14décembre2009
Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour.
Vingt ans, quasiment, une génération en fait, que je ne m’étais pas plongé dans les catalogues de jouets… Un saut dans le temps justifié par le passage du statut social de parents à celui de grands-parents… Papy et mamie quoi ! N’ayons pas honte de cette bienheureuse réalité. Une bonne vingtaine d’années pour replonger dans la réalité du monde enfantin, ou plutôt dans la réalité du marketing 2009 à destination de nos chères petites têtes blondes. Quelques heures à feuilleter les catalogues de diverses officines pour s’apercevoir que certes, les produits ont changé, mais que le rose et le bleu dégoulinent toujours dans les pages de ces bibles de la consommation. On ne dirait pas que le mouvement féministe est passé par là : la sélection de jouets en fonction du sexe est toujours bien présente et je me demande même si, question clivages, on n’est pas revenus à la situation des années pré-soixante-huitardes. Autre aspect du problème que je ne manquerai pas de détailler, mais dans une chronique future (sinon je vais encore aboutir à un roman fleuve) : les jouets sont de plus en plus coûteux, de plus en plus sophistiqués, de plus en plus fragiles et donc de plus en plus polluants. Je vous invite à me suivre dans cette balade au pays du père Noël et de ses super trouvailles. Je commence par une petite promenade dans les divers catalogues et sur les sites internet. C’est édifiant…
Pour être honnête, je dois reconnaître que la signalétique utilisée par beaucoup de fabricants ou de revendeurs est un peu plus complexe que la simple dichotomie monde en bleu, monde en rose. La couleur n’est pas le seul codage utilisé : il y a parfois un visage d’enfant qui doit aider à comprendre du premier coup d’œil à qui s’adresse le jouet. Dans le catalogue Playmobil, par exemple, c’est une charmante petite blonde qui sourit d’un air béat en montrant la superbe maison avec laquelle elle a l’intention de jouer : gérer la vie quotidienne, s’occuper de la décoration, de l’ameublement… voilà une ensemble d’activités qui appartiennent bien à l’univers féminin… n’est-ce pas ? Piloter un hydravion bourré de policiers, être capitaine du bateau pirate, défendre le château fort ou conduire un avion de chantier… à votre avis, bleu ou rose ? La grande force de Playmobil c’est d’esquiver un peu le problème en proposant des univers plutôt indéterminés : le cirque, le centre équestre ou les Egyptiens. Dans le catalogue Joupi, le bleu a été abandonné pour les garçons ; les pages à fond bleu correspondent aux jouets premier âge. La couleur choisie pour les futurs mâles conquérants est un orange plutôt déroutant. Heureusement, certaines valeurs fondamentales restent inchangées et pour les filles on retrouve un rose magnifique et des pages terriblement « rétro ». Voyons d’un peu plus près ce que l’on propose aux ménagères et aux techniciens de moins de dix ans, puisqu’il s’agit d’une tranche d’âge d’une importance économique considérable.
Pour les demoiselles, on attaque très fort : costumes de princesses, poupée Barbie avec sa baguette magique, poupons, baigneurs, berceaux, cuisinières… Voilà un avenir tout tracé. Essayons de voir quelles sont les futures orientations professionnelles proposées (toujours sur le même catalogue), à travers les différents coffrets, costumes, accessoires…. que l’on découvre au fil des pages. Je laisse de côté « Barbie promène ses chiens ». Il y a de moins en moins de domestiques – sous cette appellation là, le « job » n’est plus au goût du jour. N’exagérons pas, il s’agit quand même de rêver ! En vrac, je découvre : hôpital, cuisine, confiserie, salon de toilettage, nurserie, table à repasser, aspirateur, caisse enregistreuse, matériel de couture, coffret de maquillage. Il est réjouissant de voir que nos bonnes vieilles valeurs morales traditionnelles sont sauves. Je sais que ça va faire de la peine à certaines de mes plus vieilles lectrices, mais bon c’est comme ça… Vos charmantes petites filles ne suivront pas la pente contestataire et déliquescente dans laquelle vous vous êtes engagées. Dans les années 50, les choix étaient à peu près les mêmes ; il y avait simplement un peu moins de plastique, et surtout de plastique rose. Parce que là, il faut le dire, le rose dégouline partout, au point de vous donner la nausée. La Cadillac du prince charmant est rose, l’aspirateur « qui fonctionne comme un vrai » est rose, les baigneurs sont roses… Il n’y a que la carte de crédit de l’acheteur qui est bleue (et encore, je me suis aperçu que la carte de ma compagne – la deuxième du foyer donc – était rose elle aussi… Hasard ?)
Bon, je reconnais qu’étant, de par ma nature, plutôt de sexe mâle et ayant été éduqué comme tel, toute cette « bluette » finit par me donner la roséole. Je constate l’absence totale de jeux de construction ainsi que de jouets techniques (le fer à repasser n’en étant pas vraiment un, ni le tube de rouge à lèvres). Je remarque aussi que l’univers proposé par les jeux dits de simulation ou d’imitation est extrêmement étroit. Le monde proposé aux fillettes se cantonne très largement à la maison. Si elles veulent s’évader, il ne leur reste plus que l’hôpital où elles pourront faire preuve de leur dévouement dans le service d’un chirurgien brillant, ou bien l’univers féérique de chez Disney, où elles pourront toujours se maquiller en attendant le passage du prince charmant. Ce qui est important, surtout, c’est de positiver. Il est dommage que vous ne puissiez pas admirer le visage épanoui de la fillette qui pousse le chariot ménage page 55 du catalogue Joupi. Je suis sûr que tous les doutes que vous pourriez avoir à l’égard de ces valeurs éducatives « un peu anciennes, mais finalement si raisonnables », s’envoleraient. Je vous assure que la demoiselle ne paraît pas sur le point de renverser son véhicule et de dresser une barricade. Elle se contente d’astiquer la maison en attendant le retour de son golden boy charmant… Sur ces considérations désabusées, allons donc feuilleter les pages « orange » ou « bleues » réservées aux garçonnets car certains catalogues restent fidèles aux principes fondateurs jusqu’à la dernière limite.
Première constatation, et ce sur divers catalogues, le nombre de pages réservées aux garçons est à peu près le même. Pourtant, la diversité des activités proposées est beaucoup plus importante. La mise en page n’étant pas plus dense, on peut en déduire qu’il y a moins de redondance. Voyons un peu les métiers qu’évoque ma sélection d’articles : guerrier, bien sûr, architecte, agriculteur, conducteur d’engins, pilote de course, pompier, ingénieur… Notez bien que les champs professionnels ne se recoupent pas. Il s’agit donc d’un portrait a-minima de la société adulte dans laquelle nous vivons, puisque l’on peut quand même observer une certaine mixité dans nombre de catégories de métiers. Certes l’enseignement est majoritairement féminin, mais il y a quand même des hommes qui travaillent dans ce secteur, y compris à l’école « maternelle »… A ma connaissance, il y a des femmes architectes ou soldats (j’aurais préféré qu’elles s’abstiennent de ce dernier choix), banquières ou électriciennes, et l’on ne croise pas que des infirmières dans les couloirs des hôpitaux… sauf dans les catalogues de jouets. Chaque fois que j’ai pu, dans ma classe, proposer des ateliers de menuiserie, de construction en légo techniques ou d’expérimentation électrique, j’ai constaté que les filles étaient largement aussi nombreuses que les garçons à s’y précipiter… Pour dresser un bilan objectif de mes pratiques, je dois reconnaître par contre que je n’ai jamais proposé d’atelier nurserie à mes garçons. Une erreur sans doute, mais il faut dire que si les parents supportaient l’idée que leur fille plante des clous, je ne suis pas sûr qu’ils aient fort apprécié que leur héritier mâle apprenne à changer des couches. Il faut parfois composer avec un monde encore imparfait !
Je cherche encore un aspirateur rose dans les pages orange. Je constate que la guerre occupe toujours une place importante, mais de façon plus subtile : pas trop de régiments de petits soldats, ni de massues ou de mitraillettes mais des jouets plus édulcorés. La guerre ne fait plus dans la dentelle mais dans la diode clignotante et le bip-bip stressant. Nos garçonnets commandent maintenant des cohortes de chevaliers équipés d’épées laser, des escadrilles de robots super armés ou bien pilotent héroïquement des bateaux surchargés de policiers suréquipés. Je n’ai pas trouvé par contre de coffret ayant pour thème la course poursuite en mer après les clandestins. Il faut préserver le monde de l’enfance des trop dures contraintes de la réalité. On se poursuit dans l’espace et dans le temps, mais on ne s’amuse plus guère à renverser des rangées de soldats de plomb avec un lance-pierres. Il est vrai que la guerre moderne est devenue plus propre aussi. Rappelez-vous les sublimes images des bombardements nocturnes de Bagdad : les armes ne tuent plus ; elles « éliminent » des adversaires malfaisants avec une précision… comment dire… J’ai trouvé très évocateur (à ce sujet) un reportage vu l’autre jour à la télé sur les pilotes de drones (avions sans pilote) américains. Ce sont de sinistres crétins qui ont réalisé le rêve de leur vie : continuer à jouer, à l’âge adulte, aux multiples jeux d’arcades auxquels ils s’adonnaient à l’adolescence. Avant ils marquaient des points, maintenant ils éliminent des vies… pour la cause qu’ils estiment bonne. Mais là, je sens que je dévie et je m’auto-rappelle à l’ordre. Le mignon petit policier Playmobil me montre le droit chemin.
Vous noterez à quel point la transition que je prépare vers les jeux vidéos en tout genre est habile. Mais je crois que je vais vous décevoir… Il y en a relativement peu dans mes catalogues. Il fallait bien que je fasse une sélection et je vous ai dit que je m’intéressais aux techniciennes et aux « ménagers » (tiens, il n’y a point de terme correspondant à « ménagère » au masculin – tant pis, j’en crée un) de moins de dix ans. C’est l’âge charnière pour le déferlement des jeux vidéos, et puis on ne peut pas passer toute son enfance devant un écran ! Je vous ai déjà imposé, juste avant celle-ci, une chronique fort longue et un peu indigeste. Alors là je vais faire court. De plus, je n’ai pas encore rédigé ma propre lettre au Père Noël. Fin du catalogue Joupi, je retombe sur mes pattes : deux listes à compléter pour faire sa commande. Celle de gauche, destinée à Ségolène, est… rose. Celle de droite, destinée à ??? est BLEUE. Ouf ! Parce que franchement, moi, l’orange… beuark !
12décembre2009
Posté par Paul dans la catégorie : Un long combat pour la liberté et les droits.
« Bourse du Travail »… Le terme paraît bien désuet et il est à craindre que les jeunes générations ne comprennent plus trop le sens de cette dénomination, ou n’en retiennent qu’un fragment, le sacro-saint terme de « Bourse ». Depuis des années, déjà on parle plutôt de « Maison des syndicats », terme qui représente bien mieux la nouvelle destination de ces locaux. Ils appartiennent maintenant aux syndicats et aux associations (certaines n’ayant d’ailleurs plus rien « d’ouvrières »). Les travailleurs ne les fréquentent plus guère ; on y rencontre surtout des militants. Dans les couloirs, des portes, des étiquettes, quelques affiches, témoignent du puzzle organisationnel qu’est devenu le mouvement syndical, et surtout du rôle administratif qui est dévolu à ces bâtiments. Il y a bien sûr quelques salles de réunions, encore utilisées par les états-majors dans les périodes « un peu chaudes », mais le feu qui brûlait à l’origine dans ces foyers de rébellion est éteint depuis longtemps. Ce n’était pourtant pas le rôle dévolu à l’origine à ces bâtiments. Dans la bourgade où j’ai fait mes études secondaires, la « bourse du travail », dans le langage quotidien, on l’appelait « maison du peuple », et on la fréquentait couramment. A la sortie du lycée, après une réunion houleuse, on allait se réhydrater le gosier en buvant un petit rouge limé au bar du rez-de-chaussée. L’argent alimentait les caisses de solidarité quand il y avait des grèves et nous, on avait l’impression d’être un peu plus sérieux, en côtoyant ces « travailleurs » en manche de chemise, gros bras et grandes gueules, qui vitupéraient contre le patronat et la vie chère. Pour ceux qui ne se sont jamais penchés sur la question, j’aimerais revenir sur l’histoire de ces Bourses du travail, et surtout sur leur origine, à la fin du XIXème siècle. Ennemis de l’histoire sociale et de l’évocation du « bon vieux temps », tournez la page et revenez un autre jour !
C’est en 1884 qu’est votée la première loi autorisant l’existence des associations ouvrières et leur droit à gérer des locaux offrant aux travailleurs un certain nombre de services sociaux et leur permettant de se rencontrer et de débattre. Le monde ouvrier n’a pas attendu cette décision pour s’organiser, mais la nouvelle situation va considérablement simplifier la tâche. Le but du gouvernement républicain de l’époque est très clair : autoriser pour mieux contrôler. Le projet est trop ambitieux pour aboutir dans un premier temps, et les ouvriers vont largement profiter de cet « avantage » qui leur est offert. La première Bourse du Travail, c’est à dire le premier local officiel du mouvement syndical, ouvre à Paris le 3 février 1887, sur décision du conseil municipal. En 1892, les Bourses sont au nombre d’une douzaine, réparties dans toute la France. Leurs missions sont nombreuses. Elles servent en particulier de « bureaux de placement » (ancêtre de l’ANPE), proposant des emplois à ceux qui n’en ont pas. Elles proposent ainsi une alternative aux officines privées qui exploitent les ouvriers et sont à l’origine de nombreuses protestations. Elles servent aussi de centre social pour les plus démunis, prenant en charge la gestion des caisses d’entraide. Par la suite, certaines bourses hébergeront également d’autres services, comme un dispensaire médical permettant de bénéficier de soins gratuits ou de conseils ou un service juridique destiné à conseiller les employés qui ont des problèmes avec leur patron. Existe aussi parfois un service de restauration populaire, mais les exemples sont rares et de courte durée. Les Bourses du Travail connaissent très vite un grand succès et deviennent des lieux très fréquentés. On s’y rend pour diverses raisons : chercher un emploi, un conseil, lancer un appel à la solidarité, parfois simplement pour rencontrer les « poteaux » avant d’aller boire un petit verre à la buvette ou au bar d’en-face . On y discute labeur et politique, salaires et misère ; des meetings de solidarité y ont lieu lors des grandes grèves ; les ouvriers (surtout), les ouvrières (un peu), les gens du peuple en général ont enfin un lieu de vie commun. Les Bourses du Travail sont des lieux où l’on débat de la politique, mais, dans la plupart des cas, elles ne sont directement dépendantes d’aucune organisation.
Un premier congrès a lieu à St Etienne, et la majorité d’entre elles, jusque-là autonomes, décide de créer une Fédération Nationale. Deux structures concurrentes vont alors représenter le mouvement ouvrier : la Fédération des Bourses, indépendante de tout parti politique, et la Fédération des Syndicats étroitement liée au parti guesdiste, d’obédience marxiste, dont les militants prônent une dépendance étroite du syndicat au parti politique. Ce thème va faire l’objet de nombreux débats au sein du mouvement ouvrier pendant une vingtaine d’années, jusqu’au déclenchement de la première guerre mondiale. Deux thèses s’affrontent au sujet de la relation entre syndicats et partis : les uns (principalement Blanquistes et anarchistes) mettent en avant le rôle essentiel joué par le syndicat dans le projet de transformation sociale. Son autonomie est considérée comme un facteur essentiel d’unité. L’action directe, la grève générale doivent être les deux moyens d’action principaux. Les autres, principalement issus du courant marxiste de la première internationale, relèguent les syndicats au second plan, estimant que ces structures n’ont qu’un rôle social à jouer : aider à l’amélioration des conditions de travail et obtenir des augmentations de salaire. C’est au parti, « avant-garde » des travailleurs, que revient la responsabilité de la lutte politique, sur le terrain, réformiste ou révolutionnaire, selon sa convenance. C’est l’époque où l’influence des anarchistes sur le mouvement syndical naissant va être importante. Ceux-ci ont en effet renoncé à leur politique de la « propagande par le fait » (élimination des « nuisibles » en tous genres par des attentats pour « donner l’exemple ») qui leur a coûté fort cher, et décident d’entrer massivement dans les syndicats pour y prêcher la bonne parole. Pour la majorité des penseurs libertaires de l’époque, il est clair que l’on ne construira pas une société nouvelle, sur la base de relations de justice et d’égalité, avec un prolétariat ne possédant pas un minimum de culture. Les compagnons de l’époque vont donc impulser une nouvelle ligne d’activité aux Bourses de Travail : la formation des ouvriers, aussi bien sur le plan professionnel que dans le domaine de la culture générale.
Les Bourses du Travail vont donc avoir une dimension supplémentaire : celle d’organismes d’éducation. Ce phénomène va se développer jusqu’en 1914 et prendre une ampleur et une importance considérables dans un grand nombre de Bourses. Au tournant du siècle, elles sont de plus en plus nombreuses, plus d’une centaine, dans toutes les villes de France. Les moyens font parfois défaut ; les conflits avec les municipalités, responsables d’une partie de leur financement, sont fréquents. Les politiciens modérés se rendent compte que leur projet initial d’encadrement et de contrôle du mouvement ouvrier ne fonctionne pas. Jusqu’en 1906, la tension sociale se fait de plus en plus vive ; les grèves se multiplient ; certaines revendications aboutissent (d’autres non) ; les Bourses jouent un rôle clé dans toute cette agitation, malgré les mesures de répression et de rétorsion que tentent de prendre les ministres de l’intérieur qui se succèdent. La répression du mouvement social va atteindre son paroxysme, à partir de 1906, avec l’arrivée aux commandes du tristement célèbre Clémenceau. Le clivage entre les différents courants syndicaux va se marquer ; la question du pacifisme va également diviser les travailleurs avec la montée progressive des menaces de conflit… Mais tout ceci est une autre histoire. Retournons donc derrière les murs de nos Bourses pour voir ce qui s’y passe !
Les locaux disponibles sont utilisés pour organiser des cours professionnels, le soir, après la journée de travail, mais aussi des cours d’alphabétisation, avec l’appui notamment du syndicat des instituteurs et institutrices. Certains jours, des causeries ou des conférences avec des personnalités sont proposées permettant à chacun d’enrichir ses connaissances, mais aussi de faire part de son point de vue ou de témoigner de son vécu quotidien. La forme que prend l’action éducative des Bourses varie d’une institution à une autre, selon les orientations du bureau directeur, l’influence municipale, et les moyens financiers disponibles. Certains établissements se contentent de cours traditionnels, organisés sur le modèle de l’école laïque, avec contrôle d’assiduité, classements et remises de prix. D’autres tentent d’innover en encourageant la mutualisation des apprentissages, le dialogue, le respect des capacités de chacun. Dans les « cours » d’enseignement généraux, tous les sujets sont abordés, de la politique à la vie quotidienne, sans oublier le calcul ou l’histoire. Un effort important est fait pour équiper chaque Bourse d’une bibliothèque de consultation et de prêt. Là aussi, le résultat va être extrêmement variable selon les villes. A titre d’exemple, en 1900, la Bourse du Travail de Paris possédait une bibliothèque contenant plusieurs milliers d’ouvrages sur des thèmes très divers. La formation professionnelle reste cependant l’activité dominante de ces universités du soir. La plupart des militants, qu’ils soient réformistes ou révolutionnaires, sont au moins d’accord sur un point : seule une bonne connaissance du métier peut permettre aux camarades d’améliorer leurs conditions de travail. Nous sommes en pleine phase de mécanisation intensive des chaînes de fabrication. Les nouvelles techniques abondent dans tous les domaines et les ouvriers les plus lucides sont bien conscients du fait qu’il leur faut suivre cette évolution s’ils ne veulent pas être laissés pour compte sur le bord du chemin, et contraints d’accepter des tâches moins qualifiées et plus mal rétribuées. Les notions de « métier », de « savoir-faire » jouent un rôle important et participent de la fierté du monde ouvrier. Un travailleur qualifié se rend plus facilement indispensable auprès de son patron et devient plus difficile à licencier. Cette idée est bien présente dans de nombreux esprits.
Les Bourses du Travail deviennent très vite des « foyers d’agitation sociale », ce qui n’était sans doute pas dans les plans des législateurs qui ont favorisé leur création. De nombreuses grèves sont décidées lors de réunions dans les Bourses. En complément des caisses d’entraide, se mettent en place des caisses de grève ayant une finalité bien précise : les montants collectés sont alors dévolus à soutenir une lutte particulière et vont permettre aux ouvriers de faire durer leur mouvement de protestation plus longtemps et surtout dans de meilleures conditions. Apparait alors un caractère essentiel des Bourses du Travail, l’interprofessionnalité. La caisse de grève permet de faire jouer la solidarité entre les branches professionnelles. Dans la mesure où la Bourse joue aussi un rôle de bons offices dans le placement des ouvriers sans travail ou itinérants, elle va pouvoir intervenir dans les conflits en évitant que les travailleurs en recherche d’emploi ne deviennent involontairement des « jaunes » et ne prennent la place de leurs compagnons en lutte. Dans son ouvrage paru à l’Atelier de Création Libertaire, « La Bourse du travail de Lyon », Daniel Rappe présente la situation ainsi : « Les militants syndicalistes de l’époque avaient bien compris que c’est seulement par l’action interprofessionnelle que la grève générale peut se construire et que le vieux monde peut basculer, refusant ainsi d’oublier que si le but immédiat du syndicalisme est l’amélioration immédiate des conditions de travail et de vie, il doit aussi être porteur à terme d’un projet de transformation sociale. Les Bourses du travail se devaient alors de répondre à ces deux objectifs. » Je vous propose cette citation complémentaire extraite de l’introduction du même ouvrage (signée Daniel Colson) : « La Bourse du Travail, par sa permanence et sa visibilité, l’intensité de sa vie, de ses discussions et de ses polémiques, est également le foyer subjectif qui, semaine après semaine, transforme le moindre conflit du travail, le moindre accroc social, en moment d’affirmation de la puissance ouvrière, en répétition chargée […] d’exprimer l’idée révolutionnaire, cette « grève générale et insurrectionnelle » votée dans les congrès et que l’opinion ouvrière d’alors appelle mystérieusement et familièrement « le Grand Soir ». »
En 1895, les deux fédérations nationales (Bourses et Syndicats) vont s’investir dans la création d’une toute nouvelle « Confédération Générale du Travail ». Celle-ci va rassembler de façon unitaire bon nombre d’énergies dispersées dans des structures plus petites. La Fédération des Bourses du Travail conserve son autonomie mais elle va être étroitement liée à la Confédération. Les éléments les plus modérés se sont exclus d’eux-mêmes de la nouvelle organisation. Cette CGT naissante est un outil de lutte syndical et révolutionnaire. Son objectif est d’œuvrer à l’amélioration des conditions de vie et de travail des ouvriers, mais surtout de promouvoir l’idée d’un changement social profond et révolutionnaire. Le congrès d’Amiens va témoigner de l’influence dominante du courant syndicaliste révolutionnaire. En lisant les déclarations du comité confédéral à cette époque, on s’aperçoit bien vite qu’il n’y a que bien peu de rapport entre cette CGT-là et celle de 2009 à la tête de laquelle Mr Bernard Thibaut vient d’être réélu. Les permanents actuels passent plus de temps à fréquenter les salons des ministères que les usines ou les cortèges de manifestants. Ce sont des « professionnels » qui n’ont plus guère d’attaches avec le monde du travail. La CGT de la « Charte d’Amiens » se bat, elle, sur un tout autre terrain. « Il [Le syndicat] prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupe de production et de répartition, base de réorganisation sociale… » Ce n’est qu’à la fin de l’année 1906, après l’échec des grèves pour la journée de 8h, que les syndicats modérés et réformistes vont reprendre du « poil de la bête » et combattre l’influence de la CGT sur la classe ouvrière. La lutte sera sévère ; le gouvernement mettra tout son poids dans la balance, de même que les administrations municipales, pour soutenir un syndicalisme « raisonnable » au détriment des partisans de l’agitation révolutionnaire…
Il faudra attendre l’Espagne des années 30 pour qu’une telle explosion de culture populaire se reproduise. La mainmise des communistes sur les syndicats après la Révolution de 1917, va considérablement restreindre le rôle des Bourses du Travail ainsi que la fonction politique des syndicats. A partir de l’après-guerre, les différents syndicats deviennent de simples courroies de transmission des courants politiques auxquels ils se rattachent, PC ou SFIO. Du coup, le champ éducatif couvert par les Bourses se restreint considérablement. Il n’est plus besoin de débattre autant puisqu’il y a un « modèle », quelques « livres saints » et des slogans tout prêts. Seule la formation professionnelle trouve encore sa place dans les cours du soir de façon régulière, en suivant, de façon générale, un mode de transmission des connaissances des plus traditionnels. La flamme insurrectionnelle qui animait certaines de ces institutions commence à s’éteindre. Ces idées d’éducation populaire, de formation continue, de partage des connaissances, vont parfois ressurgir hors des Bourses du Travail. Plusieurs pédagogues notamment vont reprendre ce concept d’éducation populaire : Ferrer, Makarenko, Freinet, pour n’en citer que quelques uns, parmi les plus connus. A leur époque, l’expérimentation pédagogique ne s’adresse pas à une élite quelconque, mais aux fils et filles d’ouvriers scolarisés à la « Laïque ». L’un des premiers ouvrages de Freinet, prônant, entre autres, l’apprentissage et le fonctionnement coopératif, l’entrée de la vie réelle dans les lugubres salles de classe, l’importance du travail manuel, s’intitule, et ce n’est pas un hasard, « Pour l’école du Peuple ». Le contenu des apprentissages a son importance ; la manière dont ceux-ci sont effectués en a tout autant si ce n’est plus. La notion de culture populaire s’affine peu à peu.
Bien des années ont passé depuis ces tentatives. Le second conflit mondial terminé, toutes ces idées ont retrouvé un nouvel élan, mais il a été de courte durée, tant les tâches à effectuer étaient nombreuses. Puis les temps ont changé : évolution sociologique de la population, conflits défensifs et non plus offensifs, nouveaux moyens de communication donc nouvelles possibilités… Je ne veux pas analyser ici, par manque de place, les champs contemporains dans lesquels se déploie l’éducation populaire au XXIème siècle. Les expériences sont toujours nombreuses, mais aucune n’a pour l’instant réussi à devenir un phénomène de masse, ou tout au moins un phénomène marquant. Sachez bien entendu que je ne considère pas l’abêtissement collectif devant les écrans de télé à 20 h comme une forme quelconque d’éducation populaire…
Pour ne pas terminer cette chronique « fleuve » sur des considérations trop mélancoliques, je voudrais attirer votre attention sur un point qui me paraît important et qui ouvre sans doute des perspectives d’avenir pour de nouveaux lieux et modes d’échanges et d’apprentissages. Les Bourses du Travail ont eu une très grande influence sur le mouvement ouvrier français. Il n’est pas une conquête sociale arrachée à partir de la fin du XIXème siècle qui n’ait été obtenue par une lutte, souvent longue et difficile. Si ces luttes ont été possibles c’est parce qu’elles ont été en grande partie préparées puis soutenues depuis ces « maisons du peuple ». Je ne dresserai pas ici la liste des droits nouveaux obtenus par les travailleurs pendant cette période, ceci n’étant pas l’objet de mon propos. La répression sévère du mouvement social qui se met en place à partir de 1906, sans oublier le déclenchement du conflit mondial en 1914 ayant pour objet de laminer les forces vives de la population ouvrière et rurale, montrent bien quelles étaient les inquiétudes de la classe dirigeante à ce moment là de notre histoire. Comme le fait remarquer Jacques Julliard, dans la biographie de Fernand Pelloutier (l’un des principaux acteurs du développement des Bourses du Travail – je vous en reparlerai bientôt), au tournant du siècle, le nombre d’ouvriers et d’ouvrières fréquentant les Bourses est estimé à environ 250 à 300 mille individus, sur une population de 6 à 7 millions. Cela démontre amplement que l’action déterminée et raisonnée d’une forte minorité, peut jouer un rôle essentiel dans l’évolution de la situation sociale d’un pays à un moment donné, dans des circonstances données. Un phénomène du même type se produira lors du soulèvement du prolétariat espagnol en juillet 1936. Encore faut-il que l’action de cette minorité soit comprise et représentative d’une problématique qui la déborde amplement. Chacun sait que l’insatisfaction des masses populaires ne débouche pas forcément sur des mutations politiques progressistes. Cela aussi, l’histoire l’a amplement démontré.
Note : de nombreux ouvrages et une documentation abondante sont disponibles sur les débuts du syndicalisme en France. Il y a beaucoup moins de sources concernant les Bourses du Travail, et pas mal d’archives ont été perdues. Dans le feu de l’action, on ne prenait pas toujours la peine de noter grand chose. J’ai trouvé très intéressant l’ouvrage de Daniel Rappe auquel je fais référence dans le texte. Les coordonnées de l’Atelier de Création Libertaire figurent dans la liste des liens permanents de ce blog. Si la question vous intéresse, n’hésitez pas à le consulter. Il faut lire aussi l’excellente « histoire des Bourses du Travail » rédigée par Fernand Pelloutier, l’un des militants qui ont joué un rôle clé dans leur développement. Le livre est édité par le CHT (Centre d’Histoire du Travail) de Nantes.
Illustrations : les photos 4 et 6 proviennent du site « increvables anarchistes.org » – les autres, pour la plupart des cartes postales anciennes, proviennent de divers sites sur la « toile ».
9décembre2009
Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique.
Môrice est aux anges: le prince hongrois qui gouverne le bon royaume du béret et de la baguette de pain a promis d’exaucer le vœu qu’il adressait chaque année au Père Noël depuis qu’il est retraité de la marine et qu’il a revendu son bureau de tabac. Môrice avait déjà exulté, il y a quelques années, lorsque le maire UMP de la petite commune dans laquelle il habite avait pris cette sage décision : autoriser les habitants majeurs et responsables de sa communauté à patrouiller dans les rues la nuit pour traquer les bronzé, les barbus, les métèques, les gris, les mécréants et les gosses de bougnouls. Malheureusement, il avait vite déchanté, car, suite à l’intervention de quelques tapettes de gauche, cette initiative, pourtant largement populaire, avait été taxée d’illégale par un tribunal à la solde des Francs-maçons. Aujourd’hui, il tient sa revanche. La Justice a été bien reprise en main, et du moment que c’est le patron qui le promet, ça va se faire.
C’est sympa, au « club », de tirer sur des pigeons d’argile ou de balancer son direct du droit dans un punching-ball, mais ça devient lassant. Môrice a d’autres projets… plus sérieux. Il a commencé à faire du repérage. Police de proximité pour commencer : il y a le mec qui habite l’étage en-dessus pour s’échauffer ; celui-là, à la première occase, il le choppe et il lui colle une bonne frousse… histoire de s’amuser. Le Président l’a bien dit : il faut mettre un terme au commerce de la dope. Le gars d’en-dessus, c’est sûrement pas le RMA volé aux services sociaux qui lui paie son abonnement internet et les masses de bouquins incompréhensibles qu’il achète par correspondance. Il y a tellement de colis dans sa boîte que Môrice a voulu en avoir le cœur net : l’autre jour, il a carrément fracturé la serrure et ouvert deux de ces colis pour voir. Le premier contenait un bouquin sur les plantes et leur usage médicinal et l’autre un guide de voyage sur le Maroc… Si c’est pas suffisant comme preuves pour montrer qu’il trafique dans la came ! Môrice est convaincu qu’il revend des herbes médicinales aux voyous du quartier lorsqu’il sort le soir à la tombée de la nuit… Ce gars-là n’est pas le seul suspect. Il y a le couple de jeunes au rez-de-chaussée. Il ne sait pas trop quoi leur reprocher, mais il a des soupçons et de toute façon, il n’aime pas les jeunes, surtout ceux qui font soi-disant des études. Ils finiront sociologues ou avocats… de la racaille… autant leur expliquer tout de suite qu’ils ne sont pas les bienvenus. Ils foutront le camp. Faire déguerpir, voilà la solution. Le gros problème de Môrice c’est qu’avec cette politique radicale, il a réussi à faire fuir la seule famille « immigrée » de l’immeuble. Maintenant ces victimes toutes désignées lui manquent. Il est frustré, obligé d’arpenter le quartier à la recherche d’autres têtes de Turcs ou de Maghrébins. D’un autre côté, sa démarche prend ainsi une dimension nouvelle : il va pacifier non seulement sa résidence, mais le quartier, le village entier, le département… la planète. A cette seule idée, la bave lui monte aux lèvres et il se sent obligé de sortir son peigne crasseux pour rectifier la raie qui ordonne sa chevelure, comme les idées racistes structurent son cerveau. Du temps de son père ça ne se serait pas passé comme ça. Certes, la France était déjà envahie par les immigrés, mais ceux-là au moins ils bossaient dur. Quand il n’y avait plus de travail, ils crevaient de faim ou ils rentraient chez eux. Il n’y avait pas toutes ces allocations qu’on paie avec nos impôts. Les « étrangers d’avant » ils ne roulaient pas dans des grosses Mercédès et ils ne venaient pas nous provoquer avec leurs tapis à prières et leurs gonzesses habillées comme pour le carnaval… Toutes ces réflexions profondes rendent Môrice songeur. Pour un peu, il en oublierait de regarder le 20 h à la télé.
Bon au début il faudra faire un peu attention : « pas de bavures, pas de gestes intempestifs, pas de désordre ». Le premier adjoint a été très clair lorsqu’il lui a confié la responsabilité de mettre sur pied la milice du quartier. Le maire s’est déjà fait sermonner une fois ; il n’est pas question que ces enfoirés de journalistes viennent casser le projet dans l’œuf… Môrice a contacté les gars qu’il connait et qui lui paraissent à peu près sûrs. Il y a une majorité de commerçants – c’est normal, ils craignent pour leurs petites affaires – et quelques anciens nostalgiques de la castagne. En fait, il y a suffisamment de volontaires pour qu’il ait été obligé de constituer « une liste d’attente ». Tant que « ceux d’en face » ne réagissent pas, ce n’est pas la peine d’être trop nombreux… Il en a profité pour mettre de côté les « forts en gueule » qui ne lui paraissent pas assez déterminés à passer aux actes en cas de besoin. A la demande du Maire, les premières patrouilles commenceront dès que le décret d’application paraitra au J.O. Ça ne devrait pas tarder car le Président paraît bien déterminé à agir. Ce n’est pas une tantouze comme les précédents. Il faut simplement y mettre les formes. Pour l’instant ça se passe pas trop mal : quelques dérapages par-ci par-là ; un ministre, un maire ou un député qui se « lâchent » et commettent une petite maladresse, histoire d’habituer l’opinion ; le débat sur « l’identité nationale » aussi, c’est un plan excellent ; après la réunion européenne sur l’immigration à Vichy (une autre idée admirable), Môrice trouve que ce gouvernement a vraiment de bons plans dans ses cartons. En plus ce qui est important, et la télé insiste là-dessus, c’est que c’est pareil un peu partout en Europe. Ce sacré Rital, Berlusconi, a déjà mis en place des milices très efficaces et puis il y a eu cette affaire de référendum en Suisse… C’est-y-pas génial ça, le pays de la Croix Rouge qui se met à chasser les moutons noirs et les minarets provocants. Môrice est content : l’heure de la nouvelle croisade va enfin sonner. On va pouvoir bouter les sarrasins hors de notre belle Europe ; tant pis pour les braillards ; s’ils ne sont pas contents « z’ont qu’à foutre le camp en Iran chez l’autre taré ». « Quand je pense que pendant des années j’ai voté pour le FN… pour rien peut-être. Finalement, là, à l’UMP, on trouve enfin des gens qui veulent se remuer et qui sont malins ! Manipuler la marionnette de Camus avec la main droite, tout en parlant de démocratie et de débat sur l’identité française, quelle prouesse ! Le terme de « milice » n’a pas bonne presse, mais on pourrait appeler ça « rondes citoyennes » ou « patrouilles de sécurité »…. Enfin ça, c’est pas à lui de décider. Y’a des gars chargés de ce boulot là. Son job à lui, Môrice, c’est de faire régner l’ordre et de traquer les délinquants (l’adjoint lui a bien dit de ne pas parler d’étrangers ou pire d’Arabes, ça la fout mal).
En attendant que le Sarkozy tienne ses promesses, Môrice astique sa batte de base-ball. Va falloir faire dans l’artisanal ; le premier adjoint a été formel : la milice ne sera pas armée… son rôle c’est avant tout la prévention. En cas de besoin il faut faire appel à la police municipale. Seuls ces braves gens en uniforme ont le droit de jouer avec du matériel lourd. Uniforme ? Oui après tout pourquoi pas ? En Italie les camarades en portent bien un : leurs « chemises jaunes » sont fort seyantes… Pourquoi pas faire la même chose chez nous ? Un uniforme ça en impose un peu, surtout quand on voit la matraque qui dépasse du veston. Il va falloir qu’il en cause à la Mairie. Si l’argent manque, on fera une collecte : on peut bien payer pour s’amuser un peu ! On pourrait faire payer les commerçants qui ne veulent pas participer… car il y a toujours des lâches qui veulent bien le beurre mais qui ne veulent pas jouer le rôle de la crémière (tiens elle est bonne celle-là, faudra qu’il la ressorte en réunion pour faire rire les collègues). Môrice se rappelle quand ils ont fermé la centrale. Ils avaient fait une pétition et une affiche, les commerçants. Les brebis galeuses qui ne voulaient pas la mettre dans leur vitrine, on allait leur rendre une « visite de courtoisie » pour leur « expliquer ». S’ils ne comprenaient pas la dure réalité des choses, ils n’avaient plus qu’à se payer une nouvelle vitrine quelques jours plus tard. Heureusement que le bon vieux temps va revenir ! Je commençais à me rouiller ! Le chef de la milice est content : il prend quelques poses martiales devant l’armoire à glace… Revue d’équipement : le manche de la batte est bien lisse ; manquerait plus qu’il chope une écharde en tabassant un bronzé !
Addenda : en complément de cette chronique désabusée, vous pouvez lire le texte qu’a publié Jean Luc Mélenchon sur son blog. Le danger est bien réel et la dérive « populiste » de ce régime n’est pas une fiction. Les lois permettant de justifier les arrestations arbitraires, les délits racistes, les bavures haineuses se multiplient, sous couvert de défense de la « liberté du citoyen » ou de « sécurité publique ». Certains trouveront peut-être mon « humour » déplacé, mais ça fait trop mal d’en parler autrement. Ça fait encore plus mal de passer de tels sujets sous silence.
Môrice n’est pas un « fasciste professionnel » ; c’est l’un de ces braves cons, malheureusement trop nombreux dans notre entourage, qui passent leurs journées à ressasser leur frustration et sa mutation progressive en haine raciste. Nous en connaissons de ces spécimens de porteurs de béret-baguette qui guettent à la fenêtre le nombre « d’étrangers » qui pénètrent dans les agences de l’emploi (pour voler le travail des autres) ou dans les bureaux de la Sécurité Sociale (pour les piller) ; ils ont en commun une haine des jeunes Maghrébins et un mépris total des cultures exotiques. Le discours de certains médias et de bon nombre de politicards, de droite comme de gauche, les conforte dans leur position de « victimes ». Ils constituent une masse manœuvrable particulièrement prisée des idéologues fascisants et ce à toutes les époques de notre histoire récente.
Vouloir débattre de « l’identité nationale » est une manœuvre particulièrement abjecte (sans compter ce que l’on peut penser de l’idée de Nation elle-même). C’est proposer à la majorité de la population résidente dans ce pays de définir ce qu’elle appelle « identité », en quelque sorte de pérenniser les pratiques qui sont la « normalité ». Une flèche de cathédrale est conforme à notre culture, un minaret ne l’est pas… Dans un tel « débat », l’avis des populations immigrantes est bien entendu écarté d’avance puisqu’il s’agit toujours de minorités qui ne sont jamais placées en situation d’exprimer et encore moins de faire valoir leur point de vue. Introduire le débat en parlant de « respect de celui qui accueille », cela a au moins le mérite de préciser clairement « les règles du jeu » : le bon immigré est celui qui apporte sa force de travail mais renonce totalement à son identité culturelle, abandonne toute idée de contestation, et se plie à l’ordre culturel dominant. Quel mépris ou quelle ignorance à l’égard de ce qui s’est passé dans l’histoire : que seraient devenues nos brillantes civilisations sans le gigantesque brassage culturel qui a eu lieu en leur sein. Cette affaire est grave et elle va, à mon avis, bien plus loin qu’une simple opération électorale permettant à l’UMP de faire le plein des voix d’extrême-droite au premier tour des Régionales. On en reparlera certainement dans ces colonnes.
Pour conclure cet addenda fort long, je présente par avance mes excuses à tous les « Duplantier » et à tous les « Môrice » lecteurs de cette chronique, en particulier si le comportement du personnage fictif que j’ai choisi les révulse. S’ils ont l’impression de se regarder dans une glace, qu’ils aillent trainer leurs savates ailleurs. Je signale par ailleurs que toute ressemblance avec une commune existante ne serait bien entendu que purement fortuite. L’équipe municipale dont j’ai choisi de parler n’existe – bien entendu – que dans mon imagination. Je connais, enfin, quelques commerçants sympathiques, qui ne trainent pas dans ce genre d’organisations !
7décembre2009
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour...; Feuilles vertes.
Contrairement à ce qu’il pourrait laisser supposer, ce titre un peu ésotérique n’introduit pas une quelconque suite à l’histoire du roi Arthur ou un scénario de jeu de rôles. Il traduit simplement l’impression première laissée par le voyage que nous venons d’effectuer à Gap afin de donner un coup de main à la mise en caisse de la « bibliothèque de l’écologie » rassemblée par Roland de Miller. En rentrant à la maison, après deux journées de travail intensif, nous avons eu, Pascaline et moi, deux réactions différentes mais néanmoins convergentes : l’une s’est exclamée que « jamais, plus jamais, elle ne verrait de la même façon un carton à bananes » ; l’autre a regardé d’un œil méfiant les rayons surchargés de livres de ses différentes étagères, en se jurant qu’il allait surveiller d’un peu plus près ses prochains achats. Je ne sais pas combien nous avons de bouquins à la maison, mais ce qui est sûr c’est que ce n’est qu’une pelle de sable à côté de la dune qui se dresse dans l’entrepôt de Gap. On ne peut pas imaginer vraiment ce que représentent soixante mille livres et un nombre impressionnant de collections de revues, sans les avoir vus dans des piles de cartons ou sur des étagères, et surtout sans en avoir manipulé une infime fraction. Par une équation subtile associant mal de dos, proportionnalité et calculs approximatifs, on comprend alors pleinement l’ampleur du problème que représente le déménagement, dans des délais très bref, d’une telle montagne. Il est clair que je ne pourrai plus entendre, sans rigoler, les copains qui déménagent se plaindre d’avoir 2 ou 3 mètres d’étagères à vider !
Je suis un grand admirateur de bibliothèques, Pascaline aussi, même si sa tendance à accumuler des œuvres imprimées est nettement moins pathologique que la mienne. Nous avons déjà visité la « Long Room » de Dublin (Trinity College), Saint Gall en Suisse, l’abbaye de Rein en Autriche ou bien Coimbra au Portugal… Mais nous n’avons jamais visité ces lieux avec l’œil du gars ou de la fille chargés de mettre tout ça en cartons pour un déménagement. Jusqu’à présent, plus il y avait de vieux ouvrages, plus on était impressionnés… Quelque chose a changé dans notre perception du monde livresque : nous ne pourrons plus visiter une bibliothèque ou une librairie sans estimer, de façon réflexe, le nombre de cartons à bananes qu’il va falloir récupérer « pour emballer tout ça » ! Car nous arrivons enfin à cet objet étrange, rare et précieux, qui a motivé le choix du titre de cette chronique : le carton à bananes. Je dis bien le carton « à bananes » et non à clémentines, à citrons ou à potimarrons. Ce contenant (maintenant devenu mythique et qui fera sans doute l’objet d’autres textes en prose ou en vers dans les années à venir) possède en effet des qualités à nul autre pareilles : dimensions standards, suffisamment importantes pour mettre côte à côte plusieurs piles de volumes de grande dimension, solidité du carton, ouvertures permettant l’aération du papier, couvercle s’emboitant avec précision sur le fond… Lorsqu’ils sont bien remplis, les cartons à bananes peuvent s’empiler jusqu’à une hauteur raisonnable, ce qui permet de réduire la superficie au sol du stockage. Si j’ajoute à cette description élogieuse que les côtes extérieures sont parfaitement adaptées aux palettes, le tableau devient carrément idyllique… sauf que… les cartons à bananes, une fois bien lestés, sont lourds et qu’il faut se mettre à deux pour les manipuler. Face aux premiers exemplaires, on peut se permettre de jouer à Rambo et de les porter « tout seul comme un grand crétin costaud », mais dès que le jeu dure un peu, on devient très vite saint-simonien et l’on comprend l’utilité d’une collaboration efficace avec un(e) autre muscle (wo)man.
Chaque journée de travail des bénévoles qui assistent Roland de Miller, maître d’œuvre de cette galaxie livresque, commence donc par cette angoissante question existentielle : aurons-nous assez de contenants pour exprimer librement notre frénésie de rangement, ou bien notre élan sera-t-il interrompu, fautes de munitions, en pleine offensive contre les rayonnages surchargés ? La responsabilité de Roland, chef d’orchestre de cette opération, est considérable, et la résolution de ce problème lui coûte malheureusement un temps bien précieux, aux dépens d’autres quêtes plus importantes pour l’avenir ; j’y reviendrai. Ce qui est certain, c’est qu’avec sa camionnette blanche, sa voix chaleureuse et posée, son argumentaire bien rôdé, notre « employeur » est un cueilleur collecteur redoutable. Nul doute qu’à la préhistoire, il aurait été rapidement le seul survivant de la tribu, au bout de quelques temps, pour autant que celle-ci ne se nourrisse que de bananes ! Les bénévoles ne sont pas très (pas assez) nombreux, mais il y a quand même suffisamment de bras et de jambes pour que la quantité de cartons nécessaire soit impressionnante. Avec Pascaline, nous avons bien grignoté une bonne cinquantaine de cartons. C’est à la fois peu et beaucoup et le nombre n’est pas suffisant pour que l’on ait une prétention quelconque à être mentionné dans le « Guiness book ». Le travail est assez long car l’espace disponible dans le contenant sacré doit être optimisé à l’extrême ; par ailleurs, on ne mélange pas l’écologie des torchons avec celle des serviettes et il ne s’agit pas qu’un traité sur l’identification des pandas se retrouve côte à côte avec une réflexion de Saint Brice sur l’avenir de la planète ou sa place dans l’échiquier politique. En cas d’erreurs répétées, la prime qualitative que nous octroie le grand chef saute impitoyablement… Prime ? s’étonne le petit lutin vert… je croyais qu’il s’agissait de bénévolat ? Bien entendu, le travail n’est pas rémunéré, mais chaque carton bien rempli donne droit à un « ticket banane ». Les collecteurs se sont en effet aperçus que les grandes surfaces jetaient énormément de fruits consommables et qu’il n’est pas rare de repartir avec un lot de cartons vides et un petit stock de bananes qui alimente un marché parallèle florissant : gâteaux, crèmes, flans, salades de fruits… récompense toujours appréciée pour les travailleurs infatigables et consciencieux que nous espérons avoir été. Malgré les consignes de fermeté données par le syndicat des emballeurs nous n’avons pas fait valoir nos droits pour l’ensemble des points acquis…
Le travail avance, mais pas assez vite toutefois en regard du désir de Roland et surtout des exigences de la mairie de Gap. Le délai imparti est court (date butoir le 18 décembre me semble-t-il). Il faudra plusieurs gros camions semi-remorques pour déménager l’ensemble du stock. Il faut aussi trouver un local provisoire pour le rangement de toutes ces archives précieuses. L’entreposage n’est qu’une solution transitoire. Le principal problème reste la mise en œuvre de ce qui est le projet véritable de Roland de Miller : mettre à la disposition du grand public et des chercheurs, cette collection qui est probablement l’une des plus complètes et des plus importantes d’Europe. Ce n’est pas une mince affaire car cela suppose un effort financier conséquent et durable du futur partenaire de cette entreprise : il faut des locaux importants, bien conçus pour l’accueil, et surtout un personnel en nombre suffisant pour assurer la gestion de la bibliothèque. L’informatisation du catalogue n’a été réalisée que de façon partielle, et pour que les documents soient utilisables de façon optimale, il faut absolument terminer et affiner ce travail. Pour l’instant, les municipalités ou institutions volontaires ne se bousculent pas au portillon. Les « donneurs de conseils » sont nombreux. Les « retrousseurs de manche » sont moins bien représentés. Les journées de Roland sont donc bien remplies et la multiplicité des tâches pour lesquelles il est sollicité ne lui permettent pas d’effectuer dans de bonnes conditions toutes les démarches nécessaires. Les urgences sont donc gérées une à une mais les perspectives futures du projet sont encore loin d’être assurées, même si le bibliothécaire en chef fait preuve d’un optimisme revigorant pour ses collaborateurs. Lorsque nous avons quitté le chantier, trois salles sur quatre étaient stockées dans des cartons. Pour que l’opération rangement se termine, il reste encore une quantité de rayonnages à vider (trois ou quatre cents cartons à bananes à remplir si l’on utilise la « monnaie » locale !). Un problème financier se pose également : si les contenants sont jusqu’à présent gratuits, les camions, eux, ne le seront certainement pas. Un appel à solidarité financière sera donc lancé prochainement et il est souhaitable que tous ceux pour qui la mise en place d’une « grande bibliothèque de l’écologie » dans une ville du Sud de la France est importante, agissent en fonction de leurs possibilités. Les bénévoles vont arriver au bout de leur « caissabananothon » ; reste à aider l’association des amis de la bibliothèque de l’écologie à réussir son « bibliothècothon » pour employer un vocabulaire à la mode. La partie est loin d’être gagnée et si ce n’était pas le cas, ce serait vraiment un énorme gâchis. Le potentiel offert au public et aux chercheurs par la bibliothèque de Roland de Miller est véritablement considérable et il est souhaitable que la prochaine structure qui s’investira dans le projet le fasse avec tout le sérieux nécessaire.
Je ne terminerai pas cet article sans remercier les amis de Gap pour leur accueil et leur gentillesse : nous avons fait un travail assez pénible, mais dans la joie et la bonne humeur. Le repas du jeudi midi, marqué par un long échange de plaisanteries et de jeux de mots sur la quête des cartons à bananes, restera marqué dans nos mémoires (comme je suis mesquin, je ne vous ai fait part que d’une maigre partie des trouvailles de notre imaginaire survolté). J’espère que les habitants de Gap et environ continueront à soutenir l’opération en cours en consommant un grand nombre de fruits jaunes de forme allongée : qu’elles soient biologiques ou pas, mûres ou vertes, grandes ou naines… toutes les bananes conviennent. Cet appel vibrant est bien entendu adressé à la population locale et ne concerne ni les Parisiens, ni les Normands, ni les Corses. Aux dernières nouvelles, la camionnette blanche des chasseurs collecteurs ne se déplace pas à plus de cinquante kilomètres de rayon d’action : écologie et gestion du temps obligent ! Faute de pouvoir aider en consommant des bananes, les « estrangers » pourront au moins mettre la main au portefeuille !
Note : lien vers la bibliothèque de l’écologie (site en attente de mise à jour) –
2décembre2009
Posté par Paul dans la catégorie : l'alambic culturel; mes lectures.
aux champignons des bois, servie avec une chope d’hydromel
La collection « grands détectives » chez 10/18 a publié la totalité des aventures de l’inspecteur Bonaparte, œuvre policière très particulière d’Arthur Upfield. Les différentes enquêtes se déroulent en Australie, principalement entre les deux guerres mondiales, et juste après. Upfield est mort en effet en 1964. Ce que ces histoires ont de singulier, c’est que Bonaparte n’est pas un inspecteur de police comme les autres : il est métis, blanc et aborigène, et, tout au long de sa vie, il va essayer de trouver sa voie en s’appuyant sur les deux cultures. Ses enquêtes le ramènent constamment dans les zones où vivent les aborigènes, et il est sans cesse confronté à ses origines. Lire Upfield c’est surtout l’occasion, à travers des énigmes généralement bien ficelées, de découvrir la culture des peuples autochtones d’Australie. Upfield est considéré comme l’un des fondateurs du roman policier « ethnologique » et ouvre la voie à d’autres auteurs qui s’engageront à sa suite ; je pense tout particulièrement à l’auteur américain Tony Hillerman et à tout le travail qu’il a effectué pour faire connaître et promouvoir les us et coutumes des indiens Navajos dans leurs réserves aux alentours de Four Corners. Le style d’Upfield est certes un peu vieillot et certaines de ses affirmations sur la culture blanche feront peut-être sourire certains, mais la lecture de ses ouvrages reste d’actualité. Les aborigènes vivent toujours dans un état de grande précarité, même si le gouvernement australien commence à se pencher de façon un peu plus critique sur l’histoire de la conquête du pays et sur le comportement des colons blancs à l’égard des autochtones. On s’excuse beaucoup mais on ne fait pas toujours grand chose pour remédier aux problèmes de fond. Lire Upfield permet également de voyager et de découvrir les différentes régions de l’Australie. De la même façon que Leo Malet a promené ses lecteurs dans les différents arrondissements de Paris pour leur faire découvrir la capitale, chacune des aventures de Bonaparte se déroule dans un cadre géographique nouveau, ce qui permet un survol intéressant des différentes régions de ce pays-continent.
Si je vous parle longuement d’Upfield, qui est probablement connu de la plupart d’entre-vous, c’est pour vous faire part de la découverte que j’ai faite, cet automne, du premier roman policier d’un nouvel auteur australien, Adrian Hyland, dont j’ai particulièrement apprécié la lecture. Son roman s’intitule « Le dernier rêve de la colombe diamant » et je dois reconnaître qu’en premier lieu c’est le titre qui m’a accroché tant je le trouve plaisant. J’ai eu un peu de mal à rentrer dans l’histoire au départ, tellement la toile de fond est dépaysante. Au fil des pages, en découvrant la personnage principale et le milieu dans lequel elle évolue, je n’ai pas pu m’empêcher de superposer sans arrêt dans ma tête l’image de l’inspecteur Bonaparte à la sienne. Il y a certes, les paysages du bush australien, communs aux deux œuvres, mais aussi la singularité du personnage central choisi par les deux auteurs. La ressemblance d’ailleurs s’arrête là. En aucun cas, Hyland n’a voulu prolonger l’œuvre d’Upfield ou y faire référence d’une quelconque manière. Le style de cet auteur et sa problématique toute personnelle, sont résolument contemporains. Le portrait qu’il dresse de la vie des communautés aborigènes et des bidonvilles dans lesquels beaucoup s’entassent, est sans concession. L’écriture est dure, efficace ; les descriptions particulièrement poignantes ; le style de Hyland est en parfaite symbiose avec le tableau qu’il dépeint. Dès les premières pages, le lecteur n’a plus aucune illusion sur l’ambiance dans laquelle l’histoire va se dérouler. Le suspens se maintient jusqu’à la fin ; les doutes et les contradictions de l’enquêtrice donnent une profondeur certaine à son personnage. Sa volonté de découvrir le criminel repose plus sur des motivations personnelles que sur une démarche d’investigation policière. Emily Tempest (« Nangali »), personnage clé de l’histoire, ne fait d’ailleurs pas partie de la police. Il s’agit plutôt d’une baroudeuse que les cahots de la vie ont conduite d’une filière d’étude à une autre, et qui, au fil de son errance professionnelle et géographique, n’a pas vraiment trouvé sa voie : une « paumée » qui ne s’identifie pas vraiment aux valeurs aborigènes mais n’est pas à sa place non plus dans la civilisation blanche où elle a évolué. Emily Tempest est un peu l’héritière spirituelle de l’inspecteur Bonaparte, mais elle est résolument enracinée dans son époque. Bonaparte est inspecteur de police, donc membre de l’institution. Emily survit difficilement, de petits boulots en petits boulots, n’ayant que des contacts épisodiques et des relations complexes avec son prospecteur de père. Sa mère, elle, est aux abonnés absents, disparue alors que notre héroïne était encore bien jeune. Lire « Le dernier rêve de la colombe diamant » est, à mes yeux, une excellente occasion de découvrir la société aborigène, ses coutumes et son mode de vie dans la société blanche australienne du XXIème siècle.
Restons dans le domaine du « policier » mais quittons l’ethnologique pour l’historique, médiéval plus particulièrement. « Grands détectives » continue la publication des enquêtes de Roger Chapman le colporteur, personnage créé par Kate Sedley. Le dernier épisode « les trois rois de Cologne » tient bien sa place dans cette série sympathique et plutôt bien construite. Cette fois, notre enquêteur amateur est amené à s’intéresser à une affaire ancienne : on a retrouvé le corps d’une jeune femme, Isabella Linkinhorne, assassinée une vingtaine d’années auparavant, dans un terrain sur lequel le maire de Bristol compte faire bâtir un hospice et une chapelle dédiée aux rois mages (les trois rois de Cologne). Il se trouve que de son vivant cette jeune femme menait une vie assez tapageuse, au grand dam de ses parents, et entretenait une relation suivie avec trois hommes différents. L’assassin est probablement l’un de ses trois amants, mais lequel, et surtout qui sont ces trois personnages mystérieux ? C’est la fin de l’hiver et la vie domestique commence à peser lourdement sur les épaules de Roger Chapman : ce n’est pas facile pour un colporteur de se soumettre à une vie sédentaire, d’autant que, cette année-là la mauvaise saison a été bien longue. Lorsque le maire de la cité lui demande d’enquêter sur cette affaire de meurtre, notre bonhomme n’est que trop content de sauter sur l’occasion pour aller se promener un peu, d’autant que la récompense promise fera le plus grand bien aux finances du ménage. En toile de fond de cette intrigue, l’auteur dépeint les problèmes commerciaux des villes anglaises : leur prospérité, en grande partie due au commerce des tissus, est soumise à une forte concurrence de la part des villes de la ligue hanséatique (dont Cologne fait partie…) Les pistes sont nombreuses ; les témoins ont oublié les événements qui remontent à un lointain passé ; des langues refusent de se délier… L’enquête du colporteur va s’avérer bien difficile, d’autant que certains ne souhaitent pas vraiment la voir aboutir. Plusieurs anecdotes émaillant le récit m’ont particulièrement plu, notamment celle du lit piégé de Hambrook Manor…. mais je ne vous en dirai pas plus ! Kate Sedley a un style délié, facile à lire, et elle connait les ficelles permettant de créer un bon suspens. Les aventures de Roger Chapman en sont à leur dix-septième épisode en langue anglaise ; espérons que leur traduction continuera à un rythme régulier…
Restons dans le domaine historique, mais en quittant cette fois-ci la catégorie roman policier pour l’essai documentaire. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt le livre de Régis Boyer sur « Les Vikings » paru dans la collection Tempus aux éditions Perrin. L’auteur est un historien renommé, spécialisé dans l’étude de la civilisation et de l’histoire islandaise. Inutile de préciser donc qu’en matière de vikings, Régis Boyer sait parfaitement de quoi il parle. Beaucoup de livres ont été écrits sur les « hommes du Nord » ; peu sont aussi intéressants et surtout aussi synthétiques. L’auteur essaie de brosser (en quatre cents pages quand même – il s’agit d’un pavé) un tableau complet de la civilisation viking, de l’an 800 jusqu’au milieu du second millénaire. Il propose un certain nombre de réponses à des questions restées en suspens jusqu’à ce jour, et propose surtout une nouvelle interprétation du phénomène d’expansion, puis d’arrêt brutal du développement de cette civilisation conquérante. Qu’est-ce qui a permis aux Vikings de s’imposer un peu partout en Europe et au Moyen-Orient, au début du Moyen-Age ? Quels sont les facteurs qui expliquent leur perte d’influence quelques siècles plus tard ? Les thèses exposées par Régis Boyer s’écartent bien souvent des sentiers battus et remettent en cause un certain nombre de clichés de l’histoire classique. L’auteur montre bien les nuances existant entre les différents courants qui composent le flux expansionniste des guerriers-commerçants du Nord : selon qu’ils sont originaires de la Suède, de Norovège ou du Danemark, leur politique n’a pas été la même et leur quête géographique ne les a pas conduits vers les mêmes rivages. Quel rôle les vikings ont-ils joué dans la formation de l’Etat russe ? Ont-ils vraiment été les premiers colonisateurs européens de l’Amérique du Nord ? Quelles étaient leurs principales routes commerciales ? Les découvertes récentes faites en archéologie permettent de donner des réponses de plus en plus précises et surtout de plus en plus vraisemblables à toutes ces questions… Si l’histoire du Moyen-Age vous intéresse, ne manquez pas de vous plonger dans la lecture de ce livre qui est, à mon avis, un ouvrage essentiel sur cette période encore mal connue du développement de l’Europe.
Si la taille de ce livre vous décourage par avance, sachez que la revue « Histoire et images médiévales » vient de sortir un numéro thématique intitulé « mémoire viking », préfacé par le même Régis Boyer et donc proche des thèses de l’historien. Les textes rassemblés à l’occasion de cette publication sont très intéressants et l’iconographie est superbe. Le sommaire de la revue propose deux grandes parties : « Société et techniques » et « Croyances et littérature ». En suivant le fil des premiers articles, vous découvrirez l’aspect singulier des maisons que construisaient les hommes du Nord (ils ne passaient pas leur vie dans les drakkars) ainsi que la manière dont ils fabriquaient leurs superbes bateaux. Les études concernant la poésie des scaldes et le rôle des sagas, pièces essentielles de la littérature scandinave, sont tout aussi passionnantes. « Histoire et images médiévales » fait largement appel à « l’histoire vivante » (reconstitution de scènes en costume avec les accessoires d’époque) pour ses illustrations et cela rend le dossier très vivant. Les photos de monuments ou d’objets trouvés lors de fouilles récentes sont également nombreuses et permettent de se faire une idée des multiples talents artistiques que possédaient les vikings. Les pierres gravées avec leurs textes en runes et leur ornementation symbolique sont de véritables œuvres d’art et il est plaisant de savoir qu’autant de spécimens ont été conservés dans un état plus que satisfaisant. Quelques cartes viennent compléter ce numéro, notamment celle des routes de commerce maritimes et terrestres que les Vikings ont mis en place. Les hommes du Nord avaient la capacité bien singulière de s’adapter avec facilité aux usages et aux coutumes des pays dans lesquels ils s’installaient, ce qui ne les empêchait pas d’apporter leur propre empreinte culturelle. La Normandie est riche de toponymes ayant leur origine dans les lointaines contrées nordiques. Le français, notamment le vocabulaire de marine, a hérité de nombreux termes techniques empruntés aux Vikings. Cette civilisation a donc amplement laissé sa marque dans notre histoire hexagonale, comme dans beaucoup d’autres pays.
Sur ces propos « culturels », je vous laisse. Le prochain caquelon de livres sera probablement servi au moment des fêtes, généralement propices à un enrichissement de notre bibliothèque. Il vous faudra patienter 4 ou 5 jours avant de lire la prochaine chronique… Ce délai est dû à une « affaire de livres » : nous partons à Gap aider au rangement en cartons d’une colossale « bibliothèque de l’écologie ». Les lecteurs amnésiques ou intermittents de ce blog peuvent se reporter à la chronique intitulée « d’un tilleul vénérable aux misères d’une bibliothèque » pour avoir un complément d’informations. Rendez-vous sans doute au lundi 7 pour de nouvelles aventures…
30novembre2009
Posté par Paul dans la catégorie : Bric à blog.
froidure en décembre – engelure en janvier – biture en février (proverbe charbinois)
Ce qui a beaucoup fait jaser sur les blogs cette quinzaine, c’est la dernière pantomime médiatique de notre prince hongrois. Notre manipulateur numéro 1 a en effet exprimé le souhait que les cendres d’Albert Camus soient transférées au Panthéon (en attendant que celles de Proudhon ne reposent sous l’arc de triomphe ?). Ceux qui ne sont pas encore habitués aux récupérations en tout genre de ce démagogue populiste, en ont avalé leur cravate de travers. Je n’ai pas parlé de ce « fait-divers » sur la feuille, mais d’autres l’ont fait à ma place et avec talent. Je vous propose trois textes, tout aussi différents qu’intéressants à propos de cette affaire. En premier lieu, un article de Dominique Hasselman, paru le 24 novembre dernier sur son blog ; pour compléter l’analyse, les réflexions pertinentes d’Isabelle Rambaud, sur « Rendez-vous du patrimoine » (quoique cet article-là s’intéresse plus aux divagations d’un autre énergumène, Pierre Bergé, qu’aux faits et gestes du patron) ; en bouquet final, je vous propose la lettre ouverte de Michel Onfray au Président de la République. C’est un pur moment de bonheur, délectez-vous. Je ne suis pas toujours sur la longueur d’onde de Michel Onfray et mon opinion sur ce très médiatique philosophe évolue un peu en fonction de ses prestations parfois discutables et de ses écrits. Je dirai qu’à la suite de ce dernier coup d’éclat, l’indicateur de pression de mon baromètre est plutôt repassé côté « beau temps ». Cette histoire panthéonesque a été l’occasion de tout un déballage sur le web (au moins francophone), ce qui a permis de découvrir quelques textes fort intéressants de divers auteurs. Le penchant libertaire de Camus est indéniable, ce qui explique les jugements peu amènes que les Marxistes (tout particulièrement les membres du fan club de Staline), notamment, ont formulés à son égard. Sa disparition en 1960 a en tout cas créé un vide indéniable dans la sphère de l’écriture philosophique. J’ai découvert ce très émouvant hommage que lui a rendu un certain Georges Belle, en mai 1960. Ce texte a été publié à nouveau en 2007 sur le site internet « la presse anarchiste ». Cette phrase extraite du texte : « Albert Camus représentait trop l’ultime résistance aux multiples impostures de notre histoire, aux viols sans cesse renouvelés de la société contemporaine pour que je supporte sans révolte sa mort. » Les termes d’imposture, de viol (j’y ajouterai l’escroquerie intellectuelle) ne s’appliquent-ils pas remarquablement aux velléités normalisatrices et récupératrices du locataire de l’Elysée ?
En terminant la rédaction de la chronique sur Durruti, la semaine dernière, j’ai eu comme un doute sur l’utilité de ce genre de rappel historique. Après tout, la guerre civile en Espagne s’est achevée il y a plus de 70 ans… depuis de l’eau a coulé sous les ponts… Je sais très bien que le contexte a changé, que les expériences ne sont pas transposables… Et puis une information vue au journal d’Arte, approfondie grâce à plusieurs sites d’informations (article à lire sur Rue 89 par exemple) m’a ôté les quelques doutes qui m’assaillaient ; visiblement, le dossier du franquisme est loin d’être bouclé comme en témoignent les faits rapportés ces derniers temps dans l’actualité. Le juge Baltasar Garzón, après s’être vu refuser la possibilité de faire ouvrir un certain nombre de fosses communes datant de la période 1936-39, dans le but de faire qualifier de « crime contre l’humanité » les assassinats perpétrés contre les militants républicains espagnols, a décidé de rouvrir le dossier des crimes franquistes avec une nouvelle approche. Il s’intéresse cette fois au dossier des bébés enlevés dans les prisons ou dans les maternités aux femmes suspectées d’avoir de « mauvaises opinions ». Plus de trente mille enfants ont ainsi été volés à leurs mères, avec la complicité active de l’église catholique espagnole. Leur état-civil originel a été falsifié ou détruit, et les enfants ainsi enlevés ont été confiés à des familles de « bonne moralité » chargées de les élever dans le respect des bonnes vieilles valeurs de la droite éternelle. Le pire c’est que ce trafic a continué même après la mort de Franco, un certain nombre d’institutions religieuses le trouvant fort lucratif. Certains enfants cherchent actuellement leurs « véritables » parents et se heurtent à un mur de silence. Vieille histoire que le franquisme, peut-être, mais il semble bien que l’Espagne soit loin d’avoir fini de régler ses comptes avec cette période de son passé ; beaucoup de politiciens, de droite comme de gauche, espéraient pourtant enterrer définitivement cette histoire. Voter des lois imposant l’amnésie ne suffit pas à régler les problèmes des vivants. Le même problème se pose actuellement au Chili et en Argentine, car les pratiques de l’extrême-droite espagnole ont bien entendu fait des émules outre-Atlantique. Du coup je me suis replongé dans un certain nombre d’articles concernant notamment les conditions de détention des femmes dans l’Espagne franquiste. J’y reviendrai sans doute cet hiver. Vous n’avez pas fini d’entendre parler des événements de cette époque et des gens qui en ont été les acteurs. Je reste convaincu qu’une meilleure connaissance de l’histoire ne peut qu’aider à mieux comprendre le présent.
La réhabilitation de ceux qui ont tenté, d’une façon ou d’une autre, de s’opposer aux régimes totalitaires recouvrant l’Europe telle une chape de plomb, suit timidement son cours. On peut lire à ce sujet un excellent article publié par François De Beaulieu sur son blog. Il s’intitule « Traitres de guerre » (en deux parties) et compare le traitement réservé aux Résistants allemands et espagnols survivants par nos modernes démocraties. Il y a une dizaine d’années, les citoyens allemands qui ont été emprisonnés à l’époque du nazisme ont vu leurs droits en partie reconnus, et le gouvernement a décidé d’indemniser (avec parcimonie) les « dommages » subis. L’état espagnol a suivi cette voie, avec une dizaine d’années de retard et tout autant de parcimonie. François de Beaulieu explique les modalités complexes du dédommagement proposé. Ce qui est sûr c’est que vu le montant des indemnités « offertes », ces héros obscurs ne pourront pas être accusés de « creuser les déficits publics ». Il semble nettement plus urgent de béatifier les prêtres qui ont payé de leur vie, leur soutien enthousiaste à la dictature fasciste, que de réhabiliter les pouilleux qui rêvaient « d’un autre futur ». Nos voisins ne sont pas les seuls à avoir des rapports conflictuels avec leur passé. Le dernier siècle de l’histoire hexagonale est bourré de dossiers sensibles, des mutineries de 1917 à la répression dans nos colonies, sans oublier le régime de Vichy et autres « babioles » du même genre. Prenez le temps de parcourir le blog de François de Beaulieu ; je vous en ai déjà parlé une fois ; je ne manquerai pas d’y faire référence à nouveau. Son contenu, essentiellement historique, est riche en récits et en témoignages instructifs, notamment en ce qui concerne la lutte contre le régime nazi… en Allemagne.
Bien entendu, tous les faits d’actualité énoncés dans les paragraphes précédents ne sont que des éléments de second plan. La « une » des médias reste occupée par le marronnier le plus intéressant de la saison : cette fameuse grippe H1N1, qui a provoqué bientôt plus de morts dans l’hexagone que ce qu’on peut dénombrer dans les accidents routiers en un mois. C’est dire ! La masse d’articles publiés est énorme et il est impossible de les lire tous tant il y a de redondances (en ce qui concerne les opposants à la vaccination) ou de bourrage de crâne (du côté des VRP des labos pharmaceutiques). Je vous recommande cependant la lecture du texte « les profiteurs de la peur » sur le blog « pharmacritique ». L’auteur revient sur le documentaire diffusé par ARTE (encore !), intitulé « un virus fait débat », le commente et surtout propose un certain nombre de liens internet intéressants pour approfondir le sujet. Il incite à la plus grande méfiance à l’égard des directives de l’OMS, organisme de plus en plus « influencé » par le lobbying des grands groupes pharmaceutiques : « …cette organisation, qui n’est que politique mais se fait passer pour une instance scientifique, a fort opportunément changé sa définition de ce qu’est une pandémie. » Un autre extrait du même article : « les vaccins sont devenus une source centrale de revenus pour des laboratoires qui n’innovent plus et dont les pipelines sont vides… Plus que jamais comptent les slogans d’une « prévention » déformée, qui n’a plus grand chose de scientifique et dégénère en propagande. Il en faut afin de mettre en oeuvre le pharmacommerce de la peur à l’échelle voulue – y compris à l’échelle planétaire, comme on le voit avec la grippe porcine. »
A ce propos j’ai remarqué que l’on trouve cette phrase « certains malades de la grippe A-H1N1 développent de graves infections secondaires, en particulier de jeunes adultes qui n’y sont normalement pas vulnérables », dans les bannières « actualité » de certains sites d’infos, et ceci très régulièrement depuis deux ou trois mois. Seul l’auteur de la déclaration change : il s’agit une fois du docteur truc, une autre fois du docteur machin, ou d’un quelconque organisme de prévention US. J’ai toujours trouvé étranges ces « copier-coller » utilisés comme un leitmotiv : infos ? publi-rédactionnel ? Le doute est permis… Si le fait que « même des jeunes » peuvent mourir de la grippe ne vous suffit pas, sachez que le virus est en train de muter… sans que l’on sache trop vers quoi… La conclusion qui me paraîtrait logique c’est que si le virus évolue, le vaccin hâtivement mis au point ne doit plus guère être efficace… Mais bon, je reconnais que mes connaissances thérapeutiques ne dépassent pas le remède des quatre chapeaux signalé par Lavande dans les commentaires d’une récente chronique. En tout cas, jeunes lecteurs et jeunes lectrices, sachez que vous n’êtes pas non plus à l’abri d’un accident mortel en vous installant au volant de votre coupé sport aérodynamique !
Le mouvement « Pour une Suisse sans Armée » a tenté sa chance hier en Helvétie, en proposant comme thème de référendum l’interdiction de l’exportation des armes. Certes leur proposition a abouti à un échec, mais qu’elle ait déjà été formulée et proposée comme thème de votation est quelque chose de tout à fait positif… Vous imaginez la même procédure en France ? Un pays où l’on ne prend pas le risque de demander une seconde fois aux habitants leur avis sur la constitution européenne ? Quant à montrer du doigt ces mêmes Helvètes parce qu’ils ne veulent plus voir de minarets dans les futures mosquées qui seront construites et à dénoncer leur anti-islamisme primaire, c’est s’occuper de la paille qu’il y a dans l’œil du voisin plutôt que de la poutre… Quel aurait été le résultat d’un tel référendum en France ? Je vous laisse faire des paris sur le score du « oui » et du « non ». La peur est le vecteur numéro 1 d’installation de l’idéologie fascisante. De la peur à l’intolérance puis à la haine il n’y a qu’un pas, vite franchi lorsque les médias les plus puissants déversent sans arrêt leur propagande nauséabonde. On peut lire à ce sujet un bon texte d’Alain Gresh sur le blog du monde diplo. Je pense que ces deux derniers sujets que je viens d’évoquer vont faire couler pas mal d’octets dans les jours à venir…
Désolé du côté un peu rébarbatif de ce « bric à blog » automnal. Les thèmes abordés n’ont rien de festifs, mais il faut dire que l’actualité n’est guère réjouissante et que cela ne va pas en s’arrangeant. Dans la prochaine chronique, on parle « bouquins » et j’essaierai de vous proposer quelques pistes un peu plus récréatives ! Décembre sera là demain et les fêtes de fin d’année approchent : les dindes commencent à claquer du bec, les marrons à se peler et les homards sont en quête d’un asile politique incertain… Certains se demanderont peut-être la raison pour laquelle un étrange proverbe charbinois figure en tête de cet article : je suis le premier à m’interroger…
Illustrations : photo 2 Agusti Centelles (exposition « Républicains espagnols à Bordeaux ») –
27novembre2009
Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage; vieilles pierres.
S’il avait existé un « livre des records » au Moyen-Age, Château-Gaillard y aurait sûrement figuré : forteresse colossale édifiée en moins de deux ans, une durée de chantier remarquable que peu de bâtiments de l’époque ont sans doute égalée. Le maître d’œuvre de ce château impressionnant n’est autre que le célèbre roi anglais, Richard Cœur de Lion, l’un des plus illustres représentants de la famille des Plantagenêts. Le roi, de retour de croisade, avait des comptes à régler avec son rival français, Philippe Auguste, responsable de quelques coups tordus à son égard. Le roi de France avait en effet adroitement manœuvré pour que Richard Cœur de Lion soit arrêté à Vienne, puis emprisonné pendant deux ans par l’Empereur Henri VI. Dès son retour sur sa terre de Normandie, Richard décide d’en renforcer les défenses pour contrer les ambitions de Philippe Auguste, qui souhaite rattacher le duché à la Couronne de France. Depuis 911, un petit affluent de la rive droite de la Seine, l’Epte, marque la frontière entre royaume de France et Duché de Normandie. Cette limite est remise en cause par Philippe Auguste. Sur la défensive, Richard décide de lancer la construction de plusieurs nouveaux châteaux : Château-Gaillard est la pièce maîtresse du dispositif. S’il avait respecté ses engagements, Richard n’aurait pas dû construire la forteresse car le terrain choisi est considéré comme neutre ; il s’agit d’une possession de l’église : il appartient à l’archevêque de Rouen. Selon le traité qu’il a signé en 1196, il s’est engagé à ne pas occuper ce secteur. Mais la tentation est plus forte que la parole donnée : le site qu’il envisage de fortifier est vraiment exceptionnel. La forteresse doit être érigée sur un promontoire dominant l’un des méandres de la vallée de la Seine, non loin du village des Andelys. La présence d’une île au milieu du fleuve permet, de plus, la construction d’un poste avancé et, en conséquence, le contrôle du trafic fluvial vers Rouen. Le site de Château-Gaillard est un véritable verrou stratégique. Son seul point faible est le fait qu’il se situe à l’extrémité inférieure d’un plateau. Ce n’est pas un problème : c’est de ce côté-là de la construction que les architectes feront le plus gros effort de fortification. Une barbacane (ouvrage fortifié avancé) sera construite là où peut survenir le danger : ce ne sera pas un châtelet, mais un premier rempart impressionnant face aux velléités agressives d’un éventuel assaillant. La construction débute en 1196 ; elle sera achevée courant 1198. Certes, un grand nombre d’artisans et de manouvriers sont mobilisés pour la circonstance, mais il n’en reste pas moins que les bâtisseurs auront accompli une véritable prouesse technique pour l’époque. Dans la précipitation, quelques erreurs vont cependant être commises… L’avenir le montrera…
A première vue, Château-Gaillard paraît imprenable et Richard Cœur de Lion peut être fier de son œuvre. L’assaut depuis la vallée est quasiment impossible étant données les défenses naturelles. Un assaillant débouchant par le plateau va se heurter à trois lignes de fortifications successives avant d’accéder à la tour maîtresse : une barbacane entourée d’un important fossé, une première enceinte enfermant la basse-cour, une seconde enceinte particulièrement résistante de par sa forme (une succession de demi cercles séparés par de courtes lignes droites) aux armes de jet de l’époque. Une fois franchies ces défenses redoutables, notre attaquant va se retrouver au pied d’un donjon particulièrement impressionnant. Les ruines actuelles n’évoquent que très partiellement les dimensions impressionnantes de cette tour, une bonne partie de la construction ayant été arasée. Le dessin de Viollet Leduc que vous trouverez en illustration permet de se faire une idée de la taille réelle du bâtiment. Château-Gaillard témoigne d’une maitrise indiscutable de l’architecture militaire de la part de son concepteur.
Richard Cœur de Lion peut être fier de son œuvre. On lui prête d’ailleurs cette exclamation, au vu de la construction presque achevée : « Qu’elle est belle, ma fille d’un an ! » Les aménagements réalisés sur le plan défensif, la disposition des différents bâtiments, les concepts mis en œuvre sont certainement influencés par les observations que le roi a pu faire lors de sa croisade au Moyen-Orient. Château-Gaillard se différencie des autres forteresses normandes, et certaines de ses particularités se retrouvent dans les châteaux syriens, comme le Krach des chevaliers par exemple. Le conflit va éclater entre les deux rois peu de temps après l’achèvement des travaux, mais Richard Cœur de Lion n’aura pas l’occasion de tester les capacités défensives de son ouvrage. Il meurt le 6 avril 1199, lors du siège de Chalus appartenant au roi de France. Combattant en première ligne pour entraîner ses troupes, il reçoit un carreau d’arbalète dans l’épaule ; la blessure s’infecte et il décède de la gangrène. Avant de quitter ce bas monde, il exprime ses dernières volontés, notamment concernant sa mise en terre. Il demande à ce que son corps repose à l’abbaye de Fontevraut, non loin de Saumur, dans un tombeau voisin de celui de son père ; son cœur doit aller à Rouen car il aime la ville et ses entrailles resteront à Châlus, dans l’église du château qu’il a eu tant de mal à conquérir.
Après la mort de son adversaire principal, Philippe Auguste met quelques années avant de se décider à assaillir Château-Gaillard. Jean Sans-Terre succède à Richard, mais le nouveau souverain est loin de posséder les qualités de son prédécesseur. Le camp anglo-normand s’affaiblit et le roi de France profite de cet état de fait pour décréter la confiscation de la Normandie, en 1202. Il se lance dans une campagne d’envergure en vue de neutraliser les uns après les autres les points de défense du duché. Au mois d’août 1203, son armée campe au pied de Château-Gaillard. Il a rassemblé environ 6000 hommes. La garnison de la forteresse en compte environ 300, mais compte sur la solidité des défenses pour repousser l’ennemi. Philippe commence par s’emparer de tous les points de défense avancés. Le fortin de l’île sur la Seine est conquis, de même que la ville fortifiée des Andelys dont les habitants ont la mauvaise idée de se réfugier au château. Le roi de France installe ensuite son campement sur le plateau dominant Château-Gaillard. Lui aussi fortifie ses positions : il s’installe pour un siège qu’il estime long, et celui-ci le sera en réalité plus encore. Pour que le blocus soit efficace et que les assiégés ne puissent plus être ravitaillés, il fait creuser un vaste fossé et dresser des palissades. Ses charpentiers assemblent plusieurs machines de jets ainsi que tout le matériel lourd nécessaire à l’assaut. Les Français n’attaquent véritablement qu’au mois de février 1204 après plusieurs longs mois de siège. Philippe s’impatiente : puisque l’hiver n’est pas venu à bout de la résistance anglaise, il lance ses troupes à l’offensive. Il faudra encore plusieurs mois d’assauts successifs aux Français pour vaincre la garnison anglo-normande, commandée par Roger de Lascy. La progression des assaillants se fait par étapes. La barbacane est prise suite à un considérable travail de sape qui entraine l’effondrement de sa principale tour défensive. Les assiégés se réfugient dans la basse-cour, derrière la première enceinte. Ce second rempart cède à son tour, à la suite d’une action singulière qui va beaucoup amuser les historiens et restera vivace dans la mémoire collective : les Français auraient pris la forteresse en rentrant… par la fenêtre des latrines. L’anecdote a eu un tel succès que lorsque l’on parle de Château-Gaillard c’est généralement le premier récit que l’on entend.
Quelle est la part probable de vérité dans cette histoire ? Elle est assez difficile à déterminer ; on peut cependant avancer un certain nombre d’hypothèses. Le déroulement du siège de Château-Gaillard est bien connu car il est raconté en détail par un chroniqueur nommé Guillaume le Breton. D’après son récit, quelques soldats ont réussi à pénétrer par une échauguette dans une tour carrée située du côté des falaises. Selon Le Breton, cette tour serait celle des latrines. Ce qui est sûr c’est que l’effet de surprise est total et que les assaillants s’emparent plutôt facilement de la première enceinte. Selon certains historiens cette tour n’existait pas à l’origine et elle aurait été rajoutée à la muraille à la demande de Jean Sans Terre. Elle abritait, non des latrines mais une chapelle. Dans plusieurs récits, on évoque la possibilité que la même tour ait abrité les deux types de locaux, mais cela paraît peu crédible au vu des mœurs de ce temps. Les soldats de Philippe Auguste auraient en réalité investi un lieu sacré, les armes à la main, ce qui était fort mal vu par l’église à cette époque. Dans certains châteaux, il arrivait que l’on place une chapelle au dessus de la porte d’entrée principale, pour décourager l’attaque (il me semble que c’est le cas notamment dans le castrum de Commarque). L’histoire des latrines aurait été inventée par le chroniqueur pour ne pas ternir la réputation de son roi et l’exposer au courroux de l’institution religieuse. Cette version des faits, tout à fait conforme aux us de l’époque, paraît plus réaliste que l’invasion par la fenêtre des toilettes. Comme quoi, déjà, au début du XIIIème siècle, l’information était manipulée par ceux qui la faisaient ! Le même chroniqueur raconte la fin atroce des habitants des Andelys réfugiés dans la forteresse. Leur présence posait un sérieux problème de ravitaillement au gouverneur. Les vivres permettaient à la garnison de résister au moins un an ; Château Gaillard disposait par ailleurs d’un puits impressionnant qui résolvait le problème de l’approvisionnement en eau. Mais la présence de bouches supplémentaires (et inutiles) à nourrir risquait d’accélérer l’épuisement des réserves. Roger de Lascy décide donc, pendant l ‘hiver, d’expulser les civils de la forteresse. Les Français laissent passer les premiers réfugiés, mais très rapidement le roi exige que le blocus soit rétabli et la dernière vague de fuyards n’a plus d’issue. Les bouches inutiles meurent de faim et de froid entre les deux camps. Cette histoire atroce fut utilisée à des fins de propagande pour démontrer la cruauté des défenseurs de Château-Gaillard, et leur manque de respect pour les « règles de la chevalerie », mais on ne peut pas dire que l’attitude des assiégeants fut plus glorieuse. La guerre n’a rien d’une partie d’échecs pour gentlemen et les populations civiles n’en ont jamais retiré aucun avantage.
Les troupes de Philippe Auguste tirent partie immédiatement de ce succès et se lancent à l’assaut de la seconde enceinte pour arriver au pied du donjon. Les machines de jet sont approchées et les projectiles énormes se succèdent les uns après les autres contre la muraille. Une brèche est ouverte et les assaillants s’y engouffrent. La supériorité numérique joue à fond pour les attaquants et les soldats de Roger de Lascy sont rapidement submergés. Le repli dans le donjon est trop tardif pour que celui-ci permette une défense efficace. Les derniers survivants capitulent après de violents combats au corps à corps. La forteresse a bien résisté mais elle n’a pas été imprenable contrairement à ce que pensaient ses concepteurs. Les dégâts sont importants mais le site reste précieux aux yeux du roi de France et des travaux de réparation et de consolidation des défenses sont entrepris dès la conquête achevée. Les Anglo-Normands ont subi une défaite cuisante et Philippe Auguste profite de l’avantage acquis à l’issue de cette opération pour s’emparer progressivement des fiefs du Plantagenêt. En 1204, la Normandie est rattachée à la couronne de France : une page d’histoire vient d’être tournée. Quant à Château-Gaillard, la forteresse va continuer à jouer son rôle défensif jusqu’à la fin du XVIème siècle. Transformée en prison pendant un temps, elle va accueillir deux détenues célèbres : Blanche et Marguerite de Bourgogne, belles-filles de Philippe le Bel, accusées d’adultère. Marguerite meurt d’ailleurs à Château-Gaillard dans des conditions mystérieuses qui vont faire couler beaucoup d’encre (ne me dites pas que vous n’avez pas lu ou visionné « les rois maudits » !). Plusieurs affrontements s’y dérouleront notamment pendant la guerre de cent ans. Là aussi « le colosse au pied d’argile » changera à plusieurs reprises de propriétaire, une fois au moins pour des raisons relativement peu glorieuses : le 9 décembre 1419, par exemple, il tombe aux mains des Anglais car les assiégés ne peuvent plus tirer d’eau au puits : leur dernière corde s’est rompue… Un tel ensemble défensif à la merci d’une simple corde ou d’une fenêtre mal placée… cela laisse songeur ! Pendant les guerres de religion, ce sont les « Ligueurs » du duc de Guise qui s’y enferment pendant deux ans. Henri IV s’empare du château en 1591 et pour éviter qu’il ne serve à un quelconque adversaire, il décide de le faire démolir. Les pierres serviront à la construction de divers édifices dans la région. Richelieu, le plus grand « démolisseur de châteaux » de l’histoire de France parachèvera l’œuvre de son prédécesseur.
Lorsque les Monuments historiques s’intéressent enfin à son sort, en 1852, le château est dans un bien triste état. Depuis le XIXème siècle, plusieurs campagnes de restauration ont été entreprises et d’importantes fouilles archéologiques conduites au fil des années. Certains détails architecturaux restent cependant difficile à dater. L’architecte Viollet Leduc a beaucoup travaillé sur la forteresse, en proposant notamment des plans détaillés ainsi que des tentatives de reconstitution des formes originelles. Le plan des lieux ainsi que le croquis du donjon qui illustrent cette chronique lui sont empruntés. Les autres photos ont été prises par les enquêteurs charbinois lors de leur périple normand au début de ce mois. La balade autour des ruines vaut la peine d’autant que la zone abrite une réserve botanique d’une grande richesse. En flânant au milieu des vieilles pierres, vous pourrez toujours herboriser, si vous n’avez pas l’âme d’un conquérant ! Plusieurs randonnées pédestres, sans doute très plaisantes, sont possibles dans le secteur.
24novembre2009
Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres.
Ma première est comestible ; mon second ne l’est pas ; ma troisième, sous sa forme argotique, est indigeste et laisse généralement des séquelles violacées assorties d’une vive douleur ; elle est d’un abord beaucoup plus agréable sous sa forme pâtissière malheureusement peu connue des barbares que nous sommes ! On confond souvent marron et châtaigne, ce qui est légitime lorsqu’il s’agit d’un geste intempestif (puisqu’ils ont le même effet) mais totalement déplacé lorsque l’on se situe dans le registre de la botanique. Il faut dire que les usages culinaires et le parler populaire entretiennent savamment la confusion : on mange des marrons glacés, des marrons grillés et de la confiture de marron, préparés uniquement à base de châtaignes ; point de confusion par contre lorsqu’il s’agit de farine : demandez aux Corses ou aux Ardéchois s’ils mettent de la farine de marron dans leur pâtisserie… la réponse sera claire et sans ambiguïté… Je vais donc essayer de faire un peu de lumière sur cette question… épineuse : qui est châtaigne et qui est marron dans l’histoire ? Je réserverai les affaires de beignes à un autre épisode, à moins que je ne les destine à ceux qui feraient mine de ne pas comprendre parce qu’ils sont un peu « glands ». Histoire de ne pas égarer ces esprits simples, je laisserai de côté également les gnons, les baffes, les calottes et autres torgnoles. Il ne faut point trop de desserts différents à l’issue d’un banquet copieux.
Il faut bien commencer par un commencement, alors, avant même d’évoquer les histoires de dénombrement de graines dans la bogue, on va s’intéresser à l’origine géographique des deux arbres et à leur apparition dans nos parcs et dans nos forêts. Cette dernière distinction n’est pas totalement innocente ; nos deux cousins ne se croisent guère dans la vie quotidienne ; on rencontre souvent le châtaignier dans les forêts ou dans les champs, contrairement au marronnier qui a une nette préférence pour les parcs, les places et les avenues.
Le nom latin désignant le marronnier est – excusez du peu – Aesculus hippocastanum. Son appellation complète pour le vulgus populus est marronnier d’Inde. L’indication que donne son nom de baptême concernant son lieu d’origine est malheureusement fausse. Ce serait trop simple. Les botanistes du temps jadis pensaient que l’arbre provenait d’Asie… mais son aire d’origine est en réalité plus proche de chez nous : Nord de la Grèce et Albanie. Il ne s’agit donc pas d’un arbre si exotique que ça. Le premier marronnier planté dans l’Hexagone arrivait en droite ligne de Constantinople et le jardinier responsable de son acclimatation dans un jardin situé rue du Temple à Paris se nomme Bachelier. L’heureux élu eut de nombreux rejetons, et quelques deux cents ans plus tard, il colonisait l’ensemble du territoire européen : chaque parc, chaque cour d’école, chaque place du marché se devait d’avoir son marronnier. L’arbre avait un intérêt économique (je vous en parlerai plus loin) mais il jouait surtout un rôle ornemental. Sa silhouette aussi majestueuse qu’équilibrée dispensait une ombre généreuse, sa floraison enchantait les couchers de soleil printaniers et ses marrons fournissaient aux enfants d’excellents projectiles pour jouer à la guéguerre comme leurs aînés.
Quand j’emploie le terme de « cousins » en parlant du marronnier et du châtaignier, je risque de faire bondir au plafond les botanistes ou, dans le pire des cas, de recevoir une beigne pour me décoincer les neurones. A part la confusion souvent faite par le commun des mortels au niveau des fruits, les deux arbres n’ont rien d’autre de commun. Le marronnier appartient à une famille botanique bien particulière dont il est l’un des rares représentants (et surtout le seul vraiment connu sous climat tempéré) ; le châtaignier (Castanea sativa), lui, fait partie des fagacées, et serait donc plus proche du hêtre ou du chêne au niveau de la classification. Il est loin d’être le seul représentant de cette famille qui comprend 900 espèces différentes. Contrairement au marronnier, le châtaignier est très probablement un arbre indigène sur notre territoire ; sa présence est attestée – grâce à la découverte de pollens – à diverses époques de l’ère quaternaire, même s’il semble que dans les périodes les plus fraîches son habitat se soit limité au pourtour de la Méditerranée. Cet arbre, contrairement au marronnier fraichement immigré, se doit donc d’être célébré par les garants de l’identité nationale, et je pense que notre bon ministre, Mr Besson, en a planté quelques beaux spécimens dans sa propriété savoyarde. Le châtaignier a lui aussi un port majestueux, mais sa silhouette varie selon les conditions de plantation et l’âge. Sous couvert forestier, il donne de longues perches droites à l’écorce lisse pendant une quarantaine d’année, puis sa tête s’élargit peu à peu et il impose sa présence à ses congénères plus discrets. Lorsqu’il est plus isolé, sa forme devient plus vite trapue : ses branches poussent à l’horizontale et il occupe très vite une superficie importante. Ce phénomène est d’autant plus remarquable que, lorsque les conditions de sol lui conviennent, il a tendance à avoir une très grande longévité. Les châtaigniers remarquables sont nombreux, et je laisse le soin à mon ami « Krapo » d’en dresser l’inventaire sur son blog. Sachez cependant que poussait en Sicile, sur les pentes de l’Etna, un géant nommé « l’arbre des cent chevaux ». En 1872, il mesurait 56 m de tour et une centaine de cavaliers pouvaient profiter de son ombre, selon la tradition locale. On trouve de magnifiques spécimens en Savoie et en Haute-Savoie (Thonon ou Evian) dont les dimensions sont plus modestes, mais qui ont le mérite de montrer que cette région ne produit pas que des politiciens conservateurs bornés !
Le bois du marronnier n’a que peu de valeur, que ce soit pour le chauffage ou pour la menuiserie. Il est très mou, d’une couleur peu attrayante, et ne résiste pas au temps qui passe et au mauvais temps qu’il subit. Celui du châtaignier est tout à l’opposé, et il est particulièrement recherché. Après un séchage long, comportant une phase de lessivage à la pluie pour ôter le tanin dont il est chargé, il brûle bien et dégage une quantité raisonnable d’énergie thermique. Les paysans ne l’aimaient guère autrefois car il présente le défaut d’éclater lorsqu’il se consume et projette parfois des gerbes d’étincelles dangereuses. Ce défaut n’apparait plus dans les chaudières ou dans les cheminées fermées modernes. On lui reproche parfois d’encrasser les cheminées… Cette critique n’est plus justifiée à partir du moment où l’on prend le temps de le laisser sécher convenablement. C’est surtout en tant que bois d’œuvre que le châtaignier est apprécié, tant ses qualités sont nombreuses. C’est un bois résistant, de très bonne conservation lorsqu’il est soumis aux intempéries, mais il possède quand même une certaine souplesse et peut être utilisé pour fabriquer des pièces cintrées par exemple. On l’utilise pour fabriquer des parquets de bonne tenue et très décoratifs, des meubles massifs, des éléments de charronnerie et surtout des charpentes. Il présente, dans ce domaine-là une particularité fort intéressante : les petites bêtes qui ont fortement tendance à attaquer les autres bois, n’apprécient sans doute pas sa saveur particulière et ne s’intéressent donc pas à lui, du moins aux pièces de charpente qui utilisent son cœur. Il est donc totalement inutile de traiter poutres et chevrons lorsque l’on est certain qu’ils proviennent de cette essence.
Faute d’avoir un bois intéressant, le marronnier a heureusement d’autres cordes à son arc : l’écorce et les fruits possèdent des propriétés médicinales indiscutables. Les préparations à base de macérations d’écorce ou de poudre de marrons sont nombreuses et elles ont des effets thérapeutiques variés. Teintures et pommades sont utilisées par exemple pour soigner les varices ou les hémorroïdes. Les marrons avaient également un usage économique important. Ils renferment, parmi d’autres substances, de la fécule utilisée, en période de pénurie, pour couper la farine de blé panifiable. Ils contiennent également de la saponine, ingrédient de base pour fabriquer du savon. On peut aussi faire de la colle avec la farine, après cuisson dans de l’eau. Toutes ces ressources ont été exploitées massivement, notamment pendant la dernière guerre mondiale et les années de reconstruction qui ont suivi. La cueillette des marrons était une activité rétribuée à laquelle se livraient souvent les enfants des écoles pour aider leurs parents ou se faire un peu d’argent de poche. De nos jours, seuls les usages médicaux sont conservés. Nos modernes industries chimiques disposent en abondance de molécules de synthèse et ne portent plus guère d’intérêt à ce genre de ressources. Connaissez-vous encore beaucoup de gens qui font la lessive au lavoir avec de la cendre ? Le marronnier est donc redevenu un arbre principalement décoratif, même s’il semble, dans ce domaine-là, passé un peu de mode aussi. C’est dommage car il fait partie, sans contestation possible, de l’aristocratie des géants ornementaux.
Nous allons terminer, comme il est d’usage, par la partie la plus piquante de mon exposé, et parler un peu plus en détail des fruits de ces deux arbres ; l’occasion de tordre le cou, au passage à une légende tenace, celle du nombre de fruits. La bogue (le fruit) est une capsule, hérissée de pointes, qui contient une ou plusieurs graines à l’intérieur. De façon courante, la bogue du marronnier ne contient qu’une graine (mais parfois deux), alors que celle du châtaignier peut en contenir une (assez rarement), deux ou trois. Les petits malins qui distinguent marrons et châtaignes en comptant le nombre de graines dans la bogue risquent donc fort de se tromper, d’autant que la création de variétés hybrides de châtaigniers est venu complexifier le problème. Alors, quand on ramasse ces jolis petits fruits lisses et brillants sur le sol, comment faire la différence ? La châtaigne possède une queue (appelée « torche ») que l’on ne trouve pas sur le marron. C’est tout ce que l’on peut trouver comme signe distinctif dans un premier temps. D’autres indices peuvent être utilisés aussi, tels que la forme des feuilles ou l’apparence de l’écorce (difficile). Il vaut mieux éviter de faire la confusion car, en plus d’être peu plaisant à manger, le marron peut se révéler toxique à consommer. Aucun risque du côté de la châtaigne par contre : le fruit est plaisant au goût, riche au niveau alimentaire et il se prête à une multitude de préparations. Dans plusieurs régions de France, notamment les Cévennes, le châtaignier était une véritable source de richesse locale et il était exploité intensivement. Avant l’introduction de la pomme de terre, la châtaigne était l’aliment de base dans les contrées aux terres trop pauvres pour que l’on y fasse pousser du blé. Puis les temps ont changé. Sa culture a été abandonnée pendant des années : problèmes de maladie dans les plantations, mais surtout désintérêt général pour un aliment jugé trop ordinaire, trop populaire, pour figurer dans les assiettes de l’époque du tout formica et du pain bien blanc.
On assiste, depuis quelques années à un renversement de tendance. Les mets préparés à base de châtaignes ont retrouvé la place qui leur était due sur la table des gastronomes, et la farine que l’on tire de ce fruit se vend à des prix plutôt élevés. Les plantations existantes ne suffisent plus à répondre à la demande et les importations sont massives. La crème de marron n’a souvent plus de rapport avec l’Ardèche que dans son appellation et elle a souvent un petit accent corse. Il a fallu aussi appeler à la rescousse l’Italie, la Turquie et les pays de l’Est. On plante et on replante massivement, des variétés hybrides dont la fructification a été accélérée car, de nos jours, tout doit aller au pas de charge ! Les fêtes de la châtaigne sont réapparues dans les calendriers des fêtes des offices du tourisme, et l’on fait de la promotion à tout va. Tant mieux. Il y a peut-être une part de snobisme dans ce phénomène, mais il y a surtout réhabilitation d’un produit qui ne méritait pas d’être laissé de côté tant ses vertus gastronomiques et diététiques sont nombreuses. Les esprits chagrins me feront remarquer que la farine de châtaigne contient jusqu’à 75 % de glucides…. Certes, certes… mais personne ne vous interdit de faire un grand tour à pied dans la forêt avant de vous asseoir autour d’une poêlée ! Vous aurez ainsi l’excuse de la récupération des calories perdues pour vous jeter sur les « marrons » chauds. Faites attention quand même, au sortir de la poêle à trou que l’on vient de retirer des braises, ça brûle les doigts ! Dernier conseil important (celui-ci me vient de ma grand-mère) : n’oubliez pas la carafe de vin rouge… « douze châtaignes, treize canons ». Ma grand-mère n’était pas belliciste, et ses « canons » n’envoyaient ni obus, ni pruneaux, juste un peu de gaieté au cœur !
21novembre2009
Posté par Paul dans la catégorie : Espagne révolutionnaire 1936-39; Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Portraits d'artistes, de militantes et militants libertaires d'ici et d'ailleurs.
Le mouvement révolutionnaire a ses héros. Certains plus connus que d’autres. Les tee-shirts ornés du portrait de Che Guevara abondent ; le guérilléro castriste est devenu le symbole d’un peu tout et de n’importe quoi. Cet hommage mercantile n’a pas été rendu à Buenaventura Durruti et, d’une certaine façon, tant mieux. L’image du combattant espagnol, ennemi juré des Franquistes et des Staliniens, est restée dépouillée de toutes fioritures inutiles. L’homme avait des qualités exceptionnelles, son charisme lui a permis d’entrainer avec lui dans la lutte de nombreux compagnons indécis ; le militant avait des convictions inébranlables et sa perte a été certainement d’une importance considérable pour le mouvement anarchiste espagnol et international. Il ne s’agit pas de proposer une nouvelle idole au fétichisme mercantile dont notre société est vorace, mais de dresser le portrait d’un personnage remarquable qu’il serait regrettable d’oublier.
Le 20 novembre 1936, à Barcelone, deux cent cinquante mille personnes défilent pour accompagner le cortège funèbre d’un militant décédé en défendant Madrid face aux troupes fascistes du Général Franco. Il y a là beaucoup de militants de la CNT, de la FAI et d’autres organisations, mais aussi une quantité innombrable de « simples gens » venus rendre un dernier hommage à l’homme qui incarnait, mieux que d’autres, l’image de la résistance révolutionnaire du peuple espagnol contre la dictature en marche. Nombreux sont ceux qui ont les larmes aux yeux car ils sentent que l’événement sera lourd de conséquences pour la Révolution en cours. Les Sociaux démocrates et surtout les Staliniens du PCE manœuvrent pour interrompre le cours des transformations sociales dont la mise en œuvre a commencé dès juillet. Le vaste mouvement de collectivisation des terres et des entreprises qui a déferlé sur les campagnes et sur les villes importantes, à l’initiative des anarchistes, est de plus en plus malmené par le pouvoir central. Il y a toutefois quelques sérieux obstacles sur cette route de la « normalisation » : l’effectif important de la CNT anarcho-syndicaliste (un million et demi à deux millions d’adhérents ou de sympathisants) et sa forte implantation dans les couches populaires en est un ; la popularité de militants comme Durruti en est un autre. Pourtant, l’homme que l’on porte en terre au cimetière de Montjuich , célèbre pour ses exploits militaires, n’est ni un soldat de métier, ni un politicien professionnel. Il est issu d’une famille ouvrière modeste et a grandi dans un contexte social particulièrement difficile. Sa participation au mouvement révolutionnaire en cours a duré moins de six mois avant qu’il ne meure au front, atteint par une balle « perdue » (?), mais sa vie entière a été marquée par la lutte contre la bourgeoisie, les patrons et la police. Quarante années seulement, d’une existence riche en péripéties : on ne saurait limiter le portrait d’un tel homme à ce qu’il a fait au cours de ses six derniers mois, même si cette période a joué un rôle considérable sur le plan historique.
Buenaventura Durruti est né à León le 14 juillet 1896. Il va à l’école jusqu’à l’âge de 14 ans mais ne semble pas témoigner d’un intérêt très grand pour les études. Il faut dire que l’ambiance ne se prête guère à des activités studieuses. Les conflits sociaux sont nombreux et sauvagement réprimés. Son père est arrêté et emprisonné en 1903 à la suite d’un mouvement de grève et la répression frappe durement sa famille. En 1910 il rentre comme apprenti mécanicien dans un atelier, et trois ans plus tard il adhère au syndicat UGT des métallurgistes, le seul existant à León à ce moment-là : c’est véritablement le début de son activité syndicale et politique. Les dirigeants modérés de ce syndicat n’apprécient guère la présence de trublions comme Durruti. En 1917 éclate un grand mouvement de grève à l’appel de l’ensemble des syndicats espagnols. Durruti participe de façon active au mouvement, prône l’action directe et pousse ses camarades à la révolte. Cette impétuosité révolutionnaire va donner un prétexte à ses chefs pour se débarrasser de lui : il est exclu de l’UGT, et il perd également son emploi. Dans un premier temps, il s’installe à Gijon et adhère à la CNT (Confédération anarcho-syndicaliste), mais en butte à une surveillance policière constante et surtout pour échapper à la conscription, il est contraint à l’exil en France. Son séjour à Paris, où il travaille comme mécanicien, va lui permettre de rencontrer un certain nombre de personnalités anarchistes de l’époque (Sébastien Faure et Louis Lecoin, par exemple) et va donner une orientation radicale définitive à ses choix politiques. Il reste à Paris jusqu’en 1920, puis retourne en Espagne pour aider à l’organisation syndicale des ouvriers. Après un bref séjour à San Sebastian, pendant lequel il adhère à un groupe nommé « les justiciers », il se rend à Saragosse. C’est dans cette ville qu’il fait la connaissance d’Ascaso, un militant anarchiste venant juste d’être libéré de prison sous la pression populaire : les deux hommes sont très vite liés par une amitié profonde et leur destin va suivre un cheminement proche. Ascaso va disparaître le premier, en juillet 36, lors du soulèvement du peuple de Barcelone contre le coup d’état militaire. Durruti, Ascaso et quelques autres militants libertaires, parmi lesquels Garcia Oliver (futur ministre du gouvernement républicain) forment un groupe d’action clandestine, les Solidaires, pour lutter contre les milices armées organisées par le patronat et le haut clergé pour se débarrasser des militants révolutionnaires. Plusieurs exécutions de personnalités ont lieu en riposte à l’assassinat de syndicalistes et une première tentative de soulèvement populaire est en cours sur Barcelone. Ce mouvement échoue faute d’armes et de munitions en quantités suffisantes et, en septembre 1923, le dictateur Primo de Riveira prend le pouvoir.
C’est de nouveau l’exil pour Durruti et ses compagnons : France, Cuba, Mexique, puis un long périple en Amérique du Sud, marqué par une participation plus qu’active aux différents mouvements sociaux en cours. Durruti prône « l’action directe » : hold-up dans les banques pour financer le mouvement révolutionnaire, riposte armée pour contrer la répression, opérations de guérilla si nécessaire… Pour comprendre cette position, il ne faut pas oublier que dans le camp adverse, on ne fait pas dans la dentelle non plus ! Lors des mouvements de grève on envoie l’armée contre les ouvriers ; les milices patronales « liquident » les syndicalistes sans autre forme de procès. De retour en France, les militants anarchistes sont arrêtés, puis expulsés après avoir été libérés grâce à une large campagne de soutien dans laquelle s’impliquent des personnalités comme Louis Lecoin et Sébastien Faure. La cavale reprend alors en Europe : Allemagne, Belgique… puis retour à la case départ à Barcelone, après la proclamation de la République. Durruti va alors employer toute son énergie ainsi que ses talents oratoires à mobiliser le prolétariat espagnol, à le pousser à s’organiser, à lutter pour ses droits, à se joindre aux organisations anarchistes afin d’œuvrer à la mise en place d’une société plus juste et plus égalitaire. Pendant cette période, de 1931 à 1936, ses séjours en prison alternent avec les périodes de semi-clandestinité pendant lesquelles il milite avec acharnement. En mai 1936 a lieu un important congrès de la CNT. A plusieurs reprises, les orateurs essaient de mettre en garde le gouvernement de Front Populaire alors en place, contre les risques d’un coup d’état militaire, mais ces avertissements répétés ne sont pas pris en compte par le pouvoir. Durruti et ses compagnons prônent l’action directe ; puisque le gouvernement ne veut pas armer le peuple pour lui permettre de se défendre, il faut s’équiper par tous les moyens : coups de main contre les armureries et surtout saisie d’un stock d’armes important entreposées dans des bateaux dans le port de Barcelone. Le 19 juillet 1936, lorsque l’insurrection nationaliste éclate, les milices anarchistes, grâce à ces différentes réquisitions, sont en mesure d’opposer une réaction efficace à la tentative de prise de pouvoir des militaires. A Barcelone, les militants sont prêts ; ce ne sera malheureusement pas le cas dans beaucoup d’autres villes d’Espagne. Le coup d’état militaire a partiellement réussi et plusieurs provinces ou capitales de province sont aux mains des insurgés. A Barcelone, les combats ont été rapides mais meurtriers et beaucoup de camarades sont tombés.
Il faut essayer de reprendre à l’ennemi le terrain conquis, mais les moyens disponibles sont réduits et l’indécision risque de faire des ravages dans le camp républicain. Une nouvelle fois, on trouve Buenaventura Durruti aux premières loges pour organiser la riposte. Tous les militants disponibles sont mobilisés et une colonne de miliciens est constituée . La popularité de son initiateur est telle que la colonne combattante prend le nom de « colonne Durruti ». L’organisation mise en place n’a rien à voir avec celle des unités militaires traditionnelles. Les chefs sont nommés en fonction de leurs aptitudes et de leur talent organisationnel et non en fonction d’un grade quelconque ou de leur origine sociale. Ceux qui ont approché Durruti racontent que le seul signe distinctif de sa fonction dirigeante que l’homme portait au combat était une paire de jumelles autour de son cou ! Nul besoin d’un quelconque ruban, d’une barrette ou d’un insigne pour indiquer un quelconque pouvoir… Avant l’action, les décisions faisaient l’objet de décisions communes ; pendant le combat on obéissait aux ordres des camarades auxquels on avait confié cette responsabilité, en raison de leur compétence seule. Dans un premier temps, les résultats qu’obtiennent ces hommes courageux et motivés sont spectaculaires : les miliciens anarchistes et ceux d’autres formations qui les ont rejoints, libèrent l’Aragon et repoussent la ligne de front jusqu’à l’Ebre. Dans le sillage du passage de la milice, les paysans qui ne se joignent pas aux troupes combattantes collectivisent les terres et réorganisent la production agricole. Les anarchistes mènent de front la lutte contre les troupes de Franco et encouragent le changement social. Ce programme ambitieux explique sans doute la raison pour laquelle ils bénéficient d’un large soutien populaire. Il s’agit de promouvoir le changement des conditions de vie dans l’immédiat et non de promettre que « demain, on rasera gratis ». Ce choix stratégique, quasiment implicite, est à mes yeux fondamental. Le peuple espagnol ne se bat pas contre le fascisme pour une raison idéologique quelconque et dans l’attente de jours meilleurs, mais pour défendre, pied à pied, les acquis fondamentaux du bouleversement social.
Très vite, les succès remportés par les différentes colonnes de miliciens, que ce soit celle de Durruti ou la « Columna de Hierro » (colonne de fer, autre regroupement dans lequel les militants de la CNT ou de la FAI sont largement majoritaires), inquiètent le gouvernement central. Le Parti Communiste Espagnol, force politique embryonnaire jusqu’à cette période, voit les rangs de ses militants grossis par tous ceux que le mouvement révolutionnaire, les collectivisations des terres, l’auto-organisation des ouvriers, inquiète. Les Staliniens, solidement appuyés par Moscou, essaient progressivement de prendre le contrôle de la nouvelle République et plus particulièrement de l’armée. Contrôlant les approvisionnements en armes et en munitions fournis par l’URSS, ils disposent d’un moyen de pression considérable. La propagande se déchaîne : on prend prétexte de soi-disant manquements aux ordres des colonnes de miliciens libertaires pour restreindre leurs approvisionnements, puis dénoncer leurs faiblesses et leur inorganisation. Le gouvernement, largement contrôlé par les socialistes du PSOE et par les communistes du PCE, avec la présence de quelques « ministres » anarchistes relégués à des postes de figuration, pèse de tout son poids pour que les Républicains, abandonnant tout projet de changement social à court terme, mettent toute leur énergie dans la lutte militaire contre les sbires du Général Franco. Le gouvernement veut mettre au pas les colonnes de miliciens et les intégrer dans une armée structurée de façon traditionnelle ; ceci provoque la colère des militants libertaires qui ont le sentiment d’être pris en tenaille entre deux camps. Ainsi que je l’ai signalé, la CNT et la FAI (Fédération Anarchiste Ibérique) représentent une force considérable et bénéficient d’un large soutien populaire. Les communistes doivent donc agir avec « doigté » ; on invente des prétextes pour « soumettre » une à une les unités combattantes (la Colonne Durruti n’est pas la seule à se rebeller contre l’idée de « militarisation ») et, à l’occasion, on élimine physiquement les militants les plus gênants (emprisonnement et/ou exécution pour « trahison »). Une police politique efficace se met en place suivant les conseils de la redoutable « tcheka » soviétique. Avec le mouvement trotskyste, le POUM, nettement moins important et véritable « bête noire » de Staline, les responsables du PCE ne prennent pas de gants et on assiste à une véritable politique d’élimination systématique des militants.
En octobre-novembre 1936, les forces du Général Franco lancent une violente offensive contre la capitale, Madrid. La situation est jugée désespérée et le gouvernement républicain quitte la ville. La Colonne Durruti est appelée en renfort, et l’Etat Major lui confie la responsabilité de défendre l’un des quartiers les plus menacés de la ville. Madrid résiste. Les combats vont durer jusqu’en mars 1937, mais, dans un premier temps, les Nationalistes ne réussiront pas en s’en emparer. Durruti meurt dès le début de l’affrontement : il n’a pas été possible de déterminer de quel camp venait la balle qui l’a tué et s’il s’agissait d’un accident, d’un assassinat délibéré ou d’une mort au combat. Les hypothèses les plus diverses ont été évoquées, de l’explosion de son fusil à l’assassinat délibéré, en passant par le tir malencontreux de l’un de ses lieutenants… Ce qui est certain c’est que sa disparition va provoquer un grand émoi populaire mais va marquer aussi le début d’une reprise en main du mouvement révolutionnaire par les forces les plus conservatrices qui trônent au gouvernement. Durruti vivant, le pouvoir prenait quelques précautions dans ses tentatives pour faire avorter la révolution. Durruti mort, les anarchistes vont devoir céder du terrain et la « petite bourgeoisie » inquiète va pouvoir se ressaisir tranquillement. Je ne veux pas dire en tenant ces propos que Durruti incarnait à lui seul le soulèvement populaire – ce genre de comparaison aurait sans doute provoqué sa colère – mais simplement insister sur le fait que sa personnalité a joué un rôle considérable dans les débuts de la révolution espagnole. Pour reprendre une formule consacrée, Durruti était un « meneur d’hommes », et possédait, bien qu’il n’en eut jamais tiré aucune gloire personnelle, les qualités requises pour occuper ce genre de position. En résumé, la disparition de cet éternel insoumis a été une perte considérable pour l’ensemble du mouvement. Cela explique en grande partie les multiples interrogations qui ont suivi les circonstances de sa mort…
En guise de conclusion, voici le portrait de Durruti dressé par l’un de ses compagnons de route, Karl Einstein, chargé de prononcer l’éloge funèbre lors des obsèques à Barcelone (le texte complet peut être lu à cette adresse) :
« Durruti avait profondément compris la force du travail anonyme. Anonymat et communisme ne font qu’un. Le camarade Durruti agissait en marge de toute la vanité des vedettes de gauche. Il vivait avec les camarades, luttait comme compagnon à leurs côtés. Exemple lumineux, il nous remplissait d’enthousiasme. Nous n’avions pas de général, mais la passion du lutteur, la modestie profonde (effacement entier) devant la grande cause de la révolution qui brillaient dans ses bons yeux, inondaient nos cœurs et les faisaient battre à l’unisson avec le sien, qui continue à vivre parmi nous dans la montagne. Toujours nous entendons sa voix : “ Adelante, adelante ! ” Durruti n’était pas un général, il était notre camarade. Cela manque de décorum ; mais dans notre colonne prolétarienne on n’exploite pas la révolution, on ne fait pas de publicité. On ne songe qu’à une chose : la victoire et la révolution. »
19novembre2009
Posté par Paul dans la catégorie : les histoires d'Oncle Paul; Petites histoires du temps passé.
« Le sauvage que M. de Bougainville a ramené de l’île qu’il a découverte est arrivé à Paris ; il est d’une couleur basanée, assez doux, mais triste, il porte sur ses fesses des marques de noblesse qu’on imprime, dans ces pays-là, avec un fer chaud comme on fait aux chevaux dans nos climats. On a eu beaucoup de peine à le déterminer à s’habiller, précisément parce que cela cacherait son extraction distinguée et qu’il croyait qu’on en aurait moins d’égards pour lui. »
Ce sauvage si pittoresque se nomme Aotourou. Il est le fils d’un chef sur l’île de Tahiti et a été volontaire pour accompagner Mr de Bougainville lors de son voyage retour en France. Le grand explorateur lui a promis de lui faire visiter son pays puis de le renvoyer sur son île natale. Nous sommes en avril 1769 et la bonne société ébahie se prend de passion pour ce personnage si singulier. Certes notre brave Tahitien n’est pas le premier personnage exotique présenté à la cour des rois, mais n’empêche… Tout le monde veut le voir, le toucher et s’entretenir avec lui. Dans une publication de l’époque « le Mercure de France », on peut lire cette description grandiloquente : Il incarne « l’état de l’homme naturel, né essentiellement bon, exempt de tout préjugé et suivant, sans défiance comme sans remords, les douces impulsions d’un destin toujours sûr parce qu’il n’a pas encore dégénéré en raison. » Cet article est intéressant car il donne en quelque sorte le ton de ce qui va être dit et écrit ensuite sur le sujet. M. de Bougainville est convaincu de réaliser un joli « coup promotionnel » pour l’ouvrage qu’il compte publier peu après son retour : « voyage autour du monde ». Il lui faudra cependant attendre près de deux années avant que son projet aboutisse et il semble que la présentation d’Aotourou dans les salons ait eu plus d’influence sur la naissance du « mythe tahitien » que l’ouvrage de Bougainville lui-même. L’explorateur est persuadé d’avoir découvert l’île de Tahiti, mais il doit rapidement déchanter : deux navigateurs britanniques ont mouillé dans ces eaux peu de temps auparavant ; il s’agit du prestigieux James Cook et du moins célèbre Samuel Wallis. Les coordonnées de cette terre sauvage et paradisiaque restent cependant « secret d’Etat » mais cela ne va qu’exciter encore plus la curiosité des continentaux. Les langues vont bon train et les nombreuses descriptions des mœurs des Indigènes rapportées par les membres de l’expédition excitent l’imagination des contemporains, aussi bien dans les salons parisiens que dans les antichambres de Versailles. Dans leurs divers témoignages, Bougainville, Commerson, livrent un portrait des mœurs sexuelles des Tahitiens qui tranche quelque peu avec les pratiques dites « civilisées ». On trouve dans le récit de Bougainville deux passages particulièrement éloquents que je me fais le plaisir de vous citer :
« Tous venaient en criant tayo, qui veut dire ami, et en nous donnant mille témoignages d’amitié; tous demandaient des clous et des pendants d’oreilles. Les pirogues étaient remplies de femmes qui ne le cèdent pas, pour l’agrément de la figure, au plus grand nombre des Européennes et qui, pour la beauté du corps, pourraient le disputer à toutes avec avantage. La plupart de ces nymphes étaient nues, car les hommes et les vieilles qui les accompagnaient leur avaient ôté le pagne dont ordinairement elles s’enveloppent. Elles nous firent d’abord, de leurs pirogues, des agaceries où, malgré leur naïveté, on découvrit quelque embarras; soit que la nature ait partout embelli le sexe d’une timidité ingénue, soit que, même dans les pays où règne encore la franchise de l’âge d’or, les femmes paraissent ne pas vouloir ce qu’elles désirent le plus. Les hommes, plus simples ou plus libres, s’énoncèrent bientôt clairement: ils nous pressaient de choisir une femme, de la suivre à terre, et leurs gestes non équivoques démontraient la manière dont il fallait faire connaissance avec elle. Je le demande: comment retenir au travail, au milieu d’un spectacle pareil, quatre cents Français, jeunes, marins, et qui depuis six mois n’avaient point vu de femmes? Malgré toutes les précautions que nous pûmes prendre, il entra à bord une jeune fille, qui vint sur le gaillard d’arrière se placer à une des écoutilles qui sont au-dessus du cabestan; cette écoutille était ouverte pour donner de l’air à ceux qui viraient. La jeune fille laissa tomber négligemment un pagne qui la couvrait, et parut aux yeux de tous telle que Vénus se fit voir au berger phrygien: elle en avait la forme céleste. Matelots et soldats s’empressaient pour parvenir à l’écoutille, et jamais cabestan ne fut viré avec une pareille activité. »
« Chaque jour nos gens se promenaient dans le pays sans armes, seuls ou par petites bandes. On les invitait à entrer dans les maisons, on leur y donnait à manger; mais ce n’est pas à une collation légère que se borne ici la civilité des maîtres de maisons; ils leur offraient des jeunes filles; la case se remplissait à l’instant d’une foule curieuse d’hommes et de femmes qui faisaient un cercle autour de l’hôte et de la jeune victime du devoir hospitalier; la terre se jonchait de feuillage et de fleurs, et des musiciens chantaient aux accords de la flûte un hymne de jouissance. Vénus est ici la déesse de l’hospitalité, son culte n’y admet point de mystères, et chaque jouissance est une fête pour la nation. Ils étaient surpris de l’embarras qu’on témoignait; nos mœurs ont proscrit cette publicité. Toutefois je ne garantirais pas qu’aucun n’ait vaincu sa répugnance et ne se soit conformé aux usages du pays. »
On comprend que Diderot n’ait pu résister à l’envie de philosopher à son tour sur un tel pays de Cocagne. On lui doit ce jugement enthousiaste : « Le Tahitien touche à l’origine du monde, et l’Européen touche à sa vieillesse. » L’engouement de Diderot est profond, et nullement motivé par un effet de mode passager. Selon l’un de ses biographes, Jean Valoot, « Ce qui intéresse Diderot à Tahiti, ce n’est pas, bien sûr, l’exotisme, le folklore, le paysage. C’est le conflit entre le code de la société européenne suivi par les « voyageurs » et le code d’une société telle qu’il serait ou pourrait être celui de la nature, c’est-à-dire plus conforme au véritable intérêt des individus. »
En 1772, Diderot rédige un « Supplément au voyage de Bougainville », un conte rédigé sous la forme d’un dialogue entre deux personnages, qui ne sera publié qu’à titre posthume, en 1796. Les deux protagonistes du récit sont l’aumônier de l’expédition et le chef Orou son hôte. Tous deux ont le même âge, mais leur culture diffère quelque peu ; l’un est célibataire et l’autre père de trois filles charmantes. Orou offre l’une de ses quatre femmes à son pensionnaire pour agrémenter ses nuits, mais il se heurte à un refus. L’aumônier motive sa décision par sa religion, son état, les bonnes mœurs et l’honnêteté… Une discussion s’engage entre les deux hommes à ce propos. Le prêtre explique à Orou ce qu’est la religion et le Tahitien lui répond en démontrant que les principes divins sont contraires à la Nature et à la Raison… On ne manquera pas, évidemment, de reconnaître celui qui s’exprime par la bouche du « bon sauvage ». Les propos que l’on trouve dans l’extrait suivant n’ont guère perdu de leur actualité :
« C’est par la tyrannie de l’homme, qui a converti la possession de la femme en une propriété. Par les mœurs et les usages, qui ont surchargé de conditions l’union conjugale. Par les lois civiles, qui ont assujetti le mariage à une infinité de formalités. Par la nature de notre société, où la diversité des fortunes et des rangs a institué des convenances et des disconvenances. Par une contradiction bizarre et commune à toutes les sociétés subsistantes, où la naissance d’un enfant, toujours regardée comme un accroissement de richesse pour la nation, est plus souvent et plus sûrement encore un accroissement d’indigence dans la famille. Par les vues politiques des souverains, qui ont tout rapporté à leur intérêt et à leur sécurité. Par les institutions religieuses, qui ont attaché les noms de vices et de vertus à des actions qui n’étaient susceptibles d’aucune moralité. Combien nous sommes loin de la nature et du bonheur ! »
Aotourou débarque dans la capitale française, en pleine explosion des Lumières. Peu de sujets sont tabous ; les débats sur la condition humaine, sur la Nature, l’essence des lois divines, la liberté… vont bon train. Le pauvre homme vient en quelque sorte « épicer » le débat de par sa présence. Je dis « le pauvre » car il ne survit pas à son voyage retour et décède sur l’île de Madagascar, le 6 novembre 1771. En réalité, on ne possède que peu de détails sur le séjour d’Aotourou en France, et, une fois reparti, son nom est vite tombé dans l’oubli.
On possède beaucoup plus d’informations sur le séjour de l’un de ses congénères, Omaï. Ce Polynésien accompagna James Cook et séjourna trois années complètes à Londres. La présence d’Omaï suscita au moins autant de curiosité que celle d’Aotourou et entraina la publication d’un grand nombre d’ouvrages de toutes sortes, mémoires, témoignages ou simples articles de presse. Le récit de voyage que publie Cook obtient aussi un succès nettement plus considérable que celui de Bougainville. Omaï est né à Raiatea vers 1751. A l’âge de 22 ans, il sert d’interprète à bord du HMS Adventure. En 1774, il se rend à Londres et il est présenté au roi George III. Intégré à la haute société britannique, il participe régulièrement à la vie mondaine : bals, dîners, opéras… Il devient une véritable source d’attraction, et participe largement lui aussi à la création du mythe du « bon sauvage ». Il joue aux échecs, apprécie l’opéra et s’intéresse à toutes sortes de questions. Une pièce de théâtre de l’écrivain John O’Keefe lui est entièrement consacrée quelques années après son départ. Cook bénéficie largement du prestige que lui apporte la présence du jeune Polynésien. Omaï a plus de chance qu’Aotourou puisqu’il retourne à Tahiti, accompagnant l’explorateur lors d’une troisième expédition que celui-ci n’aura aucun mal à financer. Cook fait construire une somptueuse demeure en bois à son ami tahitien. Celui-ci s’y installe et y dépose les monceaux de cadeaux qu’il a rapportés de la capitale anglaise. Son séjour dans la « civilisation » l’a cependant coupé des autres insulaires et il est de plus en plus isolé. Omaï meurt en 1779 et il est très vite oublié par la population locale. C’est en Europe que notre « bon sauvage » est resté le plus célèbre… Les sources documentaires (tableaux, œuvres littéraires, articles de revues..) sont nettement plus abondante à son sujet qu’à propos d’Aotourou.
Au XIXème siècle, le mythe du « paradis terrestre » en Polynésie perd quelque peu de son importance. Il faut dire que la situation a beaucoup évolué. Au contact des colonisateurs européens, toujours plus nombreux, les mœurs locales perdent peu à peu cette « légèreté » qui avait tant impressionné Bougainville, Diderot et leurs contemporains. Dans son encyclopédie « l’homme et la terre », publiée en 1908, le géographe Elysée Reclus dresse un portrait beaucoup moins idéaliste des mœurs et des coutumes polynésiennes. Il analyse longuement le rôle joué par les colons et surtout par les missionnaires dans la disparition quasi avérée des traditions les plus importantes ainsi que dans la baisse démographique conséquente des populations… Les Européens, soucieux d’imposer leur culture, n’ont guère respecté le « paradis » qu’ils pensaient avoir découvert…
«… Combien déjà les Polynésiens que nous décrivirent Cook et Bougainville, Moerenhout et Fornander, sont devenus tout autres ! Ainsi la mode du tatouage, que les insulaires de la mer du Sud, surtout les Maori de la Nouvelle-Zélande, les gens de Tahiti, de Samoa, des Sandwich avaient élevée à la hauteur d’un grand art, cette mode a presque complètement disparu, si ce n’est dans les îles les plus malheureuses, les Marquises. […] A cet égard, la transformation peut donc être considérée comme définitive : actuellement les Polynésiens placent leur coquetterie dans le vêtement comme ils la plaçaient autrefois dans l’ornement pictural du corps librement exposé aux regards. »
Le mythe créé par les grands explorateurs du XVIIIème siècle et alimenté par le voyage d’Aotourou et celui d’Omaï, ainsi que par les écrits de Diderot, est bien écorné. Quelques peintres vont essayer de lui redonner une âme, mais la triste réalité a pris le pas sur une vision romantique de ce monde.
NDLR : une autre chronique de ce blog évoque le voyage de Mr de Bougainville. Il s’agit de « Jeanne Baret, première femme à avoir fait le tour du monde« .