13 février 2023

Bords du Rhône à pas tranquilles

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .

Chemins trop humides, ciel bien gris, fatigue sous-jacente… L’envie nous prend parfois de renoncer à nos chemins forestiers bien aimés… En hiver, la montagne n’est guère accueillante pour ceux qui ne sont pas inspirés par les randonnées en raquettes ou à skis. Il nous faut alors trouver des solutions de repli afin de pourvoir à notre besoin quotidien d’air pur et d’exercice tranquille. Les bords du Rhône, grâce à la ViaRhôna constituent l’une de ces échappatoires bienvenues, et nous nous y réfugions assez souvent pendant la saison froide. Quelques kilomètre vite parcourus avec la voiture et nous voilà rendus aux stationnements des ponts de Groslée ou d’Evieu. Que ce soit de l’une des destinations ou de l’autre, nous remontons le plus souvent le fleuve à contrecourant. Les deux promenades se ressemblent, ne seraient-ce qu’à cause des aménagements. La présence du Rhône et de son courant impétueux assure aussi la continuité.

Les aménagements du Rhône sont très anciens. Cordon, troisième pont en amont de chez nous, aurait été un point de franchissement du fleuve dès le Néolithique. Les ports étaient nombreux mais n’ont laissé que peu de vestiges. Il existe encore des piles, souvenir des nombreuses trailles (câbles suspendus en travers du fleuve) qui servaient de guidage aux bacs (**). De nos jours, les finalités de ces aménagements ont bien changé ! Priorité à la production d’énergie et aux loisirs. La Compagnie Nationale du Rhône a construit de nombreux barrages hydroélectriques, accompagnés de canaux, d’écluses et de digues. La ViaRhôna profite de ces aménagements. La piste cyclable utilise la grande digue sur une partie de sa trajectoire. Elle est accompagnée d’espaces de loisirs : aires à piquenique ou panneaux informatifs. Autrefois les aménagements étaient conçus en fonction des besoins quotidiens : embarcadères pour les pêcheurs, digues et  chenaux pour les Rigues (*) qui transportaient les pierres et autres marchandises, quelques gués et surtout des bacs à traille pour faire passer d’une rive à l’autre passagers et ballots de fournitures diverses. Des vestiges de cette vie ancienne subsistent, mais ils n’ont plus d’intérêt actuel que comme illustration d’activités abandonnées pour informer et/ou distraire les touristes.

Dans le secteur qui nous intéresse les lônes (bras du fleuve) sont nombreuses, et délimitent une multitude d’îles et d’îlots. Ce réseau complexe, aujourd’hui bien simplifié, avait pour mérite de réduire de façon naturelle le côté fougueux de ce fleuve agité. Il permettait aussi d’épancher les fortes crues, régulières en période de fonte des neiges ou de pluviométrie surabondante. Depuis un siècle, le fleuve a été sévèrement encadré. Les premiers aménagements, tels les rectifications de berges ou la création de canaux bien droit, avait eu pour défaut le fait d’accélérer le courant et de rendre les crues plus violentes. Depuis quelques décennies, il a fallu faire en partie machine arrière et mettre en place de nouveaux dispositifs permettant des variations moins brutales du débit. Lorsque l’on avance sur la ViaRhôna entre Groslée et Evieu, on peut voir une illustration de mon propos. Un système de canaux et de portes a été mise en place, permettant une circulation réversible de l’eau. L’excédent charrié par le fleuve, en période de hautes eaux, peut être entraîné, de manière plus ou moins contrôlée vers les campagnes avoisinantes. En période calme, le fleuve effectue son travail de collecte et de drainage de ses berges, permettant une baisse relative des nappes phréatiques et rendant le travail agricole possible. Si l’on prolonge l’exploration sur les deux rives, on s’aperçoit que de tels dispositifs existent en plusieurs lieux. L’inondation est ainsi plus facilement contrôlable et moins fréquente qu’autrefois. Revers de la médaille, elle est aussi plus rapide et plus importante, lorsqu’elle a lieu. Il n’y a plus d’inondations à Lyon ; il y en a encore dans nos campagnes…

 J’apprécie beaucoup ces promenades tranquilles. Le fleuve crée une animation constante, et il y a toujours des observations inédites à faire : niveau de l’eau, objets portés dans le courant, présence ou absence des colonies de cygnes, signes divers d’activité des nombreux représentants de la faune peuplant l’espace fluvial. Les berges ont un côté artificiel à cause des nombreux terrassements qui ont été réalisés, mais le fleuve lui-même a gardé son côté sauvage et son aspect change à chaque nouvelle visite. La présence des lônes et des ilots pousse aussi à la rêverie. C’est le propre des espaces plus ou moins cachés, inhabités, sauvages, que de permettre d’imaginer quelques instantanés d’une vie de Robinson. Il faut saisir ces moments fugitifs, car le retour à la réalité est souvent rapide, si ce n’est brutal. Nous avons aussi nos repères comme cette barque rouge arrimée non loin du pilier signalant la présence d’une traille. Un chemin quitte la piste cyclable et permet de suivre un ancien lit que le fleuve a abandonné, le méandre du Saugey. Ce changement de tracé est relativement récent puisqu’il a modifié certaines données administratives. La superficie de terre incluse dans le méandre situé côté Ain, fait toujours partie du département de l’Isère sur l’autre rive du fleuve… Le Rhône ancien n’avait aucun respect pour les frontières établies par les politiques !

 Deux poules d’eau se disputent et semblent fort en colère… Drame conjugal, pitance difficile à partager, conflit entre mâles outragés ? Deux arbres fraichement coupés sur le bord du canal : quelle idée à bien pu saisir un bûcheron de s’amuser à transformer l’extrémité de sa bûche en pointe de crayon ? L’homme n’a pas le temps de s’amuser, mais le castor, lui, aime le travail bien fignolé. Un barrage non agréé par la Compagnie Nationale du Rhône serait-il en cours de construction ? Nous croisons un cygne isolé, bien éloigné de ses consœurs et confrères qui préfèrent évoluer au soleil vers l’autre rive. Pourtant, son plumage est aussi blanc que celui du reste de la compagnie. Son exclusion est-elle choisie, volontaire, ou bien s’agit-il d’un hors-la-loi refusant de se plier aux règles de la tribu, un vilain cygne non vacciné que son chef de clan a décidé de punir ? Si l’on veut bien se prêter au jeu, tous les cent mètres, l’imagination a de nouvelles raisons de dériver et des histoires improbables font surface au milieu des remous du tumultueux cours d’eau. Les images qui défilent évoquent plus « Robinson Crusoë » que Pirates des Caraïbes… On peut aussi se contenter d’observer les nombreux humains que l’on croise, à pied, en trottinette ou en vélo. Par chance, les engins propulsés par des moteurs de tronçonneuse qui polluent certaines de nos forêts sont ici interdits. Le contexte est suffisamment riche pour se lancer dans une réflexion plus ou moins bougonne sur l’état de l’humanité.

Parfois, l’envie me prend de faire des comparaisons. Je me suis déjà promené au bord de la Loire par exemple et je trouve que les deux fleuves ne se ressemblent guère. A deux pas de chez nous, le Rhône reste un fleuve de montagne, même si les hommes ont multiplié les efforts pour lui briser les reins et le domestiquer. Il faut voir la vitesse à laquelle il est capable de charrier un tronc d’arbre lorsqu’il est à son débit maximum en période de fonte des neiges par exemple. Michelet compare le Rhône à « un taureau furieux descendu des Alpes et qui court à la mer »… Il n’avait pas tort, même si cela reste plus vrai en amont de son cours.
Les termes de langueur ou de paresse qui viennent à l’esprit lorsque l’on observe la Loire s’étalant au milieu de sa plaine, ne peuvent en aucun cas s’appliquer à notre Rhône régional. Je peine d’ailleurs à imaginer à quoi il pouvait ressembler avant qu’on le musèle avec tous ces aménagements. Pour en avoir lu plusieurs récits, je sais que le transport des pierres du Haut-Bugey jusqu’à la métropole lyonnaise constituait un véritable défi pour les marins qui embarquaient sur les Rigues (*) lourdement chargées. Les courants étaient particulièrement traitres, et il était quasiment impossible de redresser un esquif qui se mettait en travers. Les rapides se succédaient et les pilotes de chaque bateau devaient faire preuve d’une connaissance exceptionnelle du lit du fleuve pour acheminer leur marchandise à bon port. Les naufrages étaient fréquents et peu de marins survivaient lorsqu’ils se retrouvaient « au bouillon ». De nombreux édifices lyonnais doivent leur existence au courage de ces hommes. Malgré l’existence de chemins de halage, il était rare que les Rigues soient ramenées à leur point de départ. Il était plus rentable de les démonter et de les vendre comme bois d’œuvre aux entrepreneurs de la grande ville.

Habiter sur les berges du Rhône n’était pas chose facile autrefois. Dépendre des humeurs du fleuve pour sa survie économique encore moins. La vie du promeneur nonchalant que je suis est heureusement plus simple. De belles journées ensoleillées se profilent à l’horizon en ce mois de février. Les prémices du printemps s’annoncent aux observateurs attentifs. Nous allons sans doute commettre quelques infidélités à nos visites au bord du fleuve. D’autres lieux enchanteurs nous attendent. Peut-être reviendrons-nous bientôt sur la ViaRhôna mais en vélo cette fois !

(*) J’ai consacré un billet à ces mystérieuses Rigues. Je vous incite à vous y reporter si vous souhaitez étancher votre curiosité.
(**) Si la question vous intéresse je vous recommande de consulter ce site, très complet.

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