5mars2010
Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Sciences et techniques dans les temps anciens.
Naturaliste, géographe, explorateur, Alexander Von Humboldt, né à Berlin en 1769, et décédé en 1859 dans la même ville, est probablement l’un des derniers grands savants préconisant une approche globale de la science, dans l’esprit des encyclopédistes du XVIIIème siècle. Sa philosophie personnelle, sa vie, particulièrement mouvementée et riche en découvertes importantes, rendent l’étude de la biographie du personnage plutôt palpitante. L’un de ses compagnons d’aventure, associé à l’ensemble de ses travaux, le naturaliste Aimé Bonpland, mérite une chronique à part entière. Par conséquent, je ne vous en parlerai que de façon sommaire, ce qui est plutôt injuste vu l’importance de sa participation aux travaux de son associé. Je vous propose donc, pour cette fois, de suivre la destinée singulière de cet homme, Alexandre de Humboldt, qui laissa de côté les salons parisiens pour se confronter à « l’enfer vert » amazonien, tant était grand son désir de voir de ses propres yeux et d’interpréter les merveilles de la nature sous leur forme la plus exotique…
A l’Université de Göttingen, en Allemagne, Humboldt étudie, en compagnie de son frère, la physique, l’anatomie, la zoologie et la géologie ; comme on le voit, une formation très diversifiée dès le départ. Notre étudiant a cependant renoncé à des études en économie, domaine de connaissances par lequel il n’est guère attiré. Auparavant, il s’est déjà intéressé au grec ancien, à la botanique, à l’archéologie, et, pour faire bonne mesure, aux mathématiques. Nous sommes en 1789 et le futur savant, même s’il est fort occupé par ce parcours très studieux, a le regard tourné vers Paris et les événements qui s’y déroulent. Esprit éclairé dont la réflexion a été guidée par les philosophes des lumières, Humboldt témoigne, dès le début, d’un grand intérêt pour les aspirations du peuple français à plus de justice et de liberté. La toute nouvelle « déclaration des droits de l’homme » provoque son enthousiasme. Alexandre s’y intéresse de près et effectue plusieurs voyages en France à partir de 1790. Quelques années plus tard, il va quitter l’Allemagne avec son frère pour s’installer à Paris. Entre-temps, l’inclination du jeune savant pour les sciences naturelles a grandi, notamment sous l’influence de Goethe, grand ami de sa famille. Son premier ouvrage paraît en 1793 ; il est consacré à l’étude des plantes fossiles.
Une fois débarqué dans la capitale française, la vie d’Alexandre de Humboldt va changer. Dans les salons parisiens, il rencontre de nombreuses personnalités scientifiques et politiques et se lie d’amitié avec le naturaliste Bougainville, dont j’ai déjà eu l’occasion de parler dans ces colonnes. Le démon du voyage le taraude. Il ne veut pas faire partie de ces botanistes sclérosés se contentant de collectionner des plantes dans des herbiers poussiéreux. Pour lui, l’étude des plantes ne peut se limiter à observer quelques caractéristiques figées, mais doit se faire en liaison avec une approche historique et géographique : évolution, répartition, migration, influences sur l’homme, étude des pratiques agronomiques… Bref une approche globale dans laquelle on trouve les bases de l’ethnobotanique ou de l’observation des écosystèmes. Ses discours enflammés surprennent souvent et dérangent parfois le train-train quotidien de l’élite scientifique à laquelle ils s’adressent, mais en contrepartie ils provoquent aussi de vives réactions de sympathie.
Dans les salons de Bougainville, Humboldt fait la connaissance d’un autre jeune botaniste, Aimé Bonpland (un patronyme bien choisi pour s’intéresser aux plantes !), qui partage sa passion et son approche nouvelle de l’étude des végétaux. Très vite, une amitié très forte lie les deux hommes. Elle les suivra tout au long de leur vie, et leurs destinées seront étroitement mêlées. Même si l’histoire a plus facilement retenu le nom de Humboldt, celui de Bonpland a été associé à nombre de découvertes que les deux jeunes hommes vont réaliser ensemble. La République naissante n’a guère les moyens de financer de lointaines expéditions scientifiques, et c’est finalement sur sa cassette personnelle qu’Alexandre de Humboldt va trouver les fonds nécessaires à leur première expédition. Point de commanditaire, point de financier intéressé en arrière-plan, la fortune du jeune savant allemand va leur permettre de partir, en toute indépendance, vers le premier lieu de leurs explorations : l’Amérique du Sud, et plus précisément la forêt d’Amazonie. Les objectifs de Humboldt sont très clairs ; il les résume dans cette brève déclaration d’intention : « je collecterai des plantes et des fossiles et me livrerai à des observations d’astronomie. Mais là n’est pas le but premier de mon expédition : je m’efforcerai de découvrir l’interaction des forces de la nature et les influences qu’exerce l’environnement géographique sur la vie végétale et animale. En d’autres termes, il faut explorer l’unité de la nature… » Belle définition précoce de l’écologie en tant que science, même si le terme officiel n’apparait qu’en 1866 sous la plume du biologiste allemand Haeckel.
Ce premier voyage se déroule sous les meilleures auspices. Le Roi d’Espagne Charles IV se montre plutôt bienveillant et accorde aux deux hommes un laisser-passer qui leur permet de se promener à leur guise dans les possessions de la couronne. L’expédition, dotée de matériel moderne et performant, fait plusieurs escales sur sa route, notamment aux Canaries, puis à Cuba, avant d’arriver finalement au Venezuela, non loin de Caracas, en juillet 1799. Preuve de l’ouverture d’esprit qui préside à leur voyage, Humboldt n’a aucun réflexe nationaliste et envisage, dès le départ, de communiquer le résultat de ses travaux aussi bien à l’Allemagne, sa terre natale, qu’à la France, l’Espagne ou l’Angleterre. Cette démarche mérite d’être signalée. Sous l’ancien régime, un chauvinisme nettement plus marqué était souvent la règle ! Aussitôt débarqués, Humboldt et Bonpland se mettent à l’ouvrage sans perdre de temps. Au cours de cette première expédition, leurs ambitions sont multiples : trouver la source de l’Orénoque, déterminer s’il existe un canal reliant l’Orénoque et l’Amazone, réaliser un maximum d’observations sur la flore et la faune de la forêt tropicale. Le voyage n’est pas une partie de plaisir et les deux hommes doivent affronter un certain nombre de fléaux, tels les moustiques pullulant dans l’atmosphère chaude et humide, dont ils constatent la voracité. D’autres espèces de parasites, dont un certain nombre sont inconnus, sont également au rendez-vous. Les deux scientifiques effectuent des relevés cartographiques très rigoureux des différents cours d’eau sur lesquels ils se déplacent en pirogue. Ils réussissent à prouver l’existence du canal reliant les deux fleuves, le Cassiquaire, au grand dam de ceux qui considèrent comme impossible le fait que les bassins de deux grands fleuves soient reliés entre eux. Ils rapportent de cette expédition périlleuse une collection riche de plus de 20 000 spécimens botaniques et un grand nombre d’animaux méconnus. Une grande partie de ces échantillons n’arrivera malheureusement jamais à bon port en Europe ; le mauvais sort s’est acharné sur leurs envois pourtant fractionnés : dégâts liés à l’humidité, aux insectes, à un naufrage, un vol…

Début 1802, ils se rendent à Quito, après un bref séjour à La Havane. Ces déplacements ne nous surprennent guère ; nous sommes habitués à raisonner « avion », et, pour certains d’entre nous, le fait de passer d’une capitale à une autre en quelques heures n’a plus rien de magique. Il n’en est pas de même au temps de Humboldt. Chaque trajet nécessite des semaines ou des mois pour être accompli. La suite de leur migration illustre mon propos… Apprenant que le naturaliste Baudin doit arriver prochainement à Lima au Pérou, nos deux scientifiques décident de se rendre de Quito (Equateur) à Lima (Pérou), par voie terrestre, en suivant la Cordillère des Andes. La distance par la voie la plus directe est d’environ 1400 km. Nul doute que les deux hommes vont prendre leur temps, musarder en chemin et collecter tout ce qui peut l’être. Il n’en reste pas moins que leur voyage va durer une année complète. Ils en profitent pour explorer un certain nombre de volcans, et Humboldt se couvre de gloire en étant le premier à se lancer à l’assaut du Chimborazo (6310 m). Le manque d’oxygène contraint son expédition à s’arrêter à quelques centaines de mètres du sommet. L’exploit n’en reste pas moins grand. Observant l’alignement des sommets des volcans, Humboldt en déduit que les chaînes de montagne se forment probablement le long des lignes de failles de l’écorce terrestre. S’intéressant également à l’agriculture, le savant effectue des prélèvements de guano (déjections des oiseaux) qu’il va ensuite envoyer en France. L’analyse de cette substance montrera quelques années plus tard, l’action fertilisante très riche qu’elle peut avoir sur les terres cultivées. Les deux responsables de l’expédition se partagent rigoureusement les tâches : Bonpland herborise et collecte tout ce qui peut l’être dans les ressources sans cesse renouvelées que leur offre la nature ; Humboldt fait des relevés, effectue des mesures en se servant des multiples appareils dont il s’est chargé (montre à longitude, lunette achromatique, magnétomètre de Saussure, baromètres, thermomètres, électromètres… un véritable bazar ambulant !)
Rien ne semble vouloir arrêter les deux hommes dans leur boulimie de découverte et d’exploration. Six mois après l’ascension du Chimborazo, on les retrouve au Mexique, parcourant le pays de part en part, après une brève « excursion » fin 1802 jusqu’aux sources de l’Amazone. Certes, le passage du Pérou au Mexique se fait en bateau, mais cela n’enlève rien au mérite des voyageurs. Contrairement aux notables espagnols qu’ils rencontrent dans beaucoup de leurs escales, Humboldt et Bonpland marchent sans trêve et refusent de recourir aux chaises à porteur, comme le font les autres européens. Humboldt n’a que mépris pour ceux qui réduisent les Noirs ou les Indiens en esclavage. L’explorateur rentre enfin en France, après un séjour aux Etats-Unis, qui lui a permis de saluer le Président Jefferson et de côtoyer longuement les membres de la Société américaine de philosophie. Il arrive à Bordeaux en août 1804. Son premier voyage a duré cinq années et elles ont été bien remplies. Alexandre de Humboldt s’attelle à la rédaction du récit détaillé de cette expédition, un travail considérable qui va s’échelonner sur des années. Il fréquente à nouveau l’intelligentsia parisienne et rencontre des personnages aussi divers que le révolutionnaire vénézuélien Simón Bólivar ou le physicien Gay-Lussac, d’autres savants comme Arago ou le chimiste Berthollet. La notoriété de Humboldt est grande parmi ses pairs, mais Napoléon ne l’apprécie guère compte-tenu de ses origines prussiennes. Sans le proclamer ouvertement, il le considère comme un espion prussien. L’opposition croissante entre les deux nations voisines va d’ailleurs obliger notre savant internationaliste à effectuer un choix qu’il n’apprécie guère. En 1826, le roi de Prusse le somme de choisir son camp. Il doit rentrer en Allemagne et ne sera plus autorisé à se rendre en France que lors de séjours de courte durée. Ses idées « avancées » font qu’il n’a plus bonne presse avec les nouveaux dirigeants réactionnaires. Il a de plus vexé le souverain allemand en refusant le poste d’ambassadeur de Prusse en France. Il préfère fonder la Société de Géographie à Paris en 1821. Il effectue plusieurs voyages avec Gay-Lussac et diverses expériences avec François Arago. Une amitié solide lie également les deux hommes.
Bonpland, lui, est resté présent dans l’ombre de Humboldt jusqu’en 1816. Français « de souche », comme on aime à le dire, il n’est pas soumis à la même surveillance que son acolyte et devient même l’un des favoris de Joséphine de Beauharnais. Il reçoit le titre convoité de jardinier de l’impératrice et s’occupe de son parc de Rueil Malmaison. Ses activités sont donc plus centrées que celles de son ami. Il poursuit ses collections de plantes, s’intéresse à l’acclimatation des végétaux exotiques, et effectue de nombreux échanges avec les maîtres d’œuvre d’autres grands jardin. L’éloignement progressif de Humboldt le laisse cependant plutôt désemparé. A la chute de l’empire, il préfère quitter la France et s’installer en Amérique. Les deux hommes vont garder d’excellentes relations mais vont suivre dorénavant deux chemins bien séparés. La carrière de Humboldt se déroule dans la lumière et dans l’apparat, celle de Bonpland reste beaucoup plus discrète. En 1816 Bonpland s’embarque pour Buenos Aires. Avec les fonds que lui a remis Mme de Beauharnais, il fait l’acquisition d’un grand domaine dans le Nord de l’Argentine. La suite de son existence, riche en péripéties scientifiques et politiques, mérite à elle seule une chronique complète. J’abrégerai donc en disant qu’il meurt en 1858, un an avant son ami allemand. Humboldt aurait aimé le voir rentrer en Europe, publier ses travaux et en tirer le prestige qu’il méritait, mais ce projet n’aboutira pas.
La dernière grande expédition de Humboldt aura lieu en Sibérie en 1829. Il étudie les mines de l’Oural puis se rend jusqu’à l’Altaï, effectuant un parcours de près de dix neuf mille kilomètres. Il rentre en Allemagne où il devient conseiller privé de Frédéric Guillaume IV. Il n’a en rien renoncé à ses idéaux de liberté. Il profite de son influence sur l’empereur pour l’encourager à émanciper les juifs et abolir le servage dans ses Etats. Il meurt, de mort naturelle, le 6 mai 1859, dans sa quatre-vingt dixième année, comme quoi la marche a pied a des vertus conservatoires ! Son apport à la recherche scientifique aura été aussi considérable que varié et ses publications nombreuses. Outre les trente volumes du compte-rendu de son voyage en Amérique, une œuvre majeure dont la rédaction aura demandé une trentaine d’années, il est l’auteur, à la fin de sa vie, d’un ouvrage sur le Cosmos, somme des connaissances sur les phénomènes célestes et terrestres. Ses publications dans les revues scientifiques de l’époque sont innombrables et touchent à l’ensemble des domaines qui l’ont intéressé pendant toute son existence. On ne dénombre pas les dizaines de milliers de pages de correspondance qu’il a laissées derrière lui : sa plume était aussi infatigable que ses jambes !
Rares sont les savants, à partir du XIXème siècle, qui auront l’occasion d’embrasser un aussi grand nombre de champs de savoirs que le naturaliste Alexandre de Humboldt. L’homme est presque un anachronisme à son époque. Dès la fin du XVIII ème siècle, le temps est venu de la spécialisation : on devient physicien ou chimiste, botaniste ou géographe, mais il n’est plus question de s’intéresser à tous ces domaines à la fois ; d’où le titre, que je pense justifié, de ce bref hommage. Un autre aspect admirable du personnage est le regard profondément humain qu’il porte sur le monde tout au long de son voyage. Son intérêt ne se focalise pas sur les plantes ou sur les phénomènes célestes. En aucune circonstance il ne fait abstraction des individus qui peuplent l’environnement auquel il s’intéresse. On ne rencontre pas chez lui la froideur et le détachement que l’on observe malheureusement trop souvent dans le monde scientifique. Comme le fait si bien remarquer Jean Marie Pelt, « l’épopée d’Alexander von Humboldt et d’Aimé Bonpland s’inscrit à la fracture entre deux époques : celle des Lumières et celle des affaires ! » Un certain nombre d’actions symboliques témoignent de la grandeur du prestige que Humboldt a conservé dans le milieu de la recherche scientifique : on a donné son nom (entre autres) à un manchot vivant le long des côtes péruviennes, à un courant océanique longeant la côte Est de l’Amérique du Sud, à un parc naturel ainsi qu’à une vaste dépression lunaire… Peu de savants ont laissé autant de traces de leur passage.
Pardonnez cette chronique fleuve, mais le sujet en valait la peine !
Pour conclure voici un bref extrait de l’introduction au tome 1 du « Voyage aux régions équinoxiales du nouveau monde » :
« Je m’étais proposé un double but dans le voyage dont je publie aujourd’hui la relation historique. Je désirais faire connaître les pays que j’ai visités, et recueillir des faits propres à répandre du jour sur une science qui est à peine ébauchée, et que l’on désigne assez vaguement par les noms de Physique du monde, de Théorie de la terre, ou de Géographie physique. De ces deux objets, le dernier me parut le plus important. J’aimais passionnément la botanique et quelques parties de la zoologie ; je pouvais me flatter que nos recherches ajouteraient de nouvelles espèces à celles qui sont déjà décrites : mais préférant toujours à la connaissance des faits isolés, quoique nouveaux, celle de l’enchainement des faits observés depuis longtemps, la découverte d’un genre inconnu me paraissait bien moins intéressante qu’une observation sur les rapports géographiques des végétaux, sur les migrations des plantes sociales, sur les limites de hauteur à laquelle s’élèvent leurs différentes tribus vers la cime des Cordillères.
Les sciences physiques se tiennent par ces mêmes liens qui unissent tous les phénomènes de la nature… »
Notes : mes sources d’inspiration sont nombreuses. La toute première est sans doute la lecture des ouvrages d’Elysée Reclus, cet autre grand savant français qui s’est intéressé plus spécifiquement à la géographie. Les nombreuses (et enthousiastes) références qu’il fait à Humboldt dans son œuvre m’ont donné envie de mieux connaître le personnage. Une autre source, particulièrement précieuse, est le livre remarquable de Jean Marie Pelt, « la cannelle et le panda ». La citation du paragraphe 4 en est extraite. Reclus et Pelt sont donc les deux initiateurs involontaires de ce travail. Les recherches sur internet m’ont permis de compléter la documentation livresque. J’ai trouvé fort utile le site de la Mission Santo à l’INRP . De nombreux textes de Humboldt peuvent être consultés sur le site de la BNF : rien de tel qu’un retour aux sources… Pour compléter cette brève étude, vous pouvez aussi vous reporter au très beau texte de Kenneth White « Les pérégrinations géopoétiques de Humboldt« . La cinquième illustration, schéma simplifié de la première expédition Humboldt-Bonpland, provient du site « la boussole et l’orchidée », présentant une exposition consacrée au savant qui a eu lieu en 2004 au Musée des Arts et Métiers à Paris. Les autres images proviennent de Wikipedia Commons.
3mars2010
Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique.
Une pratique que nos médias ont élevé au rang d’art majeur
Petite promenade en campagne, ou plus exactement en zone verte à proximité d’un centre urbain pour adopter un vocabulaire plus à la mode. Nous croisons un homme qui fume tranquillement sa pipe en devisant avec sa compagne et ses enfants. Spectacle pittoresque en voie de disparition. J’imagine sans peine cet individu se livrant à cette pratique vicieuse dans un lieu public : quelques raclements de gorges, des sourcils froncés, des regards indignés, une injonction ferme mais polie de quitter les lieux… En quelques minutes, cet homo sapiens arriéré se livrant à un plaisir quelque peu passéiste est en train de devenir un « tueur en série » potentiel. Pour peu qu’il sorte de la salle en donnant la main à ses enfants, il n’y a qu’un pas à franchir pour qu’il ne devienne un pédophile en puissance, argument que l’avocat de sa femme ne manquera pas d’employer lorsqu’elle demandera le divorce avec ce monstre asocial. Certes j’exagère, mais, ce qui m’inquiète, c’est la puissance des images que les médias dominants instillent peu à peu dans nos esprits. Un travail de formatage incessant se déroule au quotidien et touche à tous les secteurs de notre vie. Un fumeur est dangereux pour la collectivité, une femme un peu enveloppée est grosse donc moche, un usager de la SNCF confronté à des grévistes est un otage… etc… On parle beaucoup de la pauvreté du langage des adolescents ; certes ; il serait intéressant aussi de faire une étude statistique du vocabulaire employé par les journalistes de la télévision, d’étudier le nombre de fois où reviennent, tel un matraquage, les mêmes mots, les mêmes formules, les mêmes lieux communs… Dans un pays où le formatage des esprits est fait de façon extrêmement pointue, il n’est point besoin de censure. C’est là une chose que les dictateurs « à l’ancienne » n’ont encore pas comprise. Habituez les gens à voir toujours le même type de paysages, à penser selon le même mode de raisonnement, c’est suffisant. Il n’y a plus aucun besoin de gommer une partie du décor, d’interdire certaines idées. Lorsque les citoyens seront confrontés à des images ou à des pensées inhabituelles, ils les percevront comme saugrenues, irréalistes, utopistes, voire même seront incapables de les percevoir. La disparition de la censure officielle conforte les gens et participe à l’illusion de démocratie. Les consultations populaires par le biais du suffrage universel tous les cinq ans entretiennent elles aussi cette mystification. Les « libéraux » intelligents l’ont bien compris : on peut très bien donner la parole aux partis d’extrême gauche ou d’un vert flamboyant lors des campagnes électorales ; on pourrait même imaginer une intervention de Guy Debord pour parler de « la société du spectacle » à la fin d’un journal de TF1. Cela serait aussi efficace, pour la diffusion des idées de ces bons vieux situationnistes, qu’une conférence en langage des sourds devant une assemblée de non voyants…
Le formatage des esprits recourt à différentes méthodes que je n’aurai ni la place, ni la prétention, de vouloir résumer en quelques paragraphes. Si l’on veut creuser la question, on peut se référer aux multiples ouvrages sur la question de Noam Chomsky par exemple… et il en est bien d’autres, rédigés dans un langage plutôt hermétique, diffusés par des éditeurs marginaux, et d’une présentation souvent peu attrayante. Il n’est nul besoin de les interdire ces pamphlets ; il suffit d’être certains que le grand public n’y aura jamais accès. La règle de base pour un bon formatage des esprits, c’est de travailler dans un premier temps à construire la normalité, définir ce qui est conforme, inscrit au catalogue des bien-pensants, et ce qui est hors piste. Il faut convaincre la population que la situation est telle qu’elle est, que nos choix sociétaux sont incontournables parce qu’il n’existe pas d’autre alternative. On pouvait, autrefois, lorsque l’on était inconscient, rêver d’aller vivre de l’autre côté du mur de Berlin, chez les Soviets… Le mur a été cassé, les Soviets se sont refait un costume deux pièces rouble-dollar, et l’unique alternative, celle que proposait le diable lorsqu’il avait encore un peu d’influence, est morte et enterrée. Une grande partie de l’humanité a la chance de vivre dans un régime démocratique comme le nôtre, ou bien aspire à faire comme nous. Ceux qui hésitent, les USA n’hésitent pas à leur envoyer des croisés en uniforme pour les « libérer » avec ou contre leur gré. Dans quelques coins reculés de la planète, subsistent quelques traces délétères des anciennes alternatives, et quelques chefs d’état infréquentables dont l’Oncle Sam, notre bienfaiteur (certes un peu envahissant mais si gentil dans le fond), nous débarrassera bientôt. On a tout à fait le droit d’être en désaccord avec la politique menée pour le bien de tous par un gouvernement élu par la majorité d’entre-nous (environ 25 à 30 % des citoyens) mais la protestation doit suivre quelques chemins balisés par avance. En ce qui concerne le social, il y a les syndicats et leurs grèves programmées ; il y a aussi les associations humanitaires dont la générosité et le dévouement sont remarquables et émouvants. En ce qui concerne la politique, il y a une grande messe autour des urnes, organisée selon un cycle régulier et presque aussi immuable que celui des marées, permettant une alternative raisonnable, entre ceux qui pensent un peu comme ci, et ceux qui pensent un peu comme ça… En ce qui concerne, enfin, l’écologie, dernier champ de révolte que le monstre libéral s’acharne à avaler, il y a les miroirs aux alouettes : Grenelle de ci, Grenelle de là, entrecoupés d’un petit Copenhague et d’une pétition pour lutter contre la sauvagerie à l’égard des bébés phoques ou l’implantation d’un énième aéroport en banlieue. L’essentiel : respecter les règles du « jeu démocratique » sous peine de se faire traiter comme un épicier de Tarnac ou un méchant Black-blockbouleur nihiliste.
Bien entendu, ce formatage, cette définition de la norme, ne se font pas en quelques coups de cuillère. C’est un travail de longue haleine auquel participent non seulement les médias, mais, auparavant, la famille et ses valeurs sacrées, l’école et sa morale universelle, l’église et sa charité bien ordonnée. On sait pertinemment qu’il y a des ratés, mais ils ne sont pas si nombreux que ça, et la société dispose de systèmes de protection de plus en plus nombreux pour se protéger de toute cette marginalité inquiétante. La démocratie disait un humoriste, c’est comme le fromage, plus elle est avancée, plus elle pue… Moi je dirais, avec un peu plus d’élégance, que plus elle « progresse » plus elle multiplie les outils de contrôle pour pouvoir embastiller à sa guise les mauvaises graines qui veulent ensemencer de nouveaux champs de liberté. Jamais l’arsenal législatif, la recherche technologique et la propagande sécuritaire n’ont été aussi perfectionnés que ces dernières années. Tous les outils sont en place pour qu’un régime sécuritaire efficace s’installe de façon définitive. Pour l’instant on en est à la poigne de fer dans un gant de velours, mais les choses pourraient tourner mal rapidement. Cette échéance pourrait être bien plus proche que certains ont la naïveté de le croire. Le recadrage économique en cours dans divers pays de la zone euro, à savoir adapter le train de vie des citoyens aux désidératas des banquiers, pourrait bien provoquer quelques violents remous. Les Grecs n’apprécient guère plus la plaisanterie que les Islandais, quant aux Français, l’avenir nous le dira.
Quand un membre de l’élite bien pensante s’adonne à quelques anomalies comportementales, c’est un déviant inoffensif, responsable d’une erreur tactique passagère. Lorsqu’un individu, inscrit dès le départ hors des normes (grâce aux multiples fichiers informatiques, on vous resservira bientôt à demande vos répliques impertinentes à l’âge de cinq ans), se livre à un acte délictueux, c’est un voyou. Les exemples de base ne manquent pas. Il ne faut pas confondre, par exemple, agression et légitime défense. Lorsqu’un individu en tue un autre, c’est un crime. Lorsque le même individu prend la peine d’endosser un uniforme et d’obéir aux ordres de son capitaine, c’est un héros. Selon l’angle sous lequel se situe votre acte, c’est à dire selon que vous soyez prince ou mendiant, le même fait ne sera pas interprété de la même façon. Un gréviste ne doit gêner personne sous peine de devenir un nuisible. On peut se plaindre du fait que son employeur (qui réalise pourtant de gras bénéfices) estime votre emploi inutile…. Pousser la protestation jusqu’à faire courir le risque à notre société d’être privée de carburant, c’est un comportement de voyou irresponsable. Ajouter à de telles mauvaises intentions, le bris de quelques vitrines ou une menace de boycott, c’est faire preuve d’un comportement totalement asocial. La logique voudrait que de tels agissements – hors normes – entraine l’enfermement de ces renégats dans des camps de rééducation par le travail, mais le problème c’est que l’idée a déjà été « piquée » par des régimes politiques que nos médias estiment peu fréquentables. On se contentera donc de les « vilipender » sévèrement sur les écrans de télévision. Un journaliste indigné fera parler Mr Dupont qui exprimera sa colère et dira que ce n’est pas comme cela que l’on doit résoudre les problèmes dans une démocratie. Une personne âgée bien comme il faut qui écrase quelques pompiers sur une autoroute, pose le problème de la sécurité de conduite quand on arrive à un certain stade de son existence. Les experts estiment qu’il faudrait prendre des mesures préventives et légiférer. Un adolescent qui caillasse un véhicule de police en banlieue, est un déviant dangereux.
L’exemple de la politique internationale vue par les médias est encore plus frappant en ce qui concerne la pratique de l’indignation sélective. Fidel Castro est un tyran « communiste ». Lorsque l’un de ses opposants meurt à la suite d’une grève de la faim, cette nouvelle fait la une, ou tout au moins occupe une place considérable (et légitime par ailleurs) dans nos journaux. Lorsque Chavez, autre tyran, plus gênant, lui, parce qu’arrivé au pouvoir avec le soutien populaire, interdit un journal d’opposition, c’est un scandale international, et les défenseurs « objectifs » de la liberté de pensée (comme RSF par exemple) montent immédiatement au créneau. Le ton n’est plus le même lorsque l’on découvre en Colombie des fosses communes contenant deux mille corps d’opposants au régime, éliminés avec férocité par les milices privées à la solde du pouvoir. C’est normal… Monsieur Uribe est un ami de nos amis (américains) et fait tout ce qu’il peut pour combattre les narco trafiquants qui pourrissent la vie du pays (et remplissent ses poches). Quant au Vénézuéla, les médias, pour la plupart privés et pour une bonne partie financés par le biais de fondations alimentées par les USA, jouent essentiellement dans le camp des « anti-Chavez »… Avez vous lu, ces derniers temps (et ailleurs que dans les sites d’infos mal pensants que vous lisez sur Internet), de nombreux articles sur la situation des journaux d’opposition en Arabie Saoudite ou au Maroc. Il faut dire que les régimes qui gouvernent ces pays-là sont en odeur de sainteté, ce qui n’est pas le cas de leurs homologues sud-américains. Le boycott des produits sud-africains au temps de l’apartheid, était contraire à la bonne marche des affaires, mais tolérable pour des raisons morales. Le boycott des produits israéliens, dont une part sont issus de colonies installées de façon illégale (en regard du droit international) en territoires palestiniens occupés, est taxé d’appel à la discrimination raciale et à l’antisémitisme, selon les termes employés par notre bonne ministre de la justice. Ceux qui appellent à sa pratique doivent être jugés avec une extrême sévérité, a pris soin de rappeler cette sainte femme. Je pourrais trouver une multitude d’autres exemples dans la presse : diabolisation progressive de l’Islam, qui serait une religion pire que les autres. Sans même aller chercher des contre-exemples dans l’histoire, nos journalistes aveuglés par les voiles que l’actualité jette sur leurs caméras, en oublieraient presque le discours meurtrier du Vatican sur les méthodes contraceptives en Afrique. Nos aimables éditorialistes, mélangeant sans pincettes, Islam, Maghreb et culture arabe, se livrent à une politique d’amalgame qui laisse des traces meurtrières dans l’opinion publique, ignorant sans doute que dans l’Islam coexistent (comme dans les autres religions) différents courants de pensée qui ne proposent pas tous la même vision explosive du Paradis. Ils omettent aussi trop souvent de préciser que le courant de l’Islam qui préconise les pratiques les plus rétrogrades est largement soutenu par les dirigeants saoudiens, grand pourvoyeurs en pétrole de l’Occident et fidèles valets de l’impérialisme US.
Je sais que les exemples que j’ai choisis, sur des terrains sensibles (en particulier le conflit israélo-palestinien), m’exposent à une volée de bois vert de la part de certains lecteurs ayant l’éruption cutanée facile. Cela ne me dérange aucunement. Ne soutenant ni Castro, ni Chavez, ni les dirigeants du Hamas et autres leaders autoproclamés du peuple palestinien, je n’ai aucun scrupule à dénoncer les accusations partiales les concernant eux et pas leurs homologues bien cotés au Who’s who. Ni livre rouge, ni kipa, ni croix, ni tchador, méfiance absolue à l’égard de tous les gourous, qu’ils soient verts, rouges ou noirs de drapeau, telle est ma philosophie… Lorsque j’ai demandé quelques autocollants appelant au boycott des produits israéliens, au stand « solidarité avec la Palestine », à Primevère, la dame d’un certain âge que j’avais en face de moi (n’ayant aucunement l’air d’une sauvage révisionniste), m’a demandé d’un air inquiet : « vous n’allez pas les mettre sur votre voiture quand même ? Si c’est le cas, faites attention à vos pneus… » Je l’ai rassurée. Pour l’instant je me contenterai d’un « nucléaire non merci », le sujet est moins sensible et un peu passéiste. Quand on pense qu’il y a des gens qui s’opposent encore au nucléaire, cette réalité incontournable… Je préviens d’ores et déjà les opposants au boycott des produits israéliens que je ne rentrerai pas dans la polémique sur le blog. Je n’ai pas encore assisté à un seul dialogue intelligent et ouvert sur le sujet, où que ce soit. Les quelques intellectuels arabes ou israéliens qui arrivent à s’exprimer avec lucidité sur la question se font immédiatement agonir d’injures dans les deux camps… Je ne suis pas suffisamment intégriste pour prendre parti pour l’un ou pour l’autre des deux régimes totalitaires qui s’affrontent. Le seul camp qui m’intéresse est celui des peuples : leur droit à vivre en paix, dans la dignité. Je constate simplement que lorsqu’une roquette palestinienne blesse deux civils, il s’agit d’une lâche agression antisémite et que lorsqu’une opération de « maintien de la paix » israélienne entraine un bon millier de morts dont un grand nombre d’enfants, il s’agit de bavures regrettables et « pas toujours prouvées par les enquêtes conduites avec diligence par les services compétents de Tsahal ». Là aussi, deux poids, deux mesures dans bon nombre de médias…
Il y a, du côté d’Internet, une fenêtre ouverte sur le monde qui offre des perspectives nouvelles. Je ne sais pas combien de temps cela durera, d’autant que la promenade sur la toile est une activité sportive de plus en plus populaire. Certains l’ont bien compris et essaient de nous préparer des lendemains qui déchantent, à grands renforts de textes législatifs, répressifs sous le fallacieux prétexte d’une défense des bonnes mœurs. En attendant les nouvelles frontières à nos libertés, engouffrons-nous dans la brèche. Sites d’infos, blogs et autres listes de discussion, offrent des perspectives formidables pour la culture populaire, l’éducation, l’échange d’informations, la circulation d’informations en dehors des parcours balisés. A nous d’agir pour qu’Internet ne soit pas uniquement un moyen de faire des achats et de sur-consommer par voie électronique. Nous sommes bien assez grands, messieurs les censeurs, pour déterminer ce qui est « bon pour nous » et ce qui ne l’est pas, et assez responsables pour éduquer nos enfants.
28février2010
Posté par Paul dans la catégorie : Bric à blog.
C’est bien les blogs. Des fois ça sert de déclic. Par exemple j’ai regardé la bande annonce du film « Liberté » sur le site Jura Libertaire, puis j’ai lu un article très complet sur Tony Gatlif et sa filmographie sur le blog « le lac des signes » (un blog du « diplo » en fait). Enfin, je me suis dit que comme on avait beaucoup aimé Gadjo Dilo du même Gatlif, qui avait l’air d’être un gars drôlement bien, on devrait aller voir « Liberté ». On est passé à l’acte pas plus tard qu’un jour après sa sortie ce qui est un bel exploit vu notre vitesse habituelle de réaction à ce genre d’annonces. Eh bien, je vais vous dire ça comme ça, tout de go, sans prendre de pincettes : c’est un très bon film et vous devez aller le voir pour être un digne lecteur ou une honnête lectrice de la « feuille charbinoise », le blog qui parle de cinéma chaque fois qu’une comète traverse le ciel en batifolant. Si ma mémoire délabrée ne me trompe pas, je crois bien que le dernier bon film dont je vous ai causé, c’est « Louise-Michel », il y a un an… Il y en a eu aussi d’autres dont je ne vous ai pas parlé comme « Ponyo sur la falaise ». On a sans doute loupé pas mal d’occasions de voir des grands films… Il faut dire qu’on a une excuse en béton. Chaque fois qu’on veut aller au cinéma il n’y a que des films « grand public » et nous on se considère comme du « petit public ». Chaque fois qu’on ne regarde pas le programme, ils passent des trucs intéressants sans nous avertir… Puisqu’on cause de Louise Michel (bien qu’elle ne serve que de « référence » historique dans le film éponyme), sachez que la télé, France 3 en l’occurrence, nous fait l’honneur de diffuser un film ayant pour personnage central la « vraie » Louise, samedi 6 mars prochain. La réalisatrice se nomme Solveig Anspach et la diffusion sur France 3 est une avant-première puisque le film sortira en salle au mois d’Avril. Michel Ragon (auteur de « la mémoire des vaincus »), lui a servi de conseiller historique, et c’est Sylvie Testud qui joue le rôle de la grande dame. Bref, le programme est alléchant. Le site d’infos « l’En-dehors » consacre un article à cet événement. Un jour, je vais créer une catégorie « cinoche » dans mon alambic culturel. C’est promis !
Le théâtre, on n’y va pas trop souvent non plus, mais on y va quand même. Mais je ne crois pas qu’on ait beaucoup de chances d’aller voir la pièce « l’histoire c’est nous, on a les pieds dedans » par la compagnie « théâtre en question ». C’est dommage, parce que je pense que le thème de la pièce m’aurait plu, et l’interprétation aussi. J’ai beaucoup aimé la version proposée par la troupe de la chanson « la semaine sanglante » (commune de Paris). C’est encore sur « Jura libertaire » que j’ai pu la voir en vidéo, et je vous invite à aller l’écouter aussi à cette adresse. On peut avoir plus d’informations sur la compagnie « théâtre en question » en allant baguenauder sur leur site. C’est sympa, et ça donnera sans doute des idées aux lecteurs, lectrices, qui n’habitent pas trop loin du nombril de la France.
Bon, on va faire un peu de politique, même si on n’est pas payé pour ça. Evo Moralès (encore !), lui, c’est son job… Il a été élu pour ça, et, depuis, il fourmille d’idées parfois amusantes. Celle-ci m’a intrigué : organiser un référendum planétaire auprès des peuples quant aux relations à envisager avec la « Terre-mère ». Ça démarre comme cela : « Vu que nous avons de profondes divergences entre présidents, consultons le peuple et faisons ce qu’il nous dit ». Ce n’est pas notre sémillant timonier qui aurait eu cette idée, et j’ai des doutes profonds quant au fait qu’il participe. Si vous souhaitez exprimer votre opinion à propos du capitalisme et du changement climatique, ça se passe là. Ce blog n’ayant pas l’habitude de propager des rumeurs issues de cerveaux dérangés, il ne s’agit bien entendu pas d’une plaisanterie. D’ailleurs Monsieur Evo Morales Ayma, Président de l’Etat Plurinational de la Bolivie, n’a pas la réputation d’être un pourvoyeur en canulars. Les bonnes réponses sont déjà cochées, et si vous êtes un digne lecteur ou une honnête lectrice de la « feuille charbinoise », il ne faut bien entendu rien modifier ! J’espère qu’on aura les résultats avant les calendes grecques et que le taux de participation sera plus élevé qu’à l’inter-régions qui ne va pas tarder chez nous. Personnellement, j’espère que ça sera Rhône-Alpes qui va gagner… J’irai encourager les candidats si j’ai du temps à perdre. Si vous êtes bien sages, je vous publierai, un de ces quatre, un chouette texte d’Elysée Reclus sur les élections, à moins que je ne vous fasse carrément un florilège d’écrits sur la question.
Après avoir voté à ce référendum original, allez faire un tour sur le site du « plan B ». Vous apprendrez la raison pour laquelle l’équipe du « plan B » refuse obstinément d’augmenter les salaires, une fois qu’elle aura été portée au pouvoir par le vote massif de ses multiples partisans. A chaque élection, les candidats jouent à la surenchère. L’un propose de porter le SMIG à 1500 euro, le second d’ajouter en plus un paquet de smarties, et le troisième un paquet de couches culottes pour les tout petits. C’est le concours du « je suis plus à gauche que toi nananère ! » Et si, rétorquent les trublions de cet excellent magazine, on proposait plutôt d’augmenter l’offre de services sociaux : meilleures prestations médicales, meilleur service public d’éducation, baisse du prix des loyers grâce à une intervention des services sociaux… « Ainsi le salaire serait-il davantage versé sous forme de prestations en nature, choisies au terme d’une délibération politique, que par une somme d’argent injectée dans les comptes en banque et redirigée vers la consommation marchande par la police publicitaire. » Tout ça est argumenté et ça tient parfaitement debout. Lisez l’article et vous me direz ce que vous en pensez : j’adore que l’on critique les propositions des autres ! Encore des idées pour améliorer la qualité de vie, créer des emplois, et ne pas relancer la consommation de produits industriels délocalisés. Genre « chevelus barbus contestataires » en fait ! Ces gens-là ne pollueront bientôt plus les ondes policées de l’internet marchand. Les adversaires de la liberté de parole sur la toile affutent leurs armes et espèrent bien hadopiser toute cette anarchie-là à grands renforts de contrôles de plus en plus tordus. Les aigris, les ronchons et les contestataires de tous poils n’auront bientôt plus qu’une corde à leur arc : aller caser leur prose malsaine sur un site dissimulé derrière un geyser en Islande. Le parlement de ce pays-là est en effet en train d’adopter une démarche législative tout à fait contraire à celle des autres « démocraties » occidentales. C’est tout beau, tout neuf, et ça se passe en Islande. On en parle beaucoup sur la toile et notamment à cette adresse. J’espère que tous les vieux tocards qui n’arrêtent pas de fantasmer sur le contrôle de l’internet (sa « nationalisation » disait l’un de ces crétins) avaleront leur nœud de cravate de travers en découvrant ce projet intéressant… L’Islande, un modèle pour la liberté de communication ? Pourquoi pas ! Cela nous changerait de tous ces dirigeants qui n’arrêtent pas de critiquer l’Iran, la Chine ou la Birmanie, mais rêvent en secret d’instaurer le même genre de régimes.
Bon, là je sens que le public commence à s’échauffer. Vous êtes mûrs pour aller faire un tour sur le blog de la Louve. Collaboratrice régulière du site d’info Bellaciao, la Louve a un clavier au vitriol et c’est ma foi bien plaisant dans l’ambiance de consensus mou qui règne dans divers médias à l’heure actuelle. « Père Peinard » réveille toi ! Bon, je reconnais que la chroniqueuse en question navigue encore un peu trop près du PCF à mon goût, mais avec une approche critique que je trouve intéressante. Et puis, il faut bien que je fasse preuve d’un peu d’ouverture d’esprit ! En ce moment, les fleurs sont pas chères. En tout cas, la Louve n’est pas tendre avec les « collabos » en tous genres avec ce régime, ou avec la gauche molle gnan-gnan. Je ne donne pas de référence à un article particulier car c’est plutôt le ton d’ensemble qui me plait. Petit rappel aussi pour les lecteurs inattentifs concernant l’excellent blog « Humeurs » de Jean Dornac. L’auteur rassemble chaque jour sur son site une sélection très rigoureuse et très intéressante d’articles d’actualité ou de fond. Je trouve que si l’on n’a pas le temps de « zapper » de site d’infos en site d’infos, c’est une excellent panorama, certes incomplet, mais offrant toujours des textes de grand intérêt. Jean Dornac accorde également une place importante à la poésie dans ses choix, et c’est suffisamment rare sur Internet ce mélange humaniste, poésie, politique et philosophie pour être signalé. La visite sur le blog « Humeurs » peut être l’occasion de lire ou de relire le dernier texte de Naomi Klein concernant Haïti. Tout aussi édifiant, il y a cet article concernant la retraite dorée des fonctionnaires de l’Union Européenne. Compte tenu sans doute de la pénibilité de leur tâche (!?!), ils vont être contraints à cesser leur activité à 50 ans avec une pension modeste de 9 000 euro par mois. J’espère que vous ferez un petit geste de solidarité avec eux.
Glissons avec délicatesse de la politique à l’histoire. Dans mon carnet d’adresses du mois, je vous recommande deux textes intéressants que j’ai découverts. Le premier, sur Rebellyon info concerne l’instrumentalisation politique de l’histoire. L’heure est au méli-mélo idéologique et à la récupération à tout va des personnalités, de leurs idées, du rôle qu’elles ont joué… Notre petit timonier est passé maître en la matière. L’extrême-droite revendique l’héritage des révoltes populaires ; la droite extrêmisante ne se gène pas pour utiliser l’image de Jaurès ou celle de la Résistance… L’article propose une synthèse intéressante sur le sujet, accompagnée d’une interview de G. Noirel, auteur de l’étude « A quoi sert l’identité nationale ». Pour mettre à jour vos connaissances sur des faits historiques pas si éloignés que ça mais dont les conséquences pèsent encore sur la vie politique mondiale, je vous conseille la chronique parue sur l’excellent blog de JEA « Mo(t)saïques », intitulée « Février 1945 : Yalta sans la France« . La connaissance des événements qui se sont déroulés à la fin de la deuxième guerre mondiale ou juste après, permet d’appréhender plus facilement les phénomènes géopolitiques actuels. Que ce soit le partage des zones d’influence effectué lors de cette réunion entre maîtres du monde, ou quelques années plus tard, la création de l’Etat d’Israël ou la politique de « décolonisation » des grandes puissances… tous ces faits ont encore de nombreux prolongements aujourd’hui. L’éjection de la France de la table de négociation à Yalta, avait une signification plus que symbolique. L’auteur l’explique très clairement. Profitez de votre escale sur « Mo(t)saïques » pour parcourir le reste de la carte : l’offre est variée et toujours de qualité.
Histoire d’enfoncer un peu le clou et de justifier pleinement la référence à la brocante figurant dans le titre, je me suis amusé à vous dégotter quelques adresses sortant un peu de mon champ d’investigation habituel. Je suis allé faire un tour par exemple dans « grotte du barbu« , un site où l’on bricole toutes sortes de choses bizarres à grands renforts de récupération, d’astuces et de vidéos explicatives. Au bout d’un moment le style sonore me fatigue un peu, mais il y a des trouvailles sympa. Je me suis contenté de visionner, je n’ai rien testé alors je ne vous garantis rien. En tout cas la porte ouverte sur l’entraide, le bricolage festif et l’art de cuisiner les restes, est des plus intéressantes. Le gang des buveurs de bière a encore frappé ! Le style me fait penser à une série documentaire américaine « Monster garage » dont j’avais regardé deux ou trois épisodes il y a quelques années… Je me demande si le « barbu » n’a pas subi quelques influences… Je vais continuer à chercher d’autres sites de « travaux manuels », un peu du même genre, mais plus orientés maison ou mécanique.
Côté bricolage, écologie, vie communautaire, échanges, j’ai découvert aussi au salon Primevère à Lyon, la petite revue « Passerelle Eco », très branchée sur les écovillages. Je la trouve intéressante au premier coup d’œil et leur site internet est plutôt bien fichu. Il regroupe toutes sortes d’annonces et propose des compléments techniques aux articles publiés dans la revue. Je vous reparlerai plus en détail de tout cela dans quelques jours, le temps de digérer tout ce que j’ai absorbé au cours du salon. Que d’idées au m2, que d’idées ! Mais quelle approche désordonnée également… Jusqu’à quel point le foisonnement est-il une richesse, je me demande. Avec tous ces sites, tous ces journaux, toutes ces associations, dont les trajectoires s’entrelacent, se chevauchent et s’entrechoquent parfois brutalement, on ne sait plus où donner de la tête… Ce qui m’inquiète surtout c’est qu’à force de craindre que le voisin ne piétine votre pré carré, on passe plus de temps à le surveiller qu’à combattre ses véritables adversaires. En tout cas j’ai eu des contacts sympas, sur le stand des éditions Agone, celui du Comité de solidarité avec la Palestine, celui de la revue « la Garance voyageuse »… Je verrai sous quelle forme je vous raconte tout ça la semaine prochaine…
A part ça, eh bien, euh… comment dire ? La brocante est terminée et le camelot plie bagage jusqu’à la prochaine. Mars ou crève ! Février est mort et enterré…
25février2010
Posté par Paul dans la catégorie : l'alambic culturel; mes lectures.
Les deux âmes de l’écologie – une critique du développement durable – par Romain Felli (éditions L’Harmattan – 100 p – 11 €)
Il y a des ouvrages qui aident à avancer dans une réflexion sur la transformation possible de notre société, non parce qu’ils proposent des idées vraiment inédites, mais parce qu’ils offrent une étude bien construite des concepts déjà existants. Ces livres, plutôt rares en réalité, permettent de progresser en s’appuyant sur des bases très claires plutôt que sur un fatras idéologique ou des slogans. Le livre de Romain Felli, « Les deux âmes de l’écologie » fait partie de ces travaux précieux. Je l’ai lu attentivement ; je dois même dire je l’ai dévoré : d’une part il répond à un certain nombre de questions que je me posais auparavant ; d’autre part, il a le mérite d’être court et plutôt facile à lire. La lecture terminée, j’ai choisi mon camp : je me croyais écologiste social ou écologiste libertaire, selon les moments ; en fait, selon les critères choisis par Felli, je suis un « écologiste par en bas ». C’est un peu moins fringant comme étiquetage, mais il faut faire avec son temps. Trêve de plaisanterie, je vais vous expliquer en quoi ce livre m’a séduit. L’auteur propose une analyse à la fois idéologique et historique du concept de développement durable. Celui-ci est apparu dans les années 90 et on nous le sert actuellement à toutes les sauces, le but de la manœuvre étant généralement de nous faire avaler des couleuvres. L’entreprise qui ne s’intéresse pas au « durable » en 2010, au moins au niveau du discours, est vraiment dirigée par des arriérés et guidée par une agence de com préhistorique…
Comment se fait-il que l’écologie, qui était globalement une remise en cause révolutionnaire de la société dans les années 70 et qui avait, à ce titre, séduit nombre de militants gauchistes ou libertaires, ait pu produire une telle bouillabaisse réformiste et consensuelle trente années plus tard (il suffit de regarder par exemple les gens que l’on voit rassemblés côte à côte dans les listes « Europe-écologie ») ? Le terreau qui a permis la naissance de cette fiction selon laquelle le capitalisme va réussir à se refaire une virginité grâce à la peinture verte, existait-il déjà à l’origine, et ne s’agit-il pas tout simplement de l’expression d’une idéologie qui était déjà influente dès les origines de l’écologie ? Comment se fait-il que ce courant, sans doute minoritaire au départ, ait réussi à s’imposer aujourd’hui, au détriment de la tendance sociale et libertaire du mouvement ? Que recouvrent sur le plan idéologique ces deux grandes écoles (et leur palette de nuances subtiles) que l’auteur qualifie d’écologie par en bas et d’écologie par en haut ? Les uns se battent pour une transformation profonde de la société et considèrent que seul ce changement dans l’organisation des rapports économiques et sociaux provoquera une évolution des mentalités. Il permettra du même coup une transformation réelle des rapports de l’homme avec son environnement. Les autres se battent pour les générations futures, et veulent lutter pour une conquête progressive et une réorientation des institutions existantes : imposer de nouvelles lois permettant de mieux protéger la nature, élargir considérablement la place réservée aux experts dans les processus de décision, imposer, éventuellement par la contrainte, des décisions impopulaires mais conformes à une certaine vision de l’équilibre planétaire… Ces deux cheminements idéologiques sont en grande partie opposés et ne sont pas prêts à se réconcilier. Romain Felli présente ces deux grands courants de pensée. Il explique en détail et illustre son propos par de nombreuses citations. Il ne s’agit point là d’une étude prétendument objective puisque l’auteur ne manque pas d’indiquer, dès le sous-titre de l’ouvrage (« une critique du développement durable ») dans quelle direction vont ses sympathies, mais l’exposé est suffisamment clair pour que le lecteur puisse faire ses propres choix.
Misères du présent – Richesse du possible – par André Gorz – Editions Galilée (230 p – 25 €)
Ce livre est paru en 1998 et il ne s’agit donc pas d’une nouveauté. Plus le temps passe cependant, plus la pensée de Gorz revient sur le devant de la scène, et il devient difficile de ne pas en tenir compte. Un ouvrage récent paru à son sujet (André Gorz est mort en 2007) s’intitule d’ailleurs : « André Gorz : un penseur pour le XXIème siècle » (ouvrage collectif). D’une formation marxiste plutôt orthodoxe, Gorz s’est tourné rapidement vers l’écologie, et, pour faire le lien avec le paragraphe précédent, ne se situe aucunement dans le camp des partisans du développement durable, c’est à dire celui des « écologistes par le haut » ! Je ne sais pas quelle place exacte l’avenir accordera à son œuvre, mais, à la suite de cette première approche, je considère qu’il s’agit d’un auteur assez difficile à aborder. La lecture du volume dont je vais vous parler nécessite donc quelques efforts intellectuels ! D’une manière générale, j’aime que les idées soient exprimées avec un vocabulaire simple (ce qui ne veut pas dire simpliste) et formulées de façon relativement limpide ; ce n’est pas toujours le cas dans le domaine de la politique ou de la philosophie. Le problème c’est que les universitaires, quel que soit leur domaine, sont habitués à côtoyer un langage technique souvent complexe qui leur est familier mais ne l’est pas forcément pour le grand public. Rassurez-vous, celui qui boit à grandes lampées le « Diplo » tous les matins au réveil n’est pas concerné par mon discours. Quant au lecteur lambda, comme moi, eh bien, comme disait mon prof de philo il y a longtemps de cela, il est parfois des découvertes qui méritent un petit effort ! C’est le cas pour André Gorz…
La société dans laquelle nous évoluons est mourante. Nous n’assistons pas à une énième crise nécessitant quelques mesures d’urgence et autres plans de sauvetage, mais à une transformation en profondeur. L’espoir de l’humanité repose sur une mort rapide de l’ancien monde et sur l’émergence d’une société reposant sur des valeurs nouvelles. Vous me direz qu’il n’y a pas grand chose de nouveau dans cet énoncé, et pourtant si, car l’auteur se livre à une étude détaillée des valeurs anciennes qui vont disparaître pendant ce processus d’agonie. Le travail, tel que nous l’avons conçu jusqu’à présent, en fait partie. « Il faut oser vouloir nous réapproprier le travail. » Le capitalisme a complétement dénaturé cette notion, il nous faut la percevoir sous un jour nouveau, et les éléments permettant cette nouvelle perception existent autour de nous. C’est dans les décombres du monde qui nous entoure que figurent, en germe, les valeurs qui seront à la base du renouveau social. André Gortz passe au crible les différents problèmes auxquels nous sommes confrontés, de la protection sociale à la crise alimentaire, du chômage à l’âge de la retraite, en proposant à chaque fois une analyse lucide et des remèdes souvent hors du champ commun d’investigation. Il dénonce le discours lénifiant des dirigeants, relayé par les médias aux ordres, et dénonce vigoureusement le recours à la mondialisation comme argument pour justifier les pires mesures sociales. La véritable dictature, celle que l’on ne perçoit pas toujours, c’est celle des marchés financiers. Les processus de production ne jouent plus qu’un rôle secondaire dans les profits des entreprises, et les délocalisations ne sont que des prétextes. Une société comme Siemens par exemple, tire plus de profits de ses spéculations sur les marchés financiers que d’une baisse de ses coûts de production. Les fonds de pension et les fonds communs de placement se livrent à un véritable racket sur le dos des entreprises, et ce sont eux qui dictent l’ensemble de la politique économique. Un exemple, tout à fait d’actualité, concernant les systèmes de protection sociale (santé, retraites…) : « S’ils ne sont plus finançables, ce n’est pas parce que les ressources manquent ou qu’elles doivent être affectées en priorité à l’investissement de productivité. S’ils ne sont plus finançables, c’est parce qu’une part croissante du PIB est affectée à rémunérer le capital et que la part distribuée pour rémunérer le travail ne cesse de diminuer. Or c’est sur celle-ci principalement que le financement de la protection sociale est assis. »
J’ai trouvé la quatrième partie du livre « sortir de la société salariale » particulièrement intéressante parce qu’elle met le doigt sur ce qui sera, à mon avis, une problématique centrale dans les années à venir. Le capitalisme établit un lien très fort entre le besoin d’un revenu stable et suffisant et celui « d’agir, d’œuvrer, de se mesurer aux autres, d’être apprécié par eux ». Au sein du système capitaliste, ces deux aspects du travail sont systématiquement attachés l’un à l’autre. « Pas de revenu suffisant qui ne soit la rémunération d’un travail » et de façon complémentaire « pas d’activité qui ne soit un travail commandé et payé par qui le commande ». Or les processus de production demandent de moins en moins de main d’œuvre car ils sont de plus en plus automatisés. La difficulté augmente donc considérablement si l’on veut se procurer un revenu suffisant par le biais d’un travail rémunéré. Quand on fait croire à celui qui cherche un emploi que la crise est passagère et que le retour au plein emploi se fera progressivement, on lui fait miroiter un paradis imaginaire qui n’adviendra jamais. Le discours de l’idéologie dominante ne change pas : il faut travailler plus et plus longtemps. La réalité des faits lui est totalement opposée : il y a de moins en moins de travail au sens traditionnel du terme. Le débat doit être lancé sur le fait de déconnecter totalement travail productif et revenu minimum vital décent. Tout individu a le droit de vivre dans des conditions correctes : droit au logement, à la nourriture, à l’éducation, à la santé… Le travail doit retrouver sa fonction sociale : sa rentabilité (en terme d’accroissement du capital) n’est plus son but premier. André Gorz détaille ensuite les modalités rendant possible cette évolution sociale fondamentale… Il n’est pas dans mon propos d’analyser l’ensemble des propositions qu’il formule, mais j’espère vous avoir donné envie de vous plonger dans son texte…
Verre froid – Piergiorgio Di Cara – roman policier – Editions Métailié Noir (220 p – 11 €)
Il s’agit du troisième volet des enquêtes de l’inspecteur Salvo Riccobono. Après s’être frotté d’un peu trop près à « Cosa Nostra », la mafia sicilienne, au point de s’être fait blesser gravement, le jeune enquêteur est transféré dans une petite ville de Calabre, par mesure de protection. Il n’est pas au bout de ses ennuis. En Calabre, règne la sinitre N’drangheta, cousine de Cosa Nostra, et, pour les tueurs de cette organisation, la vie humaine ne pèse pas bien lourd. L’inspecteur se retrouve plongé très rapidement dans une histoire de trafic de drogue aux multiples ramifications, et, dès le début de l’enquête, va comprendre qu’il se heurte à nouveau à un ennemi tout puissant. De la surveillance du dealer de coin de rue, à la recherche des responsables hauts placés, le cheminement de l’enquête est très bien raconté. Il faut dire que l’auteur, commissaire à la brigade antimafia de Palerme, est bien placé pour connaître son sujet. Le récit est rédigé à la première personne et le portrait psychologique de Riccobono est dressé avec soin. Les passages concernant le déroulement de l’histoire alternent avec ceux dans lesquels le personnage principal expose ses états d’âme et révèle les forces et les faiblesses de sa personnalité. Ce genre de polar, très psychologique, me fait penser aux enquêtes du commissaire Beck, rédigée par le couple d’auteurs suédois Maj Sjöwall et Per Wahlöö. La publication de cette série a été interrompue par le décès de l’un des deux écrivains. On ne peut, bien entendu, faire le parallèle complet entre ces deux ouvrages (Beck n’est pas confronté à la Mafia), mais les personnages centraux sont présentés, à mon avis, un peu de la même manière. La découverte de ce troisième volume des enquêtes de Salvo Riccobono me donne en tout cas envie de connaître les deux premières histoires.
Vérité et feuilles de thé – Alexander McCall Smith – 10/18 Grands Détectives (258 p)
Je ne crois pas vous avoir encore dit tout le bien que je pensais de la série d’Alexander McCall Smith intitulée « les enquêtes de Mma Ramotswe », directrice de l’agence n°1 des Dames Détectives au Botswana… Je vous préviens tout de suite : si vous êtes un adepte du roman policier « classique » ou du « thriller » angoissant et chargé d’hémoglobine, autant laisser tomber tout de suite… Personnellement, je trouve que de « roman policier », la série de McCall Smith, ne mérite pas vraiment l’appellation contrôlée. Il s’agit plutôt du récit d’une double tranche de vie : celle d’une femme haute en couleurs, Mma Ramotswe, et celle d’un pays, le Botswana, que l’auteur porte visiblement très haut dans son cœur. L’intrigue policière n’est qu’un prétexte au déroulement du récit. Dans ce dixième volume, notre grande dame est censée découvrir pour quelles raisons l’équipe de foot numéro un du pays s’est brusquement mise à perdre tous les matches auxquelles elle participe… Avec l’aide de son assistante, Mma Makutsi, elle va donc être contrainte de s’intéresser à ce sport qu’elle n’aime guère, et va devoir interroger un par un tous les acteurs de ce drame national. Ce n’est pourtant pas ce qui inquiète le plus notre détective professionnelle. Son esprit est ailleurs : elle est profondément perturbée par le fait que sa petite fourgonnette, à laquelle elle est sentimentalement très attachée, est sur le point de rendre l’âme malgré les efforts de son dévoué mari, le garagiste J.L.B. Matekoni… Le moteur émet des bruits incongrus, les amortisseurs supportent mal la charge déséquilibrée de sa « constitution traditionnelle »… Le style dans lequel tous ces livres sont écrits, mélange d’humour et de considérations philosophiques sur l’évolution malencontreuse de la société, est très attrayant. La seule chose qui peut vous surprendre (compte-tenu de « l’emballage ») c’est qu’à la page 255 vous n’aurez toujours pas trouvé le cadavre, l’arme du crime ou l’assassin. Mais il est fort probable que vous aurez passé un bon moment en compagnie de Mma Ramotswe et de sa sagesse légendaire.
« Mma Ramotswe appréciait de voir les gens se reconnaître, et si ces relations remontaient à plus d’une génération, c’était encore mieux. Ainsi en avait-il toujours été au Botswana, où les liens entre personnes, ces connexions viscérales de sang et de lignées, se répandaient dans le paysage humain, unissant les individus les uns aux autres dans une atmosphère de confiance, de sécurité et de profonde familiarité. A une certaine époque, il n’y avait même personne d’étranger au Botswana. Chacun s’insérait dans le paysage d’une manière ou d’une autre, même si ce n’était que de façon ténue ou marginale… »
23février2010
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour...; Notre nature à nous.
Les perce-neige pointent leur museau à travers la mousse au pied du vieux sureau. Une certaine agitation règne parmi les habitants de l’étage supérieur du grand frène. Quand on s’approche de la mare, on ne réveille pas encore le chant des grenouilles mais on provoque l’envolée soudaine des mésanges qui se cachent dans les bambous. Elles attendent d’être un peu au calme pour aller glaner leur pitance sur les plantes aquatiques flétries par les gels successifs d’un hiver qui s’est avéré finalement plutôt rigoureux. Dans la grande maison voisine, on s’agite aussi : jamais les coups d’œil sur le baromètre n’ont été aussi nombreux, et la surveillance de la météo prévisionnelle à long terme aussi attentive. Il faut dire que les habitants du lieu ont une grande envie de bol d’air, et des démangeaisons du côté du plantoir et du piochon. Est-ce temps de commander des arbustes pour les nouvelles haies, ainsi que quelques specimens d’arbres originaux pour le plaisir de la collection ? Faut-il bondir à la coopérative pour acheter les semences de pommes de terre à faire germer ? Les questions fusent… Quatre mois avec une grosse insuffisance de verdure, ça commence à être long. Fin février, début mars, la période marque un changement profond dans notre rythme d’activité. Il est fort probable que la place occupée par les travaux intellectuels va considérablement se réduire. Il y a des chances par exemple (mais aucune certitude) que l’arrivée de nouvelles chroniques sur le blog se fasse un peu moins fréquente. Nous rentrons dans la saison « coup de feu », époque de l’année pendant laquelle le baromètre devient principal guide spirituel… l’ayatollah baromètre ! Il faut savoir jouer avec la météo, et prendre les bonnes initiatives au bon moment. Si en plus on tient compte, au moins de façon sommaire, du calendrier lunaire, le planning quotidien devient un véritable casse-tête. L’idéal ce serait peut-être des journées à durée variable ! Dix-huit heures pendant l’hiver, trente au printemps, cela conviendrait bien aux ruraux agités que nous sommes. C’est un peu compliqué à mettre en place sur le plan astronomique, mais avec un effort adéquat, rien n’est impossible ! Et puis ça serait moins monotone que 24 h tout le temps, vous ne trouvez pas ?
Chaque année, je me dis que ça va être la bousculade dans les semaines qui arrivent. Eh bien, cela ne changera pas en 2010, d’autant que nous avons tardé pour faire notre bois de chauffage : trop de neige, puis trop de pluie, trop froid… Je sais bien qu’une partie de ces motifs sont fallacieux, mais bon ! J’ai l’impression qu’il faut qu’il y ait un déclic dans le cerveau pour que l’on se lance de bon cœur dans toutes ces activités extérieures. A se demander si les perce-neige…. n’auraient pas un effet cérébral ! En tout cas, ça y est, on a commencé notre coupe de bois annuelle avant-hier après-midi. Le bruit des tronçonneuses s’est chargé de mettre un peu d’ordre dans les criailleries des oiseaux. Le merle n’a que peu de chance de se faire entendre avec un fond sonore pareil… Les promeneurs du dimanche n’ont pas dû apprécier l’ambiance, mais bon, il faut bien qu’on se chauffe ! Cette coupe annuelle nous prend toujours pas mal de temps, d’une part parce que nous faisons le travail à moitié, d’autre part parce que nous évitons le plus possible les « coupes à blanc » qui laissent de vilaines blessures dans le boisé. Nous coupons notre bois dans une forêt exploitée en taillis, mais cela ne nous empêche pas de prendre le temps de sélectionner les plus beaux arbres pour les préserver. L’idée c’est de faire évoluer la parcelle en « taillis sous futaie » comme disent les forestiers, en rendant possible pour la génération future, une exploitation à la fois en bois d’œuvre et en bois de chauffe. Le copain avec qui nous travaillons étant, de plus, un écologiste convaincu, nous prenons garde à laisser sur place les arbres morts qui ne présentent que peu d’intérêt pour nous, mais abritent une faune considérable… Je ne suis pas sûr que le pic qui raffole de ce genre d’abris apprécierait beaucoup que l’on sabote son HLM. Les arbres qui restent en place n’ont pas comme seul intérêt le fait de constituer une réserve de bois d’œuvre ; ils assurent aussi un certain ombrage aux rejets qui se développent à partir des souches, et ils évitent un trop grand assèchement du couvert forestier. La coupe du taillis dans notre région se fait environ tous les vingt ou trente ans. Si l’on traine un peu trop, ce qui a été le cas dans la parcelle où nous travaillons, on se retrouve avec des perches d’une dimension conséquente dont l’abattage est toujours un peu délicat.
Mine de rien, avec ces pratiques un tant soi peu respectueuses de l’environnement, il en faut du temps pour assurer une réserve de bois suffisante pour un hiver. Les quinze ou vingt stères nécessaires pour un ménage (donc trente à quarante pour deux) demandent bien une dizaine de journées de labeur, peut-être un peu plus si l’on compte le transport puis le débit en bûches. Je précise, pour les novices ou pour les adeptes du convecteur électrique, qu’un stère c’est un mètre cube apparent, c’est à dire un tas ayant les dimensions requises pour faire un m3 en volume. Il ne faut pas confondre avec le « moule », mesurant 1,33 m dans toutes les côtes, qui représente lui un mètre cube vrai – la majoration des dimensions servant à compenser les trous qui existent obligatoirement dans un tas de branches. Il y a aussi la « corde », mais on ne l’emploie pas dans notre secteur. Ce système de mesure est très régional et constitue l’une des survivances des systèmes de mesure qui existaient sous l’ancien régime : plus d’arpents, de toise, de bichet ou de lieues, mais des moules et des cordes ! Je suis sûr que d’autres termes subsistent dans certaines régions pour mesurer surfaces, volumes ou contenants. En bas-Dauphiné, les survivances de l’ancien régime sont rares, du moins en ce qui concerne la géométrie. Dans le domaine de la politique, par contre… A l’aune de ce qui se passe dans les urnes, je pense que les descendants de Louis XVI ou de Napoléon seraient toujours sur le trône si on avait confié la destinée du pays aux habitants du coin… Pour en revenir au bois, la séance d’abattage d’hier a été épique. Il y a toujours une ou deux séances de rôdage au début, le temps que le coup d’œil et l’entrainement reviennent. On a joué à la fois au mikado et au casse-briques. Le premier gros châtaignier a dévié d’une dizaine de degrés de l’angle de chute que nous lui avions mentalement assigné et ça na pas loupé… il est allé « s’enfoucher » dans un congénère de la parcelle voisine. Plutôt que de passer du temps à le câbler et à le tirer, on a joué à faire tomber une deuxième perche sur la première… son poids n’a pas suffi… Quant à la troisième, elle a refusé de suivre les indications du plan quinquennal et elle est allée s’encastrer dans la seule direction dans laquelle il paraissait peu probable qu’elle aille. Travail d’apprentis diront certains, ou de bûcherons du dimanche (lundi, mardi, mercredi… aussi sans doute) ; à ces propos désobligeants, notre avocat commis d’office rétorquera que tout cela se joue à quelques degrés d’angle près et que le nombre de facteurs qui interviennent dans la chute d’un arbre est élevé : cela commence par le souffle du zéphyr et se termine par le poids du corbeau obèse perché sur l’une des branches et désireux de faire une tentative de saut à l’élastique. Du coup, ces trois malheureuses perches nous ont occupés un bon moment.
Une fois que les arbres sont au sol, il faut les nettoyer le plus intelligemment possible c’est à dire en limitant au maximum les enchevêtrements de branches et les transports inutiles. On n’imagine pas le poids que peut peser un rondin de châtaignier d’une trentaine de centimètres de diamètre et d’un mètre de long. Si vous voulez connaître la réponse, il vous suffira d’interviewer mon dos : trop lourd. Mieux vaut donc, pour le tronc, sortir tout de suite l’attirail du parfait refendeur… La panoplie est importante : masse, coin ordinaire, coin éclateur, merlin… Mais il n’en reste pas moins qu’il faut quand même soulever la masse et frapper lourdement sur le coin à plusieurs reprises. Si l’écarteur a été bien placé et si la bûche est de bonne composition, la refente peut se faire en une fois. S’il s’agit d’un bois teigneux genre acacia ou charmille, la lutte entre l’homme et le tronc récalcitrant peut durer facilement une demi-gourde d’eau bien remplie (gourde et demi-gourde sont des mesures professionnelles, utilisées principalement par les randonneurs, les cyclistes et les bûcherons). Je vous fais grâce de l’empilage, du chargement sur la remorque, de la mise en tas… Pour finir comme il faut le travail, il faut aussi s’occuper des branchages : c’est la fête à la goye (ou goyarde) pour dépiauter tout ça. Finie ou presque l’époque où les agriculteurs faisaient brûler toute cette saleté à grand renfort de « rouge » et de pneus avec une belle fumée noirâtre… Les déchets d’abattage, on les met en tas, bien proprement, histoire qu’ils se décomposent et constituent un apport nutritif conséquent permettant la régénération de la parcelle. Ils servent aussi d’abri aux animaux stressés qui n’ont plus guère le temps de creuser des terriers et permettent aux lièvres de faire la grimace aux chiens de chasse. Ces quadrupèdes hystériques n’aiment pas outre mesure aller les dénicher en dessous.
Quand la fin d’après-midi a été annoncée par la disparition du soleil derrière la colline (effet de style, en réalité, le ciel a fini ben gris mon zaïeu), on n’avait quand même pas trop mal progressé. L’aiguille qui indique le niveau de douleur sur mon compteur vertébral frisottait avec le rouge. Autant faire un peu attention, d’autant qu’il va falloir persévérer quelques jours car le moment est idéal. Le thème astral est favorable au bûcheronnage et les augures aussi (du moins si on ne s’est pas trompés en analysant le marc de café une fois la goutte versée). Plus sérieusement, le sol est trop mouillé pour que l’on puisse commencer les travaux de plantation d’arbres et d’arbustes – eh oui ! quand j’ai fini d’abattre je plante… Ainsi fonctionne l’esprit humain dans toute la splendeur de ses contradictions : creuser et reboucher, casser et recoller, couper et assembler… Mais là je touche à un autre domaine, celui de notre sacro-saint parc arboré, et c’est un sujet suffisamment important pour que je lui consacre une chronique entière ! Pour l’heure, je suis pressé, il faut que j’aille voir si les salades plantées sous la serre au début de l’hiver, font mine de bouger un peu, ou si elles persistent dans leur comportement végétatif – symptôme inquiétant de la pneumonie qu’elles ont dû attraper avec les froids de janvier. Si l’un(e) d’entre-vous s’ennuie, il (elle) peut toujours nous rendre visite et consulter nos offres d’embauche non rémunérées : il y en a plus encore qu’à l’ANPE du bourg voisin… Huit heures par jour, logé(e), nourri(e), avec la promesse de belles joues rouges à la fin du séjour… C’est autrement plus sympa que Cayenne a murmuré notre dernier esclave au moment où le curé du temple bouddhiste néo-calviniste (à proximité de l’ANPE) lui a accordé l’extrême onction juste avant de lui fermer les paupières !
Post-Scriptum : ce qui est dit dans ce billet concernant les grenouilles n’est plus vrai deux jours après la rédaction du début de ce texte. Elles sont bien là et deux d’entre-elles viennent d’exécuter un magnifique saut au trampolino en éclaboussant tout sur leur passage !
19février2010
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour...; Sur l'école.
J’emmerde l’Académie française et tous ses grognards, leur combat d’arrière-garde pour défendre une orthographe moribonde et une langue sclérosée et mourante. Je milite de façon pépère pour que la langue française retrouve sa pleine et entière richesse, c’est à dire que l’on utilise non seulement les mots stockés dans les travaux de papy Robert et de mamy Larousse, mais aussi tous les mots existants dans les langues régionales, variantes souvent fleuries du français officiel ou sauvegarde d’une terminologie ancienne souvent chatoyante (merci aux amis québecois pour avoir fait une bonne partie de ce travail), sans oublier tous les mots créés au quotidien par la verve populaire. Ma seule réticence concerne l’incorporation de termes anglais digérés à la va-vite. Autant le dire tout de suite, employer un vocabulaire anglo-saxon quand on possède déjà ce qu’il faut dans notre patrimoine franco-français, ça me gonfle car, en France, cela témoigne surtout d’un certain snobisme. Je tolère cet apport quand on prend la peine de franciser l’expression comme le font les Québecois, qui n’hésitent pas à employer leur brake a bras quand ils garent leur char. Je n’aime pas recevoir un « mail » ; j’adore recevoir des courriels ; quand on me présente quelque chose en me prévenant que c’est un « must », j’ai un solide a priori contre. Reconnaissez que c’est quand même plus sympa de prendre un traversier sur le Saint-Laurent que de prendre un ferry pour aller faire du shopping de l’autre côté du Channel… Les plus atteints par ce complexe anglophone, ce sont les informaticiens, qui ont réussi à mettre au point une espèce de bouillie linguistique particulièrement indigeste. A se demander si, avant certaines embauches, on ne teste pas la capacité du candidat à remplacer au moins 1 mot sur 3 par son équivalent anglais, histoire de prouver ses compétences !
J’aime employer dans mes écrits le « boisé » du Québec, le « tantôt » ou le « tantinet » des dauphinois, le « Pétard ! » qui me vient je ne sais pas trop d’où. Le langage châtié des écrivains classiques m’ennuie bien souvent, même s’il est « manié avec une élégance rare » comme aiment à le dire, en se pâmant, certains esthètes littéraires ; les livres que l’on se force à écrire en argot aussi. Cela me rappelle trop ce banquier qui, estimant qu’il avait affaire à des « marginaux », prenait la peine de desserrer sa cravate, d’ébouriffer sa permanente, et de coller une vulgarité dans une phrase sur deux. Le langage doit être quelque chose de naturel et de vivant ; on n’épouse pas la langue de quelqu’un d’autre ; on enrichit la sienne au contact des variantes de sa propre culture. Il y a là tout un travail d’explorateur à faire et c’est passionnant. Je repense encore une fois à Jacques Lacarrière traversant la France du Nord au Sud à pied et s’extasiant sur la richesse du vocabulaire géographique des régions dans lesquelles il cheminait. Mais bon, je vous ai déjà bassiné avec son bouquin et je ne voudrais surtout pas que l’on croie que je radote ! Découvrons, adoptons ce qui plait à notre oreille ou correspond à notre besoin d’expression à un moment donné, et, pourquoi pas, inventons lorsque cela nous paraît nécessaire et ne rend pas notre propos incompréhensible. Je comprends que l’on n’apprécie guère un tangalère ou un putamore, au milieu d’un exposé, mais pourquoi rejeter une infinitude ou une maximalité (euh non, pas de bol, ça existe…), une flemmitude ou une jardinalité ? Il est bien entendu nécessaire que ces mots aient un sens constant et que l’on familiarise le lecteur en les employant à bon escient… Je propose un « échange de propos concernant le jardinage » pour « jardinalité », et une « attitude peu énergique et peu entreprenante » pour une « flemmitude ». Les poètes jouent bien aux mots valises, pourquoi les écrivaillons de tout poil n’y auraient-ils pas droit ? D’autant qu’il est des langues, fonctionnant un peu comme un meccano, où l’on peut, à sa convenance, ajouter n’importe quel préfixe ou suffixe à une racine existante. Blatérer, et déblatérer, d’accord, mais pourquoi pas surblatérer, ce que l’on fait dans beaucoup de blogs… Ne trouvez-vous pas intéressant de placoter ainsi sur le langage (pas de guillemets pour placoter, c’est un très joli mot du Québec qui exprime très bien ce qu’il veut exprimer) ? Selon une formule consacrée, le langage est une chose bien trop sérieuse pour qu’on réserve son étude aux experts sclérosés.
Bon, il est temps que je place un paragraphe témoignant de mon esprit ouvert sur les propositions futuristes et pas uniquement tourné vers des visions passéistes. Je ne voudrais pas que ce blog devienne l’organe de communication des anciens du bon vieux temps d’autrefois… Attention donc, mes petits cocos, défense d’une identité culturelle, d’une langue, ne signifie aucunement nationalisme malodorant. Laissons braire les coqs dans leurs galetas. Pour moi, Richesse signifie Echange et non repli sur soi ou supériorité imbécile d’une culture sur une autre. Nous trouvons notre langue admirable ? Tant mieux ! Cela ne veut pas dire que nous possédons l’unique toile de maître représentant le nombril du monde. Je me moque de savoir si le français est plus riche, moins riche, plus simple, moins simple, aurait dû ou n’aurait pas dû servir de langage diplomatique. Je n’en ai rien à braire (Flaubert n’aurait sans doute pas apprécié cette exaction langagière, mais j’aime beaucoup cette expression ainsi que d’autres comme « ça me prend le chou » qui est relativement peu balzacienne). Il y a un moment ou dire « ça m’emmerde » est particulièrement adapté à la situation, et je ne vois pas pourquoi je me priverais de cette liberté ! Par contre, une chose est sûre, toutes les langues et toutes les cultures méritent le respect, et, la moindre des choses, lorsque l’on se rend chez quelqu’un, c’est de ne pas se comporter en conquistador (j’écrirais bien ce mot sous la forme « con qui s’adore »). Nous quittons l’ombre de notre clocher, ce n’est pas pour une croisade mais pour une escapade, ce n’est pas pour s’approprier mais pour explorer… Le respect le plus élémentaire de l’autre c’est de ne pas imposer sa propre langue dans un échange, au moins pour une prise de contact. Il faut faire l’effort d’apprendre la dizaine ou la vingtaine de mots ou d’expressions indispensables… de se placer d’emblée dans une démarche de partage et non dans une attitude propriétaire, ce qui est souvent le cas des touristes. Je reconnais que pour enrichir la suite des échanges, mieux vaut trouver un terrain d’entente linguistique commun, plutôt que de se dévisager l’air ahuri ou d’échanger avec des gestes ou des grimaces. Quand on va en Nakakouachie (très joli livre que celui choisi en illustration), on dit bonjour en Nakakouache, puis on s’excuse de ne pas avoir été capable d’apprendre la langue. Ensuite, et seulement ensuite, on propose un dialogue en anglais, en espéranto, en espagnol ou en moldave. Il faut bouter hors de toutes les frontières les touristes pédants qui ne veulent qu’une chose, c’est qu’on leur cire les bottes.
Avec tout ça, vous me direz que je n’ai abordé la langue française que par le biais du vocabulaire, en passant sous silence une grammaire et une orthographe diantrement compliquées. Il est vrai qu’autant je souhaite enrichir le vocabulaire, le rendre le plus fleuri et le plus chantant possible, autant en matière de règles orthographiques ou grammaticales j’aimerais simplifier, tailler dans les manuels avec un sabre d’abordage, étouffer les experts du français académique avec leur mélasse indigeste. J’ai toujours été un grand admirateur de la grammaire en quatre pages de Célestin Freinet : claire, concise et largement suffisante. Je déplore le fait que la majorité des adolescents et une fraction inquiétante du monde adulte ne s’exprime plus qu’en employant quelques malheureuses centaines de mots différents (les études ne manquent pas pour confirmer mon propos). Je trouve tout aussi affligeantes les années passées à étudier des règles d’accord d’une stupidité profonde et les listes interminables d’exceptions ajoutées à des énoncés qui ne concernent que des mots d’un usage très restreint. Je suis chaudement partisan d’une réforme importante de l’orthographe visant à une certaine normalisation phonétique (éventuellement en plusieurs étapes). Cela m’agace qu’il y ait une multitude de variantes du son [o] alors que deux suffiraient largement. L’accent circonflexe est amusant et permet de raconter de jolies anecdotes sur l’origine et la transformation des mots ; c’est clair. La perte éventuelle du « chapeau » risque de faire attraper froid à un certain nombre de cerveaux fumants ; sans doute. Ne vaudrait-il pas mieux conserver certains mots sans leur complexité orthographique plutôt que d’en voir disparaître complètement l’usage ? Pour être honnête, je reconnais que le problème de l’orthographe me gêne singulièrement, car je fais partie d’une génération, et ce n’est pas la dernière, littéralement conditionnée à ce niveau et qui a bien du mal à s’émanciper de ces barrières mentales. L’orthographe est resté un outil redoutable de sélection sociale, même si c’est inconscient. J’éprouve le besoin de relire et de faire relire mes textes, et ressens un certain plaisir (je devrais dire en fait que cela me sécurise) de proposer des chroniques qui ne soient pas trop biscornues sur le plan orthographique. Lorsque je parcours un texte, le premier réflexe que j’ai (et que je regrette ensuite) c’est de me faire une opinion sur celui qui l’a écrit à travers sa maitrise de la langue… Cela veut dire qu’il y a du souci à se faire et que ce ne sont pas des gens comme moi qui seront très utiles pour ce travail de réforme. Ce que je souhaite en fait c’est une évolution des règles et non leur abandon. Je dois être un conservateur éclairé ou un réformateur ramolli, puisque je reconnais que le langage SMS me laisse comme un sentiment d’amertume dans la bouche ! Il doit être possible d’intervenir avant que l’on ne réécrive Rabelais en SMS je pense…
Je pourrais conclure en disant que ce qui me paraît être la vraie richesse d’un langage, c’est l’offre qu’il propose en matière de vocabulaire, plus que la complexité de sa grammaire. Je fais partie de cette catégorie d’enseignants (en voie de raréfaction ?) qui ont toujours considéré que l’apprentissage du français, c’est avant tout une pratique et une découverte intensives de la langue. Il est préférable de lire et d’écrire abondamment, pour enrichir ses connaissances (au sens large) et progresser, plutôt que de mémoriser des règles ineptes dont on essaie ensuite de consolider plus ou moins l’acquisition par des gammes d’exercices inodores, insipides et sans saveur. Ecrire pour s’approprier les mots, les expressions, les phrases… Lire pour comparer, étoffer, enrichir notre potentiel imaginatif, et s’imprégner peu à peu des structures les plus usuelles et les plus plaisantes. Améliorer plutôt que corriger… Partager ce que l’on a à exprimer, avec ses condisciples plutôt que le garder pour soi ou le réserver à l’enseignant… C’est à dire ne pas oublier que le langage est avant tout communication. Que d’énergie et de temps perdu à revoir, pendant 4, 5 ou 6 années consécutives, le pluriel des noms en [ou] ou le désaccord du participe passé avec sa belle famille. Bien sûr que le fait d’aborder l’étude de la langue selon la démarche indiquée n’est pas un procédé fonctionnant à tous les coups, et que certains restent à côté de la voie rapide, totalement insensibles aux charmes de la prose. Quelques uns de ces rebelles éprouvent néanmoins un grand plaisir à déclamer de la poésie ou à raconter par le dessin. Le pourcentage minime (1 ou 2 %) d’enseignants du Primaire qui ont travaillé en utilisant les techniques Freinet ou avoisinantes (peu m’importe « le label », il ne s’agit pas de produire des poulets), est-il vraiment responsable de la baisse de niveau orthographique des petits Français ? Permettez moi d’en douter : la pratique du « texte libre » offre toujours de belles opportunités. Si j’étais ministre du culte scolaire, je crois bien que je confierais une mission de réflexion sur l’avenir de la langue française à Boby Lapointe, s’il était toujours parmi nous ; ça nous changerait des tartuffes actuels… Bon je vous laisse méditer sur tout ce papotage intellectuel. N’hésitez pas à me faire part de vos réactions ; ne tournez pas autour du pot. Même si tous mes lecteurs ne sont pas des potes, on peut communiquer, « on n’est pas des bœufs ! » En ce qui me concerne, l’accordéon m’appelle. Je suis en train de travailler la musique de la chanson « la grande Margot »… Vous savez bien, la grande Margot, celle qui, « tous les soirs, fait sa partie de bézigue, au bout de la digue, avec ses dix amants ». C’est sacrément entrainant et puis « bézigue » comme terme, c’est mignon non ?
17février2010
Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Sciences et techniques dans les temps anciens.
Anniversaire du jour où les rêves de Giordano Bruno, astronome, partirent en fumée…
« La foule des aveugles ne vaut pas un seul voyant, non plus que la foule des sots ne peut égaler un sage. » (Giordano Bruno)
En ce jour du 17 février 1600, sur le « Campo dei fiori » à Rome, ce n’est pas le bonhomme carnaval que l’on brûlait, mais l’astronome italien Giordano Bruno, condamné à la peine capitale par un tribunal ecclésiastique, pour hérésie. Il paie le prix fort pour des convictions auxquelles il n’a pas voulu renoncer. Seize années plus tard, ce sera le tour de Galileo Galilei de passer en jugement, pour des raisons proches, mais l’issue du procès sera plus heureuse : Galilée abjurera ses théories et sera condamné à une peine plus clémente. De toute façon, c’est trop tard, la vérité est sur les rails et ne pourra bientôt plus être entravée. Ce sont les deux astronomes qui ont raison : la terre n’est pas immobile dans le ciel et elle n’est pas le centre de l’univers.La bêtise religieuse n’aura fait que retarder de quelques années l’avancée de la recherche astronomique. Il faudra quand même quatre siècles pour que l’église catholique fasse part de ses regrets concernant le déroulement du procès de Galilée. A ce jour, aucune excuse ni explication n’a jamais été formulée quant à l’exécution de Bruno. Nous sommes en 2010, 410 ans plus tard et la révision de ce procès inique n’est encore qu’au stade de projet dans les dossiers du Vatican. Vous me direz que révision ou pas, tout cela n’a plus grande importance. Maintenant que les papes ont admis que la terre tournait autour du soleil, il serait bon quand même que l’église catholique romaine revienne sur l’ensemble des erreurs qu’elle a commises ou cautionnées. Les quelques lignes qui suivent constituent donc un hommage à un scientifique courageux qui n’a jamais voulu abjurer ses théories et qui a contribué, en son temps, à mettre en lumière l’archaïsme de la religion. Nous essaierons de comprendre aussi les raisons qui ont poussé le Vatican à réviser l’un des jugements mais pas l’autre. Cette chronique est dédiée à tous ceux qui luttent actuellement contre l’obscurantisme quelle que soit la forme ou les cieux sous lesquels il peut sévir. Il ne s’agit point de stigmatiser qui que ce soit ; je pense même qu’il ne faut pas oublier une chose importante : la religion, tel un volcan, traverse des phases éruptives et des phases de sommeil. Il ne faudrait pas qu’à force de regarder ce qui se passe dans le fond de l’esprit du voisin, on en oublie que certains démons, chez nous, ne demandent qu’à se réveiller… Quand on parle des fatwas des uns, il ne faut pas oublier les excommunications des autres !
Qu’avait donc fait, écrit et pensé, ce pauvre Giordano Bruno pour s’être attiré ainsi les foudres vaticanes ? Son histoire mérite d’être contée, afin de mieux saisir les tenants et les aboutissants de ce sinistre procès. Le personnage en lui-même est en effet singulier. Il est né à Nola, dans le royaume de Naples, en 1548. En 1562, il rentre dans un couvent de dominicains à Naples, pour y faire ses études. Elève brillant, il devient « docteur en théologie » au bout d’une dizaine d’années. Son comportement quelque peu irrespectueux de la règle monastique lui vaut quelques ennuis avec ses supérieurs : refus d’afficher des portraits de saints dans sa cellule ou bien lecture d’auteurs interdits de l’antiquité comme Erasme. Après avoir renoncé à la vie monastique, il entame un long parcours qui va le conduire, en quelques années, à Rome, puis à Genève, à Paris et même à Oxford. Dans chacune de ces villes le scénario se déroule de la même façon. L’homme est accueilli à bras ouverts et il impressionne vivement ceux qu’il côtoie par l’importance de sa culture et de ses connaissances scientifiques. Il semble qu’il ne gagne pas à être connu, puisque très rapidement, ses propos, et les idées non conformes qu’il développe, provoquent méfiance puis rejet pur et simple. L’un de ces hôtes accueillants qui va finir par se lasser est le roi de France Henri III. En 1581, le monarque invite Giordano Bruno à Paris et lui offre une chaire au collège de France… nomination prestigieuse, mais la brouille entre les deux personnages ne tarde pas à s’en venir. Rejeté dans les pays catholiques, notre scientifique SDF choisit donc de se tourner vers les Etats qui ont accueilli favorablement la Réforme, en particulier les Etats allemands. Là encore, les relations avec ses hôtes sont loin d’être cordiales, et lorsque la situation se détériore trop, notre homme est obligé de changer de résidence pour un temps. Toutes les capitales européennes ou presque seront sur le chemin de son exode constant. Ses propositions astronomiques mais aussi son franc parler et ses élucubrations lui valent d’être excommunié tour à tour par les catholiques à Rome, les calvinistes à Genève et les luthériens à Wittenberg. En 1591, Bruno est las de tous ces déménagements et décide de retourner dans son pays natal. L’invitation d’un marchand vénitien, Zuane Mocinego, va lui fournir le prétexte pour ce retour en Italie. Son nouveau mécène lui demande de lui enseigner la géométrie et la mnémotechnique, sujets d’étude, on le notera, qui ne se prêtent pas trop à la polémique.
C’est pourtant dans la cité des Doges que les ennuis les plus graves de notre savant voyageur vont commencer. Encore une fois, les relations entre « employeur » et « employé » se dégradent rapidement. Le 23 mai 1592, notre brave marchand vénitien dénonce son « professeur » à l’Inquisition. Les motivations du dénonciateur sont mal connues : il est sans doute choqué par le comportement de son invité, mais sans doute aussi vexé par le fait que Bruno laisse entendre qu’il ne veut séjourner à Venise que de façon temporaire, en attendant de pouvoir occuper une chaire de mathématiques à l’université de Padoue. Le prétexte est facile à trouver : les théories astronomiques que formule Bruno sont hérétiques. Ses écrits se situent dans la droite ligne de ceux de Copernic, et remettent en cause la thèse aristotélicienne plaçant la terre immobile au centre de l’Univers. Or cette théorie est considérée comme un véritable dogme par l’église catholique. Pire encore, Giordano Bruno affirme que l’Univers est infini et que l’ensemble des étoiles que l’on peut observer dans le ciel ont leur propre mouvement… Les étoiles sont d’autres soleils et il y a d’autres planètes habitées dans l’Univers. Conséquence philosophique, mais logique, de cette nouvelle façon de considérer l’astronomie, Adam ne peut plus être le père de tous les hommes. Il y a donc un « hic » dans la mythologie en vigueur de la Création avec un grand C. Si le monde n’a plus de centre, Dieu n’a alors plus aucun lieu ou résider… et ainsi de suite ! Difficile à avaler, aussi bien pour les catholiques romains que pour les réformés. L’inquisition se jette sur cette affaire comme le corbeau sur son fromage. Le procès va durer sept ans : sept années d’enfermement et de souffrance pour le savant, mais aussi sept années pendant lesquelles il va donner du fil à retordre au tribunal chargé de l’interroger. Giordano Bruno est un rhétoricien habile et sa stratégie tortueuse complique sérieusement les interrogatoires. Un jour, il donne l’impression de capituler, s’apprête à signer une rétractation, mais pose comme condition le fait que le Pape approuve ses travaux, ce qui est totalement contradictoire. A force de pression, le Vatican obtient le transfert de l’accusé à Rome.
L’affaire a pris des proportions importantes ; plus le temps passe, plus le dossier d’accusation grossit, et, peu à peu, c’est la vie complète de Bruno et l’ensemble de ses faits et gestes qui sont passés au crible. l’accusé est un « morceau de choix » ; le pape veut contrôler directement le déroulement de la procédure. Le compte-rendu direct du procès de Rome n’existe plus, mais subsistent, dans les colossales archives du Vatican (85 km de rayonnages !), des récits de seconde main comportant de nombreux extraits importants. Lors des derniers jours d’audience de son procès, il est interrogé sur sa conception de la cosmologie, exposée dans son ouvrage « la cena delle ceneri » et développée ensuite dans « De l’infinito universo ». Voici ce que répond Giordano Bruno aux questions de ses juges à propos du mouvement de la terre, tel que cela a été noté : « Premièrement en général je dis que le mouvement et le fait (la chose) du mouvement de la terre et de l’immobilité du firmament ou du ciel sont d’après moi produits par des raisons et une autorité propres qui sont certaines et ne préjugent pas de l’autorité de l’écriture divine. Quant au soleil, je dis qu’il ne naît et ne disparaît en rien, pas plus que nous ne le voyons naître et disparaître, parce que la terre tourne autour de son propre centre, ce qui produit le fait de naître et disparaître. » Cette déclaration, bien entendu, ne satisfait aucunement ses accusateurs. La sentance de mort est rendue le 14 février et elle est exécutée le 17. Avant de mourir sur le bûcher, Giordano Bruno est condamné au silence par ses juges : selon les sources, soit on le bâillonne, soit on lui coupe la langue. Aurait-il voulu abjurer que de toute façon il n’aurait pu le faire. Son destin était scellé.
La colère de la hiérarchie religieuse contre l’astronome s’appuie sur différents éléments. Les premiers concernent les thèses astronomiques, et donc la partie scientifique des travaux de ce savant, thèses exposées dans le paragraphe précédent. Mais il semble, a posteriori, que ce soient surtout le doute exprimé à l’égard des convictions religieuses, et le comportement anticonformiste du personnage, qui aient constitué les plus lourdes charges retenues, au moins officieusement, contre lui. Hérétique dans ses conceptions cosmologiques, il l’est aussi dans ses propos philosophiques et dans ses écrits les plus divers. Son attitude est considérée, en soi, comme répréhensible. C’est en cela que le dossier « Bruno » diverge de celui de Galilée. Le premier remet en cause les écritures saintes, énonce des vérités qui ne sont pas bonnes à entendre et, bien qu’ils soient parfois contradictoires, tient des discours blasphématoires à l’égard de l’église et de la religion. Le second est un catholique fervent, qui acceptera de réfuter partiellement ses découvertes, non seulement pour sauver sa peau, mais surtout parce que le conflit ouvert avec l’église le met profondément mal à l’aise. Giordano Bruno est un marginal, y compris dans le bouillonnement intellectuel de la Renaissance : il tire les conclusions philosophiques de ses découvertes scientifiques et dénonce dans les pamphlets qu’il rédige les travers des mentalités de son époque. Certains de ses écrits méconnus mélangent allégrement propos grivois et observations morales. Ses écrits sont multiples et variés, comme sa personnalité. La première de ses œuvres que l’on a conservée, intitulée « le chandelier » (publié à Paris en 1582) est une comédie particulièrement débridée mettant en scène des personnages aux mœurs plutôt libertines. « Une des femmes de cette histoire vous fera voir combien sont enflammés ses soupirs, aquatiques ses méditations, terrestres ses désirs, aériennes ses fouteries… » Ecrit singulier, pour un astronome, dominicain défroqué, considéré comme l’un des cerveaux les plus brillants de son époque. L’église ne lui pardonnera jamais cette excentricité et le considère comme une brebis galeuse, un traître à la cause puisqu’il a renoncé à l’habit de prêtre, un ennemi à éradiquer avant que ses idées « anarchisantes » avant l’heure ne contaminent les âmes pures du troupeau. Pour les représentants du Vatican, la hotte est pleine et mérite bien quelques bons gros fagots et un bûcher… Quant à la réhabilitation, allez donc demander à un pape de blanchir quelqu’un qui est accusé de blasphèmes ! Si le procès de Bruno est revu un jour, il est fort probable que le mécréant ne sera pardonné que pour ses affirmations scientifiques ! En février 2000, le Cardinal Poupard, représentant le Vatican, déclarait encore : « La condamnation pour hérésie de Giordano Bruno, indépendamment du jugement qu’on veuille porter sur la peine capitale qui lui fut imposée, se présente comme pleinement motivée. »
Pour rédiger cette chronique, j’ai parcouru de nombreux documents, et je dois reconnaître que plus j’ai avancé dans mes recherches plus ce savant a attiré ma curiosité et ma sympathie. Il est fort dommage que son œuvre ne soit pas mieux connue et qu’il ait été, en quelque sorte, relégué au second plan par la notoriété de Galilée. Giordano Bruno était véritablement un génie éclectique, tout à la fois scientifique et philosophe, bon vivant et moraliste, rhétoricien et humoriste. Les thèmes qu’il a abordés dans ses ouvrages sont nombreux, de la mnémotechnique à l’étude de l’infiniment petit… L’église catholique, mais aussi la religion réformée, avaient bien compris à la fin du XVIème siècle qu’elles avaient affaire avec un personnage d’un anticonformisme dangereux dont il était urgent de se débarrasser. Ses idées et ses rêves partirent en fumée car ils dérangeaient. Une fin aussi terrible justifie bien qu’on lui laisse le privilège de rédiger son propre épitaphe : « C’est donc vers l’air que je déploie mes ailes confiantes. Ne craignant nul obstacle, ni de cristal, ni de verre, je fends les cieux, et m’érige à l’infini. Et tandis que de ce globe je m’élève vers d’autres cieux et pénètre au-de-là par le champ éthéré, je laisse derrière moi ce que d’autres voient de loin. » Ainsi se termine l’histoire que je voulais vous conter aujourd’hui.
Notes : les sources documentaires pour prolonger cette étude sont nombreuses sur le web. Les illustrations choisies proviennent de ces divers sites, et appartiennent au domaine public. Remerciements à « Lavande » pour son aide en matière de traduction italo-latine. Les archives du Vatican nécessitent parfois quelques retranscriptions et j’aurais beaucoup peiné à le faire !
13février2010
Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique.
Cinq mots dont les politiciens de la majorité et de l’opposition molle ne cessent de se gargariser. Parmi les cinq, il y a un intrus et (heureusement encore) deux omissions ; l’intrus, je vous laisse le soin de le trouver. Quant aux omissions… on pourrait bien voir réapparaître un jour « concentration » ou « déportation ». Cela se passe en d’autres parties du globe. Chez nous, on n’en est pas encore là, j’en suis conscient et je ne veux surtout pas galvauder des termes se référant à des images d’une extrême barbarie. Cependant, comme le dit l’un de mes chanteurs préférés, le fascisme fait son lit sur la charogne, et notre démocratie commence à avoir de bien singulières odeurs. Le vocabulaire de nos gouvernants prend une drôle de tournure en 2010 ; une tournure qui évoque bien des mauvais souvenirs ; ceux par exemple d’un pays occupé par les nazis et gouverné par les sbires d’un Maréchal vénéré par une grande partie de la population ; le seul pays de l’Europe occupée à avoir activement organisé l’arrestation et la déportation des indésirables pour le compte de ses occupants. Un pays dans lequel certains de ces indésirables (*) pour des motifs politiques ou raciaux étaient encore enfermés dans des camps de sinistre mémoire plusieurs mois après la fin du deuxième conflit mondial. C’est une devinette facile à résoudre ; si vous ne trouvez pas la réponse, il y a du souci à se faire. Les derniers survivants, victimes de cette affreuse période ont beau s’agiter, témoigner, protester… les peuples ont la mémoire courte, parfois si courte que l’on peut réchauffer les mêmes sinistres marmites à quelques décennies d’intervalle.
Lors de ma visite de l’exposition « le train s’est arrêté à Grenoble », au musée de la Résistance, j’ai entendu, entre autres, le témoignage de ce réfugié espagnol, « accueilli » dans notre département : lorsque son père l’envoyait chercher du pain chez le boulanger, dans le petit village où il avait trouvé refuge, le brave commerçant lui répondait qu’il n’y en avait plus, alors que les rayons étaient remplis de baguettes. Il n’était qu’un étranger « indésirable », un criminel potentiel évadé du camp d’internement (à l’époque le gouvernement français employait aussi le terme de « concentration ») et le commerçant ne travaillait pas pour des « gens comme ça ». Ne noircissons pas le tableau, il y avait aussi de braves citoyens qui accueillaient ces malheureux exilés, et partageaient le peu qu’ils avaient à manger sans trop se poser de question. Etaient-ils les plus nombreux ? Sûrement pas. Avant, après l’Espagne, d’autres exils ont eu lieu ; d’autres personnes ont cru dans le mythe de la « patrie des droits de l’homme », terre d’asile. Plus les inégalités dans le monde se renforcent, plus le nombre de réfugiés économiques, politiques et bientôt climatiques augmente. La seule réponse que l’Europe a formulée à ce problème c’est de se transformer en forteresse : contrôles aux frontières, barbelés et camps d’internement, puis retour à l’envoyeur du colis gênant, quelle que soit la situation existant dans le pays d’origine.
En France, comme dans d’autres pays voisins, le gouvernement applique avec une conscience qui donne des frissons dans le dos, cette politique élaborée dans les salons bien clos de la Commission Européenne. Cette Europe, on voudrait nous en dégoûter définitivement, on ne ferait pas autrement que ce que l’on fait actuellement. Toute la législation qui se met en place, dans le dos des citoyens, n’a pour but que de normaliser, sécuriser, contrôler, privatiser, limiter les droits des travailleurs et garantir chaque jour un peu plus les profits des multinationales : un paradis néo libéral à la sauce « big brother ». Les populations de migrants sont gérées comme autrefois l’on organisait la traite des esclaves : en fonction des besoins de main d’œuvre de l’industrie ou de l’agriculture. Exploités à bras ouverts un jour, rejetés le lendemain, et ce au mépris des droits de l’homme les plus élémentaires : on enferme des enfants, on sépare des conjoints ou des familles entières. En fonction du contenu de circulaires abracadabrantes et de l’humeur de fonctionnaires tâtillons, on expulse les uns, on garde les autres… Les mariages sont examinés à la loupe ; les rapprochements familiaux sont de plus en plus difficiles. Les étrangers arrivés dans nos pays, dans des conditions pires que celles réservées au transport du bétail, sont reconduits avec brutalité à n’importe quelle frontière, après avoir séjourné dans des centres de rétention abjects, totalement indignes d’héberger des êtres humains. D’individus qu’ils croyaient être en arrivant dans ces pays qui se gargarisent de « droits de l’homme », ils ne sont plus que numéro matricule et cas problématiques à régler… Un coup de tampon et l’on passe au suivant… « Vous attendez depuis 6 heures ? Je n’y peux rien, les bureaux sont fermés… Revenez demain ». Se croyant revenus au bon vieux temps du régime de Vichy, certains fonctionnaires de la République française s’en donnent à cœur joie, et travaillent avec un zèle qui, parfois, outrepasse les désirs de leurs supérieurs. Au besoin, ce sont d’autres administrations ou des officines privées qui donnent un coup de pouce à la police pour faire le sale boulot (**). Les immigrants clandestins sont traqués, tels du gibier, et l’on emploie de plus en plus souvent un vocabulaire n’ayant guère de rapport avec de quelconques droits humains. On recourt à des traquenards, on dresse des souricières, on nettoie des jungles…. et l’on enferme les « prises » dans des centres de rétention de plus en plus nombreux (***). Ceux-ci sont construits sur un modèle carcéral : chemins de ronde, gardiens avec des chiens, vidéo surveillance, meubles vissés au sol…
En visitant le site de la CIMADE, organisation qui est intervenue régulièrement dans les centres de rétention jusqu’à ce qu’elle soit déclaré persona non grata par le Ministère de l’intérieur, j’ai appris que s’achevait, au Mesnil-Amelot (77) la construction d’un camp d’internement flambant neuf. L’ouverture est prévue au printemps. Comme l’annonce fièrement notre administration, « avec 240 places, ce centre sera le plus grand de France ! » Quel titre de gloire ! D’autres Etats s’enorgueillissent de posséder le plus grand nombre de lits d’hôpitaux par habitants, ou d’assurer la meilleure couverture médicale possible à leurs citoyens… chez nous, ce sont les capacités à enfermer qui esbaudissent nos gouvernants. Notez quand même qu’il s’agit d’une fierté discrète, et que l’ouverture de ce genre d’établissement ne fait pas encore la une des grands quotidiens. Il faut concilier l’inconciliable : la pêche aux voix d’extrême-droite en période électorale, avec l’image vertueuse d’un pays qui se prétend encore humaniste dans sa façon de gérer les crises… Autre précision importante, ce magnifique camp tout neuf est conçu pour devenir un lieu dédié en particulier aux enfants : deux bâtiments totalisant une quarantaine de places sont réservés aux familles. Nul doute que nos gestionnaires prévoiront la présence d’une cellule de soutien psychologique pour aider les bambins à surmonter la crise… A moins que ce camp, comme l’était le centre de Vincennes, ne devienne un lieu supplémentaire de déshumanisation, de non-droit et de violence, et que les tentatives de suicide n’en soient le lot quotidien. Pour éviter cela, la réponse administrative est simple, comme toujours. Les séjours ne seront pas longs : notre bon ministre savoyard en charge du dossier est en train de travailler activement à une accélération de la procédure de mise sur orbite. Moins les étrangers en situation irrégulière séjourneront longtemps, moins les associations d’aide auront le temps de s’occuper des dossiers et d’emm… le gouvernement. Le « turn-over » rapide comme on dit en langage châtié, devrait permettre d’éviter le gros des problèmes.
La CIMADE appelle à se mobiliser contre l’ouverture de ce camp de la honte. L’association propose une pétition à signer, et invite les citoyens à faire pression sur leurs élus pour qu’ils interviennent. Non seulement la politique mise en place par l’Europe pour contrôler les flux migratoires est honteuse, mais elle s’avère inefficace et ruineuse. En France, par exemple, il est difficile de chiffrer le coût réel de cette politique car les budgets sont répartis entre différents ministères (immigration, intérieur, défense). Les frais en personnel pour une année (garde, convoyage, escorte) sont estimés à 394 millions d’euro, les frais de « rapatriement » (avion, bateau) à 48 millions d’euro… (Rapport du Sénateur Bernard-Reymond à la commission de finances du Sénat). De son côté, la Cour des comptes indique que dans le cadre d’un plan triennal d’extension de la capacité des centres de rétention 2006-2008, 174 millions d’euros ont été dépensés (le camp du Mesnil-Amelot, coûte, à lui tout seul, la bagatelle d’une cinquantaine de millions d’euro). Je pourrais continuer ainsi à aligner des séries de données numériques fastidieuses. Que d’argent dépensé pour une politique qui, dans le fond, ne fait que repousser un problème et non le résoudre, et ce, dans des conditions où des vies humaines sont, ni plus ni moins, brisées. Mais il faut bien, comme le disent nos dirigeants, « harmoniser la politique européenne en matière d’immigration » !
Il est intéressant de voir comment les pays en voie de développement perçoivent « cette harmonisation » et ses effets à l’égard de leurs ressortissants. Certains gouvernements d’Amérique du Sud (Equateur, Bolivie, Venezuela…) ont vigoureusement protesté contre la nouvelle législation, rappelant aux dirigeants des pays du Nord, leur responsabilité et de manière plus générale celle de l’économie néolibérale, dans cette situation. On peut lire avec intérêt à ce sujet, le courrier adressé par Rafaël Correa (Président de l’Equateur) à l’UE et aux USA, ou « l’appel à la conscience des dirigeants européens » rédigé par Evo Moralès (Président de la Bolivie). Un extrait de ce texte remarquable servira de conclusion à cette « chronique d’humeur maussade » ; ce n’est pas la première fois que je reproduis un texte de ce chef d’Etat. Sans être forcément d’accord avec l’ensemble de sa politique, j’apprécie la façon et la sensibilité avec laquelle il formule les problèmes.
« […] Le monde, ses continents, ses océans, ses pôles connaissent d’importantes difficultés globales : le réchauffement global, la pollution, la disparition lente mais sûre des ressources énergétiques et de la biodiversité, alors qu’augmentent la faim et la misère dans tous les pays, fragilisant nos sociétés. Faire des migrants, qu’ils soient sans papiers ou non, les boucs émissaires de ces problèmes globaux n’est en rien une solution. Cela ne correspond à aucune réalité. Les problèmes de cohésion sociale dont souffre l’Europe ne sont pas la faute des migrants, mais le résultat du modèle de développement imposé par le Nord, qui détruit la planète et démembre les sociétés des hommes.
Au nom du peuple de Bolivie, de tous mes frères du continent et des régions du monde comme le Maghreb et les pays de l’Afrique, je fais appel à la conscience des dirigeants et députés européens, des peuples, citoyens et militants d’Europe, pour que ne soit pas approuvé le texte de la « directive retour ». Telle que nous la connaissons aujourd’hui, c’est une directive de la honte.
J’appelle aussi l’Union européenne à élaborer, dans les prochains mois, une politique migratoire respectueuse des droits de l’homme, qui permette le maintien de cette dynamique profitable pour les deux continents, qui répare une fois pour toutes l’énorme dette historique, économique et écologique que les pays d’Europe ont envers une grande partie du tiers-monde et qui ferme définitivement les veines toujours ouvertes de l’Amérique latine. Vous ne pouvez pas faillir aujourd’hui dans vos « politiques d’intégration » comme vous avez échoué avec votre supposée « mission civilisatrice » du temps des colonies.[…] »
Notes : (*) Je pense en particulier aux Tziganes. Certains ne furent libérés qu’en décembre 1945, d’autres restèrent enfermés jusque dans le courant de l’année 1946.
(**) Les exemples ne manquent pas à ce sujet. Voir par exemple ce texte édifiant.
(***) Document important, cette carte montre l’évolution du nombre de centres de rétention en France depuis 1992.
11février2010
Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique.
… et d’enterrer sereinement la farce écologique de Copenhague…
250 000 c’est plus grand que 200 000 ; indiscutablement. 250 000 ce sont les visiteurs qui vont se bousculer à Vancouver pour s’ébrouer dans la neige. 200 000 morts, c’est le bilan approximatif du nombre de victimes à Haïti. Ils ont quitté la scène, et rejoint les oubliettes des victimes du Tsunami en Thaïlande, du cyclone de la Nouvelle Orléans et des divers massacres qui se déroulent tous azimuts sur notre belle planète bleue.
La nature est décidément bien pénible. Tremblement de terre meurtrier d’un côté, cyclone d’un autre et surtout, c’est là le plus grave, absence de neige là où il serait logique qu’il y en ait : dans les stations environnant Vancouver. Heureusement que l’inventivité humaine permet de rattraper ce genre de bévue. On ne sait pas trop quoi faire contre les secousses sismiques, mais pour ce qui est de la neige, pas de problème, on va la chercher en camion sur les sommets voisins. Il suffit d’organiser une petite navette avec 300 camions et le problème est réglé… Ne faites pas du mauvais esprit et ne la « ramenez » pas avec Copenhague et la réduction des émissions de CO2. Ce genre de limitation s’applique essentiellement dans les domaines qui ne sont pas vitaux pour l’économie planétaire. Quand il s’agit de problèmes humanitaires urgents, comme permettre le bon déroulement du cirque olympique, on rentre, en toute logique, dans les exceptions à la règle et un léger gaspillage énergétique est toléré. Les médias sont rassurés : les jeux écologiques d’hiver vont pouvoir se dérouler dans les meilleures conditions possibles. Au besoin, on pourra compléter l’enneigement en utilisant quelques pacifiques canons. Au Canada, on a de l’eau douce à profusion et l’on n’oublie pas le développement durable. L’image de marque de ces festivités débiles a été soigneusement entretenue : « presque » un pour cent des capitaux investis l’ont été pour que l’infrastructure soit « durable », « green and beautiful ». Ça leur apprendra à tout miser sur le « vert » ! Ils auraient mieux fait de parier sur le blanc, comme ça il y aurait eu de la neige au moins. Grâce à cette belle intervention humaine, on aura de belles images sur notre télé 16/9ème made in Korea. C’est géant la mondialisation.
Bien entendu, tout cela ne se fait pas sans peine. Pendant que les équipes de télévision déménagent tranquillement leur matériel de Haïti vers Vancouver, la vie sur l’île reprend son cours au milieu des morts. Je m’arrête un temps sur le déplacement de la horde journalistique pour insister sur le fait que c’est une opération délicate car l’aéroport de Port au Prince est encombré par les avions cargo remplis de matériel militaire américain, et les aides matérielles diverses et variées que la communauté internationale, faisant preuve d’un bel élan de solidarité, a bien été « obligée » d’envoyer. Un tank, une ambulance, un tank, une ambulance, un GI, un infirmier, un GI, un infirmier… Un vrai casse-tête car il ne faut pas mélanger torchons et serviettes… Plusieurs journalistes et scientifiques canadiens, l’esprit particulièrement mal tourné, ont fait remarquer que leur pays envoyait les matériaux nécessaires à la construction d’abris provisoires – jusque là rien à redire – si ce n’est que la couverture de ces baraquements, ce sont des plaques d’Eternit (un matériau bourré d’amiante pour ceux qui ne savent pas). Heureusement que certains poumons sont plus résistants que d’autres. En France l’amiante est en train de provoquer une vague de cancers impressionnante, mais au Canada, les voies respiratoires des bûcherons ne craignent pas trop ce genre de particules. Ces méchants critiques font remarquer que le Canada, et tout particulièrement le Québec, est bien conscient de ce problème de l’amiante puisque le matériau n’est presque plus utilisé dans la province, mais que les industriels continuent à l’exporter massivement, de préférence vers les PVD… (1) Quant à l’aide alimentaire, si elle continue a être envoyée comme elle l’a été au cours des décennies qui ont précédé le séisme, nul doute que l’agriculture haïtienne n’est pas prête de s’en remettre et que l’auto-suffisance alimentaire n’est pas pour demain. Heureusement que le FMI s’apprête à débloquer « généreusement » une aide financière considérable, à un taux d’intérêt très raisonnable, en faisant passer cette dotation pour un cadeau de la communauté internationale (2). Il est important de s’entraider, d’autant plus si cela rapporte ! C’est vrai que là où il y a de la casse volontaire (bombardements) ou involontaire (cataclysmes divers), cela ne peut, à terme, que relancer le « bizness ». Certains groupes industriels ont déjà perçu tout l’intérêt de la chose. De braves gens sont déjà là, sur place, pour aider à la renaissance de l’Etat haïtien, et veiller à ce que des fonctionnaires dociles occupent les postes laissés vacants. Ce n’est pas un simple tremblement de terre – certes mauvais pour l’image de marque touristique – qui va empêcher l’ONG Clinton de mettre en route ses projets de complexes touristiques géants. Les plages sont si belles sur cette île paradisiaque.
Un paradis pour les investisseurs. Tout est à vendre, même les enfants… encore mieux s’il le faut, même pas à vendre… à donner ! Il n’y a que de bons sentiments chez ces religieux qui se précipitent pour adopter, embarquer, choyer, tous ces orphelins si adorables. A l’occasion on révise même les notions de droit international ou de vocabulaire, puisque l’on applique le qualificatif « orphelin » à des enfants dont les parents sont toujours vivants. La volonté divine s’est exprimée : « confiez-nous ces malheureux enfants que vous ne pouvez plus élever, nous nous en chargerons et nous leur donnerons une éducation encore plus religieuse que tout ce que vous auriez pu imaginer ! » La course à l’adoption est lancée ; les Etats-uniens sont jaloux, il parait qu’il y a plus de petits Haïtiens en France que chez eux… Heureusement que chez nous au moins, les choses sont réglementées de façon stricte. Ce ne sont pas les représentants de la patrie des droits de l’homme qui se permettraient de franchir lâchement la frontière dominicaine en dissimulant des enfants dans une camionnette ! Le nombre de parents désireux d’adopter explose dans les pays développés, et l’offre ne répond plus à la demande. Une bonne partie des parents s’engageant dans cette démarche respectent un certain nombre de règles morales, mais ce n’est pas le cas de tous, et il y a toujours des escrocs prêts à abuser de la crédulité des « simples gens ». Si les enfants intéressent, ce n’est pas le cas pour les blessés, par contre. La France s’est contentée d’annoncer un « plan blanc » qui n’a jamais eu de lendemain, et les Etats-Unis, faisant fasse à des difficultés financières que ces indigents d’Haïtiens sont incapables d’imaginer, ont été contraints de stopper le transfert des blessés dans les hôpitaux continentaux. Cela coûte bien trop cher. (3) Du coup, on procède, sur place, à de la chirurgie de masse et on ampute à tout va. La médecine de guerre, les toubibs de l’armée US connaissent bien. Notez bien que je comprends la position française : les pauvres, dès qu’on donne un doigt, ils vous dévorent le bras. Messieurs Besson, Hortefeux et leurs préfets aux ordres sont déjà enquiquinés par les Afghans. Vous ne voulez pas qu’en plus les Haïtiens… Et puis ces fichus Etats-uniens qui veulent tout régenter, eh bien ils ont cas se débrouiller avec leurs états satellites. Il paraît en plus qu’Haïti fait partie de la ceinture « géostratégique » de ce noble pays. D’aucuns diraient même que la présence de nappes pétrolifères dans les environs n’est pas totalement exclue. (4) Il y a des esprits vraiment mal tournés, et le Web devrait être mieux contrôlé !
Quel soulagement d’être enfin débarrassés de toutes ces images de misère. De bonnes nouvelles se profilent à l’horizon : il se pourrait bien que nos valeureux sportifs nationaux obtiennent quelques médailles en argent, voire même en or, lors de la future et féérique compétition internationale. Espérons que pour une fois, au moins, la nature saura maitriser ses folies, et qu’une méga tempête de neige n’empêchera pas le déroulement en bon ordre de la mirifique cérémonie d’ouverture et des épreuves où les athlètes vont s’affronter avec un peu de fair-play et beaucoup de saines convictions patriotiques… Le must ce serait qu’une ONG canadienne prenne la peine d’inviter deux ou trois petits Haïtiens bien mignons aux festivités commémorant le début des Jeux. C’est si joli la neige, et puis dans leur île lointaine, on ne peut pas dire qu’ils soient bien gâtés ! Vous voyez que je suis capable de terminer sur une note d’optimisme pour ne pas vous gâcher le week-end. Ne me remerciez pas ; c’est tout naturel !
Notes : (1) Sur cette histoire d’amiante, on peut lire par exemple cet article-là sur le site de « radio canada » ainsi que « De quoi Haïti est-elle le nom ? » un très beau texte de Fabrice Nicolino.
(2) Lire « Le CADTM dénonce le prêt du FMI et exige que les créanciers versent des réparations pour Haïti »
(3) Lire « Les blessés haïtiens trop chers pour les US »
(4) Lire « Du pétrole en Haïti ? Oui ! » – Je tiens à préciser que cette thèse, publiée par différents médias, est passablement controversée. De toutes façons, les Etats Unis n’ont pas besoin de cet alibi pétrolier pour conserver Haïti dans leur « chasse gardée ». Les raisons strétégiques leur suffisent.
(5) Un petit lien concernant la neige à Vancouver et son transport en camion, pour ceux qui auraient des doutes…
Source des illustrations : la photo 2 provient du site « www.rnw.nl ». Le nom du photographe n’est pas indiqué. Source inconnue pour les autres documents.
9février2010
Posté par Paul dans la catégorie : Feuilles vertes; le monde bouge.
Avertissement genre Wikipédia : ceci est une ébauche d’article. Les données exposées ci-dessous sont amenées à évoluer, à être corrigées ou bien complétées. Ce bréviaire risque bien de n’être jamais complet, mais il serait cependant intéressant qu’une partie au moins des propositions qu’il contient soient débattues (pas trop longtemps) et mises en application (dans la mesure du possible). Il ne s’agit là ni d’une profession de foi pour la décroissance, ni d’un quelconque plaidoyer pour le développement durable des uns et le sous-développement durable des autres. Il s’agit juste d’une tentative de percevoir de façon rationnelle les possibilités du monde qui nous entoure, et d’envisager des lendemains qui chantent, pas seulement pour un centième de la population de la planète. Dans le cas contraire, nous prendrions le risque de courir à une déflagration générale dont les conséquences seraient sans doute un retour généralisé à l’âge de pierre. Il ne s’agit pas de la traditionnelle alternative « le nucléaire ou la bougie », mais de la certitude énoncée que le nucléaire (et toute la politique économique sous-jacente) nous amène droit à la bougie. Je suis bien conscient qu’il s’agit là de propositions réformistes qui ne feront au mieux qu’ébranler le socle de certitudes sur lequel se construit la surexploitation généralisée de notre planète et du plus grand nombre de ses habitants. Mais je sais aussi que l’arme économique (boycott, réduction de certaines dépenses, grève générale) est une arme dont nous avons le contrôle total, nous autres simples citoyens, et que son emploi de façon massive inquiète sérieusement les grands groupes industriels. Il est regrettable que ce moyen de lutte soit aussi peu utilisé : il suffit qu’un boycott fasse reculer le chiffre d’affaires d’une entreprise de 5 ou 10% pour que celle-ci capitule : les exemples historiques ne manquent pas. Je vous propose d’énoncer quelques « règles simples de consommation » et d’étudier ensuite leurs conséquences.
Il y a bien entendu des omissions regrettables… L’ordonnancement des propositions n’est pas réfléchi et les différents paragraphes gagneraient sans doute à être structurés de façon différente, mais ce n’est pas grave puisqu’il s’agit d’une chronique interactive et durable !
- Réfléchir au degré de nécessité de l’achat d’un objet, et différer (pas forcément abandonner) ce qui, après réflexion, n’est pas une dépense « incontournable ». L’argent économisé sur les investissements les plus futiles, permettra de couvrir des besoins essentiels en faisant l’acquisition d’un matériel plus solide et plus fonctionnel. Chacun a bien entendu ses priorités et établira ses listes en fonction de son travail, de son temps libre et de ses goûts. Il ne s’agit pas de s’ériger en « garde rouge » et de décréter ce qui est bien ou ne l’est pas. Telle personne aura un besoin impératif de sa voiture car elle ne peut recourir au covoiturage ; telle autre ne peut se passer d’un ordinateur (il faut bien que je me ménage une porte de sortie). Je serais mal placé pour adopter une démarche anti-consumériste stricte ; je trouve simplement malencontreux de faire des économies sur les postes budgétaires fondamentaux pour acquérir massivement des biens de seconde nécessité dont la vie éphémère se terminera (au mieux) dans un centre de tri…
- La règle précédente est valable dans le domaine alimentaire aussi. Manger moins de viande, permet d’en acheter de la meilleure, provenant d’élevages dans lesquels les animaux sont bien nourris et leur bien-être pris en compte. L’économie ainsi réalisée permet aussi d’acheter, sans doute un peu plus cher, des légumes ou des céréales issus d’autres méthodes de production que celles de l’agriculture intensive. Ce qui est ruineux (et aberrant sur le plan environnemental) c’est de vouloir transposer des menus classiques en menus bios, sans remettre en cause la moindre de ses habitudes alimentaires, notamment le fait de consommer des produits d’origine animale en énormes quantités. Ceci n’est pas une profession de foi pour le végétarisme (certains me le reprocheront mais j’assume) mais une porte ouverte sur une gastronomie plus diversifiée, plus riche en saveurs et plus rationnelle surtout sur le plan écologique. Limiter l’achat d’aliments transformés permet de réaliser des économies conséquentes. Si l’on ne cherche pas à boire du vin à chaque repas, on peut très bien ouvrir de temps en temps une bonne bouteille ayant une autre origine qu’un laboratoire de chimie.
- Ne jamais recourir à un crédit à la consommation pour acquérir quelque chose dont le besoin n’est pas immédiat. Non seulement on le paie plus cher et on enrichit son banquier, mais on engage ses choix pour une durée plus ou moins longue (parfois supérieure à celle de l’objet). Ce que j’énonce là mérite bien entendu réflexion en ce qui concerne l’acquisition d’un bien coûteux et indispensable genre logement ou véhicule. Il faut espérer que, dans les années à venir, de nouvelles solutions se développeront pour favoriser l’entraide ou la recherche de formes de financement collectif dont le but soit autre que l’asservissement du débiteur à celui qui avance les fonds.
- Mettre en avant les critères de qualité et de durabilité d’un objet, plutôt que son prix, quitte à différer un achat de quelques temps. On n’a pas besoin forcément d’avoir une panoplie électroménagère complète. Mieux vaut posséder l’équipement minimum mais faire le choix d’appareils ayant la plus faible consommation et la plus longue durée de vie possible. Ne pas se faire avoir par le miroir aux alouettes du capitalisme vert. Lorsqu’une machine fonctionne, on la conserve, même si depuis la date d’achat, d’autres modèles plus performants en matière énergétique ont été conçus. Même si ce que l’on jette est partiellement recyclé, le bilan écologique de la fabrication du « neuf » est toujours plus coûteux que le maintien en service du « vieux ». (cf chronique plus ancienne « l’essentiel c’est que vous consommiez« )

- Etre attentif et surtout réaliste en ce qui concerne l’évaluation du prix d’un objet. Vouloir acheter toujours moins cher est un comportement totalement irrationnel, voire même suicidaire sur le plan économique. Un coût de fabrication ne peut baisser, dans la logique capitaliste, qu’en « rationalisant » la production. En clair, cela veut dire, produire dans des unités de plus en plus grosses, dont l’impact écologique sera de plus en plus lourd sur l’environnement. Ensuite il faut tirer vers le bas le prix de revient des matières premières utilisées quitte à recourir à des éléments frelatés. Pour finir, il faut abaisser jusqu’au plancher le coût de la main d’œuvre responsable de la fabrication. Cette dernière option a pour conséquences soit la baisse progressive des salaires, soit la délocalisation pure et simple des entreprises dans des « paradis sociaux », c’est à dire des pays ne possédant pas ou peu de législation sociale, et une population ouvrière ou bien agricole, solidement encadrée par un régime politique de type dictatorial. Même si l’on fait abstraction de la composante environnementale (il y a des inconscients partout), la recherche du « bon coup à faire », et de la « promotion fracassante » est une démarche qui revient bien souvent à présenter son dos pour mieux se faire battre.
- Favoriser les achats de proximité, la production locale, plutôt que de choisir des marchandises fabriquées ou récoltées à l’autre bout de la planète, sous réserve que la production locale se fasse dans des conditions acceptables. Cette règle mérite un temps de réflexion, car l’autarcie totale est une imbécilité au XXIème siècle, et il vaut mieux que les Norvégiens achètent des oranges du Maroc plutôt que de faire pousser des orangers sous serre chauffée. La consommation d’oranges en hiver est quelque chose de plaisant. Il ne faut pas se leurrer, les sources hivernales de vitamines ne sont pas si abondantes que ça pendant la saison froide. Il ne s’agit pas de supprimer les échanges mondiaux, il s’agit de les raisonner. Exemple d’un circuit aberrant : la tourbe extraite en Lituanie, transportée en cargo jusqu’à Dunkerque, en camion jusque chez nous, au pied des Alpes, transformée en compost, mise en sac, puis livrée en camion aux serres provençales. On doit pouvoir faire pire, mais il faut se donner du mal. Transporter des marchandises en cargo sur des milliers de kilomètres ne revient pas forcément plus cher que de le faire en camion sur une distance dix fois moindre : il serait urgent qu’un système d’étiquetage intelligent permette de discerner le vrai du faux dans ce genre de problématique.
- Tenir compte des conditions sociales dans lesquelles sont produits les objets que nous voulons acheter. Entre une production coopérative issue d’une structure autogérée et une marchandise issue d’une structure industrielle ou agricole de type capitaliste, on choisit la première. Une carotte bio, désherbée par des ouvriers agricoles sans aucun droit et mal payés, dans une serre en Andalousie, vendue par un hypermarché en France, n’a d’écologique que le joli dessin décorant son emballage. Dans le cadre d’une AMAP par exemple, ou d’un marché local, on trouvera la même carotte chez un maraîcher voisin, et rien n’empêche d’aller donner un coup d’œil sur la façon dont il produit légumes et fruits. Il sera ravi de communiquer sur son travail. Par ailleurs, il est toujours bon d’être vigilant : ce n’est pas parce qu’un produit est local que le mode de production est socialement acceptable ; l’emploi d’une main d’œuvre sous-payée, ça existe aussi chez nous.

- Favoriser la mise en commun de certains équipements c’est aussi un choix important. Cela commence à se faire dans quelques structures d’habitat collectif : une laverie bien équipée est moins coûteuse et plus performante qu’une collection de machines à laver dans une série d’appartements. Lorsque l’on a 100 mètres carrés à tondre, il n’est pas obligatoire d’avoir une tondeuse juste pour soi. Avec un peu de bonne volonté les problèmes de calendrier d’utilisation ou de coûts d’entretien se résolvent sans trop de peine. Le dernier numéro de « l’âge de faire » et le site internet « Utopies libertaires » évoquent la création de bibliothèques d’outils (Tool libraries) dans certaines villes aux Etas-Unis, afin d’inciter les gens à bricoler avec du bon matériel : fabriquer, entretenir les objets dont ils ont besoin dans leur cadre de vie. L’achat collectif permet d’acheter du matériel haut de gamme, robuste et performant, qui ne tombera pas en panne la première fois que l’on appuiera sur le bouton. Dans certains cas, des aides à l’apprentissage sont aussi proposées afin d’éviter les déconvenues et les accidents. On peut fabriquer ses propres étagères ou son lit, puis économiser pendant quelques années et acheter un très beau buffet en bois massif chez l’ébéniste du coin, plutôt que de tout acheter en aggloméré dans une grande surface de bricolage. Vous ne transmettrez probablement pas votre cuisine « trucbidule » à vos enfants, mais vous leur léguerez sans problème le bahut fabriqué avec du « vrai » bois.
- Développer le partage des compétences. Nul n’est prophète dans tous les domaines : pour bien faire quelque chose, il faut être motivé et posséder quelques savoirs en la matière. L’omniscience n’existe que chez les robots dans les bouquins de SF. Les systèmes d’échanges de service (type SEL) peuvent permettre de pallier aux incompétences tout à fait légitimes de bon nombre de personnes. Je te propose des cours d’anglais ; tu tonds ma pelouse. Tu fais la vidange de ma voiture ; je te dépanne en informatique. Outre les avantages économiques, cette démarche a une qualité essentielle : elle recrée du lien social.
Considérations de riches, me diront certains. Beaucoup de gens n’ont même pas les moyens de se poser ce genre de questions. Tout à fait d’accord avec cette critique, même si je ne me considère pas comme faisant partie d’une catégorie particulièrement favorisée de la population française. A mes yeux, les propositions énoncées ci-dessus ne remettent aucunement en cause les luttes pour des revendications sociales. Je sais fort bien qu’un nombre important d’habitants de nos pays développés et un nombre encore plus important des pays en voie de développement, n’ont tout simplement pas les moyens économiques d’effectuer un quelconque choix, puisqu’ils sont totalement dépendants d’une aide extérieure y compris pour leur alimentation. Contrairement à certains écologistes radicaux, je soutiens toutes les luttes visant à une amélioration du pouvoir d’achat des populations qui se situent en bas de l’échelle des salaires. Tout travail effectué doit donner lieu à une rémunération correcte. Je soutiens aussi tous les combats ayant pour objectif une amélioration des conditions dans lesquelles se déroule ce même travail et une diminution de sa durée. En me plaçant dans une perspective beaucoup plus large aussi (et malheureusement plus éloignée) je suis tout à fait favorable à la création d’une allocation garantissant le droit à une vie décente pour chacun des habitants de cette planète : pouvoir se loger, se nourrir, se vêtir de façon correcte, avoir accès à l’éducation, aux soins médicaux, à la culture… Garantir le minimum vital en échange d’une part de travail social permettant un fonctionnement harmonieux de la collectivité ; permettre à chacun d’acquérir le superflu en fournissant la part de travail supplémentaire voulu en fonction des compétences dont on dispose… Mais je glisse dans une autre catégorie de chroniques, celle que j’ai intitulée « le clairon de l’utopie » et cela ne correspond pas tout à fait à l’objet de mon propos ce jour. Je propose simplement d’essayer de faire quelques pas dans la bonne direction (ou tout au moins dans une direction qui ne soit pas trop mauvaise).
