24 décembre 2013

Il s’est pris un billet de parterre cause à un pessiau qu’était tout de bisangouin…

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .

Le genre de brève que l’on n’entend plus guère dans les bistrots de par chez nous

 Je connais deux ou trois douzaines d’expressions en franco-provençal, patois de mon coin, dans le Nord-Dauphiné. Je n’en connais guère plus. Il m’est resté quelques uns de ces mots charmants qu’employaient les anciens dans leur parler de tous les jours quand je n’étais qu’un mioche… Ces gens là sont enterrés dans le champ de naviots comme dirait Gaston Couté et leur parler fleuri a disparu avec eux… Grosse perte pour la langue française, dégât bien plus important que si l’on abandonnait quelques unes de nos règles orthographiques tordues auxquelles s’accrochent les gars de l’académie comme des morpions à la toison d’or. Enfin ça sert à rien de chougner en bramant que c’était mieux avant. Il en reste pas moins que tous ces gars qui jactent un mot d’angliche tous les trois mots de chez nous, on aurait bien envie parfois qu’ils virent leur meule. Ça me donne au cœur tous ces anglicismes, même si ça me fait pas dégobiller. Nos cousins de l’autre côté de la flaque, leurs z’ont piqué des mots aux habits rouges, mais ils ont fait au moins gaffe de les estampiller à leur manière. Il paraît que tout ça c’est la faute à l’informatique. Y’avait pas les mots qui fallait dans le bon vieux patois de chez nous, alors on a pris les mots des autres pour remplacer.

 Notez bien que les mots qui voyagent je trouve ça sympa… Il paraît que Jacques Cartier quand il est arrivé à l’embouchure du Saint-Laurent il a rencontré des autochtones, les Mic-mac qui utilisaient quelques mots de basque… Tout ça c’était lié à une histoire de morue. Du pareil au même, ça fait plaisir, dans deux ou trois coins d’Europe non francophone, après avoir erré en bagnole dans une ville inconnue, de se retrouver au fin fond d’un « cul-de-sac ». Les Anglais nous ont piqué quelques mots qu’ils ont assaisonnés à leur manière. Ils n’ont pas le même complexe que nous, Français, qui cherchons à faire le plus « british » possible quand nous voulons avoir l’air « branché un max ». Avec les helpers anglophones (je ne suis même plus foutu de dire « aides ») que nous avons hébergés en 2012/2013, nous nous sommes souvent amusés à jouer à ces jeux de mots : médical et medical, garage et garage, orange et orange… Tous ces braves gens ne font aucun effort pour prononcer à la française, alors pourquoi faudrait-il que nous soyons complexés de se renseigner sur le nombre de « smiles » qu’on a gagné au loto SNCF plutôt que de s’appliquer à phonétiser « smile » comme si l’on habitait Brooklyn. Mort des langues régionales, invasion de l’anglais. Au Québec, la loi impose que les titres des films ou des séries télé soient francisés. On n’allume pas sa télévision pour regarder « StarWar » « Breaking Bad » ou « Real Humans ». Dans un texte récent, Michel Serres fait remarquer que l’on voit plus de mots anglais sur les murs de nos villes que de mots allemands pendant l’occupation. C’est pas que je regrette l’époque où toutes les cours d’Europe, de St Petersbourg à Londres jactaient la France, mais je suis pour la sauvegarde des espèces menacées, des wombats au différents dialectes du romanche (le romanche se parle en effet sous cinq dialectes différents)…

 Combat perdu d’avance ? Sûrement, si en plus on ne le livre pas. Francisons tout ce qui peut l’être… Là où le français s’est considérablement appauvri, retrouvons l’usage des jolis mots perdus. Au lieu de se moquer du français tel que le parlent les francophones, de la Réunion au lac St Jean, empruntons leur, avec politesse, quelques belles expressions pour rendre notre langue plus savoureuse. Je ne suis pas accroché au coq qui braille en haut de mon clocher, et je ne tiens pas particulièrement à imposer le patois local comme langue internationale… Disons simplement que comme les Québecois, j’aime placoter, me promener à brunante, lever le pouce quand mon char est en panne ou faire le tour du boisé en dessus de chez nous. Notez bien que je ne fais pas de favoritisme géographique : placoter me plait bien, mais aussi cancaner, jaboter, bavasser ou marner (enfin marner au sens que donnent à ce mot les Lorrains, plutôt qu’à celui qu’on retient vers chez nous). Autrefois, les gones faisaient l’école buissonnière par endroit, alors qu’en d’autres lieux ils gâtaient l’école, faisaient la fouine ou miégeaient allègrement… Autant je sabrerais volontiers dans ces règles orthographiques abracadabrantesques que j’ai dû enseigner à des élèves pendant une bonne trentaine d’années, autant je porte le deuil de tous ces mots que l’on enterre en procession derrière le curé. Ma peine est encore plus grande quand le rouleau compresseur du français standardisé voit ses dégâts renforcés par un second engin arrivé en ferribotte d’outre-Manche.

 Aucune colère contre les anglophones dans tout cela. De la colère juste contre les niais  qui ont gobé la mondialisation comme de la purée en flocons, mais qui n’ont jamais rien compris au mot internationalisme. L’anglais doit supplanter toutes les autres langues, comme outil d’échange international ? Pourquoi pas… Je n’ai rien contre, bien que je ne comprenne pas bien pourquoi l’anglais et pas l’hindoui ou le mandarin… Surtout quand on observe les courbes démographiques (dans quelques années, il y aura plus d’habitants au Pakistan que dans toute l’Union européenne…) ! J’aurais préféré l’espéranto, mais je n’ai jamais fait l’effort de l’étudier. Et puis l’espéranto c’était encore une langue passablement eurocentrée… Va pour l’anglais, c’est la langue que l’on utilise à la maison avec les voyageurs venus d’ailleurs pour observer nos mœurs exotiques… A mes yeux l’anglais a l’avantage de posséder différents niveaux de complexité, ce qui n’est pas le cas du français, dont les difficultés s’accumulent dès les premiers contacts. Mais cela n’empêche en aucun cas de continuer à parler un français pur souche, enrichi de mots empruntés dans nos parlers régionaux, dans l’inépuisable réserve de l’argot ou dans les différentes variantes de notre langue utilisées de par le monde. Ça je n’en démordrai pas. Plus une chose est importante dans un pays, plus le vocabulaire est riche… Savez-vous qu’il existe au moins une centaine de synonymes en français pour le mot « vin » ? De la même manière, les Inuits possèdent un grand nombre de termes pour qualifier la neige selon son état… Quand il effectue sa traversée à pied d’une partie de la France (« Chemins faisant »), Jacques Lacarière commence à dresser un inventaire du vocabulaire géographique utilisé dans les différentes régions du Massif Central pour décrire les paysages… C’est impressionnant pour nous qui ne connaissons plus que colline, montagne, vallée, rivière ou col…

 Bon, je sais que les festivités approchent et je ne vais pas tatasser plus longtemps sur un sujet sans doute un peu trop éloigné des huitres et de la dinde enmarronnée. Un conseil pour finir : avec tous les excès qui vous attendent, buvez bien mais n’allez pas vous barner le cul dans les fossés. Y’a pas que le char que vous risquez d’essampiller ou d’écarmailler ! Parce que des fois, le gnôlon ça carbasse ! Si vous êtes patafioles, mieux vaut rester pioncer au bercail ou alors faites quand moi, prenez du souci avant que les carottes ne soient cuites ! A bas le foie bras, poil au gras !

 

9 Comments so far...

lediazec Says:

24 décembre 2013 at 17:19.

Superbe ! Bien que de sang espagnol, j’adore les locutions bretonnes, chopées à la volée, dans le parlé français. Elles valent bien les anglicismes tendance, qu’on nous sert à toutes les soupes ! Cela étant, Ma Doué ( non, je ne suis pas calotin!), l' »espèce menacée » se porte assez bien quand même…
Espagnol pouvant comparer, j’affirme sans rougir du bonnet que le castillan et le français sont des langues phares !
Bon réveillon à toi !

François Says:

25 décembre 2013 at 11:12.

Tant que tu ne te briques pas une piaute, ton année sera belle! Bonne année au Charbinat, à sa feuille et à ses charmants habitants.

Paul Says:

25 décembre 2013 at 17:19.

@ François – briquer une piaute, ça me plait bien ! Joyeux Noël aussi !

Rem* Says:

26 décembre 2013 at 01:19.

Dans ma prime enfance je baragouinais (de bara, pain, et gwin, vin… en parler des poilus de 14-18 venus de Bretagne et qui n’entendaient que couic au parler-pointu des parigots officiers, « à l’assaut » par exemple). Bon, bien que breton d’ascendance, mon parlé d’enfance était « de Tour de Babel » : une invention de gamins ludiques dans la rue, aux parlers arabe, maltais, grecs, français, etc. Puis vers 1948, à 9 ans, je découvrais la France via la Charente profonde où les gosses patoisaient fort. Et j’ai essayé mon langage de Babel, me suis fait casser la gueule lorsqu’ils ont compris que je venais d’Égypte (ah! Poitiers…).
Depuis, je suis resté poète à l’oreille musicale, photographe à l’œil anarchiste : Vive Babel…

Paul Says:

26 décembre 2013 at 08:57.

@ Rem* – Je crois qu’un tel brassage culturel est une grande richesse… Je n’ai découvert ce plaisir de mélanger les mots que trop tardivement, mais je prends un malin plaisir à réintégrer dans mon langage certaines expressions que je connaissais, autrefois, mais dont j’avais perdu l’usage. Ce fichu problème de langage me travaille maintenant ; peut-être parce qu’avant, quand j’allais me promener « ailleurs » je regardais surtout les paysages et que maintenant je m’intéresse tout autant aux bipèdes croisés sur ma route. L’incompréhension a quelque chose de frustrant même si, bien souvent, un beau sourire vaut des centaines de mots !
Merci en tout cas pour votre commentaire…. La richesse d’un blog est elle aussi alimentée par la parole de ses lectrices et de ses lecteurs.

Rem* Says:

26 décembre 2013 at 11:06.

Oui, Paul, je suis très riche (ce n’est pas l’avis de mon richissime banquier!!) de ce brassage culturel, toujours en éveil… et c’est beaucoup plus important que le fric, le poison-fric.
Pour ton information et celle de tes lecteurs, le blog « Cailloux dans l’brouill’Art » publie aujourd’hui la 1°partie de mon article : « M’enfin c’est quoi l’Anarchie »… ben c’est riche, et sans guillemets !!!

Lavande Says:

26 décembre 2013 at 18:53.

Un petit proverbe indien que le commentateur précédent pourra offrir à son riche banquier en guise de voeux de nouvel an:
« Lorsque l’homme aura coupé le dernier arbre,
pollué la dernière goutte d’eau,
tué le dernier animal
et pêché le dernier poisson,
alors il se rendra compte
que l’argent n’est pas comestible. »

la Mère Castor Says:

1 janvier 2014 at 13:48.

Quant à moi, j’aime à bader sur ce blog où le patron n’est pas un réboussié.

Paul Says:

1 janvier 2014 at 13:58.

@ Mère Castor – Heureusement qu’il y a Mère Castor qui veille point trop éméchée ! Ma foi « Réboussié » ça me va bien et je trouve ça plutôt sympa. Ici, il fait soleil presque comme à Sauve et ça donne envie de se trémousser !

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