploi, bouclant leurs mois avec la plus grande difficulté, apprirent que les fripouilles de la bande à Sarko dépensaient en une journée de voyage autant qu’eux en gagnaient en mettant bout à bout des années et des années de travail. Tout ce remue ménage finit par agacer les grandes oreilles du chef, peu habituées à toutes ces criailleries populacières.

Ali Sarko se trouva donc dans l’obligation d’interrompre le classement de sa collection de montres et demanda conseil au miroir qui l’agrandissait et au conseilcom qui lui fournissait, de façon aléatoire, des indications sur la façon de tromper le bon peuple. Il lut et relut à plusieurs reprises le petit livre « que sais-je » sur l’art de gouverner, changea les réglages de son conseilcom et demanda à son miroir de se fixer sur l’image « sourire mielleux ». Une fois ces préambules terminés il convoqua les moins manchots des fripouilles de sa bande et leur donna quelques conseils sur l’art de ne pas se faire remarquer. Il téléphona ensuite à ses copains qui contrôlaient l’info et leur demanda de mettre en route le plan de com « sécurité » qu’il avait déjà utilisé à plusieurs reprises. Il suffisait que l’on réactive la trouille chez les braves gens que ses fripouilles dévalisaient et le tour serait joué : l’attention serait détournée vers d’autres bandes de malfrats, des petits joueurs ceux-là, si possible des miséreux ou des basanés, et personne ne songerait plus à s’inquiéter du trou sans fond creusé dans la caisse commune qui contenait la richesse nationale. Ses chargés de mission « propagande » scrutèrent l’actualité à la loupe et trouvèrent rapidement les quelques bûches bien sèches dont ils avaient besoin pour allumer un bon brasier bien sécurisant. Quelques faits divers sans intérêt furent montés en épingle : on jeta l’opprobre sur un épicier qui menait grand train de vie avec ses multiples femmes ; on flingua un braqueur de casinos ; quelques personnes âgées congelèrent leurs concubins ou concubines pendant que des mères indignes s’acharnaient sur leurs nourrissons ; une gendarmerie fut attaquée sauvagement, à l’ancienne, avec haches et barres de fer comme au bon vieux temps… L’affaire était dans le sac : les chargés de mission « bourrage de mou » purent commencer à officier. On piqua les fesses de quelques pittbulls en uniforme parés d’initiales prestigieuses pour qu’ils s’énervent et mordent quelques jeunes bien échauffés. Une fois chauffée à blanc par les pandores et les journaleux, la « racaille » se mit, comme prévu, à l’ouvrage : quelques barbecues avec les voitures des parents, voisins ou amis, deux ou trois immolations d’abribus. Il ne restait plus qu’à arroser la sauce avec une bonne dose de lacrymogènes. Sous les applaudissements des pandores gradés, on convoqua quelques hélicoptères dûment munis de projecteurs, pour faciliter le travail de la presse et veiller à ce que la population stresse suffisamment. On n’allait quand même pas faire appel à toutes ces vedettes sans qu’il y ait un minimum de claque prévue à l’entracte.

Ali Sarko tempêta dans un verre d’eau. Il se garda bien de verser le précieux liquide sur le brasier histoire de ne pas l’éteindre trop vite. Il vitupéra, moralisa et légiféra puis enfila son maillot de bain et partit se bronzer loin de tous ces lieux de perdition où il risquait, ni plus ni moins, de se faire piquer sa dernière montre, ou, pire, de se la faire acheter et payer avec un chèque en bois. Le discours du chef indiquait la voie à suivre : aux plumitifs, vomitifs et autres administratifs d’exécuter les basses œuvres. Il y avait du pain sur la planche : pour faire plaisir au maître, il fallait contrôler, rafler, démanteler, incendier, expulser des milliers d’indésirables, citoyens obscurs ou petites fripouilles d’autres bandes de moindre envergure que celle d’Ali Sarko. Certains nostalgiques du bras levé renouèrent avec la bonne vieille tradition perdue des rafles sauvages… Quelques annonces soporifiques vinrent au secours du cataplasme sécuritaire. Une émission spéciale de « bonne nuit les crétins » fut programmée aux heures de grande écoute . Un présentateur souriant comme une cuvette de WC affirma que les fripouilles que l’on calomniait ne méritaient pas un tel traitement : c’étaient tous de braves gens, au service de la Francosie éternelle ; leurs journées de travail étaient si longues qu’ils méritaient bien quelques récompenses ; il n’y avait pas de quoi faire tout un cigare de quelques débordements bon enfant. Les fripouilles, elles au moins, ne brûlaient pas les vieux carrosses et ne volaient pas la poule au pot des habitants du Royaume. Une présentatrice souriante comme une serpillère essorée confirma les dires de son collègue et apaisa les angoisses des Francosiens en leur posant ce dilemme épouvantable : « entre-nous, si vous aviez le choix, aimeriez-vous mieux confier l’éducation de votre enfant à la fripouille chargée du budget national (ou du moins de ce qui en reste) ou à des bohémiens amateurs de volaille ? » Une heure après avoir éteint la télé, Bobonne frissonnait encore dans son lit à l’idée que son caniche nain se retrouvât enfermé dans une caravane rutilante tractée par une Mercédès acquise au marché noir et conduite par un collectionneur de cuivre et de plumes de canard.

Un mois passa ; les esprits se calmèrent et les poches se firent à l’idée qu’elles n’existaient plus que pour avoir un trou. A quoi bon mettre un écu de côté ? A quoi bon d’ailleurs enfiler un pantalon ? Ali Sarko chassa de sa bande un ou deux malfrats qui s’étaient fait remarquer par leur maladresse et les remplaça par des experts moins connus ou connus il y a longtemps. Le bandit chargé du maintien de l’ordre parmi les détroussés s’entoura de quelques conseillers sans scrupules. Il paraît même qu’il prit dans son équipe un certain Cargnouf, bien connu dans une région de Francosie où poussent les montagnes. Cet homme était un expert en délinquance : il avait même purgé quelques années à l’ombre des barreaux suite aux nombreuses indélicatesses qu’il avait commises avec l’argent d’autrui. Sans doute s’était-il repenti puisqu’il se posait en connaisseur des comportements mafieux et jurait ses grands dieux qu’il aiderait l’Imam Ali Sarko à traquer les infidèles et les petits caïds… La vie retrouva son  cours antérieur en Francosie. Ali Sarko, assis sur son grand fauteuil de Prince, méditait en songeant à l’avenir. Les gaffes commises par ses sbires avaient failli provoquer une catastrophe. Il fallait qu’il passe moins de temps devant son miroir et qu’il contrôle mieux ses troupes, sinon ses amis allaient se fâcher et porter leurs faveurs sur un autre chef de bande auréolé de sainteté : Doumé Ephémi. L’homme était un concurrent sévère car il avait la réputation (nettement exagérée) de prendre aux pauvres pour donner aux riches (beaucoup) mais aussi aux pauvres (un petit peu). Du coup, on le croyait généreux ; on disait même qu’il était carrément socialisant… Ali Sarko arrêta de méditer : de telles pensées lui provoquaient des frissons dans la Rollex. Mieux valait encore aller voir quelques désœuvrés en banlieue et leur enseigner le maniement du Karcher… »

Ainsi se termine mon histoire, dit alors Oncle Paul. Personnellement je ne l’aime pas du tout et je voudrais bien ne plus avoir à la conter pendant de nombreuses années. Je préférerais vous parler d’un pays où les fripouilles ne font plus la loi et où les humbles gens peuvent faire entendre leur voix au même titre que les soi-disant experts et autres marchands de calembredaines ; un pays où les richesses seraient partagées entre toutes et tous ; un pays dans lequel les papiers d’identité serviraient à allumer les poêles à bois ; un pays dans lequel le travail salarié remplacerait le père fouettard dans les contes à dormir debout pour enfants agités J’ai bien commencé à écrire cette histoire-là, mais j’ai peur que vous ne me taxiez d’idéaliste ou d’utopiste fou furieux, si je la publie un jour. D’autres pourtant, de par le passé, ont cru un tel avenir possible. Que faire d’autre que leur rendre hommage et essayer de marcher dans leurs traces ? Pourquoi sommes-nous anesthésiés par une telle désespérance ? Je vous le demande… Sur ces bonnes paroles, Oncle Paul se releva et se dirigea d’un pas lent vers sa caverne. Il était grand temps qu’il se ressource un peu : son public était tellement exigeant !

NDLR : les illustrations de cette chronique proviennent du livre d’Albert Robida, « Ali-Baba et les quarante voleurs ». La date de publication exacte en est inconnue. Je vous rappelle que le royaume de Francosie est bien entendu un royaume imaginaire situé dans la quarantième dimension. Quant au chef de bande, devenu empereur de la République, qui gouverne la Francosie, il n’existe bien entendu que dans les légendes de l’Oncle Paul. Heureusement d’ailleurs !

3 

12août2010

Une nuit sur un cyprès chauve

Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres.

Où il est question de la calvitie chez les arbres aux étranges racines

Singulière appellation que celle de ce cyprès que l’on a baptisé « chauve », sans qu’il n’ait ni vraiment la « boule à zéro » ni la tonsure des moines, emblème traditionnel de nos fromages les plus cotés. D’où peut venir le fait que l’on qualifie un arbre de « chauve », sachant bien entendu que celui-ci est couvert d’aiguilles comme d’autres le sont de feuilles et que son apparence habituelle n’évoque guère celle d’un crâne luisant ?… Peut-être faut-il aussi préciser, pour les moins chevronnés en botanique de mes lecteurs, de quel arbre j’entends parler dans cette chronique… Mettons donc un peu d’ordre dans ce foisonnement intellectuel et végétal…

Le cyprès chauve est un arbre magnifique, d’une hauteur courante de 30 à 50 mètres pour un diamètre de 2m. Il a une durée de vie moyenne estimée à un demi-millénaire. Son nom latin est Taxodium distichum, alors que celui du cyprès méditerranéen, l’éternel complice du Pin parasol dans les paysages de Toscane, est Cupressus sempervirens. Une bagatelle, cette différence d’appellation d’origine contrôlée, me direz-vous… Tous deux sont des cyprès, et les cyprès on connait bien : on en voit partout quand on se balade en Provence. Pourquoi donc une chronique complète consacrée à l’espèce particulière atteinte de calvitie ?… Erreur botanique grave : le cyprès chauve appartient à une toute autre famille que ses petits copains chevelus. Taxodiacées et Cupressacées sont certes des conifères ou résineux, mais ce sont deux embranchements différents. La famille des Taxodiacées appartient à la vieille noblesse arboricole… si ancienne dans l’histoire de l’humanité que les Cupréssacées semblent être de jeunes parvenus, nouveaux riches et ambitieux. Quand on se rattache aux Taxodiacées, cela veut dire que l’on avait des ancêtres vivant au Crétacé Inférieur, et, croyez-moi, c’est sacrément plus prestigieux que d’avoir servi de parasol au roi Saint Louis par exemple. On a retrouvé, dans une mine de lignite, en Hongrie, non loin de Budapest, des cyprès conservés depuis le miocène, époque à laquelle le continent européen était partiellement recouvert par les eaux. Ils ont environ huit millions d’années, mais ils ne sont ni fossilisés, ni carbonisés : ils ont conservé leur structure de bois, même s’ils ne sont, bien entendu, plus vivants. Ce phénomène rarissime est dû au fait qu’ils poussaient dans une crevasse profonde d’une soixantaine de mètres et qu’ils ont été recouverts d’une épaisse couche de sable, ce qui a permis cette conservation exceptionnelle…
La famille du cyprès chauve est si ancienne qu’elle ne comporte plus qu’une dizaine de genres vivants, avec des arbres aux noms prestigieux comme le Sequoia (dont je vous parlerai bientôt) et le Crypt0mère, arbre géant du Japon, ou des noms à coucher dehors comme le Glyptostrobus (espèce en voie de disparition, n’existant plus qu’en de rares exemplaires) ou l’Athrotaxis. Il y a deux cent millions d’années (une paille), les représentants de cette famille étaient fort nombreux. L’objectif que je m’étais fixé, à savoir larguer dès le premier paragraphe les lecteurs peu attentifs, étant atteint, je peux maintenant me consacrer pleinement à mon sujet. A noter encore, concernant cette famille des Taxodiacées, qu’il s’agit plus d’un regroupement d’arbres « qui n’ont pas » plutôt d’arbres « qui ont » des caractères communs. C’est donc une sorte de « fourre-tout » botanique, âge vénérable et gigantisme constituant deux éléments importants de regroupement.

La plupart des Taxodiacées ont la particularité de pousser autour de l’océan Pacifique, à l’exception notable du Cyprès chauve dont l’habitat originel est les marais de la Louisiane. Cet arbre apprécie énormément les environnements humides, et vous n’avez que peu de chance d’en observer dans les plaines de Mongolie. Dans les bayous de Louisiane, les marécages de la Floride ou les versants humides du Mississippi, le cyprès chauve trouve les éléments qui lui conviennent : eau stagnante présente de façon constante et chaleur. Cela ne veut pas dire qu’il ne pousse pas sous nos latitudes et qu’il ne s’adapte pas à notre climat, simplement qu’il est plus beau, plus majestueux lorsque les conditions lui permettent de s’épanouir pleinement. Dans ce contexte favorable, il présente une singularité fascinante : lorsqu’il atteint l’âge de 25 à 30 ans, ses racines souterraines émettent des pneumatophores, des protubérances verticales de forme conique, qui jaillissent du sol et s’élèvent à plusieurs dizaines de centimètres de hauteur (parfois un mètre ou deux). Ces « antennes » verticales ont la particularité de dépasser le plus haut niveau de l’eau s’étalant au pied de l’arbre et constituent une sorte de système respiratoire secondaire. Lorsque les racines de l’arbre s’étalent dans la zone inondée, les pneumatophores permettent de continuer les échanges gazeux indispensables à la vie de l’arbre. En terrain sec, ce genre de phénomène ne se produit pas, et le développement de l’arbre reste généralement plus modeste. Son allure est aussi plus quelconque, puisqu’il ne bénéficie plus de cet entourage singulier de colonnes de bois, évoquant les doigts d’une main géante jaillissant du sol… On peut donc planter un cyprès chauve dans un terrain non marécageux, pourvu que l’on puisse assurer  à la saison chaude, un arrosage suffisant, notamment les premières années… Bien… Tout cela ne nous renseigne pas sur l’origine du terme « chauve ». Il va vous falloir encore un peu de patience… Je vous autorise à aller chercher une bière fraiche ou à vous servir une tasse de café… La conférence n’est pas terminée !

Le cyprès chauve a d’abord été acclimaté en Angleterre, vers 1640, par John Tradescant. Les jardiniers botanistes français ont suivi le mouvement quelques dizaines d’années plus tard, concurrence oblige. De magnifiques spécimens poussent dans les parcs boisés qui disposent de plans d’eaux ou de rivières (arboretum de Balaine, photo 2). Il supporte le climat du bassin parisien (on en trouve de beaux spécimens dans la forêt de Rambouillet), mais n’apprécie pas les températures hivernales des régions plus nordiques ou montagneuses. Il n’est pas du tout adapté au climat méditerranéen, comme son lointain cousin toscan, puisqu’il a besoin d’un bain de pied permanent pour prospérer. Pendant ses jeunes années, le cyprès chauve revêt une magnifique forme pyramidale. Comme pour de nombreux bipèdes, cette silhouette élégante et fière s’altère quelque peu avec l’âge et les vieux spécimens des Everglades de Floride prennent des formes irrégulières et dissymétriques. Leur apparence singulière permet alors de les comparer aux créatures les plus saugrenues jaillies des profondeurs de notre inconscient. Impossible d’évoluer au pied d’un cyprès chauve sans se croire entouré par une compagnie de ces « Ents » si chers à l’écrivain anglais Tolkien… En terrain marécageux, cette comparaison est accentuée par le fait que l’arbre abrite de nombreuses plantes compagnes, en particulier les « filles de l’air » ou Tillandsia (que l’on commence à trouver en grand nombre dans nos jardineries). Ces plantes se développent en symbiose sur les branches horizontales de l’arbre et émettent de longs fils pendants qui donnent aux cyprès chauve une allure encore plus mystérieuse. Les Tillandsia ne parasitent en aucun cas les arbres : elles n’utilisent le bois que comme support et se nourrissent de l’air ambiant, très humide. Nos cyprès chauves se recouvrent alors d’une chevelure qui ne leur appartient pas vraiment mais participe grandement à leur allure impressionnante.

« Les cyprès chauves du sud des Etats-Unis répandent une magie incroyable, presque mystique, sur nous autres humains. Lorsque, à bord d’un bateau, on glisse au petit matin sur les vastes lacs et marécages du bassin d’Atchafalaya, il est impossible de se détourner des silhouettes archaïques de ces arbres. Les cormorans aux allures de ptérosaures, avec leurs ailes étendues pour les laisser sécher, et les filles de l’air balayées par le vent renforcent cette ambiance préhistorique. Des « reptiles survivants » mais craintifs – des alligators – plongent et s’éloignent sous l’eau, et l’on se croit revenu à un âge de la Terre depuis longtemps révolu. » (Rudolf Wittman, « Terre des Arbres » chez Ulmer).

La plupart des beaux spécimens de cyprès chauves n’ont pas résisté à la hache des bûcherons, et les arbres vénérables n’existent plus qu’en quantité restreinte. Les forêts actuelles, dans le Sud des Etats-Unis, n’ont plus grand chose de commun avec les forêts primaires. Il reste cependant quelques monuments qui méritent la visite. C’est le cas du « géant de Cat Island » poussant dans un méandre du Mississipi au Nord de la Louisiane. Il a une circonférence de plus de seize mètres et son âge est estimé entre 700 et 1300 ans. Sa forme attire l’attention tout autant que sa taille, d’autant que d’autres sujets anciens poussent à ses côtés et participent à la création d’un décor impressionnant. Une très belle photo de cet arbre figure dans le livre « Terre des arbres » (voir plus haut, en fin de citation). Le bois du cyprès chauve est apprécié pour de nombreux usages. Il est commercialisé sous l’appellation cyprès noir, rouge ou jaune. C’est un bois résistant et durable ; du coup il est employé pour de nombreux travaux extérieurs, pour réaliser des constructions exposées aux intempéries : ponts, terrasses, cabanes. Sa structure fibreuse ne rend pas son emploi vraiment possible en ébénisterie où l’on préfère les bois à grain fin. Il fournit également un excellent combustible, ce qui explique en grande partie les coupes sauvages dont il a fait l’objet au cours des deux siècles derniers.

Je vois que vous commencez à perdre patience ; je vais donc vous donner deux indices pour expliquer la « calvitie » de cet ancêtre vénérable : il a, en ce qui concerne sa chevelure, un point commun avec le Mélèze de nos forêts alpines ; la réponse à la devinette ne se situe pas du côté des « filles de l’air »…

En ce qui concerne les légendes sur le cyprès chauve, il faut se tourner du côté de sa contrée d’origine et interroger la mythologie des Amérindiens. Dans la tradition des peuples du Mexique, on retrouve notre bon vieux Taxodium dans un mythe proche de celui du déluge biblique. Quatre âges ont précédé l’âge actuel du monde, chacun se terminant par une catastrophe naturelle provoquée par les dieux. La dernière en date, c’est un véritable déluge provoquant une grande inondation (on voit que ce thème est commun à de nombreuses religions !).  Tous les individus peuplant la terre sont transformés en poisson sauf un couple d’heureux élus. Coxcox et Xochiquetzal survivent grâce à un canot qu’ils creusent dans le tronc d’un vieux cyprès (dans d’autres récits, il s’agit parfois d’un radeau assemblé, toujours dans le même bois). Cette scène est représentée dans une gravure du Codex vaticana reproduite en début de paragraphe. Les deux survivants flottent sur leur radeau de cyprès au milieu des eaux. La colère des divinités, Matlalcuéyé, déesse des eaux et Tlaloc, le dieu de la pluie, son compagnon, finit par s’apaiser, tous les jeux, même les plus palpitants, ayant une fin. La décrue s’amorce progressivement et Coxcox et Xochiquetzal peuvent à nouveau vivre et procréer en toute tranquillité, engendrant ainsi la race humaine actuelle. Le codex, contrairement aux prédictions de Nostradamus, n’indique pas quelle destinée attend la population du cinquième âge. Moi, j’ai une petite idée sur la question : il se pourrait bien que les nouveaux occupants de la planète bleue provoquent eux-mêmes la catastrophe finale sans avoir besoin d’un coup de pouce divin ! Ne me demandez pas ce qui a permis, sur la gravure, d’identifier un cyprès chauve plutôt qu’une autre sorte d’arbre, je n’en sais rien ! En tout cas, ce radeau en forme de tortue a peut-être inspiré un autre écrivain anglais, Terry Pratchett…
On retrouve une légende similaire, déluge et destruction des premiers âges de l’humanité, dans le Popol-Vuh, recueil des traditions mythologiques des Mayas, rédigé en langue quiché, mais le bois utilisé pour fabriquer l’embarcation n’est pas indiqué.

Je vous laisse maintenant méditer en paix, bière ou café à la main, sur ces graves questions métaphysiques. J’espère en tout cas que cette boutade végétale ne vous est pas montée jusqu’au nez.

Postscriptum : je m’aperçois que j’ai oublié la réponse à l’angoissante question posée au début de cette chronique. Pourquoi ce cyprès-là, contrairement aux autres, est-il chauve ? Le mélèze ne vous a pas mis sur la voie ? Eh bien c’est simple : le Taxodium distichum perd ses aiguilles à l’automne, après qu’elles aient pris une belle coloration orangée. De nouvelles aiguilles vert tendre apparaissent au printemps. L’arbre est chauve pendant l’hiver, comme un vulgaire platane feuillu. Dans le petit monde des conifères, c’est une situation suffisamment rare pour justifier une appellation particulière : à part le Mélèze et le Cyprès chauve, seuls le Metasequoïa et le Ginkgo présentent cette particularité.  Bon d’accord, on n’a jamais traité le mélèze de « boule à zéro »… C’est un fait ! Mais vous savez, les botanistes sont parfois des gens compliqués ! Et puis un musicien russe s’est bien permis de qualifier de « chauve » un mont dépourvu d’arbre ! En plus il s’y promenait la nuit… Je ne vois pas pourquoi on ne construirait pas une cabane nichée au creux des branches d’un cyprès pour s’y adonner à une sympathique activité : s’endormir en écoutant un petit air de Moussorgski, les yeux tournés vers les étoiles, en rêvant de créatures filiformes et aériennes…

6 

5août2010

Une bibliothèque ni rose, ni verte : bleue…

Posté par Paul dans la catégorie : les histoires d'Oncle Paul; Petites histoires du temps passé.

Les bibliothèques rose et verte ont marqué l’enfance de beaucoup d’entre nous… Cette étrange collection de brochures, vendues par les colporteurs, que l’on a appelée « bibliothèque bleue », est beaucoup moins connue, et pour cause, puisqu’elle a été publiée du début du XVIIème à la fin du XIXème siècle. Elle a cependant joué un grand rôle dans le développement d’une culture écrite populaire au temps de nos ancêtres. Je voudrais vous en toucher quelques mots. On peut, sans exagérer, parler d’outil de culture populaire de masse puisque le tirage des livrets de la bibliothèque bleue se chiffre en millions d’exemplaires, et que l’on a dénombré plus d’un millier de titres différents proposés au public.

On estime que la bibliothèque bleue est née au début du XVIIème. Les premiers volumes ont sans doute été imprimés par un certain Nicolas Oudot, imprimeur-libraire à Troyes. Cet artisan ingénieux a eu l’idée de fabriquer des brochures de petit format, faciles à glisser dans le ballot d’un colporteur… Précurseur en quelque sorte du « livre de poche », il a veillé également à ce que sa production se fasse à un coût très bas : impression en grandes séries, papier de mauvaise qualité (ce qui explique que les exemplaires survivants soient rarissimes), reliures brochées de basse qualité… Les couvertures sont imprimées sur du papier bleu gris, le même que celui qui sert, dans l’alimentation, à emballer les pains de sucre et qu’on peut acheter à bas prix. Les premiers volumes sont vendus un ou deux sols pièce. Les auteurs sont anonymes et ne sont donc pas rémunérés. Cet anonymat permet aussi une certaine liberté de ton à l’époque de l’absolutisme, d’autant que le nom de l’imprimeur est fort souvent omis ! Pourtant, le contenu des livrets de la bibliothèque bleue prête plus au rêve qu’à la contestation, même s’il change pendant les trois siècles d’existence de la collection. Les thèmes abordés sont variés, de l’histoire sainte aux grands contes populaires en passant par l’explication des prophéties, les almanachs, les fables morales, les récits récréatifs, la médecine des pauvres… Dans les débuts, les imprimeurs reprennent aussi les grands romans de chevalerie du Moyen-Âge en les adaptant. Beaucoup de thèmes dérivent ainsi directement de la tradition orale. La bibliothèque bleue vient prolonger et enrichir le travail du conteur lors des longues soirées d’hiver. Peu de « grands » auteurs derrière ces brochures, même si quelques uns se sont parfois adonnés à cette activité, sous leur nom propre ou sous un pseudonyme dédié à ce genre d’écrits. Ce sont bien souvent les imprimeurs ou les ouvriers typographes eux-mêmes qui se font les rédacteurs des textes publiés, n’ayant parfois aucun scrupule à plagier ou à copier certains textes célèbres. Ils puisent dans leur « fonds » éditorial, assemblent, mélangent, recyclent des textes dédiés à des publications plus sérieuses. Ce sont les ancêtres du « copier-coller » moderne, même si leurs outils sont particulièrement primitifs. Il n’y a point, à l’époque, de SACEM, d’HADOPI ou autre système de contrôle. En aucun cas les auteurs pillés ne sont spoliés puisque ceux qui les liront dans la bibliothèque bleue, ne les auraient jamais fréquentés autrement…

Ce sont les colporteurs qui diffusent cette forme de littérature. Au début, les contrôles sont peu nombreux, mais le pouvoir central se rend compte rapidement des dangers que peut présenter une commercialisation encore moins surveillée que la fabrication. Selon les chiffres rapportés par Geneviève Bollème dans la passionnante étude qu’elle a consacrée à ce sujet (voir références documentaires), en 1611, quarante-cinq colporteurs sont autorisés à vendre les livres dans toute la France ; un siècle plus tard, il y en a cent vingt. Les contrôles se mettent en place peu à peu… En 1723, on exige que les colporteurs qui diffusent ces brochures sachent lire et écrire, de manière à ne pouvoir prétendre ignorer qu’ils proposent des ouvrages interdits. En 1757, les vendeurs de livres clandestins sont menacés de la peine de mort par un édit royal… En 1788 la censure est supprimée… pour être rétablie cinq ans plus tard par la République… On craint que les colporteurs, difficiles à suivre à la trace, et donc peu appréciés des Jacobins, ne profitent de leur relative liberté pour faire circuler des écrits hostiles au gouvernement (les pouvoirs centralisés n’apprécient guère le nomadisme !). Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la surveillance se relâche sous l’Empire et seuls quelques titres traitant de sorcellerie et susceptibles d’échauffer les esprits sont interdits par la censure. Quelques brochures particulièrement coquines circulent aussi sous le manteau, mais elles ne constituent qu’un fragment réduit de l’ensemble de la collection et ne semblent pas trop chatouiller les censeurs. Il s’agit plus souvent de grivoiserie que de libertinage. Les « Sermon de Bacchus » et autres « encyclopédie scatologique » ou « Art de Péter » prêtent plus à rire qu’à s’indigner, même s’ils ne sont pas appréciés par le curé de la paroisse dans son sermon dominical… On comprend que les gens de bonne société boudent un ouvrage comme cette « Description de six espèces de pets ou six raisons pour conserver la santé, prêchée le Mardi gras, par le Père Barnabé, pêteur en chef au village des Vesses, Provinces des Etrons, goûtez qu’ils sont bons… » publié chez Garnier à Troyes (plusieurs rééditions, date inconnue). Le titre en lui même est déjà tout un programme.

La population rurale, qui constitue l’essentiel de la population française pendant ces trois siècles, est globalement illettrée. On peut se demander donc quel public achète ces brochures à bas prix. La réponse à cette question, il faut la chercher tout simplement du côté de la petite bourgeoisie et de la couche aisée de la paysannerie. Il y a, entre les gens les plus défavorisés et la classe « supérieure » de la population, toute une catégorie de citoyens qui possèdent un niveau de lecture suffisant pour déchiffrer le style relativement simple de ces brochures : ce sont, par exemple, les artisans, les commerçants, les laboureurs (petits propriétaires agricoles) qui consultent régulièrement les almanachs et signent les actes de l’état-civil ou des notaires. Ce dont on est sûr c’est que du début de la diffusion de la collection aux années de gloire (milieu du XIXème siècle – règne de Louis Philippe) le nombre de lecteurs s’accroit régulièrement. Du coup, pour s’adapter à ce lectorat de plus en plus diversifié, les thèmes traités sont de plus en plus variés. Dans la deuxième moitié du même siècle, c’est la presse écrite qui se développe massivement. Les champs qu’elle recouvre, des faits divers aux informations pratiques, empiètent sur ceux de la bibliothèque bleue dont les tirages vont commencer à décliner. On peut noter cependant que les journaux les plus vendus ouvrent leurs colonnes aux feuilletonistes. Il n’est point de journal sérieux sans une bonne série « à suivre » : les Paul Féval, Jules Vernes, Alexandre Dumas, Michel Zévaco, vont remplacer, pendant une bonne cinquantaine d’années, les écrivains anonymes des petits livrets colportés. C’est le changement dans la continuité… La présentation des écrits est plus rigoureuse, mais on aime toujours autant les récits qui font rêver, pleurer… palpiter. Dès qu’une histoire en épisodes est terminée, elle fait l’objet d’une publication dans une collection de romans populaires à bas prix ; des éditeurs comme Arthème Fayard (« le livre populaire ») bâtissent leur notoriété sur le nombre et la qualité des auteurs à succès qu’ils publient.

Avant de conclure par deux brefs textes culturels, extraits de cette bibliothèque bleue, je voudrais revenir un peu sur le contenu des livrets. Les exemples cités un peu plus haut pourraient laisser penser qu’il ne s’agit là que de littérature « vulgaire », dont la vocation ultime ne serait que distraction. Certes les « récréations » se vendent bien, mais elles n’occupent qu’une faible part du marché à côté des almanachs ou des écrits religieux. L’imprimerie Garnier à Troyes, propose ainsi dans son catalogue un « figures de la Sainte Bible » qui vient contrebalancer l’image légère de son encyclopédie des pets. On s’intéresse à la vie des saints, au martyre de Jésus Christ, aux paraboles des apôtres, aux récits des miracles, avec autant d’enthousiasme qu’aux manuels de savoir vivre, d’hygiène corporelle ou aux divers traités sociaux.  Parmi les titres diffusés on trouve par exemple « Le Miroir des Femmes qui fait voir d’un côté les imperfections de la méchante Femme et qui montre de l’autre les bonnes qualités de la Femme sage, tiré, pour la meilleure partie, des livres de la Sagesse. » Vous noterez que les titres, comme parfois sur la Feuille Charbinoise, ne font pas dans la concision. En ce qui concerne ce « Miroir des Femmes », j’avoue ne l’avoir point lu. Si c’était le cas, je pense que je me serais abstenu d’en présenter un extrait.  Mes lectrices préféreraient sans doute « la Femme mécontente de son mari, ou entretien de deux dames sur les obligations et les peines du mariage » (encore un ouvrage du catalogue Garnier de Troyes…). D’ici quelques années il sera sans doute utile de rééditer « la Médecine et la Chirurgie des pauvres », publié en 1757. Peut-être vaut-il mieux laisser les prophéties aux auteurs de cette littérature populaire souvent émouvante et parfois surprenante… Je constate à part ça que les préjugés à propos de la « popularisation » de la culture n’ont guère évolué au cours des dernières décennies. « Maisons de la Culture » et « Livres de Poche » ont été accueillis, en leur temps, avec de nombreux sarcasmes par les élites bien pensantes et il n’est pas toujours bien vu, pour un écrivain, d’avoir débuté sa carrière chez « Fleuve noir »… Je ne prétends pas non plus que les ouvrages dans lesquels j’ai choisi les extraits suivants doivent figurer au catalogue de « La Pléiade », mais ils ont leur charme, surtout le deuxième et je ne saurais trop vous inciter à le lire en version « texte intégral »…

« Migraine. La Migraine est une douleur qui n’occupe que la moitié de la tête, depuis la suture sagitale qui sépare la tête en deux régions, l’autre moitié étant sans douleur, elle est ordinairement longue et opiniâtre.
Il faut avaler trois grands verre d’eau, et ensuite se promener.
Un vomitif la guérit quelquefois.
L’eau de vie mise dans le creux de la main et attirée par les narines, y est utile.
Lavez une bonne poignée de racine de Patience, faites-la bouillir dans deux pintes d’eau, à la consomption de la moitié, passez la décoction par un ligne, et en buvez.
Battez longtemps trois blancs d’œuf avec un peu de safran et l’appliquez au front, dans l’accès de la migraine, étendu sur un linge.
Appliquez en fronteau du poivre en poudre incorporé avec de l’eau de vie.
On prétend que le caffé est bon à la Migraine… »

« Art de péter. Ma longue expérience enfin, m’a fait voir que l’unique moyen de conserver sa santé, était d’avoir toujours le ventre libre, ce qui absolument ne se peut sans le secours du soupirail d’en bas, qui, pour ainsi dire, est le mystérieux réservoir et le puissant alambic de votre corps ; c’est par le trou de ce tonneau à deux colonnes, que sortent en divers tons et différentes odeurs, ces exhalaisons zéphiriques qui nous déchargent et qui soulagent nos intestins : ce sont des vents, ou pour mieux dire ces Pets et Vesses, qui produisent en nous des effets si surprenants et si avantageux, que je ne saurois assez blâmer le mauvais goût de ceux qui ne les veulent point admettre dans la société civile. […]
De tout temps on s’est appliqué à inventer de nouvelles machines, auxquelles on ne sauroit certainement réussir si l’on ne tiroit une imitation des choses naturelles ; qui se seroit par exemple avisé de faire une orgue, s’il eût bien compris auparavant l’origine et la nature d’un Pet : tant de conduits, tant de pores venteux, tant de différents tuyaux, l’invention si belle des soufflets ; toute cette méchanique enfin seroit-elle en lumière, si l’on eut su d’avance que le vent comprimé, qui reçoit subitement la liberté, produit incontinent un bruit proportionné à l’ouverture qu’il trouve ? Ne vous imaginez point, mes chers Paroissiens, que je prétende faire ici une injuste comparaison d’une orgue à un Pet, non ; car il est clair que le Pet l’emporte infiniment au dessus de l’orgue, puisque n’ayant qu’un seul trou, un seul secret, un petit buffet et point de clavier, il ne laisse pas de rendre tous les sons, et les sons de l’orgue la mieux composée. »

Ite missa est. Je prierai pour le salut de votre âme populaire.

NDLR – deux sources documentaires principales pour cet écrit discordant : le livre « la bibliothèque bleue » de Geneviève Bollême, paru chez Julliard en des temps immémoriaux et les bas-fonds d’Internet, toile obscure où se tapissent encore quelques pourvoyeurs de saines lectures…

1 

29juillet2010

Bric à blog ? – Oui ! Même en juillet !

Posté par Paul dans la catégorie : Bric à blog.

Un bric à blog estival, bien décousu comme il se doit. Vent du Sud, Vent du Nord, on ne sait pas dans quel sens vont les nuages. Il n’y aura bientôt plus qu’eux qui auront le droit de mener une vie nomade dans nos pays « civilisés ». A moins que les « big-brothers » qui nous gouvernent ne s’emparent aussi des postes de commande de la météo !

Voyager sans quitter son canapé… Beaucoup d’écrivains l’ont fait, parait-il, y compris certains auteurs de récits de voyage. Jules Verne rassemblait, avant de rédiger ses romans, une documentation énorme et réussissait, grâce à ce travail, à donner l’impression qu’il était le témoin visuel de certaines des réalités qu’il décrivait. Je lis en ce moment « Miss Branican », le feuilleton qu’il a écrit après avoir rencontré Nellie Bly (voir chronique à ce sujet ce mois-ci). Les descriptions qu’il donne de la mer de Java ou de la région de la Tasmanie, en Australie, sont impressionnantes de réalisme. Et pourtant ! En tout cas, si pour une raison ou une autre, vous n’avez pas l’occasion de vous éloigner de votre écran d’ordinateur au mois d’août, je vous encourage vivement à lire les descriptions de villes arabes figurant sur le site « Al-Oufok« . Les auteurs (les chroniques sont signées « la rédaction ») décrivent une vingtaine de cités, connues ou méconnues, qui ont joué un rôle historique important dans l’histoire du monde arabe : de Palmyre à Alexandrie en passant, entre autres, par Alep, l’une des plus vieilles villes du monde. Chaque article propose un historique détaillé de la cité, ainsi qu’une brève description des éléments les plus pittoresques. L’occasion d’approfondir vos connaissances, mais aussi d’éveiller certaines envies de plongée dans une richesse culturelle souvent mal connue. J’ai fait en tout cas une découverte politico-géographique :  « Al-Qaïdah » est aussi le nom d’une petite ville du Yémen qui n’a, bien entendu, aucun rapport avec le réseau du même nom… Ce n’est pas cette série d’articles qui va calmer mon envie de faire un tour culturel de la Méditerranée…

L’actualité dans l’hexagone n’est pas vraiment passionnante, et les marronniers abondent dans les médias. Il n’empêche que l’été n’est pas si calme que ça et nos journaleux ont quand même la petite dose de violence sociale dont ils ont besoin pour faire bouillir la marmite…  J’ai trouvé intéressant l’article « Full Métal Sarkozie » sur Article XI.  A propos des récents incidents sécuritaires à Grenoble et dans le Val de Loire, une très bonne analyse des faits et des motivations de ceux qui les commentent à haute voix dans les médias et dans l’entourage présidentiel. « Il y a chez ceux qui s’affichent comme les plus pieux défenseurs de l’ordre une très trouble inclination à savourer les manifestations du désordre. Et il ne me surprendrait pas d’apprendre qu’ils les appellent de leurs vœux, tant leur empressement à les monter en neige et à en tirer les plus alarmistes discours illustre leur schizophrène position. » Dans les hautes sphères de la répression, on profite de cette actualité en tout cas pour relancer la chasse aux sorcières habituelles, jeunes des banlieues, islamistes et travailleurs sans-papiers. Pour faire bonne mesure, Saint Brice, aux ordres de son saint patron, enfourche un nouveau cheval de bataille et débute une nouvelle croisade : bouter hors de France les Roms indésirables. Au passage, les hypocrites galonnés en profitent pour verser une larme sur nos valeureux gendarmes et policiers exposés à la vindicte des mécréants alors qu’ils s’étaient engagés pour secourir la veuve l’orphelin, et faire la circulation aux carrefours. Deux sites d’information sont dans la mire du ministère de l’intérieur, en attendant les prochains : Indymédia Grenoble et Jura Libertaire, site auquel j’ai déjà fait référence à plusieurs reprises dans ces colonnes éclectiques. Saint Brice a porté plainte pour indélicatesse à l’égard des forces de l’ordre… Si vous avez vu et apprécié le film « Liberté » de Tony Gatlif, vous lirez certainement avec intérêt sa prise de position au sujet des déclarations de notre bien aimé Président concernant les gens du voyage : « Les Tsiganes ne sont pas un problème« . Un court extrait de ce texte : « L’autre amalgame effrayant est de dire que les Roms et les Manouches sont en situation irrégulière, parce qu’ils n’ont pas de papiers. Les Manouches sont français ! Ils sont en France depuis quatre cents ans, ils ont souffert, ils ont été enfermés dans des camps et déportés durant la Seconde Guerre mondiale… Qui a mis les « gens du voyage », comme dit Sarkozy, en situation irrégulière ? Ce sont les politiques ! Les maires, les préfets, qui leur refusent l’emplacement légalement réservé pour leur caravane, voté dans la loi Besson il y a dix ans, mais que personne ne respecte. » Autre point important, on emploie un peu à tort et à travers, en France et ailleurs, les termes « tsiganes », « roms », « gens du voyage », « manouches », « gitans »… sans savoir ce qu’ils recouvrent exactement. Un article de Grégoire Fleurot, sur le site « Slate » fait le point de façon très précise sur la question. Il peut être utile de s’y reporter pour avoir les idées claires.

Il n’est pas question de faire un point sur l’actualité internationale. Le cynisme des grandes puissances est toujours aussi bien portant. S’il n’y a qu’un pas à franchir pour passer du jeu sur console au meurtre programmé à distance, deux pays au moins l’ont franchi : les Etats-Unis et Israël (d’autres y travaillent avec ardeur). Dans les territoires occupés, Gaza et Cisjordanie, les militaires ne se privent pas d’expérimenter les nouvelles technologies militaires. On lira avec intérêt, à ce sujet, l’article de Jonathan Cook repris ce mois-ci sur le site de Jean Dornac, « Humeurs ». La guerre bon chic bon genre, en tailleur bien coupé et chaussures « mode » : de jeunes femmes en uniforme appartenant à une unité particulière de Tsahal, manipulent à distance, à l’aide d’un simple joystick, des armes automatiques qui leur permettent d’éliminer, pour de vrai, mais de manière virtuelle sur leur écran, des militants palestiniens jugés dangereux à la sécurité de l’état israélien. L’avenir appartient aux combats sans combattants : drones, véhicules sans occupants, armes dirigées à distance… Quand on pense qu’il y a quelques siècles de cela l’Eglise catholique romaine condamnait l’emploi des armes à feu et de l’artillerie, jugées trop lâches car il n’y avait plus de corps à corps avec l’adversaire. A quand une déclaration papale sur les drones ? Certes, depuis, la très sainte église catholique, comme toutes les autres religions d’ailleurs, a mis beaucoup d’eau dans son vin ! Excuse à tout cela : les civils ont de plus en plus de mal à supporter les pertes militaires dans leur propre camp, d’autant que les victimes, avant d’endosser l’uniforme, étaient de simples citoyens aux velléités meurtrières relativement modérées. Les bombardements de l’Irak et de la Serbie nous ont déjà accoutumés à voir les raids aériens transformés en gigantesque jeu vidéo. Les combats au sol prendront sans doute un jour la même orientation. Il est plus simple d’éliminer un adversaire sur un écran par un simple clic de souris, que de lui perforer l’abdomen avec une baïonnette. Au bout du compte, le résultat est le même… mais la « virtualité » rend la chose plus facile.

Un peu de théorie ? Toujours dans les découvertes intéressantes du mois, une réflexion critique sur le thème de la décroissance. J’aime bien les gens qui jouent aux grains de sable dans les mécaniques trop bien huilées. Je suis aussi allergique aux relents culpabilisateurs profondément religieux qui entachent certains raisonnements des écologistes. Je vous invite à lire « la décroissance une théorie économique bien trop sage » sur le blog de Caleb Irri. Nul doute que certains propos vont irriter quelques militants de ma connaissance, mais il ne faut pas avoir peur de remettre en cause les idées prêtes à porter. Encore un mystique du progrès diront les inconditionnels du retour en arrière. Je pense pourtant que Caleb Irri pose les problèmes de développement dans des termes intéressants. Quant à moi, je continue à explorer toutes les pistes de réflexion qui se présentent. Les militants aux idées bien arrêtées et aux croyances intemporelles m’ont toujours inquiété. Ma ligne politique directrice est artistiquement sinusoïdale. Je fais comme beaucoup : je cherche mon chemin dans le noir avec une lampe frontale vacillante.

Envie de lecture relaxante ? même pas peur des idées grinçantes et saignantes ? Pas de problème le feuilleton « le Megoustastou » en cinq épisodes (et plus si affinités) a été écrit pour vous. Tout le monde en prend pour son grade, des écolos bobos aux bobos écolos et vous reconnaitrez certainement quelques uns de vos travers (?) en lisant ce portrait écrit au vitriol du militant « dans le vent » ! Enfin, moi je dis ça parce qu’en ce qui me concerne le tableau apocalyptique a fait mouche à plusieurs reprises. Mais vous me connaissez, je suis beau joueur et je n’hésite pas à vous donner le lien pour le sommaire… Vous n’aurez plus qu’à lire les cinq épisodes dans l’ordre. Un petit extrait pour l’apéro : « Le mégoustastou fait de la politique, de la vraie, de la qui tâche. Signer des pétitions contre le malheur des uns. Faire signer des pétitions pour le bonheur à lui. Il donne envie de faire de la politique avec une masse et de lui coller un pain révolutionnaire  dans la gueule. C’est un non violent. On peut donc y aller. Même sans batte de base-ball. Il est simplement à gauche, 100% à gauche, proprement à gauche. Et il le dit. Il critique les ministres à gauche, révèle aux communs des mortels leurs errements comme s’ils étaient salement à droite. Le mégoustastou est un boulet. Rouge. A tirer … comme un lapin albinos. »

Je cherche une petite trouvaille délassante pour finir, un petit quelque chose de léger, bien adapté au contexte estival… et musical de surcroît ! Pourquoi pas un petit tour sur le site du « racing club choral » ? Ce groupe de choristes réalise des arrangements à sa façon de chansons connues ou méconnues… Le répertoire est sympathique et la qualité musicale irréprochable. Ecoutez donc « Cayenne (mort aux vaches)« , « Libertine » ou « Vive le feu« … Vous m’en direz des nouvelles. Sur le site de la chorale, vous trouverez le calendrier des concerts et les liens vers d’autres vidéos. Bonne sieste et rendez-vous dans un mois si le ciel ne nous est pas tombé sur la tête.

NDLR : puisque l’on parle (notamment) de voyage, je vous propose, pour illustrer cette chronique sans tête à queue, une série de photo prises sur les côtes du Portugal, au Nord de Lisbonne. Il parait que le bleu fait toujours rêver…

3 

26juillet2010

Amy Johnson, une pionnière parmi d’autres de la conquête du ciel

Posté par Paul dans la catégorie : aventures et voyages au féminin; Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire.

Nombreuses sont les femmes pilotes qui ont joué un rôle essentiel dans le développement du transport aérien, même si les historiens de l’aéronautique, des hommes pour la plupart, ont mis longtemps à s’en apercevoir. Certaines de ces héroïnes de la conquête du ciel ont fini par laisser leur nom dans l’histoire, d’autres sont encore largement méconnues. Certes on entend moins parler d’Amelia Earhart et de Jacqueline Auriol, que de Charles Lindberg ou de Jean Mermoz, mais leurs patronymes évoquent en général quelques souvenirs dans nos mémoires. Elles sont cependant peu nombreuses, ces femmes pilotes dont nous avons conservé la trace. Avec l’habitude qui s’est installée petit à petit dans ce blog d’emprunter des routes secondaires et des chemins sinueux pour parler d’histoire, il fallait bien que je vous raconte un jour celle de l’une de ces aventurières mal connues, et j’ai jeté mon dévolu sur Amy Johnson. Sa contribution au développement des liaisons aériennes n’est pas négligeable puisqu’elle est la première aviatrice à avoir assuré la liaison Grande-Bretagne / Australie, en volant seule de Londres à Darwin, en 1930. Cet exploit s’ajoute à deux autres de ses titres de gloire : avoir été la première femme à obtenir une licence d’ingénieur en aviation, et ce en 1928 ; avoir relié, deux ans après son vol vers l’Australie, Londres à Capetown en Afrique du Sud.

Amy Johnson est née le 1er juillet 1903 à Kingston-upon-Hull, en Angleterre. Ses parents travaillaient dans l’industrie des pêches. Elle a suivi une formation universitaire en économie et a obtenu un diplôme  de la faculté de Sheffield. Elle s’est très vite aperçue qu’elle ne trouverait pas d’emploi à la hauteur de sa qualification dans sa spécialité et a suivi une formation en secrétariat, ce qui est une démarche beaucoup plus conventionnelle pour une jeune fille à son époque. Cette nouvelle orientation professionnelle lui permet de trouver rapidement un emploi à Londres, mais ce quotidien trop tranquille et routinier ne lui convient guère. Pendant ses loisirs, elle s’intéresse au pilotage bien que la pratique de ce sport ne soit guère encouragée pour les jeunes femmes. Rares sont les écoles qui acceptent de faire passer leur brevet de pilote aux demoiselles, fussent-elles issues de la bonne société… Tout cela n’est qu’excentricité et exhibitionnisme selon la morale en usage, et la place des femmes n’est pas dans la carlingue des avions… Le London Aeroplane Club finit quand même par lui décerner son brevet à la fin de l’année 1929. Son instructeur a eu l’idée singulière de lui dire que le seul moyen pour une personne de sexe féminin de trouver un engagement commercial dans le secteur, c’est de se faire remarquer, au préalable, en accomplissant quelque exploit de nature à intéresser les journalistes. Ce conseil ne tombe pas dans l’oreille d’une sourde… Dès l’année suivante, bien qu’elle n’ait qu’une expérience limitée, Amy Johnson décide de se lancer dans ce projet fou de relier Londres à Darwin, par un vol en solitaire dans un avion monomoteur. Grâce à quelques subventions, elle achète un appareil d’occasion, un Gypsy Moth, construit par les usines De Havilland. L’avion est baptisé « Jason » pour l’occasion. Il a déjà pas mal d’heures de vol à son actif, et il faut le modifier pour lui permettre d’accomplir des étapes de longue durée. Il faut notamment lui ajouter des réservoirs d’essence sous les ailes… La jeune aviatrice de 27 ans se prépare à son expédition. Elle ne peut emporter qu’un volume de bagages très limité, d’autant qu’il faut prévoir un minimum d’outillage pour effectuer les travaux d’entretien incontournables. A ce kit de premiers secours mécaniques, elle ajoute un fusil pour assurer sa sécurité personnelle et un minimum de ravitaillement. Certaines des étapes de son vol sont prévues à l’avance, mais d’autres dépendront de sa fatigue et de la résistance de l’appareil. Amy choisit un itinéraire passant le plus possible au dessus de la terre ferme, évitant chaque fois qu’elle le peut les longs survols d’étendues d’eau, toujours risqués.

Le trajet qu’elle va suivre représente une distance totale de plus de 16 000 km. Le Gypsy Moth vole à une vitesse maximum de 170 km/h et dispose d’une autonomie de 700 km environ… Elle s’envole vers le Sud-Est, survolant l’Europe, puis l’Asie puis se dirige vers le Sud, la Malaisie, l’Indonésie. La partie la plus dangereuse, c’est l’étape finale, la traversée de la Mer de Timor pour arriver sur les côtes australiennes… 19 jours de vol dans des conditions souvent difficiles avec des atterrissages de fortune dans la savane pour réparer un moteur endommagé par les tempêtes de sable. Lorsqu’elle décolle de l’aérodrome de Croydon, le 5 mai 1930, Amy Johnson est totalement inconnue du grand public. A son arrivée à Sidney, le 24 du même mois, elle est devenue une héroïne nationale : radios et journaux ont largement couvert l’événement au fur et à mesure que les informations concernant le voyage leur parvenaient. Le quotidien Daily Mail va même jusqu’à lui offrir une prime de dix mille livres sterling. L’année suivante, en 1931, avec un copilote, Jack Humphreys, elle effectue le trajet Londres Moscou en une journée, puis elle continue ensuite  jusqu’à Tokyo. En 1932, elle épouse un aviateur britannique, James Mollisson, amateur d’exploits lui aussi. Quatre mois après son mariage, elle décide de battre le record de vitesse sur la traversée Londres-Capetown (Afrique du Sud) – record justement détenu par son mari, James Mollisson !  Elle effectue le vol un première fois avec Humphreys comme copilote, puis une seconde fois, en solitaire, quelques années plus tard, en 1936. Les records se succèdent…

En juillet 1933, elle effectue une traversée de l’Atlantique avec son mari, à bord d’un De Haviland Dragon, mais l’avion a quelques ennuis à l’atterrissage à Bridgeport dans le Connecticut. Une panne d’essence contraint l’équipage à poser l’appareil en catastrophe. Les deux passagers sont blessés, mais heureusement sans gravité. La série noire continue cette année là puisque l’avion qu’ils se sont procuré pour le vol retour, s’écrase, lui aussi, mais au décollage cette fois. C’est l’âge d’or de l’aviation, mais la technologie a parfois des ratées et les accidents sont nombreux. La liste est longue des pilotes qui paient de leur vie des défaillances techniques de leur appareil ou des erreurs de guidage à cause de radios peu performantes ; disparaissent ainsi des aviateurs/trices chevronnés/ées comme Amelia Earhart, Jean Mermoz ou Charles Nungesser quelques années auparavant. La popularité d’Amy est immense en Grande Bretagne, depuis son vol spectaculaire jusqu’à Sidney. Une chanson, « Amy wonderful Amy » est même composée en son honneur. Dans les journaux où elle s’exprime de temps à autres, ses propos étonnent et questionnent le public. Lorsqu’on lui demande ce qu’elle pense des femmes et de l’aviation, par exemple, elle répond « les femmes manquent de confiance en elle-même, mais on peut leur faire confiance ». D’une façon générale Amy Johnson se prête fort peu au jeu médiatique et reste plutôt discrète. Il faut dire que sa vie est bien remplie. Les projets succèdent aux projets. Certains marchent, d’autres non. La disparition d’Amelia Earhardt en 1937 la marque profondément et elle décide de renoncer aux « records ». Le transport aérien se banalise et les réussites les plus spectaculaires soulèvent moins qu’avant l’enthousiasme du public. En 1939, en pleine dépression et en proie à de sérieuses difficultés financières, elle se sépare d’un mari qui, finalement, ne se préoccupe que fort peu de son sort.

Elle meurt, en janvier 1941, à l’âge de 37 ans, dans des circonstances plutôt surprenantes. Après avoir sillonné presque tous les continents en avion et survolé d’immenses étendues d’eau, au cours de sa brève existence, elle va périr noyée dans la Tamise. Cette fin singulière justifie quelques explications. A l’entrée en guerre de la Grande Bretagne, Amy Johnson, comme beaucoup d’autres pilotes civils, s’engage dans la RAF. Les femmes pilotes ne sont pas autorisées à piloter des avions de combat, mais jouent le rôle fort utile de convoyeuses (Air Transport Auxiliary). Par exemple, elles livrent sur les terrains, les avions neufs qui sortent d’usine et vont permettre de remplacer ceux qui ont été détruits. La tâche n’est pas exempte de dangers, car, très souvent, elles effectuent de longs trajets à bord d’appareils désarmés et dépourvus de radio, dans un ciel où les avions ennemis rôdent parfois. Si des progrès techniques importants ont été accomplis au cours de la dernière décennie, les défaillances sont encore fréquentes. Petit détail historique mais non point anecdotique, les convoyeuses de l’ATA britannique sont parmi les premières femmes à être payées avec un salaire identique à celui de leurs partenaires masculins. Elles représentent le huitième environ des effectifs du service. Amy Johnson décolle de l’aérodrome de Hatfield, à côté de Glasgow, pour une mission de routine. Elle pilote un Airspeed Oxford qu’elle doit convoyer à la base de la RAF de Prestwick. Sur cet aérodrome, elle prendra en charge un autre Oxford qu’elle ramènera à Kidlington. La première partie du trajet est effectuée sans difficultés, mais la météo est mauvaise. Sa chef de service lui propose d’abandonner la seconde partie de la mission, mais Amy refuse. Elle volera malgré le mauvais temps. A cause des intempéries, elle dévie sans doute du trajet qu’elle devait suivre. Son avion tombe en panne d’essence et elle saute en parachute à la verticale de l’estuaire de la Tamise. Elle ne porte pas de gilet de sauvetage. Malgré des secours assez rapides (le capitaine du steamer HMS Haslemere qui a aperçu la parachutiste, plonge pour lui porter secours, mais en vain), la jeune femme se noie et son corps disparait, emporté par le courant. On ne la retrouvera jamais. Seuls quelques débris de l’avion seront récupérés ainsi qu’un sac de voyage portant ses initiales… Amy Johnson est la première femme de l’ATA tuée au cours d’une mission pendant cette guerre. L’émotion est grande dans le public, bien que les gens aient de nombreuses autres préoccupations. En 1942, un film est tourné pour retracer sa carrière et immortaliser ses exploits.

Chaque fois qu’une personnalité disparait dans des conditions un peu mystérieuses, sa mort entraine la création de légendes populaires. Cela n’a pas manqué pour Amy Johnson comme pour Amelia Earhardt et les choses les plus farfelues ont été racontées. Une piste singulière a été cependant ouverte par la déclaration d’un artilleur de la défense côtière. Sur son lit de mort, en 1999. L’homme a annoncé qu’il avait abattu l’avion de Miss Johnson, le pilote n’ayant pas renvoyé les signaux d’identification convenable. Le secret sur cette bavure aurait été conservé à la demande des officiers… Aucune confirmation, ni infirmation de ce récit mentionné sur l’article anglais de Wikipedia n’a été apportée par le Ministère des armées. Peu de gens se souviennent d’Amy Johnson, sauf dans les milieux aéronautiques anglais et australiens, sans doute. L’avion qui lui a permis d’accomplir le premier de ses exploits, le Gypsy Moth « Jason » (photos paragraphes 2 et 3) est exposé au Science Museum de Kensington à Londres. Depuis l’époque héroïque de ces vols « long-courrier » beaucoup d’autres femmes sont devenues aviatrices et certaines, même, ont revêtu le scaphandre des cosmonautes. Il est dommage que le rôle important joué par toutes celles qui les ont précédées, soit encore occulté.

NDLR : plusieurs des documents illustrant cet article proviennent des archives du Kensington Science Museum. C’est le cas notamment de la carte ci-dessous. De nombreuses sources documentaires anglaises sont disponibles sur cette aviatrice. Les documents en français sont plus rares et pas toujours très exacts.

0 

22juillet2010

Point de « fêteumédiévaleuh » mais plein de « fouarolivrrres » !

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour...; Des livres et moi.

Pourtant les différentes revues que je consulte sont formelles : cet été, il y a des « fêteumédiévaleuh » partout ; le calendrier en est débordant, saturé, rempli. On médiévalise à tout va, dès qu’il y a le moindre vestige dans les environs, et même lorsqu’il n’y a point le moindre os de templier à se mettre sous la dent. Pour être honnête, j’avouerai qu’on s’en est quand même fait une petite au mois de juin. C’était à Pérouges dans l’Ain, et le passé justifie amplement que l’on choisisse un tel lieu pour tournoyer, festoyer et batifoler à l’envie. Mais là, en juillet et août, rien… Quasiment le no man’s land culturel : on ne bouge pas de notre trou de verdure. Il faut dire que la culture, l’autre, celle qui est moins prisée dans les salons, occupe une bonne partie de notre temps. Quand il ne pleut pas, il ne pleut pas et le regard attendrissant que l’on peut adresser à ses zinnias en fleurs ou à ses poireaux, ne remplace en aucun cas l’eau tombée du ciel. Depuis un mois, sur ce coup, on est en train de se refaire le jeu de rôle de l’été 2003. Le personnage du preux chevalier est remplacé par la figurine du porteur d’eau provençal et le terrible magicien elfe par un guerrier indien effectuant la danse du scalp pour invoquer les nuages sacrés de bien vouloir délivrer quelques gouttelettes sur notre désert en devenir. Compte-tenu de la superficie à conserver en état hydrique suffisant, même un gars qui aurait le pouvoir de changer le vin et la bière en eau ne suffirait pas à répondre à nos besoins. Quant à acheter de l’eau en bouteilles dans les supermarchés pour arroser nos courgettes, faut pas exagérer, on n’est pas des pervers, on respecte trop nos légumes. L’eau en bouteilles, c’est juste bon pour les touristes qui s’arrêtent à la maison et qui ont peur de boire l’eau du robinet parce qu’elle vient d’une source qui n’est pas contrôlée par les Suez-Vivendi brothers.

La chaleur nous coupe l’envie d’aller au cinéma ; les programmes télé nous ôtent le désir de fixer d’un air absorbé le petit écran. Heureusement qu’il y a la lecture. Donc je lis, entre deux transports d’arrosoirs et quelques projections de copeaux de bois à la raboteuse. Mes provisions de pages à lire pour l’été fondent comme neige au soleil (sans laisser de flaque d’eau), mais heureusement, même dans notre campagne reculée ou culture rime avec engrais et désherbants, il y a de plus en plus de « fouarolivrrres » et les « fouarolivrrres » j’adore ça. Prenez dimanche dernier par exemple, eh bien il y avait une festivité annuelle dédiée à la lecture qui avait lieu dans le petit village de Brangues à 10 km de cheu nous. Comme vous êtes des lecteurs/trices cultivés/vées vous n’ignorez pas que dans ce charmant petit bourg du bas Dauphiné (faudra un jour trouver une appellation moins péjorative pour notre admirable région) se trouve la tombe (et le château, et le parc…) du dénommé Paul Claudel, écrivain décédé de son état. Dans le même village il y a aussi – chose beaucoup moins connue du grand public – la maison où eut lieu le fait-divers qui inspira le dénommé Stendhal, écrivain décédé de son état, lorsqu’il rédigea son roman intitulé « le Noir et le Rouge » (appellation abusive à mes yeux puisqu’aucun des protagonistes n’était militant à la CNT espagnole). Je stoppe là ma digression éducative, ayant adopté le principe très strict, cet été, de respecter l’état d’avachissement progressif des neurones de mes lecteurs/lectrices, et je reviens à cheval sur mon dada préféré. Il y avait donc, disais-je, un grand marché aux livres à Brangues, avec une trentaine de bouquinistes, mais aussi quelques auteurs venus dédicacer leurs œuvres. Je m’autorise à nouveau une brève digression à ce sujet pour faire remarquer que ce sont là des gens courageux et qu’ils sont de plus en plus nombreux chaque année. Ce sont souvent des écrivains/vaines qui se sont fait « éditer » (un autre mot me venait à l’esprit mais nous sommes entre gens de bonne éducation) « à compte d’auteur ». Convaincus de l’immense intérêt de leur création (dont je ne doute pas forcément par ailleurs, ayant parfois fait d’excellentes trouvailles), ils n’ont pas réussi à convaincre un éditeur, un vrai, de miser quelques thunes sur leur cheval et se sont donc gentiment laissés manipuler par des marchands de papier. Leur aventure s’est – trop souvent – terminée par une pile de livres qu’un monsieur souriant leur a remis – contre un chèque rondelet – en leur souhaitant bonne chance pour la diffusion. Contrairement à ce qui se passait il y a quelques années, ce sont bien souvent des auteurs lucides, qui ont signé consciemment, des contrats pourris, parce qu’ils ne voyaient pas d’autres solutions pour présenter leur création chérie au public. Dimanche, l’un d’entre-eux expliquait d’ailleurs qu’il ne gagnait pas un rond en tenant son stand, ayant signé un contrat dans lequel il renonçait à toucher des droits d’auteur… Il bossait donc, bénévolement, pour son éditeur/imprimeur… Sans commentaires… Fin d’agression et de distorsion (synthèse « digression » ?)

Que fais-je donc, quand je vais dans une « fouarolivrrres » ? Eh bien je me jette sauvagement, les binocles sur le nez et le cheveu au vent, sur la première pile de livres d’occasion qui se présente, puis sur une seconde, une troisième et cela dure jusqu’à ce que mes yeux fatiguent. Parfois je commence par feuilleter, mais lorsque je pressens que l’ouvrage va m’intéresser, ma démarche est toujours la même : je regarde le prix car je sais très bien qu’il est inutile que je me fasse « trop mal pour rien ». Dans beaucoup de marchés livresques locaux où je me rends, j’ai le plaisir de retrouver le même bouquiniste. C’est un homme affable, avec lequel j’ai plaisir à discuter. Il connait bien son métier qu’il exerce avec un plaisir et un talent indiscutables. Il semble savoir quelles sont mes limites et possède le don de toujours placer sur son étalage un ouvrage dont le rapport qualité/prix me fera impérativement craquer. C’est grâce à lui, l’an passé, que j’ai pu me procurer cette incomparable édition de « l’homme et la terre » de Reclus. C’est à lui également que je dois le plaisir d’avoir dans ma bibliothèque « l’astronomie populaire » de Camille Flammarion ou le somptueux « Train bleu » que j’ai rapporté dimanche dernier… Histoire, géographie, roman, livre d’art, littérature populaire… il a toujours, derrière les fagots, quelques volumes qui sauront exciter ma curiosité. Il n’a point besoin de se faufiler dans le public ou de jouer au coupe-jarret pour me détrousser : son sourire seul suffit généralement à vider ma bourse. C’est sacrément plus efficace que la « sélection de livres » choisis « juste pour moi » par l’ordinateur d’Ah ma zone pointcom ! Le plus terrible c’est que je rentre souvent à la maison avec un lourd bagage et l’impression d’avoir fait une excellente affaire. Lui pense sans doute de même et nous nous quittons sur un salut cordial en attendant la prochaine rencontre. Grâce à moi en tout cas, le chargement de sa camionnette est moins pénible le soir !

Or là, justement, il se trouve qu’à Morestel, encore plus près de ma principauté d’élection, dimanche prochain, a lieu un marché aux livres qui LUI est MENSUEL à la belle saison. Le bougre sait bien qu’il va m’y retrouver. Il m’a d’ailleurs promis d’apporter, juste pour moi (voilà qu’il se prend pour un Amazone lui aussi), quelques éditions antiques de romans populaires réjouissants qui devraient faire mon bonheur. Là c’est un peu terrible car j’ai l’impression, de la même façon que d’autres deviennent narco-dépendants, d’être livro-intoxiqué. Si au moins mes goûts se limitaient à la volonté sage et méthodique de vouloir compléter une collection de la « petite bibliothèque rose » ou de me procurer l’intégrale des œuvres d’Alexandre Dumas. Mais ce n’est pas le cas : des dizaines de domaines m’intéressent et une collection de livres, dans un cas pareil, c’est à peu près la même chose qu’une tentative de déplacement de la dune du Pilat avec une petite cuillère. Je lui ai laissé une liste d’ouvrages, à ce libraire compatissant… Il y a de quoi s’inquiéter : je ne suis pas sûr qu’une camionnette bourrée de précieux volumes suffirait à répondre à ma demande… Rassurez-vous, je vais réagir. Je ne veux pas plonger dans l’abîme ; j’ai une volonté d’acier et je ne me laisserai pas faire. Dimanche, je n’achète pas plus de livres que j’ai de doigts dans la main droite (pourvu que je n’ai pas un accident avec la machine à bois !). Deuxième résolution : avant Noël, je me débarrasse d’une bonne centaine d’ouvrages qui ne m’intéressent plus et qui ne sont là que pour m’obliger à raboter de nouvelles planches pour la bibliothèque. Je vais contrôler l’expansion de tout ça, avant, dans une deuxième étape, de passer à la décroissance. Oh là j’arrête, on ne promet pas n’importe quoi ! Certes la décroissance est à la mode mais faut pas exagérer, disons que je vais en rester au développement durable de ma bibliothèque.

Au fait, et la « fêteumédiévaleuh » dans tout ça ? C’est vrai qu’on n’en cause pas beaucoup. Du coup, pour vous consoler, je vous propose une deuxième image de celle de Pérouges dont je parle au début de ma conférence épiscopale. Mais c’est promis, un jour, je vous dirai tout le bien et tout le mal que je pense de la reconstitution historique et du médiévalisme ambiant. Bonne cervoise en tout cas, mais faites attention : l’abus d’alcool, même moyenâgeux, nuit gravement à la lecture, surtout en plein soleil !

7 

19juillet2010

« L’herbe a déjà poussé, allez dans les champs la brouter, mes amis ! »

Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Un long combat pour la liberté et les droits.

La guerre des farines, première étape de la Révolution Française

La morgue des puissants n’est point une chose nouvelle et nos gouvernants actuels montrent simplement qu’ils ont tiré quelques enseignements de l’histoire mais pas forcément les bons. Il est parfois des propos prononcés à mauvais escient qui sont lourds de conséquences dans le déroulement des événements. Ainsi, à Dijon, le 17 avril 1775, cette réponse, donnée par l’Intendant du Roi, Monsieur de La Tour du Pin, aux émeutiers affamés réclamant de la nourriture, montre le fossé de plus en plus profond qui se creuse entre « les gens bien nés » et la populace : « L’herbe a déjà poussé, allez dans les champs la brouter, mes amis ! » Selon la tradition, la Reine Marie Antoinette rééditera ce genre de proclamation narquoise quelques années plus tard, en répondant à l’un de ses courtisans qui lui signale que les manants manquent de pain : “ qu’ils mangent de la brioche ! » Nos ministres actuels ne diffèrent guère de leurs prédécesseurs lorsqu’ils témoignent de leur ignorance du montant du salaire minimum ou des conditions financières dans lesquelles se débattent certains chômeurs, retraités ou salariés exploités… Disons que eux, au moins, disposent de conseillers en communication qui limitent un peu la casse, tout au moins quand ils n’improvisent pas.

Le début du règne de Louis XVI est marqué par de nombreuses insurrections populaires. La « guerre des farines » est sans doute l’une des plus symboliques d’entre elles. Comme chaque fois que le peuple descend dans la rue, il faut chercher les causes du côté du prix des denrées alimentaires, d’une pression excessive au niveau des prélèvements fiscaux, ou de la charge représentée par l’armée (chaque levée de milice, pratiquement, provoque une émeute). A l’époque qui nous intéresse, c’est à dire les deux décennies qui vont précéder la grande révolution de juillet 89, ces trois facteurs, responsables individuellement ou collectivement, des grands émois, sont renforcés par un quatrième de plus en plus fréquent : la colère à l’égard des privilégiés qui se livrent à la spéculation, vivent grassement sans travailler, ou laissent leurs terres en friches alors que la nourriture vient à manquer. « La guerre des farines », ainsi que l’indique clairement son nom, est provoquée par la pénurie de céréales et la hausse spéculative qui l’accompagne. Les récoltes de l’été 1774, particulièrement humide, ont été mauvaises, et les stocks de grains ne permettent pas de faire le joint avec la saison 1775. Ce n’est pas un hasard si la crise s’accentue au début du printemps : cette période charnière de l’année est aussi souvent marquée par les pénuries et par une mortalité élevée dans les paroisses. « Celui qui n’a plus rien dans la poche lorsque chante le coucou a peu de chances de passer une nouvelle année prospère ». La crise de 1775 est amplifiée par le fait que le contrôleur général Turgot, ministre de Louis XVI, précurseur du libre échange économique, a pris une mesure visant à libérer le commerce des grains. Conséquence directe de son édit, avec la pénurie, le prix du blé flambe littéralement, et le prix du pain suit la même progression. A la fin de l’hiver, le sétier de blé coûte dix-huit livres au lieu de douze (prix déjà élevé pour l’époque) et le prix du pain double dans les boulangeries.

Le 17 avril 1775, les ouvriers des faubourgs de Dijon descendent dans la rue, et le lendemain, ce sont des femmes, armées de bâtons qui rouent de coups un meunier accusé de trafiquer sa farine. Loin de calmer les esprits, on s’en doute, les propos que l’on attribue au Grand Intendant ne font qu’envenimer les choses et le grand émoi déborde très vite le cadre géographique de la Côte d’Or. Le mouvement de révolte gagne la capitale et c’est alors qu’on lui attribue la dénomination de « guerre des farines ». Le conflit est sans doute attisé par les ennemis de Turgot qui espèrent profiter de la multiplication des incidents pour se débarrasser du contrôleur général. Le jeune roi Louis XVI est très attentif à l’évolution des événements mais demande à ses officiers de police d’éviter à tout prix le bain de sang. Faute de pouvoir s’en prendre à la halle aux grains, gardée par la troupe, les émeutiers que l’on qualifie de « bandits » dans les hautes sphères du pouvoir, se livrent au pillage systématique des boulangeries. Le mercredi 3 mai, dans l’après-midi, le peuple de Paris, fort en colère, défile dans les rues en réclamant du pain. Les émeutiers affamés convergent sur Versailles. Louis XVI doit se montrer au balcon et promettre au peuple qu’il fera en sorte de faire réduire de deux sous le prix du pain – une promesse qu’il ne tiendra pas, comme beaucoup d’autres par la suite. Turgot convoque un conseil des ministres, révoque le chef de la police, Lenoir, et décide de réprimer les insurgés. L’intervention de la troupe apaise tout d’abord les troubles, mais, aucune solution n’étant proposée au problème du prix du pain, les incidents reprennent quelques jours plus tard. Un édit royal est publié. Il stipule qu’ « il est défendu de former aucun attroupement, d’entrer de force dans la maison ou boutique d’aucun boulanger ni dans aucun dépôt de grains, graines, farine ou pain. Qu’on ne pourra acheter aucune des denrées susdites que dans les rues ou places. Qu’il est défendu de même sous peine de vie d’exiger que le pain ou la farine soient donnés dans aucun marché au-dessous des prix courants. » Bien qu’il soit placardé et crié en divers point de la capitale, la colère prend à nouveau le pas sur la peur… La situation est un peu moins tendue à Paris, mais des soulèvements éclatent en Bourgogne, en Normandie, en Beauce, en Picardie. Dans toutes ces régions, Turgot envoie la troupe surveiller les marchés aux grains et reprend peu à peu le contrôle de la situation. Deux individus qualifiés de meneurs sont arrêtés et pendus à Paris. Des condamnations aux galères sont prononcées par les tribunaux, plutôt expéditifs, mais Louis XVI décide de faire preuve de mansuétude. Une partie des insurgés, arrêtés par la police, sont libérés, sous réserve qu’ils rendent les marchandises qu’ils ont volées. Le roi veut à tout prix éviter une répression trop sévère, qu’il juge sans doute préjudiciable à son « image de marque » !

Il est évident que les adversaires de Turgot ont eu tout intérêt, sur ce coup-là, à se servir de l’indignation populaire pour essayer de déstabiliser le ministre et de pousser le Roi à s’en détacher. Il faut dire que l’édit de Turgot sur le commerce des grains, s’il part d’une analyse assez judicieuse de la situation alimentaire de la France, aboutit dans un premier temps à un résultat spéculatif catastrophique. Les mauvaises récoltes sont fréquentes tout au long du XVIIIème siècle. C’est un problème que j’ai déjà évoqué dans des chroniques anciennes (notamment une consacrée au terrible hiver 1709). Il est cependant rarissime que les phénomènes climatiques entrainant des problèmes sur les cultures se produisent sur l’ensemble du territoire. Lors de plusieurs crises antérieures, la réglementation en place a eu pour conséquences le fait que l’on observe une famine cruelle dans certaines régions, et une absence totale de problème alimentaire dans d’autres, pourtant voisines. Le grain ne voyage guère et les provinces disposant de greniers pleins ne transfèrent que rarement leurs excédents dans les zones de pénurie. Ces échanges dépendent, pour une bonne part, du bon vouloir du roi. En libéralisant les règles d’échange, Turgot espère (entre autres) solutionner ce problème. Il abandonne, du même coup, tout contrôle de l’Etat sur le prix de ces marchandises fort spéculatives. Les grains vont maintenant voyager, mais les prix vont s’envoler ! Le peuple trouve cela fort immoral, ayant l’impression que le roi, toujours plus ou moins considéré comme le « Père de la Nation », laisse tomber ses ouailles et ne veille plus à ce qu’elles soient nourries convenablement. La colère est grande contre les spéculateurs mais par ricochet elle se tourne aussi du côté du roi auquel on reproche cet abandon de ses sujets. L’image consensuelle du « bon Roi », à la fois père et protecteur de son peuple en prend un bon coup. On commence à ne plus vraiment faire la distinction entre la noblesse oisive et parasite, le clergé corrompu et avili, et le souverain de la nation. Les germes de 1789 commencent à poindre leur nez, car, ainsi que le fera remarquer Pierre Kropotkine, le prince anarchiste russe, théoricien du communisme libertaire, une révolution n’arrive pas comme ça, par hasard, sans qu’il y ait conjonction d’un certain nombre d’éléments… Kropotkine s’est fait, en son temps, historien de cette période clé de notre histoire et il a consacré un gros volume à l’étude de cette révolution de 1789-1793 (« La grande révolution »). Son point de vue est original pour l’époque (1909) car il a essayé notamment de mettre en lumière le rôle essentiel joué par les masses populaires, souvent occulté par les historiens qui s’intéressent aux faits et gestes des notables. Il a voulu aussi démonter le mécanisme ayant permis à la bourgeoisie de confisquer aux « sans-culottes » une large partie des bénéfices de leur combat. La guerre des farines constitue, indéniablement, un volet précurseur des événements de 1789, avant même la journée des tuileries, souvent considérée comme l’élément déclencheur. A partir de 1786 le rythme des jacqueries, comme on les baptise alors, s’accélère, comme le balancier d’une horloge qui s’affole. En 1789, dans beaucoup de campagnes françaises, les comptes vont se régler avec la noblesse, sans que cela se fasse vraiment « dans la dentelle » ! Mais ceci est une autre histoire que des chroniques à venir ne manqueront pas d’évoquer…

Il est temps de conclure car, en période estivale, il me semble que les chroniques se doivent de ne point trop fatiguer les esprits engourdis. Puisque l’on parle délassement, je vous signale, en liaison avec l’histoire que je viens de vous conter, un excellent roman policier historique de Jean François Parot, publié dans la collection « Grands Détectives » et intitulé « le sang des farines ». Si l’on rêve de vacances plus studieuses, on peut bien entendu lire l’ouvrage de Pierre Kropotkine. Je laisse d’ailleurs le mot de la fin à ce brillant théoricien…  « Deux grands courants préparèrent et firent la Révolution. L’un, le courant d’idées, – le flot d’idées nouvelles sur la réorganisation politique des Etats, – venait de la bourgeoisie. L’autre, celui de l’action, venait des masses populaires – des paysans et des prolétaires dans les villes, qui voulaient obtenir des améliorations immédiates et tangibles à leurs conditions économiques. Et lorsque ces deux courants se rencontrèrent, dans un but d’abord commun, lorsqu’ils se prêtèrent pendant quelques temps un appui mutuel, alors ce fut la Révolution. »

1 

Parcourir

Calendrier

décembre 2025
L M M J V S D
« Avr    
1234567
891011121314
15161718192021
22232425262728
293031  

Catégories :

Liens

Droits de reproduction :

La reproduction de certaines chroniques ainsi que d'une partie des photos publiées sur ce blog est en principe permise sous réserve d'en demander l'autorisation préalable à (ou aux) auteur(s). Vous respecterez ainsi non seulement le code de la propriété intellectuelle (loi n° 57-298 du 11 mars 1957) mais également le travail de documentation et de rédaction effectué pour mettre au point chaque article.

Vous pouvez contacter la rédaction en écrivant à