10avril2010

Petite pause printanière

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour....

chantier-en-cours Ce n’est pas l’inspiration qui manque, mais je suis un peu débordé en ce moment et je ne peux boucler la rédaction de mes textes comme je souhaiterais le faire ; je vais donc marquer une petite pause d’environ une semaine dans ma production écrite. La publication des chroniques devrait reprendre de façon plus régulière à partir de la fin de semaine prochaine. Je fais face simultanément à deux gros chantiers qui me prennent une part considérable de mon temps : d’une part le redémarrage printanier du jardin, vaste travail compliqué par une météo des plus chaotique ; d’autre part la construction d’un local technique annexe à la maison destiné à abriter une « chaufferie » (chaudières, ballons divers, mais point d’alambic encore…). Maçonnerie, charpente et jardinage occupent le devant de la scène et je n’ai plus guère de temps pour écrire et même (tristesse passagère) pour jouer de l’accordéon. D’ici quelques jours, le gros œuvre sera bâti ; d’ici quelques semaines, le bâtiment sera couvert ; la suite ne dépendra donc plus que de la bonne volonté de mon plombier et plus de la mienne. Je retrouverai un peu plus de sérénité et je pourrai me consacrer au blog avec plus d’attention. Bien entendu, je lis toujours vos remarques avec beaucoup d’intérêt. Ne vous privez donc pas d’enrichir les dernières (ou avant-dernières) chroniques avec vos commentaires ! Quand le front sera plus calme, je vous donnerai quelques nouvelles de nos arbres et de nos projets et constructions 2010. Profitez des quelques rayons de soleil qui s’annoncent pour aller découvrir un peu la nature : le spectacle qu’elle offre au printemps est  certainement le plus beau et le plus émouvant de l’année.

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5avril2010

La chasse d’eau, un ennemi sournois, face auquel il faut rester vigilant

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour....

Petit conte pascal à prétentions éducatives

J’ai toujours rêvé de devenir un écrivain de littérature dite populaire. J’ai sans doute été marqué par ma longue fréquentation d’auteurs comme Michel Zévaco, Maurice Leblanc ou le captain W.E. Johns (bien que je ne mette pas ces trois auteurs dans le même panier !). J’espère un jour arriver à trouver un personnage récurrent qui soit à la hauteur de mes fantasmes, un nouveau Bayard, un Robin des bois dauphinois, ou un Arsène Lupin un peu moins snob que celui de Leblanc. Faute d’avoir l’imagination, le courage et le sens du devoir qui me permettent d’arriver à mes fins, il m’arrive bien souvent de choisir comme héros le simple monsieur Toulemonde dans la peau duquel je passe bien du temps, peut-être un peu trop à mon goût ! Je vais donc vous conter l’aventure de ce Monsieur Toulemonde, combattant un ennemi aussi redoutable que sournois : la chasse d’eau, une créature venue de l’au-delà technologique dont il semble que les méfaits ne cesseront jamais. Je suis bien conscient, en écrivant ce texte, que je fournis une arme redoutable aux militants du camp des toilettes sèches. Tant pis, je préfère courir ce risque plutôt que de garder le silence. J’ai besoin d’exorciser le trouble existentiel qui s’est abattu sur moi dans ces temps où les périls les plus redoutables semblent me guetter à chaque coin de rue.

wc-terroriste La chasse d’eau, me direz-vous, mais n’a-t-on pas d’autres ennemis redoutables à affronter dans notre quotidien ? D’aucuns n’hésiteront pas à ramener au premier plan la bouteille de gaz ou celle de pastis, le crash de disque dur ou la panne de connexion internet, la grève des cheminots ou les enseignants qui refusent de garder les gosses pendant les vacances scolaires… Que nenni ! D’abord soyons clairs, nous ne sommes pas, dans ce blog, dans le domaine du micro-trottoir au journal de 20 h, et ne comptez pas sur moi pour mélanger tout et n’importe quoi. Même si les sujets que j’aborde dans mes chroniques peuvent parfois laisser planer quelques doutes, j’ai quand même quelques convictions sociales… je ne toucherai donc ni aux profs ni aux employés de la SNCF. Je pense également que lorsque l’on a des addictions, un petit sevrage de temps en temps ne peut pas faire de mal : je ne dirai donc rien non plus sur l’informatique. Le sujet est d’ailleurs devenu d’une banalité navrante : « c’est la faute à l’ordinateur »… Pas moyen d’avoir un prix, un renseignement, une information sérieuse quand « l’informatique ne fonctionne pas ». Les anecdotes sont suffisamment nombreuses pour que je n’en rajoute pas une louche. Restent enfin la bouteille de gaz ou celle de pastis… Là je serai formel : rien de comparable ! Un homme organisé a toujours une bouteille de l’un de ces deux composants essentiels en réserve dans sa cave ou dans son placard. Si l’homme n’est pas assez organisé pour ça, il n’a qu’à se faire remplacer par la femme qui possèderait – parait-il – un hémisphère cérébral de plus. Bref monsieur Toulemonde ou monsieur Toutunchacun ont la possibilité d’avoir une rechange en réserve… Vous qui me lisez, avec un sourire sardonique à peine dissimulé derrière le masque impassible de votre visage de marbre, soyez francs : avez-vous une chasse d’eau de rechange en réserve pour vos toilettes ? Non ? Alors cessez de faire le/la malin/e. Lisez le paragraphe suivant, partagez ma douleur, ayez pour une fois un peu de compassion dans votre attitude !

outillage-du-commando Mon comportement étant comparable en beaucoup de points à celle de monsieur Toulemonde, le héros du jour, j’attends toujours la dernière minute pour régler les problèmes qui ne me passionnent guère ou qui m’inquiètent profondément. Je reconnais donc que mon dernier incident de chasse d’eau n’est pas tout récent et que cela fait bien un mois que les lâches embuscades et les harcèlements mesquins se succèdent. J’ai bien envoyé deux ou trois missions diplomatiques (notez au passage que j’omets le jeu de mot vulgaire « miction diplomatique ») dans les toilettes pour prêcher la bonne parole et inviter mon adversaire à dialoguer et à s’intéresser à ce phénomène passionnant qu’est la démocratie. J’ai proposé à la chasse d’eau de la débarrasser de son calcaire, d’augmenter sa ration quotidienne (je me moque de la consommation d’eau, car j’ai la chance d’avoir une source), de ne plus jamais lui adjoindre ces horribles produits verts ou bleus qui font croire à l’occupant des toilettes qu’il séjourne au bord de l’océan… J’ai fait énormément de concessions sans résultat. Avant de napalmiser ou de nucléariser le problème afin que cette maudite cuvette de WC comprenne bien qu’en démocratie ce sont toujours les démocrates qui gagnent, j’ai décidé d’envoyer une force d’intervention équipée de clefs à molette, de pinces multi-prises et autres armements à précision chirurgicale. J’ai bien entendu choisi un moment opportun pour agir : le samedi de Pâques, en me disant que si mon travail manquait un peu de savoir vivre (étant sans doute agrémenté de quelques jurons bien sonores), cela n’avait pas d’importance parce que les regards étaient tournés vers l’agneau pascal en train d’agoniser…

tirer-la-chasse-deau Avant l’arrivée de mon commando, j’avais un seul problème majeur : l’eau n’arrivait plus dans la chasse. J’étais confiant car mon adversaire avait déjà usé du même procédé un an auparavant et je l’avais battu à plate couture sur son terrain, en dénichant un petit morceau de plastique blotti dans la canalisation, au niveau du robinet, juste pour empêcher la libre circulation de l’eau dans la conduite. Le problème avait été réglé en deux temps, trois mouvements, un bobo et une douzaine de termes que les académiciens pourraient qualifier de grossiers. Un peu de désinfectant sur les blessures diverses récoltées dans cet échange de horions, avait permis d’éviter toute séquelle après le coup de main rageur. Me voilà donc parti à démonter le robinet, puis le tuyau, et enfin la chasse elle même, pour m’apercevoir, comme de bien entendu, que j’avais traité le problème à l’envers et que c’était la dernière pièce à laquelle j’avais accédé qui était la source de mes désagréments. Le redoutable engin en plastique, une fois démonté, détartré, huilé, bichonné… ne marchait toujours pas. Que fait-on, dans un cas pareil ? On court au magasin de bricolage le plus proche pour racheter la pièce incriminée, bercé par cette illusion que l’équivalent neuf une fois ajusté, l’incident sera réglé. Une veille de Pâques il faut agir vite, donc départ précipité avec (au passage) coup de pied dans le couvercle de la susnommée chasse d’eau qui se casse en deux. Arrivée au magasin, recherche accélérée de la pièce adaptée dans son magnifique emballage jetable… pendant un moment j’hésite : et si je changeais la chasse d’eau complète (cuvette et récipient) ? Détail d’importance, on ne peut plus acheter une chasse d’eau complète indépendamment de la cuvette de WC. « De nos jours, monsieur, on change le bloc complet, c’est à peine plus cher… les chasses d’eau c’est uniquement sur commande… une à deux semaines de délai… » Bon j’ai compris. D’ici quelques temps il faudra sans doute racheter le local complet, monobloc, porte incluse… Je me rabats donc sur un mécanisme et un tube de colle pour porcelaine (eh oui que voulez-vous ?).

chasse-deau Retour à la maison. Je traite d’abord les dégâts colatéraux et je m’aperçois, à mon grand étonnement, que la colle choisie semble opérer correctement. Je redémonte ma petite plomberie préférée et j’installe le nouveau boitier blanc immaculé en plastique de première qualité. Première satisfaction, une fois remise en eau, ni le robinet ni les raccords de tuyauterie ne fuient, ce qui est quasi-miraculeux. L’eau arrive à flots dans la cuvette qui se remplit, se remplit, se remplit…. sans que la vanne de fermeture automatique ne vienne porter un terme au phénomène. Bof, pensais-je, simple question de réglage… Il est d’ailleurs fait mention, sur l’emballage de l’objet, d’une notice détaillée ayant pour objectif de guider l’apprenti plombier dans sa démarche… Pas de notice ! Plus rien dans l’emballage d’ailleurs. Pas de problème, fier descendant en droite ligne du preux chevalier Bayard, je ne vais pas me laisser turlupiner par une vanne capricieuse. Je règle, je dérègle, je visse, je dévisse, j’observe, j’écoute, je remonte avec délicatesse… Rien… L’eau coule toujours à flots et refuse obstinément de s’arrêter un jour… Il est fort probable que j’ai acheté – à prix d’or – un gadget cassé ou incomplet, remis en rayon par un client à la solde du terrorisme international. Inutile d’espérer changer quoi que ce soit avant mardi. Je ferai avec. Après tout j’ai bien un robinet derrière la cuvette pour ouvrir ou couper l’eau selon mon caprice du moment. Il est probable que les invités de fin de semaine n’apprécieront pas particulièrement de trafiquer à quatre pattes dans les toilettes… Mais bon ; je n’y suis pour rien ; il y a un moment où, face à l’ennemi intérieur, on doit savoir opérer un repli stratégique. Hélas, mes ennuis ne s’arrêtent pas là : le fameux robinet, furieux d’avoir été démonté et remonté plusieurs fois, ne coupe plus l’eau totalement mais laisse passer un filet qui va devenir problématique pendant la nuit. Il faut donc bricoler un système pour bloquer la misérable chasse ouverte pendant la nuit. Je passe un coup de téléphone à Mac Gyver qui me suggère d’insérer un manche extra plat de petite cuillère juste à l’endroit critique. Ça marche. Je suis épuisé par ce combat titanesque entre l’homme et la machine…

jonquille Il y a, au milieu de mon jardin, une touffe de jonquilles qui avait refusé de fleurir l’an dernier, mais qui est absolument splendide cette année. Quand l’énergumène qui s’occupe de la chasse d’eau céleste aura fini ses travaux de plomberie météorologiques, nul doute que je reprendrai mes activités agricoles. A part les rats et les limaces qui me causent toujours quelques soucis, le jardinage, c’est quand même plus reposant. Mardi, je retournerai chez les maudits épiciers de Tarnac qui tiennent le magasin de bricolage, et je leur dirai tout le bien que je pense de leurs gadgets sous blister. D’ici là, suivant le conseil donné par mon psychoplombiéthérapeute, je vais rédiger une chronique pour mon blog. Il paraît que c’est important d’extérioriser les problèmes pour les exorciser. Personnellement, ce qui me ferait le plus grand bien je crois, c’est d’externaliser la totalité des travaux de plomberie ! Bon retour au boulot mardi !

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1avril2010

Noces de Cana, canna (bis) et canne à sucre

Posté par Paul dans la catégorie : Delirium tremens; les histoires d'Oncle Paul.

devanture-restaurant Le restaurant ne payait pas de mine. La devanture aurait mérité un grand ménage de printemps. Cela faisait tellement longtemps que les lettres n’avaient pas été repeintes. Il fallait deviner que le N, O… C,A,N,… que l’on déchiffrait péniblement correspondait en fait au patronyme de l’établissement : « aux noces de Cana ». Allusion au célèbre épisode figurant  dans l’évangile de Jean ? Personne n’en savait rien. La proximité de la cathédrale avait sans doute influencé le propriétaire du restaurant. Il devait penser qu’une petite allusion religieuse encouragerait les fidèles à donner un coup d’œil curieux à l’intérieur de la salle. On ne voit d’ailleurs pas trop ce qu’ils auraient pu observer d’autre : depuis des années, plus aucun menu n’était affiché sur le trottoir. Tout cela ne paraissait guère engageant, et pourtant… Le dimanche, comme pendant la semaine, le soir comme le midi, une queue se formait sur le trottoir, devant la porte, sous l’œil goguenard des gargouilles de la cathédrale. Les premiers arrivés avaient une place, les suivants avaient une chance d’en trouver une au second service, mais dès que la queue dépassait une dizaine de clients dans la ruelle, les afficionados savaient qu’il fallait passer son tour et revenir tenter sa chance à une autre occasion. La clé du succès des « Noces de Cana » était simple : on y mangeait fort bien, on y buvait encore plus, et, selon la rumeur, le nuage de fumée qui flottait au dessus des tables, juste après le dessert, ne sentait ni le tabac brun ni l’amsterdamer. Cette fumée exhalait une douce odeur de cannabis. Malgré ces rumeurs sulfureuses, il semblait que le patron n’ait jamais été inquiété, ni par la police qui ne rôdait guère dans le quartier, ni par les esprits saints de la paroisse qui avaient bien d’autres motifs de préoccupation. Les « Noces de Cana » étaient, en quelque sorte, une zone de non droit, un paradis dont l’accès n’était point soumis à des règles morales trop strictes.

cherubin Il ne fallait pas pénétrer dans cette antre du diable si l’on recherchait un peu de tranquillité, et encore moins si l’on exigeait une quelconque intimité. Ces deux qualités ne figuraient pas au menu de l’auberge. La salle n’était pas très grande et une seule tablée, en forme de fer à cheval, occupait l’essentiel de l’espace. Au centre, le patron ménageait un espace qu’il réservait aux musiciens de passage ou aux conteurs de bonnes histoires. Un vieil orgue de barbarie trônait sur une petite estrade, témoignant de la vocation artistique de cette zone centrale. En fait, on venait « aux noces de Cana » quand on avait envie de rencontres, de plaisirs partagés et de gastronomie souriante. La cuisine était simple mais les mets les plus ordinaires étaient cuisinés avec habileté. Ce n’était pas le patron qui s’occupait de la partie alimentaire. Deux femmes officiaient dans la cuisine ; les clients qui étaient dans les petits papiers du maître des lieux prétendaient qu’il s’agissait de sa mère et de son épouse. Sa principale occupation consistait à saluer les visiteurs – il avait toujours un mot aimable pour chacun – et à leur servir à boire. Si l’on mangeait beaucoup dans ce restaurant, on y buvait encore plus. Il n’y avait qu’un seul vin à la carte ; on ne savait pas quelle était sa provenance (nulle étiquette sur les carafes) mais les clients les plus exigeants reconnaissaient qu’il était à la fois facile à boire, fort gouleyant, très fruité, sans âpreté excessive au palais. C’était un cru, mais on ne savait pas qui le mitonnait. On buvait une grande gorgée, puis on faisait claquer sa langue, l’air satisfait, l’œil luisant, et les propos échangés à ce moment précis avaient toujours un peu la même teneur : le vigneron qui mitonnait un tel breuvage dans ses chais était non seulement un professionnel, mais surtout un amoureux du vin. On ne pouvait pas réaliser un prodige pareil, du bout des doigts, l’air indifférent, en se contentant de manipuler quelques tubes à essais. Nul ne s’était jamais plaint d’ailleurs que le vin servi « aux noces de Cana » ne l’ait rendu malade, ce qui prouvait que son éleveur n’usait d’aucun artifice chimique dans sa préparation.

a-boire Si je vous laisse penser que l’on ne servait que ce breuvage aussi rouge que divin dans ce singulier restaurant, je pêcherais par omission. Le patron avait un autre atout dans sa manche : lorsqu’il était de bonne humeur, ou lorsque la conjonction astrale lui paraissait satisfaisante, il servait, à l’apéritif, une préparation maison à base de rhum, de sirop de canne à sucre et d’autres ingrédients mystérieux. Ce breuvage était conçu selon une recette très rigoureuse que lui avait transmise sa vieille grand-mère. Selon les occasions et surtout selon son humeur, le patron brodait sur cette trame simple, des histoires toutes plus saugrenues les unes que les autres, et il était quasiment impossible de discerner le vrai du faux dans son récit tant son imagination était débordante. Ce qui est sûr c’est qu’au bout d’un verre ou deux de ce satané « carburant », on larguait les amarres et on se prenait très vite pour quelqu’un d’autre, selon son penchant naturel : certains devenaient prophètes, prêts à défendre n’importe quelle cause perdue ; il y en avait qui grimpaient au mas de misaine et se croyaient entourés de corsaires prêts à l’abordage ; d’autres enfin buvaient les paroles du patron jusqu’à plus soif en sirotant leur apéro. A la deuxième ou à la troisième tournée, ils étaient mûrs à point et prêts à répéter ce qu’avait expliqué leur hôte, comme s’il s’agissait de paroles d’évangile. Il faut dire que l’homme avait un sacré bagout et qu’il aurait réussi à vendre une paire de skis à un paralytique. Sa voix, d’un timbre agréable, savait prendre des inflexions charmeuses auxquelles il était difficile de résister. Selon la rumeur, il ne s’énervait jamais, et n’avait jamais eu le moindre geste déplacé à l’égard de quiconque, même lorsque l’attitude d’un client, après une beuverie quelque peu excessive, nécessitait une intervention énergique.

alignement-de-facades Une seule fois, on s’en souvient, il avait perdu son calme : une serveuse, nouvellement embauchée, avait pris l’initiative de remplir elle-même le pichet de vin à la futaille qui trônait près de la porte des cuisines. La pauvrette ne savait visiblement pas qu’elle avait commis un crime de lèse-majesté. Le patron avait ce privilège et tenait à le conserver. L’incident, pourtant mineur, avait fait grand bruit : lorsque la pauvre jeune fille avait servi les clients assoiffés et impatients, le premier d’entre-eux, une grande gueule, s’était mis à hurler qu’il n’avait pas l’habitude de boire de l’eau à table et qu’il exigeait du vin. Il pensait que la serveuse lui avait joué un mauvais tour et il le prenait fort mal. Le ton montait car la demoiselle n’avait pas l’intention de se laisser faire. Lorsque le patron revint dans la salle après une brève absence, il y avait un fameux tumulte. Il comprit tout de suite ce qui s’était passé. Il reprit le pichet, d’un geste nerveux, et s’en servit pour arroser les plantes vertes. Il retourna ensuite le remplir au robinet du tonneau et revint, lui-même, servir le client irascible. Certains furent un peu troublés du fait que le même contenant puisse à la fois servir de l’eau ou du vin, mais l’air agacé du patron coupa court à toute envie de discussion. Le niveau sonore redevint plus conforme aux habitudes. Néanmoins, ceux qui mangeaient à l’extrémité de la table se rendirent compte que la serveuse passait un mauvais quart d’heure. D’aucun prétendirent même qu’elle partit pleurer discrètement dans les cuisines. Le patron des Noces de Cana n’était pas un mauvais employeur puisqu’elle ne fut pas licenciée et qu’on la retrouva, dès le lendemain, à son poste. Ce qui est clair, c’est qu’elle n’empiéta plus jamais sur le domaine réservé du maître de maison et se contenta de servir et desservir les plats. Personne ne put jamais lui soutirer la moindre information concernant cette affaire, et, pendant quelques temps, les spéculations allèrent bon train.

temoins-de-moralite Mon vieil ami Michel, qui fréquentait régulièrement l’établissement, voulait absolument savoir quel marchand de vin ravitaillait les Noces de Cana. Dans la mesure où ses occupations nombreuses lui en laissaient le temps, il fit le guet à plusieurs reprises, tôt le matin, pour observer le bal des livreurs : jamais il ne vit passer le moindre marchand de boissons. Le seul phénomène curieux qu’il observa un jour, c’est le stationnement, devant l’auberge, d’une carriole tirée par un âne. Un vieux paysan déchargeait tranquillement quelques bottes de paille qu’il descendait ensuite précautionneusement à la cave, en empruntant un escalier situé dans la courette intérieure du restaurant. Cette livraison insolite le découragea définitivement. Il renonça à savoir d’où provenaient les substances étranges et les boissons alcoolisées que le patron faisait consommer à sa clientèle. Dans la mesure où c’était bon, pas cher, et disponible quasiment à volonté, à quoi bon s’interroger inutilement ? Michel renonça donc à sa quête. Si le bonhomme avait des secrets, il n’avait qu’à les conserver. Après tout, il ne faisait quasiment rien de répréhensible…

NDLR : photos prises à Rouen (1, 4, 5) ou dans d’autres lieux par les courageux reporters de la Feuille Charbinoise.

beatitude

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29mars2010

Bric à black blog de mars

Posté par Paul dans la catégorie : Bric à blog.

marianne Il y a eu deux tours pour les régionales mais je vous ferai grâce d’un second florilège de textes sur le thème « élections et abstention ». Je dois dire cependant que l’envie m’en a taraudé… Je réfrène mes ardeurs jusqu’aux présidentielles à venir un de ces quatre ; sachez d’ores et déjà qu’il est fort peu probable que je me déplace pour aller plébisciter Strauss-Kahn, Aubry, Villepin ou Conh-Bendit. En vous prévenant de la sorte, je vous laisse le temps de peaufiner vos arguments et qui sait de me convaincre des vertus socialistes indiscutables du président actuel du FMI ou des liens idéologiques solides qui peuvent exister entre Aubry et Jaurès. Pour l’heure, je me contenterai de proposer une nouvelle série de liens à consulter pour ceux que le débat électoral intéresse. Ce sont (volontairement) des textes d’actualité, histoire que l’on ne dise pas que l’appel à l’abstention relève d’une pratique politique désuète ! Il semble que cette fois la pratique de l’abstention choisie ait largement dépassé le champ des anars institutionnels ou des fanatiques de la pêche à la ligne – ce qui a, comme il se doit, entraîné la publication d’une multiplication de textes « anti-abstention » parfois fort vindicatifs. J’espère que d’ici 2012 certains blogueurs et autres chroniqueurs ou journalistes auront le temps de remettre à jour leurs arguments : « pro-sarkozystes », « suppôts de la droite », « ennemis de la démocratie », « aucun respect pour ceux qui se sont battus pour l’obtenir », et autres gourmandises répétitives commencent à me tanner un peu… J’ai trouvé intéressant (sans forcément adhérer à tous les arguments déployés) :
– « Un voile démocratique peut cacher une dictature« , ou bien « Elections régionales de mars 2010, acte II : résultat d’une mascarade élective supplémentaire au bal de la démocrature« , sur le blog « Sam-articles », textes de Samuel Métairie.
– « Elections, consommation, piège à con ! » sur le site Article XI, dont je trouve le contenu toujours très intéressant.
– « L’élection processus anti-démocratique par définition » sur le site d’information Bellaciao.
– « Pourquoi je ne voterai surtout pas pour Europe écologie » ainsi que divers autres textes consécutifs sur le blog « planète écologie » de Fabrice Nicolino.
– En prolongement de mes notes de lecture du mois dernier, où je parlais en particulier des ouvrages de Romain Felli et André Gorz, on peut lire ce texte leur écologie et la nôtre (du même André Gorz) sur le  site « Ecologie sociale en Armor » où l’on trouve d’autres bonnes publications. En ces périodes d’incertitude et de morosité, incitant certains à se raccrocher à l’illusion électorale comme des naufragés à un radeau, il est parfois bon de réviser certains écrits fondamentaux ! Sans en adopter non plus toutes les conclusions, je trouve aussi intéressant cet article sur « Bellaciao » : Les stigmates d’une nouvelle religion ; « l’écologie comme confessionnal au consumérisme« . Ce sont des textes qui ont le mérite d’ouvrir la porte à des débats qui peuvent être enrichissants, si l’on emploie d’autres arguments que les coups de pelle à charbon sur le crane chauve de son voisin d’en-face. Là-dessus, on clôt le chapitre « élections » pour passer à d’autres thèmes ne manquant pas d’intérêt non plus.

cnt-logo Très bel hommage au militant cénétiste Francisco Roldán, décédé le 12 mars 2010, sur le blog « humeurs de Jean Dornac ».  « Francisco Roldán nous a quittés le vendredi 12 mars 2010. Il avait 95 ans.
Le drapeau rouge et noir qui recouvre son cercueil aujourd’hui symbolise toute une vie. Francisco Roldán est l’image même d’une génération dont il était l’un des derniers représentants. Anonymes, discrets, constants, ces hommes ont insufflé sa force à un mouvement social singulier qui a fait trembler la société capitaliste sur ses bases.
» La suite, très émouvante, à cette adresse. Pendant qu’on cause histoire et anarchisme, je vous invite à aller consulter l’excellente notice biographique sur Louise Michel publiée par le blog anarchie 23Mo(t)saïques parle du film « Louise Michel, la rebelle », et offre un panorama assez complet de ce qu’en pensent différentes personnes impliquées dans la réalisation ou simplement spectateurs/trices. Il ne vous restera plus qu’à aller le voir en salle (même si vous l’avez déjà visionné à la télé – grand écran et petit écran ça n’a rien à voir) à partir du 7 avril. La réalisatrice Sólveig Anspach, interviewée dans le Monde Libertaire, espère qu’il y aura le plus possible de projections avec débat.
Puisqu’on cause cinéma, et même si le rapport avec les blogs est moins évident, sachez que nous sommes allés courageusement au cinéma à Lyon voir « Bernard, ni dieu ni chaussettes » et, que, très honnêtement, on ne regrette pas cette initiative ! Notre effort a été largement récompensé. On est sortis de la salle tout requinqués ! C’est une œuvre magnifique, très émouvante et fort bien filmée. A voir et à revoir. Bande annonce à cette adresse. Possibilité de commander le CD de Bernard Gainier, remarquable interprète de Gaston Couté, sur le site du « P’tit Crème« .

camera-video-surveillance On passe du cinéma à la vidéo surveillance (notez la subtilité de l’enchainement !)… Le maire de votre ville envisage d’installer des caméras partout ? Comme moi, cette idée vous donne des frissons dans le dos quant à la société totalitaire que nous laissons mettre en place sans « trop » protester ? Vous avez besoin d’un argumentaire précis pour convaincre vos voisins, vos amis, vos élus… de la nocivité de la chose ? Faites donc un tour sur le site d’Indymédia Grenoble. Monsieur Destot, maire « socialiste » de cette ville bienheureuse s’apprête à passer à l’acte et à renforcer l’installation des joujoux électroniques coûteux aux quatre coins de son agglomération. Manque de chance, certains individus ont décidé de jouer les trouble-fête dans ce bal costumé sécuritaire. Le tract qui a été distribué aux citoyens et citoyennes concernés a le mérite d’être clair et très pédagogique. N’hésitez pas à piller l’argumentaire et à vous en servir. La source d’inspiration se trouve à cette adresse précise (je suis gentil, j’ai fait le travail pour vous ; j’ai du respect pour les gens qui bossent et qui n’ont pas le temps de « farfouiller » sur la toile). Ça s’appelle « démontons les caméras« ; dix arguments chocs pour défendre nos droits et les quelques libertés que l’on veut bien nous laisser. A ce propos, bientôt, sur ce blog, on parlera des nanotechnologies et des dangers sournois que présente cette invention miraculeuse, pour la santé d’une part, pour nos libertés d’autre part. Toutes ces « innovations » (ou plus exactement l’usage débile que l’on fait de ces innovations) me flanquent tellement la gerbe que je vais bientôt rejoindre le camp des « anti-progrès » : c’était mieux avant… Rassurez-vous quand même, si j’avais vécu au XIXème siècle, j’aurais été favorable au transport par le train et aux locomotives à vapeur (voir plus loin !). Je ne me serais pas opposé non plus, quelques années auparavant, à la mise en place de l’imprimerie, comme quoi… C’est l’évolution technologique de ce XXIème siècle qui me turlupine le plus. Pour l’heure, je suis plongé dans la lecture du livre « à la recherche du nouvel ennemi », rédigé par le collectif « Pièces et main d’œuvre » qui s’intéresse de très près à ces fameuses nanotechnologies. Je vous en parlerai plus en détail dans une future chronique « livres » (celle du mois de mars est passée aux pertes et profits de mes multiples occupations).

chevre C’est bien sérieux tout cela ; un peu d’humour permettrait de se soulager un peu ! On ne rigole plus beaucoup avec la politique ces temps-ci, et il ne faut pas voir toute la vie en « black »… J’ai quand même trouvé un ou deux liens sympas à vous proposer. En ces temps de végétarisme croissant, si l’on s’adonnait un peu au cannibalisme ? Quelques conseils culinaires judicieux à découvrir en lisant ce billet sur Altermondes : « Mangez, saucisson est mon corps« . Le cannibalisme serait-il une solution pour exorciser certains problèmes et pour se débarrasser de certains adversaires encombrants ? Rafraichissant et sympa à lire aussi « la véritable histoire de la chèvre de Monsieur Seguin, conte pour petits anars« , sur le site « l’en dehors », autre pilier de l’information quotidienne. Ça y est j’ai mon alibi du moment ; vous ne direz pas que « la Feuille Charbinoise » ne propose que des lectures malsaines, démoralisantes et tristounettes !

Petit détour artistique… En plus de son blog « humeurs » auquel je fais souvent référence, Jean Dornac vient de créer un autre blog dédié à la poésie, intitulé « Couleurs poésie« . Je vous invite à aller déambuler sur les quelques pages déjà disponibles : la sélection de textes publiés est vraiment très plaisante. De fil en aiguille, vous pouvez aller explorer aussi le site d’une collaboratrice régulière de ces deux derniers blogs : Ode, une artiste et poète québecoise. Le site s’appelle « Dans l’univers imaginaire de Ode » et comporte deux parties bien distinctes : un certain nombre de pages sont réservées à la poésie, et les autres aux créations dans le domaine des Arts visuels. Au hasard de mes pérégrinations, j’ai découvert un certain nombre d’œuvres qui me plaisent beaucoup. Nombre de sculptures sont inspirées par les arts dits « primitifs », mais avec un apport imaginatif personnel très fort dans la création. C’est vraiment l’un des grands plaisirs de la navigation sur Internet de pouvoir faire des découvertes comme celle-ci. Vive le Québec créatif !

autorail-ancien Le mois dernier je vous ai parlé de mes tentatives pour trouver des blogs de bricolage un peu originaux et pas trop prise de tête, des sites donnant des conseils pratiques pour les travaux dans une optique un peu « écolo », récupération, système D et entraide. Pour l’instant, mes recherches sont restées plutôt infructueuses. Je n’abandonne pas, mais en attendant de nouvelles découvertes, je me suis branché sur un autre de mes dadas, la préservation du patrimoine ferroviaire dans notre pays. Il y a abondance en la matière sur la toile, mais comme d’habitude, je n’apprécie guère le ton souvent sectaire et hermétique des blogs de passionnés. J’ai quand même fait une découverte sympa. Le site s’appelle « Massif Central Ferroviaire« . La devise écrite en lettres d’or au frontispice de l’établissement m’a tout de suite attiré l’œil : « Les viaducs sont les châteaux de la Loire du Massif central »… C’est joli non ? Le contenu des articles et le ton employé sont à la hauteur du slogan. Côté titres, le dernier article publié « Faut-il ouvrir les liaisons closes ? » traite de la manière peu élégante avec laquelle procède « Réseau Déferré de France », lorsqu’il arrive, de façon tout à fait anecdotique, que cette société décide d’entretenir un tronçon de voie encore en usage, et de le rénover pour l’adapter à la grande vitesse… Edifiant, tout à fait édifiant. Quant au ton employé, voici un extrait d’un article plus ancien concernant les fermetures de lignes : « Réseau Déferré de France n’allait pas laisser passer l’année 2009 sas suspendre le trafic ferroviaire sur une ligne dont il a délaissé l’entretien. Cette fois, ce sont les 24 km de la section de Virieu le Grand à Peyrieu, dans l’Ain qui ne sont plus exploités depuis le 17/12/2009. Il faudra annuellement 2600 camions pour remplacer les wagons de céréales. » Les jeux de mots employés de façon régulière sont tout à fait à mon niveau intellectuel (« Après le tout en camion, le car avance et raille. ») et je me retrouve donc tout à fait à l’aise en parcourant les articles ! Bref, beaucoup de choses passionnantes à lire dans ce blog à publication mensuelle qui devait, à l’origine s’appeler « Rails et drailles » (intitulé que j’aurais trouvé plus percutant mais bon…). Si vous voulez connaître la raison de ce parallèle entre « rails » et « drailles », lisez donc l’édito du site. Un peu d’auto-promotion ne pouvant pas faire de mal, je vous propose de relire un article que j’avais écrit, il y a un siècle ou deux, sur l’évolution du réseau ferré en France. Ça s’appelle « Splendeur et misère du Rail » et cela reste d’actualité….

Voilà j’ai fini pour ce mois ! Bonne navigation interblogaire !

Notes postliminaires : la très belle photo de l’autorail, c’est moi qui l’ai prise, et j’en suis pas peu fier. Quant à la chèvre, je ne l’ai pas dessinée (c’est pour cela qu’elle ressemble un peu à la réalité) mais c’est moi qui l’ai habilement coloriée. Si vous m’encouragez un peu, j’ouvrirai sans doute un jour un blog spécialisé, à la gloire de mes prouesses créatives ! Par contre, ce n’est pas moi qui ai fait le vilain coloriage dans le dos de la bienheureuse Marianne…

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26mars2010

« NAPOU TOU DAMAN ASURTAT »

Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Petites histoires du temps passé.

Nouvelle France – Jacques Cartier – 1er juillet 1534

« Nous aperçûmes deux bandes de barques de sauvages, qui traversaient d’une terre à l’autre, où ils étaient plus de quarante ou cinquante barques […] Il sauta et descendit à terre un grand nombre de gens qui faisaient plusieurs signes pour que nous allions à terre, nous montrant des peaux sur des bâtons. Et comme nous n’avions qu’une seule barque, nous ne voulûmes point y aller, et nous nous dirigeâmes vers l’autre bande qui était en mer. Et eux, voyant que nous fuyions, équipèrent deux de leurs plus grandes barques pour venir après nous, auxquelles se joignirent cinq autres de celles qui venaient de la mer, et vinrent jusqu’auprès de notre barque, dansant et faisant plusieurs signes de joie et de vouloir notre amitié, nous disant dans leur langue : « Napou tou daman asurtat » (ce qui signifie, en langage Micmac, « Ami, ton semblable t’aimera »), et autres paroles que nous ne comprenions pas. […] Et comme malgré les signes que nous leur faisions ils ne voulaient pas se retirer, nous leur tirâmes deux passe-volants (boulets de petits canons) par-dessus eux. Alors ils se mirent à retourner vers [la] pointe, et firent un bruit extrêmement grand, après lequel ils commencèrent à retourner vers nous, comme avant. Et alors qu’ils étaient près de notre barque, nous leur lâchâmes deux lances à feu qui passèrent parmi eux, ce qui les étonna fort, tellement qu’ils prirent la fuite en grande hâte, et ne nous suivirent plus. »

jacques-cartier-portrait Jacques Cartier arrive dans la baie des chaleurs, sur la côte de ce qui sera bientôt désigné « la Nouvelle France », le 1er Juillet 1534. Il a quitté Saint Malo, sa ville natale, le 20 avril 1534, avec deux navires et 61 hommes d’équipage. Son ordre de mission est clair : le roi lui demande de trouver de l’or dans le Nouveau Monde et de découvrir un passage vers l’Asie. Ses motivations sont un peu les mêmes que celles des navigateurs espagnols ou portugais. Simplement lui cherche vers le Nord ce que ses confrères ont cherché vers le Sud. Le 26 juin, il arrive aux îles de la Madeleine, puis le 29 à l’île du Prince Edouard. Il découvre ensuite la baie des Chaleurs, la baie de Gaspésie puis conduit son expédition vers le Nord jusqu’à Terre Neuve. Il passe devant l’île d’Anticosti mais ne découvre pas l’embouchure du Saint-Laurent lors de ce premier voyage. Le 15 août il décide de rentrer au pays et arrive à St Malo 5 septembre 1534. La traversée retour ne dure qu’une vingtaine de jours. Dès l’année suivante, Cartier dirige une autre expédition, plus conséquente, et remonte le cours du grand fleuve. Il est guidé dans cette exploration par deux Indiens, fils du chef iroquois Donnacona, embarqués à son bord… Mais ceci est une autre histoire ! Au fur et à mesure de leur progression, les Français découvrent que l’immense territoire qu’ils ont sous les yeux est habité par différents peuples : Mi’kmaq, Iroquois, Mohawks, Wendats (que les premiers colons appelleront « Hurons » en raison de leur coupe de cheveux qui, à leurs yeux, rappelle la hure du sanglier), Cris, Innus (Montagnais)… Les relations ne seront pas aussi chaleureuses avec toutes ces tribus qu’avec les premiers autochtones contactés.

cartier-rencontre-les-micmacs Revenons à cette première approche du Nouveau Monde par Jacques Cartier. Les « Indiens » qu’il rencontre dans la baie des chaleurs font partie du peuple des Algonquiens. Ils habitent la région que l’on nomme aujourd’hui « provinces maritimes du Canada », à savoir la Nouvelle Ecosse, le Nouveau Brunswick, l’Ile du Prince Edouard, et la Gaspésie – toutes ces dénominations ayant été bien entendu choisies par les colonisateurs européens. Les Mi’kmaq (graphie plus proche de leur dénomination que Micmac, version « francisée » ) ont l’habitude, entre eux,  de se dénommer « Elnou », ce qui signifie « les hommes » ou « L’nu’k », « le peuple ». Les Mi’kmaq ne sont pas pas particulièrement belliqueux, mais ils doivent sans cesse défendre leur territoire contre les incursions de leurs voisins mohawks ou iroquois de la vallée du Saint-Laurent. Sur les côtes du Labrador, ils affrontent parfois les Eskimos… mais tous ces conflits localisés n’ont guère de conséquences sur leur mode de vie. Il est certain qu’avant de rencontrer Cartier et ses hommes, ils ont déjà eu des contacts avec les blancs, notamment avec les pêcheurs qui naviguent le long des côtes de Terre-Neuve ou de la Madeleine. Des linguistes ont même découvert que dans la langue parlée des Mi’kmaq, certains mots employés auraient un équivalent en… basque… Les rapports que les autochtones ont avec ces marins pêcheurs sont bons, et l’arrivée de Cartier (avec ses gros sabots pourrait-on dire en lisant le texte d’introduction !) ne pose pas de problème particulier dans un premier temps.  L’accueil que reçoivent les Français est plutôt chaleureux.

wigwam Le pays des Mi’kmaq est divisé en sept grands territoires, chacun étant occupé par une tribu différente qui  dispose des droits de chasse exclusifs à la belle saison. Le climat est rigoureux et ne permet guère de développer une agriculture importante. Les Mi’kmaq sont donc nomades et vivent essentiellement de la chasse et de la cueillette. Ils ne se sédentarisent que l’hiver, se regroupant en petites communautés et limitant le plus possible les déplacements dans le pays recouvert par la neige et la glace. Leur vie itinérante nécessite la construction d’habitations légères : les « wigwam » – le mot provient du Mi’kmaq « wikuom » qui signifie habitation. Le bâti est réalisé à l’aide de perches d’épinettes qui sont ensuite habillées, comme les canots, de longues bandes d’écorces de bouleau disposées, du bas vers le haut, un peu comme le sont les bardeaux dans la couverture traditionnelle des chalets de montagne (le « tipi », qui n’existe pas chez les Mi’kmaq, est recouvert, lui, avec des peaux). L’extérieur de l’habitation est décoré avec des dessins d’animaux. Un seul wigwam offre un abri à une douzaine de personnes.
Le calendrier traditionnel des Mi’kmaq est construit, de façon symbolique, autour des phénomènes naturels et des différents cycles de cueillette, de chasse ou de pêche qui se succédent : en janvier on chasse le phoque, en février-mars c’est le tour des castors ou des élans… La langue très descriptive permet de désigner les mois de façon originale : le mois de mai s’appelle ainsi « Tquoljewiku’s », ce qui signifie «lune de la grenouille qui croasse» ; le mois de février est baptisé « Apiknajit », «la neige aveuglante». De la même façon que chez les Inuits, chaque partie de l’animal chassé est utilisée et permet, soit de se nourrir, soit de réaliser des objets de première nécessité. Les fourrures servent à confectionner vêtements et coiffes chaudes, le cuir, des chaussures, les os, des pièces d’outils… A la différence de leurs voisins nordiques cependant, les Mi’kmaq évoluent en forêt et peuvent donc utiliser le bois pour leurs habitations, leurs outils ou leurs moyens de locomotion. Lorsque le sol est recouvert de neige, il utilisent traineaux et luges (à ce propos, sachez que le mot « toboggan » provient de l’algonquien et signifie « traineau » à l’origine).
A la belle saison, les autochtones se déplacent en canot d’écorce (cf article sur le bouleau dans ce blog), légers et maniables. Ils n’ont donc guère besoin de créer et d’entretenir un réseau de chemins qui n’aurait eu qu’un usage limité et aurait nécessité des travaux considérables. Cette absence de voies de communication terrestres nettement tracées perturba sérieusement les colons européens et fut même interprété par quelques « beaux esprits » comme un exemple de sous-développement… L’artisanat des Mi’kmaq est très riche : les femmes fabriquent vêtements, paniers, nasses et nattes. La variété des couleurs utilisées et les nombreuses techniques de tissage employées impressionnèrent les premiers colons.

territoire-des-micmacs

Le rêve de la robe blanche et de l’île flottante

« Quand il n’y avait personne dans ce pays si ce n’est des Indiens, et avant que d’autres groupes soient connus, une jeune femme eut un rêve singulier. Elle rêva qu’une petite île venait en flottant vers la terre, avec de grands arbres et des êtres vivants, parmi lesquels un homme habillé de vêtements en peau de lapin. Le jour suivant, elle raconta son rêve et chercha une signification. La coutume à cette époque était de consulter les sages lorsque quelqu’un avait un rêve remarquable. Ils réfléchirent au rêve de la jeune fille mais ne purent trouver aucune explication. Le jour suivant, un événement intervint qui expliqua tout. En se levant le matin, ils virent une singulière petite île qui, supposèrent-ils, avait dérivé vers la terre et s’était arrêtée là. Dessus, il y avait des arbres, des branches sur les arbres ainsi qu’un certain nombre d’ours qui se mouvaient dans ces branches. Ils saisirent tous leurs arcs, leurs flèches et leurs lances et se ruèrent vers la plage avec l’intention de les tuer. Quelle ne fut pas leur surprise de découvrir que ces ours supposés étaient des hommes et que certains étaient en train de mettre à l’eau un canoë de forme très bizarre dans lequel plusieurs hommes sautèrent et pagayèrent vers la plage. Parmi eux, il y avait un homme habillé de blanc – un prêtre et son étole – qui vint vers eux en faisant des signes d’amitié, levant ses mains vers le ciel et s’adressant à eux d’une façon sérieuse mais dans un langage qu’ils ne pouvaient comprendre. La jeune fille fut alors questionnée sur son rêve. Etait-ce l’île qu’elle avait vu dans son rêve ? Etait-ce l’homme ? Elle affirma que c’était bien cela. Quelques uns furent contrariés. Le nouveau professeur [ l’homme en blanc NDLR ] fut de plus en plus en faveur malgré l’opposition des magiciens. Les gens reçurent ses instructions et se soumirent au droit du baptême ; le prêtre apprit leur langue et leur donna le Livre de Prière dans ce qu’ils appelèrent abootulooeegasik (écriture de marques ornementales), une marque prenant la place d’un mot et rendant l’apprentissage si difficile qu’on pouvait le considérer même comme impossible. » [ légendre traditionelle mi’kmaq extraite de « religions et territoires » par Jean René Bertrand, Colette Muler ].

micmacs La belle saison est de courte durée, mais les chaleurs estivales sont largement suffisantes pour permettre quelques cultures d’appoint. L’essentiel de la nourriture provient cependant, comme je l’ai dit plus haut, de la chasse, de la pêche et de la cueillette. La densité de population est faible ; le territoire immense ; les premiers colons français, puis anglais, ont l’impression de débarquer sur un continent pratiquement inexploité. Les choses vont changer pendant les siècles qui suivent l’arrivée des premiers explorateurs, et le rationalisme des colons va permettre une exploitation de la nature bien différente de celle que pratiquent les autochtones. Les nouveaux arrivants disposent de moyens technologiques, armes et outils notamment, que les Mi’kmaq ne possédent pas, et leur mentalité à l’égard du milieu environnant est, on s’en doute, quelque peu différente. Le développement du commerce des fourrures, au contact des blancs, modifie de façon fondamentale l’attitude des chasseurs indiens : ils  passent, en quelques décennies, de la chasse de subsistance, à une traque systématique de certains animaux (castor en particulier) pour répondre à la demande des commerçants français et anglais. Au contact des missionnaires chargés de les « civiliser », ils abandonnent peu à peu leurs croyances traditionnelles et leur culture évolue rapidement. Les échanges ne profitent pas de la même façon aux deux communautés : au contact des Mi’kmaq, les premiers colons acquièrent péniblement les techniques permettant de survivre aux hivers meurtriers de la « Nouvelle France ». Ils apprennent aussi les techniques de chasse et deviennent à leur tour « coureurs des bois » et « trappeurs ». Les tribus Mi’kmaq sont confrontées à des épidémies meurtrières : les blancs apportent avec eux des virus inconnus qui font des ravages dans la population autochtone.  Dans leur rivalité incessante, les colons français et anglais cherchent à créer des alliances avec les tribus, et exacerbent les motifs de conflits entre les différents peuples habitant de part et d’autre de la vallée du Saint-Laurent.

mikmaq La colonisation de la « Nouvelle France » n’est cependant pas aussi rapide que ce que l’on pourrait croire.  Les nouveaux arrivants, tant qu’ils se comportent avec un minimum de « savoir-vivre », sont accueillis sans hostilité. Le problème principal qu’ils rencontrent n’est pas lié au peuplement du territoire, mais à la rigueur des hivers qu’ils ne sont pas préparés à affronter. Les premières implantations de colons européens sont des échecs cuisants : l’absence de vêtements adaptés, les liaisons impossibles avec la métropole pendant une partie importante de l’année, l’insuffisance et l’inadaptation des réserves alimentaires constituées pour résister à l’hiver, ont des conséquences dramatiques. La mortalité dans les colonies (surtout françaises au départ) est extrêmement élevée. Les blancs adoptent très vite une attitude un peu plus humble à l’égard des autochtones quant à leur adaptation au milieu environnant. Ils comprennent alors que dans cette contrée inconnue, leur technologie ne règle pas forcément tous les problèmes et qu’ils ont beaucoup à apprendre des tribus qu’ils côtoient. Il faut attendre 1604 et l’arrivée de Samuel Champlain pour qu’une première colonie s’installe de façon durable dans le territoire des Mi’kmaq. Soixante-dix années se sont écoulées depuis le mouillage des bateaux de Cartier relaté au début de cette chronique. Les missionnaires ne perdent pas leur temps et convertissent rapidement plusieurs chefs de tribu à la nouvelle religion. Les rapports entre les Mi’kmaq et les Français sont suffisamment bon pour qu’une alliance s’établisse, de façon durable entre les deux peuples pour faire la guerre aux colons anglais. Lors des conflits qui vont se dérouler au XVIIème et XVIIIème siècle, jusqu’au traité de Paris (1763) les autochtones combattent à de nombreuses reprises au côté de leurs alliés contre les troupes britanniques. Un certain nombre de tribus continueront le combat après le traité ; il faut dire que les Anglais vont faire payer très cher aux Mi’kmaq leur alliance avec « l’ennemi français ».

J’espère que ce bref article sur la découverte de la « Nouvelle France » et la confrontation entre deux cultures vous aura intéressés. Les études sont nombreuses sur le mode de vie des peuples autochtones au Canada, et au Québec plus particulièrement. Ils semblent d’une part que les historiens et les ethnologues mettent les bouchées doubles pour rattraper le retard dans la connaissance de ce passé de leur pays qui a été longtemps méconnu. D’autre part un effort considérable est fait par les survivants des différentes ethnies, les Premières Nations, pour retrouver leur culture traditionnelle. La rencontre entre la culture européenne et la culture américaine « native » a suivi différents cheminements et a souvent été brutale. Les conditions de vie extrêmement rigoureuses dans le Nord de l’Amérique ont imposé à cette « confrontation » des modalités particulières. Je reviendrai sur ce sujet à l’occasion. Je vous invite aussi à consulter l’article que JEA a consacré, dans son blog « Mo(t)saïques », à Christophe Colomb, sans que nous ne nous soyons nullement concertés !

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21mars2010

Mon p’tit bonhomme de chemin

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour....

vespa-400 Quatre cents kilomètres à pied, ça use, ça use…

Une chronique, qu’elle porte le n° 399, le n°400 comme celle-ci, ou le n°401 comme la prochaine à venir, finalement c’est toujours une chronique : une intuition soudaine qui vient à l’esprit, un travail de recherche plus ou moins long, du temps passé à écrire, relire et corriger, un petit moment d’appréhension quand on est sur le point de cliquer sur le bouton « publier ». Pourtant, je cède plus ou moins consciemment à ce diktat de la symbolique : dans mon esprit, finalement, 400 c’est un peu différent de 399 ou de 401. Je concède que c’est assez ridicule finalement de porter une attention particulière à un texte parce que, dans l’ordre de publication, il se trouve qu’il porte un numéro tout rond. Mais bon, j’assume… on ne se change pas aussi facilement que ça. Et puis, surtout, j’en ai parlé avec mon confesseur (le dernier en date – le précédent ayant été viré pour cause de gérontophilie), la faute est relativement bénigne. Mon psychanalyste (le dernier en date, le précédent étant parti aux Seychelles avec une blondinette), pense que cet excès de cartésianisme a sûrement ses causes enracinées dans ma scolarité primaire (à l’école laïque – non je n’étais pas chez les Jésuites). J’avoue donc, sans trop de honte, avoir quelque peu hésité sur le contenu du texte que j’allais publier aujourd’hui, et surtout sur la catégorie dans laquelle il allait être rangé. J’ai envisagé, un temps, de me laisser porter par l’actualité et de vous parler de Simone Weil. Pas la Simone qui est rentrée chez les Immortels par la grande porte (Simone Veil) mais son homonyme, celle qui est morte en août 1943 et qui s’était distinguée, entre autres, en combattant dans les rangs des Brigades Internationales, pendant la Révolution espagnole. Juste histoire d’émettre un coassement dissonant dans le concert de platitudes qui est produit par les médias en ce moment. Mais bon, le sujet ne m’inspirait pas plus que ça (ce qui ne veut pas dire que… d’ailleurs !). 400, le nombre donnait envie aussi de jeter un coup d’œil du côté de la fondation de Québec, mais c’était déjà du passé, et, de surcroît, j’avais déjà commémoré l’événement. Non, ce qu’il me fallait, c’était casser un peu la routine, le traintrain bloguesque quotidien.

Il se trouve que j’adore les routines. L’avantage d’en avoir quelques unes c’est que, de temps en temps, quand l’envie de changement se fait pressante, on a quelque chose sous la main, là tout près, à envoyer balader d’un geste rageur. On fait sa petite révolution, pépère dans son coin ;  on enfonce deux touches du clavier de l’accordéon à la fois ; ça produit un horrible couac et on est content. La semaine d’après, on retrouve avec plaisir la nouvelle paire de pantoufles qu’on a choisi d’enfiler. Elles sont bleu clair alors que les précédentes étaient vert foncé – il faut bien avoir fait la révolution pour quelque chose quand même – et on les porte jusqu’au nouveau coup d’état qui permettra de les remplacer par des gris souris ou anthracite. Double défi donc : il fallait d’une part que j’écrive hors de mes sentiers battus et d’autre part que je sorte de mes grognements habituels car il me fallait commémorer la quatre-centième. Je me suis donc creusé les neurones, ce qui est une tâche infiniment délicate, car, non seulement j’en ai de moins en moins, au fil du temps, mais de plus, il faut un outillage ultra miniaturisé. Pas étonnant donc que les résultats n’aient rien de convaincant.

quatresanscul 400… J’ai trouvé que cela s’harmonisait bien avec les quatre cent coups, prétexte à un pamphlet autobiographique ou militant exemplaire… Le problème c’est que j’ai, dans l’ensemble, toujours été relativement raisonnable dans mon délire, et que je n’ai sans doute jamais atteint un objectif chiffré aussi important. Je préférerais, en sus, que mon autobiographie soit publiée post mortem. Les raisons sont nombreuses ; il y en a une qui est importante c’est qu’un certain nombre de gens dont je pourrais dire du mal sont encore vivants et j’ai horreur de la violence physique, surtout quand elle me concerne directement. Restait le film, « les quatre cents coups », chef d’œuvre de François Truffaut d’après les encyclopédies du cinéma… Le problème c’est que j’aurais eu bien de la peine à produire un texte d’une longueur convenable sur le sujet : soit je l’ai vu, mais son contenu et l’impression qu’il m’a laissée sont égarés quelque part dans le grenier poussiéreux de ma mémoire, soit, ce qui est plus envisageable, je ne l’ai sans doute jamais vu. Raté donc pour la belle envolée lyrique et cinématographique. Un petit lutin sauvageon qui se terre quelque part dans mon cerveau, m’a alors suggéré un thème plus original que les précédents. Je pourrais intituler ma chronique « les quatre sans cul » et rédiger une nouvelle aussi peu érotique que possible, en y casant quelques jeux de mots pitoyables du genre « un éléphant ça trompe énormément ». Mais qui allait comprendre un tel amas de subtilités, à part les Savoyards authentiques ou les passionnés de l’architecture du vieux Chambéry ? Il s’agit en effet d’une allusion à une sculpture célèbre (cf photo) située dans cette charmante bourgade et représentant quatre éléphants tronqués… Il n’était pas question que « la Feuille » perde sa dimension cosmique et qu’on l’enferme de manière trop restrictive dans la catégorie des blogs régionalistes, d’autant plus que la Savoie, moi… Ils sont bien gentils les Savoyards, mais ça ne fait même pas 400 ans qu’ils sont rattachés à la France (150 en fait pour faire plaisir aux historiens qui n’aiment pas les approximations).

ours_des_pyrenees_aspe_2002 Panne d’inspiration : ça allait de mal en pis… Il y avait aussi la piste de l’an 400, passionnante sur le plan historique, mais 400 avant ou 400 après la naissance de notre très saint sauveur, délicat de choisir ; mélanger les deux pouvait créer de graves lésions chronologiques dans le mental de mes jeunes lecteurs/trices. Je pouvais aussi lancer une chronique jardicole sur le thème des 400 trous pour planter des arbustes dans notre arboretum en herbe, sauf que des trous j’en ai creusé bien plus de 400, alors c’était un mensonge. Esprit bassement matérialiste, j’aurais pu profiter de l’événement pour lancer une souscription à hauteur de 400 euro auprès de mes lecteurs/trices…. mais 400 euro, franchement, on fait quoi avec 400 euro ? Cette histoire de 400 a fini par me prendre la tête : elle devenait un peu trop obsessionnelle. Ecrire ceci ? Bof, vraiment plat. Ecrire cela ? J’allais perdre pour la quatre centième fois de suite, le quart de mon lectorat. Si au moins 400 c’était le nombre des députés à l’assemblée ou le nombre d’invités à la garden partouse de l’Elysée, j’aurais pu vous dire tout le bien que je pensais de ces personnes ou de cette réunion mondaine incontournable. S’il y avait eu 400 ours dans les Pyrénées, j’aurais pu partir sur une tirade écolo… 400 postes supprimés dans l’Education, je pouvais dégainer un petit couplet social… Si la tirade du Cid (pas UNATI, l’autre) avait débuté par un « nous partîmes quatre cents, mais par un prompt renfort… » Décidément, même Corneille ne faisait pas d’effort : il m’ôtait de la plume une grandiose chronique littéraire… Mais non, 400 ne collait ni dans un cas ni dans l’autre. 400 ne collait à rien de rien dans l’actualité.

clown Arrivé à ce point là de mon aventure, le compteur de mots en bas de la fenêtre de saisie, affichait 631. Là aussi c’était rapé : si j’avais gommé ma saisie jusqu’à revenir au fatidique 400ème mot, ce texte assez pitoyable devenait du grand n’importe quoi… A éviter absolument un jour de grande commémoration. D’autant que j’attendais des officiels, des personnalités respectables du milieu bloguesque, des blogonautes distingués… Ce n’est pas le fait que ce que j’écrivais les passionnait, mais pour ce quatre centième, j’avais laissé entendre qu’il y aurait sans doute un cocktail virtuel, vers 18 h, un soir de la semaine. Il fallait que je sois à la hauteur (si c’est la tienne, ne manqueront pas de penser certains de mes amis/es, particulièrement peu charitables, tu n’as pas besoin de t’élever bien haut) et ce n’est pas avec une introduction interminable que j’allais faire saliver mes admirateurs/admiratrices et leur donner envie de poursuivre. Il était donc grand temps de rentrer dans le

Vif du sujet

Ainsi soit-il. J’allais rédiger un début d’autobiographie ; ça c’était du sérieux. En plus je pourrais faire ça sous forme de feuilleton (j’adore les feuilletons). Les premières années (semaines) de ma vie avec la chronique n°400, la suite avec la cinq centième et patin couffin. Je pense qu’il n’y a pas besoin que je vous explique la règle du jeu pour la suite. Ma mémoire n’étant pas très fiable, j’ai commencé par faire quelques recherches sur la toile… Wikipedia par exemple… Le problème c’est qu’entre « Anouilh » et « Weil », je n’ai pas trouvé mon nom ; encore moins mon pseudo. Des Feuilles, il y en avait de toutes sortes, mais aucune n’avait ma trombine. Etait-il possible qu’il n’y ait rien à dire au sujet de mes premières années ? Le tiroir de ma mémoire était-il vide, non pas en raison d’une lésion dangereuse quelconque, mais simplement parce qu’il n’y avait aucun événement notable à raconter. C’était désespérant ; un feuilleton commençant par un épisode vide ; ce n’était guère motivant. J’ai donc décidé de laisser tomber les années passées et de m’intéresser au présent. J’allais intituler ma chronique « Mon p’tit bonhomme de chemin ». C’était simple, direct, un brin émouvant, un rien naturaliste. De bons ingrédients en ces temps d’écologisme galopant. Je fis donc une première tentative. Ça ressemblait à ça :

épisode 1

sentier-dans-les-vosges « Je continue donc à suivre mon p’tit bonhomme de chemin, mon chemin de fer touristique, mon radeau d’aventure. J’ai laissé de côté les bossus et les grinchus, les donneurs de leçons et les distributeurs de sanctions, les parasites et les profiteurs… et tant d’autres encore dont je n’ai que faire tant j’ai d’amis/es dans mon sac à dos, dans mon wagon, dans ma dunette.  Je n’ai pas de rétroviseur et j’aurais de la peine à vous décrire les lieux par lesquels il est passé ce p’tit bonhomme de chemin… Je n’ai pas de boule de cristal et j’ai du mal à prévoir où il va me conduire. Mes pieds n’y sont pas toujours en sécurité : il m’arrive de trébucher sur une idée trop vite toute faite ou de déraper dans un virage un peu trop serré. Mais ce que je sais c’est que je n’ai jamais fait marche arrière pour choisir un autre embranchement. J’en ai choisi un parmi d’autres. Pourquoi monter plutôt que virer, descendre plutôt que d’aller droit ? Des raisons valables sans doute, mais peu de certitudes : un éclat de lumière, une fleur mauve blottie dans la mousse, le clin d’œil d’un/e ami/e, une invitation à venir boire, danser, me réjouir, compatir, débattre, embrasser, bricoler… Je ne peux tous les énumérer ces signes de piste, ces panneaux discrets…. Il se pourrait bien qu’il y en ait plus de quatre cents et cela me mettrait dans un grand embarras. Au fil des ans, j’ai garni ma hotte d’idées nouvelles, et j’ai dû parfois faire quelques pauses pour y mettre un peu d’ordre. » (A suivre – épisode 2 à la chronique 500)

post-scriptum

A part ça ? Une sacrée bonne femme cette Simone Weil. Renseignez-vous !

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18mars2010

Mon pote, le micocoulier

Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres.

micocouliervilleneuvesurlot Vous ne trouvez pas qu’il a un joli nom mon pote ? Il faut dire que dans le monde végétal on en trouve tout un tas, de noms rigolos. Il y a bien sûr le liquidambar, commun, mais qui fait toujours sourire. Il y a aussi l’aliboufier, la pimprenelle ou le pohutukawa (comment, vous ne connaissez pas le pohutukawa !), sans oublier le potamogeton ou l’asphodèle… D’ici l’an 2030, peut-être que toutes ces curiosités végétales donneront lieu à un petit article dans la « feuille charbinoise », l’encyclopédie fourre-tout. Pour l’heure, je vais vous conter l’aventure de mon pote, le micocoulier… Est-il aussi l’ami du gitan, je n’en sais rien. L’avenir nous le dira ! En tout cas, malgré la concurrence du platane, il est indubitablement le compagnon des joueurs de boules sur les places ombragées du midi de la France. Il a subi pendant près d’un siècle la concurrence de cet aventurier importé au XVI siècle (cf article sur le platane d’Orient dans ces colonnes), mais depuis quelques décennies il retrouve peu à peu sa place. Son colocataire ayant quelques ennuis de santé, il en profite pour revenir en force sur le marché des arbres d’avenues et de squares. Lui, la pollution ne le dérange pas trop, et puis le terroir méditerranéen il le connait bien puisqu’il s’y est implanté depuis la nuit des temps, notamment dans les aires sauvages, les coteaux secs et rocailleux qu’il affectionne tout particulièrement. Sa présence non loin des habitats ou au cœur du village est due, comme il se doit, à l’intervention humaine. Il faut dire que l’arbre, outre son charme certain, présente quelques intérêts domestiques que nous allons détailler.

micocoulier-planche-botanique Première chose à régler sans doute, il me faut dresser le portrait de cet arbre méconnu du grand public (au même titre que le cormier ou le charme). Histoire de vous gâter un peu, je vous propose en tête de cet article, la photo d’un superbe micocoulier, extraite de la collection grandiose d’arbres vénérables de l’ami Krapo arboricole (que je remercie au passage pour son coup de pouce). Le sujet ainsi mis en valeur pousse à Villeneuve sur Lot. Ce document vous permettra tout de suite de réaliser que le micocoulier, malgré son petit nom tout mignon, peut prendre des allures de « gros balaise « à qui on ne la conte pas, et n’a rien d’un roseau pliant au moindre souffle du zéphyr. Dans une niche écologique bien douillette et convenant à son tempérament, notre micocoulier peut se dresser fièrement à 25 m de hauteur. Son écorce est lisse, un peu grisâtre, et rappelle celle du hêtre ou du charme. Il possède une silhouette particulière : même lorsqu’il est de grande taille, son tronc reste plutôt court, et ses branches majestueuses s’élancent vers le ciel en lui donnant une forme générale plus arrondie que fuselée. Ses feuilles, caduques, ont la forme d’une pointe de lance très pointue, un bord dentelé et une légère dissymétrie à la base. Elles sont plus ou moins bicolores : une belle couleur vert foncé sur le dessus, et un vert grisâtre sur le dessous. Les fleurs apparaissent en même temps que les feuilles et elles restent particulièrement discrètes. Le fruit a la taille d’un pois chiche, et il est d’une couleur brun rouge tirant sur le noir. Il est plutôt fadasse, et même s’il est comestible, le fait qu’il soit peu charnu décourage les éventuels cueilleurs. Le noyau pressé produit une huile dont la saveur rappelle celle de l’amande douce, mais elle n’est plus commercialisée. Le micocoulier appartient à la famille des ulmacées (comme l’orme) et porte l’appellation botanique officielle de Celtis australis. Son gentil petit nom « micocoulier » est provençal, mais son origine n’est pas vraiment connue.

Le micocoulier n’occupe pas une place bien importante dans l’imaginaire populaire : peu de légendes ou de coutumes ont trait à cet arbre. Feuilles, fleurs ou écorces n’ont pas d’usage vraiment important dans la pharmacopée traditionnelle non plus. Le plus apprécié dans cet arbre, à part la qualité de son ombrage, c’était son bois, dont les emplois traditionnels étaient nombreux. Il faut dire que le bois du micocoulier possède des qualités indéniables : il est à la fois lourd, homogène, durable et présente une certaine souplesse. Sa veine, blanche, parfois un peu grise, rappelle celle du frêne, et la confusion est tout à fait possible. Si j’emploie l’imparfait pour parler de l’utilisation du bois, c’est qu’il a, de nos jours, perdu une bonne partie de ses emplois traditionnels. On s’en servait, par exemple, pour fabriquer les manches des fouets utilisés par les cochers, le célèbre « perpignan » ; il est plutôt rare ces derniers années de croiser des calèches dans les artères de nos villes. On l’employait également pour fabriquer les avirons, les baguettes de fusil, les gaules, certaines pièces appréciées par les charpentiers de marine… Dans les régions méridionales, il remplaçait avantageusement le frêne ou l’orme et avait un peu les mêmes usages. Les charrons l’estimaient beaucoup et fabriquaient avec, essieux, moyeux, brancards, ou bâtons de chaises à porteur. Ce qui est singulier, c’est que ce sont les jeunes perches de taillis qui étaient recherchées, largement autant que le bois provenant de billes importantes. Plutôt que de le scier, on préférait le modeler et profiter de sa robustesse et de sa souplesse pour lui imposer des formes parfois complexes. Il n’empêche que les troncs de belles dimensions étaient utilisés également en ébénisterie et en sculpture. Les Anglais fabriquaient même des clarinettes ou des hautbois dont la sonorité ne manquait pas d’éclat. Bref un bois noble, à tout faire, mais pas du « tout-venant » ; comme disent certains vieux menuisiers, ce n’était pas un « bois à cageots ». Il n’en reste pas moins que beaucoup de domaines dans lesquels il était employé appartiennent à l’ancien temps. Pour qu’il revienne sur le devant de la scène, il faudrait qu’il soit planté à nouveau de façon importante et que l’on trouve de nouvelles pistes d’exploitation correspondant à ses qualités. Il est dommage que ce bois soit délaissé.

micocoulier-fourchu

taillis-de-micocoulier-a-fourches

rejets-de-micocoulier J’ai gardé pour la fin l’un des usages du micocoulier que je trouve le plus pittoresque : la fabrication des fourches traditionnelles à trois dents. Cette pratique existe toujours, mais ses débouchés sont maintenant plus touristiques qu’utilitaires. Avant de vous en parler plus longuement, je voudrais remercier, non plus Krapo, mais la « Mère Castor » qui habite l’un des foyers les plus actifs de la fabrication de ces fourches, le village de Sauve, dans le Gard. C’est elle qui a servi de « reporter sur le terrain » pour « La Feuille », et je lui dois, notamment, les clichés qui illustrent ce champ particulier d’activité micocoulienne. Sauve possède la singularité d’être l’un des rares villages de France où l’on fasse massivement pousser des fourches dans les champs des alentours. Le premier phénomène qui attire l’œil du visiteur, c’est l’aspect bizarre des petits arbres qui se serrent les uns contre les autres. L’arboriculture nous a habitués aux formes originales, mais rarement à des arbres ne possédant que trois branches situées dans le même plan (cf photo) sauf lorsqu’il s’agit de fruitiers palissés le long d’un mur… La première étape de cette fabrication d’outils agricoles à la chaîne consiste donc à sélectionner un certain nombre de jeunes arbres ou de rejets de taillis, à surveiller leur croissance puis à leur donner, grâce à la taille, la forme appropriée. Le mode opératoire n’a sans doute pas changé depuis l’origine de cette fabrication que certains auteurs font remonter jusqu’au XIIème siècle. Pour quelle raison les habitants de Sauve ont-ils choisi le micocoulier et pas un autre arbre ? D’une part pour les qualités de son bois, énumérées dans le paragraphe précédent, d’autre part parce qu’il possède une particularité botanique intéressante : à l’aisselle de chaque feuille se développent trois bourgeons. Lorsque le rameau a atteint la taille requise pour faire une bonne fourche (il faut environ trois ans), on le coupe, au mois de juin, juste en dessus des trois bourgeons qui paraissent les plus vigoureux, et on élimine toutes les autres pousses qui pourraient se former sur le tronçon droit. La sève montante a donc tendance à nourrir en priorité les trois petites branches sélectionnées. Le travail n’est pas terminé ! Il faut ensuite que la croissance de ces trois pousses soit équilibrée. La fourche en formation nécessite donc une surveillance constante : il faut freiner la pointe la plus dynamique, en lui ôtant des feuilles par exemple pour équilibrer l’apport de sève. Une fois cette taille importante effectuée, il faut être patient et attendre entre 6 et 9 ans pour que le diamètre et la résistance du bois soit suffisants. L’heure de la coupe sonne alors, généralement au mois de mars. C’est le moment important de la « cueillette des fourches ».

fourchesforme S’engage alors la phase artisanale du processus de fabrication : on commence par chauffer le bois dans un four (sans le faire brûler, car ce serait bien dommage de faire autant de travaux pour faire du bois de chauffage !) ; il devient alors très souple et il est possible de donner aux trois dents la forme souhaitée. Ce travail se fait de différentes manières, la plus simple étant l’utilisation d’un moule en bois en forme de grille à trois traverses que l’on appelle « l’escaletto ». Un nouveau passage à la chaleur va permettre de durcir le bois et de conserver la forme obtenue de façon définitive. Il ne reste plus qu’à polir et épointer les trois dents, puis à trouver un client… Ces derniers ont bien changé et ce sont principalement les touristes qui visitent le musée et veulent rapporter un souvenir typique pour décorer, de façon éminemment rustique, les murs de leur salle à manger. Autrefois, l’outil était largement employé dans les fermes et dans les haras. Il était très apprécié des éleveurs car, contrairement aux fourches métalliques, il ne blessait pas les animaux lors de la distribution du foin dans les mangeoires. Je n’ai fait que résumer l’abondante documentation disponible sur la fourche de Sauve. Si vous souhaitez approfondir la question et devenir un expert incollable sur ce sujet, je vous propose deux liens incontournables. Le premier, bien entendu, c’est le conservatoire de la fourche (basé à Sauve comme il se doit) ; le second c’est un documentaire historique, la fourche de Sauve en 1927, que l’on peut consulter sur le site régional Nimausensis. Au cas où mon article vous aurait donné envie de planter un micocoulier provençal, sachez que l’on trouve des plants chez de nombreux pépiniéristes, mais qu’il ne faut pas être pressé. La croissance de cet arbre précieux est lente, et il est fort probable que seuls vos enfants et petits enfants bénéficieront de son ombrage. Bien que méridional (australis est à interpréter de cette façon), le micocoulier résiste aux grandes froidures. Il aime le soleil et ne dédaigne pas les terres riches, profondes, dans lesquelles sa racine pivot peut pénétrer facilement et lui assurer une résistance sans égale aux grandes rafales de vent. Si par une nuit de pleine lune vous croisez le diable, demandez lui donc où il s’est procuré sa fourche… M’est avis qu’elle arrive droit de Sauve… Qu’en pense Mère Castor ?

Nota Bene (Post Scriptum ou addenda) : à propos de fourche et de diable… Le diable dans la fourche c’est aussi le nom d’un groupe de musique traditionnelle québecois. Il y a quelques jolies ritournelles à écouter sur leur site, mais rassurez-vous ce n’est pas trop sulfureux.

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15mars2010

15 mars 1830 naissance d’Elisée Reclus

Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Philosophes, trublions, agitateurs et agitatrices du bon vieux temps.

L’un des plus grands géographes français, mais aussi l’un des plus grands théoriciens de l’anarchisme

Estimée de son vivant, puis ignorée pendant des dizaines d’années, l’œuvre scientifique et politique de ce penseur lumineux est enfin reconnue à sa juste valeur. Je ne résiste donc pas au plaisir de célébrer le cent quatre vingtième anniversaire de sa naissance. La vie d’Elisée Reclus a été si riche en péripéties, que l’exercice consistant à la résumer en quelques paragraphes est plutôt périlleux. Heureusement, les rééditions de son œuvre originale et les biographies consacrées à ce grand chercheur et à ce militant hors du commun, ne manquent pas dans les librairies. Vous pourrez donc compléter, à votre goût, les quelques informations que je vais développer ci-dessous.

eliseereclusnadar Elisée nait le 15 mars 1830 dans une famille protestante, à Ste Foy la grande, dans le Bordelais. Il est le quatrième enfant  à naître, mais non le dernier, puisque sa mère, Zéline Trigant, aura, au total, 17 enfants (3 décèdent à la naissance). Il passe son enfance auprès de ses grands parents qui se chargent de son éducation jusqu’à l’âge de 13 ans. En 1843, son père, souhaitant le voir devenir pasteur, l’envoie rejoindre son frère Elie, à Neuwied sur les bords du Rhin, côté prussien, pour y suivre des études dans un collège protestant. Elisée n’apprécie guère l’enseignement religieux délivré par les frères Moraves dans cette école. Après quelques années dans un autre collège protestant, à Ste Foy, on le retrouve inscrit en 1848, toujours avec son frère Elie, à la faculté de théologie protestante de Montauban. Il n’y restera qu’une année : les deux frangins sont exclus en 1849 à la suite d’une escapade touristique peu appréciée par les responsables de l’institution. A cette époque, il est clair que la géographie commence à intéresser nettement plus le jeune Reclus que la théologie à laquelle il renonce définitivement. Dès son plus jeune âge, il témoigne d’un goût marqué pour les voyages : en 1851, il est inscrit en faculté à Berlin où il suit les cours du géographe allemand Carl Ritter. En 1851, il rejoint son frère Elie dont il est toujours très proche, à Strasbourg, et les deux complices décident d’effectuer une traversée de la France, à pied, jusqu’à Orthez dans les Pyrénées. Le 2 décembre 1851 a lieu le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte.  Les deux frères s’engagent très clairement dans le camp des opposants politiques au rétablissement de l’Empire. Leur prise de position publique attire l’attention de la police du nouveau régime, et, menacés d’arrestation, ils préfèrent s’exiler à Londres. Elisée mène alors une vie mouvementée. Il survit en effectuant de petits travaux, et surtout se déplace fréquemment. On le retrouve successivement en Irlande, puis aux Etats-Unis (Nouvelle-Orléans), comme précepteur dans une famille aisée et enfin Colombie où il projette de créer une plantation de café. Des problèmes de santé lui font abandonner cette idée, et, en 1857 il rentre finalement en France pour s’installer à Paris, à nouveau avec son frère.

Il devient membre de la Société de Géographie, et, pendant un temps, rédige des guides de voyage pour la société Hachette. Il ne renonce pas à son activité politique, et, peu à peu, ses convictions anarchistes se renforcent. En 1864, il rencontre Michel Bakounine et les deux hommes sympathisent très vite. En 1867, il participe au congrès de l’AIT (Association Internationale des Travailleurs qui deviendra la Première Internationale) ainsi qu’à celui de la Ligue de la Paix et de la Liberté. Entre temps, il a aidé son frère à la création d’une banque populaire et à la publication d’une revue, les deux ayant pour objectif l’incitation à développer des sociétés ouvrières. Je trouve important de retracer brièvement les grandes étapes de ces quarante premières années de sa vie, car la complexité du parcours suivi, tant sur le plan géographique que professionnel, explique la richesse de ses propos et de ses observations au sein de l’œuvre politique et scientifique qu’il va rédiger au cours de la seconde partie de son existence.

les-freres-reclus Le 28 mars 1871 commence le soulèvement populaire de la Commune de Paris, et cet événement va jouer un rôle prépondérant dans la vie d’Elisée Reclus. Il s’engage volontairement dans la Garde Nationale qui combat au côté des insurgés, et il est arrêté, les armes à la main, par les Versaillais, le 4 avril. En novembre de la même année, le Conseil de guerre le condamne à la déportation en Nouvelle Calédonie (comme Louise Michel). Cette décision provoque l’indignation du monde scientifique, surtout dans les pays anglo-saxons. Le gouvernement de Thiers cède à la pression et transforme la mesure de déportation en bannissement. Elisée est libéré et se réfugie avec sa famille à Vevey, puis à Clarens, sur les bords du lac Léman, en Suisse. Après le décès de sa seconde compagne, la fièvre des voyages le reprend : Algérie, Etats-Unis, Canada, Amérique du Sud… Il rencontre de nombreux militants révolutionnaires ainsi que d’éminents confrères géographes. Il rentre en France en 1891, mais n’y séjourne que deux ans. C’est l’époque des lois scélérates contre les anarchistes, et l’atmosphère n’est guère respirable pour les militants. Il choisit alors la Belgique comme port d’attache entre deux pérégrinations, et occupe la chaire de géographie comparée à l’université de Bruxelles. C’est là qu’il rencontre la jeune Alexandra David-Néel, future exploratrice du Tibet, avec laquelle il sympathise. Le premier ouvrage de la jeune femme, publié en 1898, est d’ailleurs préfacé par Elisée. Il se lie aussi d’amitié avec le peintre Camille Pissaro. Malgré des ennuis de santé de plus en plus gênants, et une vie familiale marquée par des événements douloureux, Reclus reste toujours aussi actif, et s’implique dans de nombreuses initiatives. Il crée par exemple une société d’édition de cartes géographiques qu’il va gérer pendant six années, jusqu’à sa faillite en 1904. Malgré de graves problèmes cardiaques (angine de poitrine), il continue à voyager pendant les dernières années de sa vie, et à compléter ainsi les connaissances qu’il réinvestit dans la rédaction de sa seconde œuvre géographique majeure « L’homme et la Terre ». Il meurt le 4 juillet 1905 et il est inhumé, sans cérémonie, comme il le souhaitait, au cimetière d’Ixelles (agglomération de Bruxelles) au côté de son frère Elie mort un an auparavant. La fin de la publication de  « L’homme et la Terre », son encyclopédie géographique, se fait à titre posthume, grâce au travail réalisé par son neveu Paul Reclus.

l_homme_et_la_terre L’œuvre d’Elisée Reclus est aussi riche que son existence peut le laisser prévoir. Travailleur infatigable, Elisée ne cesse de prendre des notes sur ce qu’il observe au cours de ses voyages, et accorde une grande importance à l’interaction entre l’homme et le paysage. Comme on l’a vu au cours de cette brève biographie, les préoccupations d’Elisée concernent largement le domaine politique, et, sur ce plan aussi, ses écrits sont nombreux. Certains auteurs ont voulu voir en Reclus un précurseur de l’écologie, terme auquel il n’a jamais fait référence dans son œuvre. Il est évident que certaines idées fortes de l’écologie contemporaines apparaissent en filigrane dans plusieurs chapitres de ses écrits. Mais c’est avant tout à la dimension sociale de la géographie à laquelle Reclus s’intéresse. « L’homme et la terre » devait s’intituler à l’origine « L’homme, géographie sociale ». Un ouvrage comme « histoire d’un ruisseau » témoigne, dans sa rédaction, d’une sensibilité certaine à l’écologie en tant qu’idée scientifique, mais, sur le plan politique, Elisée Reclus n’est pas « écologiste » ; il est avant tout anarchiste et n’a pas manqué de proclamer ses convictions pendant près d’un demi-siècle. La géographie de Reclus, avec toutes les perspectives nouvelles qu’il introduit dans sa démarche, n’en reste pas moins singulièrement novatrice pour son époque. Il est indubitable que l’on y trouve les éléments fondateurs de la réflexion contemporaine sur les paysages. On peut même estimer que c’est ce caractère avant-gardiste de ses écrits, qui explique, en partie, l’oubli qui a frappé son œuvre pendant de longues années. Si l’on ajoute à cela le rejet dans l’ombre des idées libertaires à cause du « triomphe » temporaire de la parodie de communisme qu’a été le bolchevisme en URSS, on a en main de nombreux éléments pour expliquer l’ostracisme qui a marqué la géographie reclusienne. Il est satisfaisant que celle-ci, de même que la philosophie politique de son auteur, retrouve la place qui lui est due, depuis les années soixante-dix. De là à percevoir Elisée Reclus comme l’un des piliers idéologiques du courant d’écologie politique, il y a un pas qu’il serait exagéré de franchir.

histoire-dun-ruisseau La première œuvre majeure du géographe, que je n’ai pas évoquée jusqu’à présent, est une énorme géographie universelle en dix neuf volumes qui seront rédigés et publiés entre 1876 et 1894 : près de dix-huit mille pages et 4 290 cartes. Ces différents ouvrages sont accompagnés par des centaines d’articles publiés dans les revues scientifiques de différents pays. Entre ses deux grosses encyclopédies, il trouve le temps de rédiger également « La Terre, description des phénomènes de la vie du globe », en deux tomes, ou encore « Histoire d’un ruisseau » et « Histoire d’une montagne »… pour ne citer que les écrits principaux. Sur le plan politique, il est tout aussi prolifique, même s’il ne rédige pas d’ouvrages d’une ampleur aussi considérable. Il expose longuement ses convictions dans « l’anarchie », paru en 1894,  ou dans « l’évolution, la révolution et l’idéal anarchique », paru en 1897 . Il rédige également les introductions de toute une série d’ouvrages d’autres auteurs (notamment les traductions des écrits de Pierre Kropotkine), des brochures et de longs articles dans la presse libertaire. Il n’y a aucun cloisonnement entre les divers domaines dans lesquels il écrit, et ses idées politiques transparaissent largement dans ses travaux géographiques, en particulier dans « l’homme et la terre ». Il possède un talent d’écrivain indiscutable, ainsi que cette capacité admirable à s’exprimer à l’aide d’un langage simple, sans pédanterie, en faisant appel à des descriptions courtes mais très évocatrices. Reclus est avant tout un excellent pédagogue. S’il n’avait pas été animé par une telle foi dans le progrès, je pense que l’on pourrait même le qualifier d’écrivain romantique. Certains passages de ses livres sont empreints d’une poésie indiscutable et sont un témoignage talentueux de son amour indiscutable pour la nature. « Histoire d’un ruisseau » ou « Histoire d’une montagne » peuvent se lire comme des romans, et ne demandent aucune compétence géographique particulière. Le premier de ces deux livres constitue une très bonne approche de l’œuvre de cet auteur. Deux brefs extraits :

« L’histoire d’un ruisseau, même de celui qui naît et se perd dans la mousse, est l’histoire de l’infini. Ces gouttelettes qui scintillent on traversé le granit, le calcaire et l’argile ; elles ont été neige sur la froide montagne, molécule de vapeur dans la nuée, blanche écume sur la crête des flots ; le soleil, dans sa course journalière, les a fait resplendir des reflets les plus éclatants ; la pâle lumière de la lune les a vaguement irisées ; la foudre en a fait de l’hydrogène et de l’oxygène, puis d’un nouveau choc a fait ruisseler en eau ces éléments primitifs. Tous les agents de l’atmosphère et de l’espace, toutes les forces cosmiques ont travaillé de concert à modifier incessamment l’aspect et la position de la gouttelette imperceptible ; elle aussi est un monde comme les astres énormes qui roulent dans les cieux, et son orbite se développe de cycle en cycle par un mouvement sans repos. »

« Même dans la saison où la nature est le plus avare de ses richesses, le ruisseau nous charme par une physionomie nouvelle. Pendant les grands froids, ceux d’entre nous qui ne sont pas trop frileux peuvent assister à la lutte charmante que se livrent la glace envahissante et l’eau restée mobile. De chaque petit caillou, de chaque racine avancée, une aiguille de cristal, puis une deuxième, une troisième et d’autres encore s’allongent à la surface de l’eau, et de toutes ces lames rayonnent à droite et à gauche mille flèches transparentes : un réseau de glace, formé d’innombrables lamelles, se tisse sur la nappe frémissante. Bientôt une sorte de collerette gracieusement découpée oscille autour de toutes les pointes de la berge, de tous les bouquets de joncs, de toutes les rondeurs des souches qui baignent dans le flot et chacune de ces franges de glace prend tour à tour le ton mat du verre dépoli et l’éclat du diamant, suivant le mouvement des vaguelettes qui l’agitent et la font reposer, tantôt sur un coussin d’air, tantôt sur la masse même de l’eau… »

portrait-reclus-nadar La vie entière d’Elisée Reclus est marquée par le respect profond qu’il a de ses idées et de ses engagements. Amoureux de la liberté, il témoigne aussi d’une grande rigueur morale, et d’une foi inébranlable dans la capacité de l’humanité à évoluer vers un futur plus souriant. Internationaliste convaincu, il témoigne d’un intérêt certain pour l’espéranto, langage universel en cours d’élaboration à la fin de sa vie. Il devient végétarien très jeune et publie de nombreux articles positifs sur le naturisme dont il vante les bienfaits pour la santé. Rares sont les domaines novateurs à son époque, qui échappent à son esprit curieux. Au cours de sa vie mouvementée, il eut trois épouses successives, avec lesquelles il établit un « contrat » qui avait à ses yeux une toute autre valeur que l’hypocrisie du mariage religieux. Ses deux premières compagnes moururent au bout de quelques années de vie commune. Il y eut d’abord Clarisse, d’origine Peul, qu’il épousa civilement en 1858 et dont il eut deux filles. Sa relation avec Fanny ne dura que quatre années, jusqu’en 1874 car elle mourut en mettant leur enfant au monde. Il vécut les trente dernières années de sa vie avec Ermance qu’il épousa civilement en 1875, mais ils n’eurent pas d’enfant ensemble.

« Je n’ai pas vécu seulement dans le passé de l’histoire, j’ai frémi, moi aussi, cellule infinitésimale, de la grande vibration de vie qui anime aujourd’hui toute l’humanité, le grand corps de la Terre. »

reclus

Postscriptum : outre les différents ouvrages de Reclus que je possède, la principale source d’inspiration de cet article est une brochure remarquable de la collection « Itinéraire » consacrée à ce grand homme. Parue en 1998, elle n’est malheureusement plus disponible chez l’éditeur (de même que la quinzaine d’autres brochures de la collection). Il faut la trouver chez un bouquiniste ou par le biais d’une petite annonce sur Internet. Les photos utilisées pour illustrer cette chronique ont été collectées sur la « toile » au fil de mes recherches. La dernière image m’a été envoyée par JEA du blog Mo(t)saïques. Bonne lecture !

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10mars2010

Le chemin de fer de La Mure, huitième « merveille du Dauphiné »

Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage; La grande époque des chemins de fer.

Le nombre de pages en relation avec les chemins de fer, dans ce blog, n’est pas à la hauteur de l’intérêt que je lui porte. Il est grand temps que je fasse un petit effort de communication ! Embarquez donc pour une chronique de plus dans la catégorie « un panache de fumée » ! Avant toute autre chose, un bref hommage aux ouvriers qui ont œuvré, au péril de leur vie, à la construction de cette merveille dauphinoise (je l’appelle ainsi bien qu’elle ne fasse aucunement partie de la liste « officielle » des « sept merveilles du Dauphiné »). L’ouvrage était considérable et particulièrement périlleux. Le présent récit va tenter de vous montrer la démesure de cette réalisation, ainsi que son importance économique et humaine.

viaduc-de-loulla Le plateau de la Matheysine au Sud de Grenoble, et en particulier les environs de la petite ville de La Mure, abrite un bassin minier ancien puisque la première mention de son existence remonte à l’an 1261. Au XIXème siècle, avec l’essor de l’industrie, son importance est considérable. Cependant, le transport du charbon produit dans le secteur est particulièrement difficile, surtout l’hiver. Dès 1855, la compagnie des mines de La Mure réclame la construction d’une ligne de chemin de fer facilitant la livraison du minerai dans la vallée. La décision définitive n’est prise qu’en 1878. Le Conseil Général de l’Isère et le Gouvernement accordent au projet (déclaré d’intérêt public), des subventions importantes. Le chantier est lancé en 1882. Les autorités ont tranché en faveur d’un train circulant sur voie étroite, un peu moins coûteux. Le devis prévisionnel s’élève cependant à 12 millions de franc or, matériel roulant inclus. Les travaux à effectuer sont considérables. Le tracé doit être le plus bref mais aussi le plus sûr possible. Entre La Mure, sur le plateau, et Saint Georges de Commiers, dans la vallée de l’Isère, la différence d’altitude est de 600 m. Il est impossible de suivre le tracé de la route existante car sa pente est trop forte. Les ingénieurs décident donc que le chemin de fer empruntera la vallée du Drac. Le problème c’est que les parois rocheuses qui longent la rivière traversent des zones très escarpées, et qu’il va falloir accrocher la voie ferrée par endroits à des falaises verticales (cf photos et texte en fin de chronique). Le chantier est techniquement délicat, et certains passages vont être périlleux à construire. Les Ponts et Chaussées prennent en charge la totalité de la construction. Les équipes sont dirigées par l’ingénieur en chef Rivoire-Vicat. Les travaux vont durer six ans, et le tracé choisi nécessitera finalement la construction de 142 ouvrages d’art sur 30 kilomètres (16 km à vol d’oiseau). On compte pas moins de 6 grands viaducs et 18 tunnels (1/7 du trajet, environ 4,3 km, se fait sous tunnel). Grâce au choix bien adapté de la voie étroite, plusieurs boucles sont possibles dans le tracé et permettent d’obtenir une pente qui ne dépasse pas 2,8 %. Ces chiffres impressionnants ne rendent malheureusement que très partiellement compte de la prouesse technique accomplie. Dans le passage le plus vertical au dessus de la vallée du Drac, les Ponts et Chaussées font appel à l’artillerie militaire pour créer une brèche dans la falaise, afin que les ouvriers puissent creuser le passage de la voie. Le 23 mai 1885, 103 obus sont tirés sur la paroi depuis la rive opposée du Drac. Quand le chantier se déroule, le barrage de Monteynard n’existe pas encore, et le train passe à plus de 300 mètres à la verticale du fond de la vallée (depuis la construction de la retenue, cette hauteur a été réduite de moitié).

thury1 Malgré toutes ces difficultés, les travaux se déroulent sans encombres majeures et l’inauguration de la voie a lieu le 24 juillet 1888. Les premiers engins utilisés pour tracter les lourds convois de charbon sont des locomotives à vapeur, mais très vite la voie va être électrifiée : 6 km en 1903 et la totalité en 1912. Il s’agit là d’une première mondiale sur le plan technique. Le SGLM (St Georges La Mure) est en effet le premier train au monde a être électrifié en courant continu sous haute tention (2400 V). Le concepteur de cette innovation est l’ingénieur André Thury. La houille noire est transportée grâce à la houille blanche produite par l’usine hydroélectrique d’Avignonet. L’électrification expérimentale de la voie nécessite le changement du matériel moteur utilisé pour tracter les trains.Les locomotives vapeur Fives 031 utilisées au départ sont remplacées par de nouvelles machines conçues par l’ingénieur suisse René Thury. La partie électrique est construite à Genève et la partie mécanique à Saint-Denis dans la Seine. La première machine, baptisée « le Drac », est mise en service en 1903 ; quatre autres furent livrées par la suite. Ces premières locos E1 assurèrent le service jusqu’en 1933. Aucun exemplaire n’a malheureusement été conservé. Il faut dire que l’intérêt pour le « patrimoine industriel » se manifeste depuis fort peu de temps dans notre pays. Ces machines robustes pouvaient remorquer 20 wagons vides, soit une charge de cent tonnes, à la montée, et possédaient un système de freinage qui leur permettait de retenir une charge trois fois plus lourde en descente. Il est important de noter qu’un seul accident grave eut lieu pendant un siècle d’exploitation. Le charbon fut toujours livré à bon port dans la vallée. Avoir cette notion en tête est un facteur plutôt rassurant lorsque l’on franchit certains viaducs au cours du trajet !

viaduc-de-la-clapisse Puisque l’on parle de charbon, les chiffres suivants donnent une idée du volume de minerai extrait à La Mure et transporté par le vaillant « p’tit train » (allusion au fait qu’il emprunte une voie étroite d’un mètre de large) :
– 1888, année de la mise en service, 46 500 tonnes ;
– 1916, en pleine guerre, 300 000 tonnes ;
– 1940, 573 000 tonnes ;
– 1966, record, 791 000 tonnes ;
– 1987, concurrence de la route et baisse d’exploitation, 60 000 tonnes.
En ce qui concerne les voyageurs, en 1911, le SGLM proposait 4 allers et retours chaque jour, de la vallée vers le plateau. Peu à peu, les performances s’améliorèrent : en 1888 il fallait compter 2h40 pour effectuer l’ascension, et moitié moins de temps pour le retour. En 1932, un record fut établi avec une montée en 1 h 12 mn. Pour rentabiliser le trajet, beaucoup de rames étaient mixtes, marchandises et voyageurs, et un wagon postal assurait le transport du courrier. Du fait que les convois empruntaient une voie unique, un système de sécurité à première vue plutôt simple, et cependant très fiable, avait été mis en place. Le chef de train avait l’obligation de posséder un « bâton pilote » correspondant à la section de voie sur laquelle il s’engageait. Ce bâton était donné au conducteur par le chef de la gare d’entrée ; il devait ensuite le rendre, une fois la section parcourue, au chef de la gare de sortie. Il n’y avait qu’un bâton par section. Lorsque celui-ci se trouvait dans le train allant de A à B, il ne pouvait se trouver dans la cabine du train effectuant le trajet inverse. Celui-ci n’avait donc pas le droit de s’engager. A l’ère de l’électronique et de la signalisation lumineuse à tout va, ce système peut prêter à sourire, mais il a néanmoins fait ses preuves !

viaduc-de-la-roizonne Par la suite le tracé de la voie fut prolongé au delà de La Mure, tant le succès rencontré par le chemin de fer était grand. Dès son démarrage, le projet fut ralenti par la première guerre mondiale. Plusieurs centaines de prisonniers allemands furent embauchés sur le chantier pour rattraper le retard, mais ce n’est qu’en 1932 que le train atteignit enfin la petite ville de Corps. Encore une fois, des prouesses techniques furent réalisées par les ouvriers bâtisseurs. L’un des ouvrages le plus spectaculaire de ce tronçon est le viaduc de Roizonne, qui possède le privilège d’être l’un des derniers ouvrages d’art maçonnés construits en France, et sans doute le dernier à usage ferroviaire. Sa longueur totale est de 260 mètres et son arche centrale (voir photo) a une portée de 80 m. Depuis l’arrêt de circulation des trains entre La Mure et Corps, en 1952, le viaduc est utilisé par la route départementale qui permet de se rendre à Valbonnais. Il n’a donc pas été désaffecté comme l’ont été tant d’autres de ces œuvres monumentales, notamment dans le Massif Central. L’âge d’or du chemin de fer était terminé : la liaison Corps-Gap, qui aurait permis une traversée des Alpes depuis Grenoble jusqu’à Gap, ne fut jamais achevée. A partir de 1930, la construction des voies ferrées secondaires n’avait plus le vent en poupe ; la route prenait la relève peu à peu. Seul le tronçon initial jusqu’à La Mure fut maintenu en service, en raison des services qu’il rendait pour le transport du charbon. Le trafic voyageur fut arrêté en 1950 et le transport de la houille continua jusqu’en 1988. La dernière mine d’anthracite de La Mure ferma en 1997. Cette année-là, la décision fut prise de transformer le chemin de fer de La Mure en train touristique. Depuis, cette idée rencontre un succès grandissant : d’année en année, le nombre de voyageurs ne cesse d’augmenter… La société qui exploite ce filon touristique est une filiale de Véolia Environnement. Divers attractions sont proposées aux touristes le long du trajet. Certaines sont d’un intérêt limité, mais le voyage lui-même est suffisamment impressionnant pour justifier un arrêt d’une ou plusieurs journées dans cette sympathique région. Dans les environs de La Mure, de nombreuses balades sont possibles, permettant de découvrir les richesses du plateau Matheysin et le massif voisin de l’Obiou. Ce p’tit tour en train, nous l’avons fait il y a quelques années, par une belle journée d’été, et nous n’avons pas regretté notre excursion.

construction-viaduc-de-la-roizonne

Le même viaduc qu’à la photo précédente, mais en construction (cf échafaudage). A cette époque, mon grand-père travaillait dans les ponts et chaussées, non loin de La Mure.

Pour conclure cette chronique, voici la façon dont Joris-Karl Huysmans raconte, par la bouche du héros de l’un de ses récits, Durtal, son voyage « héroïque » sur la ligne de St Georges de Commiers à La Mure. Le passage concernant la description de la rivière Drac (dragon en dauphinois) est assez grandiose  :

« Le train montait, en soufflant, tournant sur lui-même tel qu’une toupie, descendait dans des tunnels, s’engouffrait sous la terre, paraissait refouler devant lui le jour ; puis il sortait dans un hallali de lumière, revenait sur ses pas, se dérobait dans un nouveau trou, puis ressortait encore dans un bruit strident de sifflets et un fracas assourdissant de roues, et courait sur des lacets taillés en pleine roche, sur le flanc des monts.
Et, subitement, les pics s’étaient écartés, une énorme éclaircie avait inondé le train de lueurs ; le paysage avait surgi, terrible, de toutes parts. Le Drac apparaissait au fond du précipice. Un serpent liquide qui rampait et se tordait, colossal, entre des rocs, ainsi qu’entre les crocs d’un gouffre.
Par instant, en effet, ce reptile se redressait, se jetait sur des quartiers de rochers qui le mordaient au passage, et, comme empoisonnées par ce coup de dent, les eaux changeaient ; elles perdaient leur couleur d’acier, blanchissaient, en moussant, se muaient en un bain de son ; puis le Drac accélérait sa fuite, se ruait dans l’ombre des gorges, s’attardait, au soleil, sur des lits de graviers et s’y vautrait ; il rassemblait encore ses rigoles dispersées, reprenait sa course, s’écaillait de pellicules semblables à la crème irisée du plomb qui bout ; et, plus loin, il déroulait ses anneaux et disparaissait, en pelant, laissant après lui sur le sol un épiderme blanc et grénelé de cailloux, une peau de sable sec.
[…] On était positivement dans cette voiture entre le ciel et la terre… On filait, suspendu en l’air, à des hauteurs vertigineuses, sur d’interminables balcons, sans balustrades ; et, au dessous, les falaises dévalaient en avalanche, tombaient abruptes, nues, sans une végétation, sans un arbre… »

passage-de-la-rivoire

La ligne de La Mure sur une carte postale envoyée par mon grand-père entre 1905 et 1910. La retenue sur le Drac n’existe pas encore.

le-train-de-la-mure

Cette photo et la suivante ont été prises lors de notre voyage fin août 2007. La couleur des eaux a changé avec la retenue et le Drac ne ressemble plus guère à la description de Huysmans !

vallee-du-drac

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8mars2010

Petit florilège à ma façon sur les élections

Posté par Paul dans la catégorie : Un long combat pour la liberté et les droits; Vive la Politique.

je-participe En commençant par Elisée Reclus (en septembre 1885)

« Voter, c’est abdiquer ; nommer un ou plusieurs maîtres pour une période courte ou longue, c’est renoncer à sa propre souveraineté. Qu’il devienne monarque absolu, prince constitutionnel ou simplement mandataire muni d’une petite part de royauté, le candidat que vous portez au trône ou au fauteuil sera votre supérieur. Vous nommez des hommes qui sont au-dessus des lois, puisqu’ils se chargent de les rédiger et que leur mission est de vous faire obéir.

Voter, c’est être dupe ; c’est croire que des hommes comme vous acquerront soudain, au tintement d’une sonnette, la vertu de tout savoir et de tout comprendre. Vos mandataires ayant à légiférer sur toutes choses, des allumettes aux vaisseaux de guerre, de l’échenillage des arbres à l’extermination des peuplades rouges ou noires, il vous semble que leur intelligence grandisse en raison même de l’immensité de la tâche. L’histoire vous enseigne que le contraire a lieu. Le pouvoir a toujours affolé, le parlotage a toujours abêti. Dans les assemblées souveraines, la médiocrité prévaut fatalement.

Voter c’est évoquer la trahison. Sans doute, les votants croient à l’honnêteté de ceux auxquels ils accordent leurs suffrages — et peut-être ont-il raison le premier jour, quand les candidats sont encore dans la ferveur du premier amour. Mais chaque jour a son lendemain. Dès que le milieu change, l’homme change avec lui. Aujourd’hui, le candidat s’incline devant vous, et peut-être trop bas ; demain, il se redressera et peut-être trop haut. Il mendiait les votes, il vous donnera des ordres. L’ouvrier, devenu contre-maître, peut-il rester ce qu’il était avant d’avoir obtenu la faveur du patron ? Le fougueux démocrate n’apprend-il pas à courber l’échine quand le banquier daigne l’inviter à son bureau, quand les valets des rois lui font l’honneur de l’entretenir dans les antichambres ? L’atmosphère de ces corps législatifs est malsain à respirer, vous envoyez vos mandataires dans un milieu de corruption ; ne vous étonnez pas s’ils en sortent corrompus.

N’abdiquez donc pas, ne remettez donc pas vos destinées à des hommes forcément incapables et à des traîtres futurs. Ne votez pas ! Au lieu de confier vos intérêts à d’autres, défendez-les vous-mêmes ; au lieu de prendre des avocats pour proposer un mode d’action futur, agissez ! Les occasions ne manquent pas aux hommes de bon vouloir. Rejeter sur les autres la responsabilité de sa conduite, c’est manquer de vaillance. »

greve-des-electeurs En passant par un texte sanglant d’Octave Mirbeau (La grève des électeurs – 1888)

« […] Entre ses voleurs et ses bourreaux, il a des préférences, et il vote pour les plus rapaces et les plus féroces. Il a voté hier, il votera demain, il votera toujours. Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne se disent rien, eux, et ils n’espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des Révolutions pour conquérir ce droit.
Ô bon électeur, inexprimable imbécile, pauvre hère, si, au lieu de te laisser prendre aux rengaines absurdes que te débitent chaque matin, pour un sou, les journaux grands ou petits, bleus ou noirs, blancs ou rouges, et qui sont payés pour avoir ta peau ; si, au lieu de croire aux chimériques flatteries dont on caresse ta vanité, dont on entoure ta lamentable souveraineté en guenilles, si, au lieu de t’arrêter, éternel badaud, devant les lourdes duperies des programmes ; si tu lisais parfois, au coin du feu, Schopenhauer et Max Nordau, deux philosophes qui en savent long sur tes maîtres et sur toi, peut-être apprendrais-tu des choses étonnantes et utiles. Peut-être aussi, après les avoir lus, serais-tu moins empressé à revêtir ton air grave et ta belle redingote, à courir ensuite vers les urnes homicides où, quelque nom que tu mettes, tu mets d’avance le nom de ton plus mortel ennemi. Ils te diraient, en connaisseurs d’humanité, que la politique est un abominable mensonge, que tout y est à l’envers du bon sens, de la justice et du droit, et que tu n’as rien à y voir, toi dont le compte est réglé au grand livre des destinées humaines.

Rêve après cela, si tu veux, des paradis de lumières et de parfums, des fraternités impossibles, des bonheurs irréels. C’est bon de rêver, et cela calme la souffrance. Mais ne mêle jamais l’homme à ton rêve, car là où est l’homme, là est la douleur, la haine et le meurtre. Surtout, souviens-toi que l’homme qui sollicite tes suffrages est, de ce fait, un malhonnête homme, parce qu’en échange de la situation et de la fortune où tu le pousses, il te promet un tas de choses merveilleuses qu’il ne te donnera pas et qu’il n’est pas d’ailleurs, en son pouvoir de te donner. L’homme que tu élèves ne représente ni ta misère, ni tes aspirations, ni rien de toi ; il ne représente que ses propres passions et ses propres intérêts, lesquels sont contraires aux tiens. Pour te réconforter et ranimer des espérances qui seraient vite déçues, ne va pas t’imaginer que le spectacle navrant auquel tu assistes aujourd’hui est particulier à une époque ou à un régime, et que cela passera. Toutes les époques se valent, et aussi tous les régimes, c’est-à-dire qu’ils ne valent rien. Donc, rentre chez toi, bonhomme, et fais la grève du suffrage universel. Tu n’as rien à y perdre, je t’en réponds ; et cela pourra t’amuser quelque temps. Sur le seuil de ta porte, fermée aux quémandeurs d’aumônes politiques, tu regarderas défiler la bagarre, en fumant silencieusement ta pipe.
Et s’il existe, en un endroit ignoré, un honnête homme capable de te gouverner et de t’aimer, ne le regrette pas. Il serait trop jaloux de sa dignité pour se mêler à la lutte fangeuse des partis, trop fier pour tenir de toi un mandat que tu n’accordes jamais qu’à l’audace cynique, à l’insulte et au mensonge.
Je te l’ai dit, bonhomme, rentre chez toi et fais la grève. »

le-vote-ne-change-rien L’avis d’Emma Goldman sur le droit de vote pour les femmes (juin 1913)

« Notre fétiche moderne est le suffrage universel. Ceux qui ne le possèdent pas encore combattent et font des révolutions sanglantes pour l’obtenir. Ceux qui jouissent de son règne font de lourds sacrifices à l’autel de sa divinité omnipotente. Malheur aux hérétiques qui osent douter de cette divinité !
La femme, plus encore que l’homme, est adoratrice des fétiches, et quoique ses idoles puissent changer, elle est toujours à genoux, toujours élevant ses mains, toujours aveugle au fait que son Dieu a des pieds d’argile. Ainsi elle est le plus grand soutien de toutes les déités depuis un temps immémorial. Aussi elle a eu à payer le prix que seuls les dieux peuvent exiger : sa liberté, le sang de son cœur, sa vie même. […]
La religion, spécialement la religion chrétienne, a condamné la femme à la vie inférieure de l’esclave. Elle a contrecarré sa nature et enchaîné son âme. Malgré cela, cette religion n’a pas de plus grand soutien, pas de plus dévoué partisan que la femme. En vérité, on peut dire avec certitude que la religion aurait depuis longtemps cessé d’être un facteur dans la vie des peuples sans l’appui qu’elle reçoit de la femme. Les plus ardents ouvriers de l’Eglise, les plus infatigables missionnaires dans le monde entier sont femmes, toujours sacrifiant sur l’autel des dieux qui ont enchaîné leur esprit et asservi leur corps.
[…] On peut dire que la femme désire le suffrage pour se libérer, parce qu’elle reconnaît le terrible péage qu’elle doit verser à l’Eglise, à l’Etat et au foyer. Ce peut être vrai pour quelques unités, mais la majorité des suffragistes répudie entièrement un tel blasphème. Au contraire, elles affirment toujours que c’est le suffrage des femmes qui fera d’elles de meilleures chrétiennes et femmes d’intérieur, de dévouées citoyennes de l’Etat. Ainsi, le suffrage est seulement un moyen de fortifier l’omnipotence des dieux mêmes que la femme a servis depuis un temps immémorial.
[…] Comme autrefois, même les plus éclairées espèrent en un miracle de la divinité du xxe siècle : le suffrage. Vie, bonheur, joie, liberté, indépendance, tout cela et davantage doit naître du suffrage. Dans sa dévotion aveugle, la femme ne voit pas ce que les gens éclairés aperçurent il y a cinquante ans. Elle ne se rend pas compte que le suffrage est un mal, qu’il a seulement aidé à asservir les gens, qu’il leur a fermé les yeux, afin qu’ils ne voient pas le subterfuge grâce auquel on obtient leur soumission.

Le désir de la femme pour le suffrage est basé sur le principe qu’elle doit avoir des droits égaux à ceux de l’homme dans toutes les affaires de la société. Personne ne pourrait réfuter cela si le suffrage était un droit. Hélas ! c’est à cause de l’ignorance de l’esprit humain que l’on peut voir un droit dans une imposture. Une partie de la population fait des lois, et l’autre partie est contrainte par la force à obéir. N’est-ce pas là la plus brutale tromperie ? Cependant, la femme pousse des clameurs vers cette ” possibilité dorée ” qui a créé tant de misères dans le monde et dépouillé l’homme de son intégrité, de sa confiance en lui-même et en a fait une proie dans les mains de politiciens sans scrupules.
Libre, le stupide citoyen de la libre Amérique ? Libre de mourir de faim, de rôder sur les grandes routes de ce grand pays. Il possède le suffrage universel. Grâce à ce droit, il a tout juste réussi à forger des chaînes autour de ses membres. […] Cependant tous ces résultats désastreux n’ont rien appris à la femme. Même alors, on nous assure que la femme purifiera la politique.
Il est inutile de dire que je ne m’oppose pas au suffrage des femmes pour la raison qu’elles n’en sont pas dignes. Je ne vois pas de raisons physiques, psychiques ou morales interdisant à la femme de voter. Mais cela ne peut pas me convaincre que la femme réussira là où l’homme a échoué. Si elle ne faisait pas les choses plus mal, elle ne pourrait certainement pas les faire mieux. Donc, c’est la doter de pouvoirs surnaturels que d’affirmer qu’elle réussirait à purifier ce qui n’est pas susceptible de purification. Puisque le plus grand malheur de la femme est d’être considérée comme un ange ou comme un diable, son véritable salut repose sur le fait d’être considérée comme un être humain, c’est-à-dire sujet à toutes les folies et erreurs des hommes. Devons-nous alors croire que deux erreurs feront quelque chose de juste ? Pouvons-nous penser que le poison inhérent à la politique sera diminué, si les femmes entrent dans l’arène ? Les plus ardentes suffragistes soutiendraient difficilement telle folie. […]

changer-la-vie Avec une escale relaxante chez Patrick Font (1978)

« […] J’ai fait imprimer des Tshirts qui sont en vente dans toutes mes permanences et sur lesquels on peut lire : JE VOTE CON.
Vous allez dire « je vote con », c’est un pléonasme, et qu’il suffirait d’écrire « je vote » pour que les gens vous disent : CON? » Certes, certes, mais j’ai fait écrire JE VOTE CON parce que les cons ne savent pas ce qu’est un pléonasme. Un con qui apprendrait ce qu’est un pléonasme ne voterait plus, deviendrait intelligent, commencerait à réfléchir, finirait par se gouverner lui-même. Je n’ai que faire des marginaux.
Etant donné le succés électoral que je vais remporter, il est possible , il est même fort possible, il est possible même fort; il est possible, fort même, que le président de la république se dise, je shite : « Merde ! ce chié mec est un mec chié, je vais le prendre comme premier ministre », comme quoi un con chasse l’autre et je pense qu’après jacques Chirac et raymond barre, ma gueule de con ne décevra pas les admirateurs des deux précédents. Mais si je suis élu premier ministre, il va me falloir composer un gouvernement de cons, avec des ministres cons et ma tâche sera bien délicate, car pour touver plus cons que les ministres actuels, va t il falloir que j’aille recruter à l’Académie française, dans l’équipe des verts de saint étienne ? puisque la culture et le sport sont devenus les hauts de la connerie française. D’ailleurs, dans mon gouvernement, j’ai l’intention de fusionner le secrétariat des sports, avec le secrétariat de la Culture pour en faire un secrétariat unique, que j’intitulerai « le Haut Secrétariat Ministériel des Réalisations Fascistes » car je ne fais pas de politique .
Et comme tous les hommes politiques, je ne suis pas un homme du passé, je suis un nostalgique de l’avenir. Chères connes, chers cons, vous avez devant vous un homme qui ne demande pas le pouvoir pour le pouvoir, mais le pouvoir pour pouvoir pouvoir. Oui, la nuance vous échappe puisque vous êtes con, mais plus vous êtes cons, moins il y aura de nuance et quand vous serez complètement cons, la nuance aura disparu à un point tel qu’il n’y aura plus de clivage entre les petits cons, les grands cons, les jeunes cons, les vieux cons, les gros cons et les sales cons, ce sera la fin du régime des partis. Mais, il fallait aux cons qui sont actuellement dispersés dans toute les couches de la société, une tête.
Je vous propose la mienne, elle n’est pas parfaite mais avec un peu de persil sous le nez et un an d’abonnement à Télé 7 Jours, je serai fin con pour affronter les urnes pour une crance encore plus fonne.
Mous avec Toi! Nous naincrons car nous sommes les plus conbreux. « La répoubelle nous applique !!! » »

Du sérieux chez Alternative Libertaire (Belgique)

« Contrairement à ce qui se dit ici ou là, les anarchistes sont extrêmement respectueux du droit de vote et des élections.
Tellement, qu’ils ne cessent de se battre pour que ce droit puisse s’exercer dans tous les domaines de la vie, dans les entreprises, dans les quartiers, à l’école et jusque dans les derniers recoins de la sphère du privé.
Tellement, qu’ils ne cessent de se bagarrer pour que ce droit ait les moyens économiques, financiers et politiques de s’exercer pleinement et égalitairement.
Tellement, qu’ils ne cessent de clamer sur tous les toits que ce droit n’a de sens que s’il s’accompagne d’un mandatement précis et d’un contrôle permanent pouvent déboucher sur une révocabilité à tout moment.
Tellement, qu’ils veulent remettre le système sur ses pieds en renversant le rapport de force entre les mandants et le mandataire par l’introduction du mandat impératif et de la révocabilité des élus…
Pour toutes ces raisons, et pour bien d’autres, les anarchistes se refusent à cautionner cette caricature que sont les élections au royaume de la “démocratie” parlementaire.
Pour toutes ces raisons, et pour bien d’autres encore, ils ne se présentent pas à ces pseudo-élections et vous invitent régulièrement à les boycotter.
Pour toutes ces raisons… ils ont la faiblesse de croire que le plus court chemin menant à un droit de vote digne de ce nom et à des élections qui ne soient pas des pièges à cons, consiste aujourd’hui à agir plutôt qu’à élire. »

retour-a-la-normale Pour conclure provisoirement, sur un texte d’actualité de Patrick Mignard (mars 2010)

« Un spectre hante la classe politique, le spectre de l’abstention…. Peu en parlent mais tous y pensent, partagés entre l’incrédulité devant le refus de ce qui est présenté comme un symbole de la démocratie et la hantise de la désertion en masse de celles et ceux qui sont censés fonder la légitimité de l’élu.La classe politique fait « comme si… » préférant se concentrer plus sur ses éternelles promesses que sur le scepticisme qui gagne peu à peu l’ensemble du « corps électoral », faisant confiance à l’influence des médias pour limiter les dégâts.

LE CHAMP DE L’ABSTENTION
Il est en dehors de celui de la politique (mais pas du politique)… il en est même la négation.
L’abstention est un phénomène qui se développe en dehors de toute militance… On peut certes, appeler à l’abstention, mais c’est un appel un peu particulier et qui ne couvre d’ailleurs pas le champ de celles et ceux qui s’abstiennent. Autrement dit, personne ne peut se revendiquer du « refus de voter »… contrairement à celles et ceux qui appellent à voter pour un candidat et qui, de ce fait, peuvent parler de « leurs » électeurs. Les abstentionnistes n’appartiennent à personne. Mais, dans tous les cas, ils sont l’illustration même de la faillite du processus dit « démocratique »… Se désintéresser à ce point, voire refuser, ce qui nous est présenté comme la quintessence du processus démocratique, en dit long sur les carences de celui-ci. La dégénérescence « du » politique, en ce que l’on appelle « la » politique aboutit à la négation même de la citoyenneté, et en sa régénérescence dans un refus et une opposition à cette dérive. Autrement dit, l’abstentionniste est aujourd’hui certainement plus conscient politiquement que le « dévot qui vote pour son idole ».
En effet, le phénomène de l’abstention n’est plus aussi systématiquement le fait de personnes « apolitiques », péjorativement qualifiées de « pêcheurs à la ligne »( ?). La faillite du « modèle démocratique marchand » directement lié à la décadence du système marchand fait tomber les illusions. On ne s’abstient plus par négligence ou inintérêt, mais par dégoût et ras de bol d’être pris pour un imbécile par des profiteurs du pouvoir.
L’abstention n’est pas une idée, pas plus qu’une opinion ou une doctrine,… elle est une attitude, certains diront une posture, et en ce sens, que l’on ne s’y méprenne pas, elle est éminemment politique… et les politiciens commencent à s’en rendre compte.
Cette attitude, très « en creux », de l’engagement politique serait-elle méprisable ? Certainement pas. Le refus, la résistance, même s’ils ne sont pas des engagements précis pour l’avenir sont avant tout les prémisses d’une prise de conscience.

QUELS ENJEUX POUR L’ELECTION ?
Bien naïf celle ou celui qui croit qu’il y a véritablement un enjeu sérieux pour l’élection. Globalement, tout est joué d’avance…. Il suffit de regarder les précédents scrutins,… même quand la « Gauche » est passée.
La mécanique politique et électorale, la stratégie des partis, le rôle des institutions, la manipulation de l’opinion par les médias, les intérêts à courts, moyens et long terme d’une classe politique profiteuse et parasite,… font que, malgré une apparente démocratie,… rien ne change et rien ne peut changer…. Et on va le voir dans les mois prochains, rien ne changera.
C’est cette situation, complètement bloquée, sans espoir d’avenir et seulement animée par des marionnettes médiatiques qui s’agitent dans des débats sans intérêt qui entraîne peu à peu les citoyens à se détourner de l’élection.
Les seuls véritables enjeux sont en fait la variation des rapports de forces entre partis politiques,… Comment ceux-ci vont se partager le pouvoir et ses privilèges. Pour ce qui est des « différences politiques »,… il suffit de voir comment ils se comportent une fois au pouvoir… Que reste-t-il de l’ « expérience de la Gauche au pouvoir » ?… pas de commentaire.
L’ « affrontement » entre le PS et l’UMP est comparé, dans les médias, à une compétition sportive auquel on invite les spectateurs à s’intéresser, à compter les coups, à choisir son champion… Sans parler des dérives constantes qui transforment la campagne électorale en déballage de poubelles. Ca montre un peu les bas-fonds et la débilité dans lesquels est tombée « la » politique.
Quant aux partis dits « contestataires », voire dit « révolutionnaires », qui s’agitent dans les médias et devant les préfectures, ils n’ont, et ils le savent, aucune chance de se faire entendre. Ils peuvent donc faire des promesses dont ils sont sûrs qu’ils n’auront pas à rendre de comptes. Ils en profitent aussi pour placer à des postes politiquement, voire financièrement, intéressants de jeunes loups en pleine croissance ou des vieux chevaux de retour en manque de situation stable (des noms ?).
Autrement dit les élections vont passer, les problèmes vont rester.

L’ABSTENTION,… ET APRES ?
Là est la vrai question. L’abstention ne réglant rien, il est nécessaire de concevoir une autre stratégie.
D’abord le faux débat qui consiste à dire : « l’importante abstention ne change rien, tout se passe sans en tenir compte »,… et de prendre comme exemple les USA où à peu près un électeur sur deux ne vote pas… et où il ne se passe rien  de déterminant. C’est vrai aux USA, mais on peut faire l’hypothèse, qu’en France – la culture politique étant tout à fait différente qu’outre atlantique – et même dans d’autres pays européens, une importante abstention, à un moment donné, va être insupportable, créer un malaise collectif et être génératrice d’une interrogation générale sur sa signification.
Ensuite la culpabilisation classique : « c’est un droit pour lequel certains ont donné leur vie »… Ce à quoi on peut répondre qu’ils n’ont pas donné leur vie pour que des profiteurs, des parasites, voire des escrocs, s’en servent pour tout bloquer et se gaver de privilèges.
Enfin : que faire ? « La » politique n’a plus rien à voir avec « le » politique. Les vrais problèmes, les vraies questions ne sont que des prétextes auxquels, dans le meilleur des cas, on fait rapidement allusion, pour ne s’en tenir qu’au marketing politique : le look et autres balivernes…
Redécouvrir, réinvestir « le » politique c’est fuir « la » politique, son spectacle et ses dérives…
A la passivité, bêtise et servilité imposées par les politiciens il faut opposer des pratiques sociales nouvelles qui n’ont rien à voir avec les magouilles de « la » politique mais qui inaugurent de nouveaux rapports sociaux, aussi bien dans les luttes avec la prise en charge collective des entreprises que dans l’organisation de relations nouvelles entre producteurs et consommateurs. Ce n’est qu’à ces conditions que nous affaiblirons un système marchand qui nous conduit à la catastrophe.
Pas en jouant son jeu électoral, qui est piégé. Pas en l’affrontant frontalement – protégé qu’il est par ses chiens de garde et ses mercenaires, face auxquels nous n’avons aucune chance.
Nous devons accroître et favoriser son pourrissement, sa décomposition en développant des alternatives qui le rendront obsolète et inacceptable, et qui offrent des perspectives nouvelles de changement social.
Les élections ne sont aujourd’hui qu’un leurre pour nous détourner de cette tâche historique, pour nous asservir avec des pratiques dérisoires, pour nous inciter à abandonner toute initiative et à faire confiance à des individus plus soucieux de leurs intérêts personnels qu’au bien public.
Le champ de l’action politique est ailleurs, réinvestissons le. »

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