15 décembre 2008

Un avenir agricole pour la planète (1)…

Posté par Paul dans la catégorie : Feuilles vertes .

Les mouvements altermondialistes et certains syndicats agricoles se sont engagés dans une réflexion qui va à rebours de ce que pensent nos élites intellectuelles gouvernantes. L’idée débattue est la suivante : et si l’agriculture familiale et paysanne, que l’on tend à faire disparaître, était au contraire le modèle à encourager pour éviter les catastrophes humaines et écologiques à venir ? Je vais essayer de développer un peu les arguments qui soutiennent cette théorie. Bien sûr, comme trop souvent, je ne pourrai faire un exposé complet, faute de place et surtout de compétence, mais je souhaite lancer quelques pistes pour avancer dans le débat. Un premier élément consiste déjà à développer ce que l’on entend par « agriculture paysanne et rurale »… Celle-ci peut être définie par un certain nombre d’éléments : il s’agit de propriétés de petite dimension dont l’exploitation repose sur une main d’œuvre familiale et non salariée. Ces deux critères doivent être complétés par la manière dont est conduite la gestion de la ferme : une connaissance suffisamment approfondie du terroir doit permettre sa mise en valeur par des moyens adaptés et d’une façon durable, tant sur le plan économique que sur le plan écologique. Le céréalier français cultivant seul 150 hectares de blé pour l’exportation, avec l’utilisation d’un matériel lourd énergivore et l’apport massif d’intrants, ne peut être considéré comme faisant partie de ce modèle.

Les plus grands des pays en voie de développement (Chine, Inde, Brésil…) suivent actuellement le modèle qui a été celui de l’Europe au XIXème et au XXème siècle : exode rural massif, c’est à dire regroupement des petites exploitations familiales en grandes structures (ou abandon pur et simple des terres trop pauvres et trop morcelées), déplacement de la main d’œuvre ainsi libérée vers les centres urbains. L’exemple de la Chine dans ce domaine est impressionnant : le gouvernement s’est donné dix ans pour inverser la répartition de la population dans le pays : les proportions actuelles, huit cent millions d’habitants en zone rurale contre cinq cent millions en zone urbaine doivent basculer. L’agriculture traditionnelle, les exploitations familiales essentiellement, sont considérées comme dépassées. Seules les métropoles gigantesques entourées d’une flopée de cheminées d’usine représentent la modernité. Les campagnes ne seront plus symbole d’arriération lorsque les exploitations agricoles regrouperont des milliers d’hectares arrosés d’engrais et d’herbicides par hélicoptères et récoltés par des machines à côté desquelles les tracteurs actuels paraîtront des jouets pour enfants. Les dirigeants chinois sont fascinés par un modèle agricole que nous connaissons bien et dont nous mesurons d’ores et déjà les nombreuses limites. Ils sont largement soutenus dans cette démarche par une bonne part des experts de certains grands organismes mondiaux, économistes ou agronomes, qui considèrent « qu’il n’y a point de salut pour l’humanité, hors de l’agriculture industrielle » et que le petit paysan planteur de riz, de soja ou de maïs sur des micro parcelles est une survivance du Moyen-Âge. Les paysans quittent donc massivement la terre : celle-ci ne leur apporte que des conditions de vie difficiles et une grande misère. Ils partent s’entasser dans les banlieues ouvrières des villes nouvelles où le rêve d’une existence meilleure, pour bon nombre d’entre eux, part très rapidement en fumée.

Les multinationales de l’agroalimentaire poussent largement dans cette direction. Elles préfèrent traiter avec de grosses entreprises agricoles, plus facilement contrôlables, et meilleures clientes pour les produits coûteux qu’elles ont à commercialiser. Elles font pression sur les familles paysannes pour moderniser leurs pratiques et utiliser largement engrais, pesticides, semences OGM et autres variétés « modernes » qui s’avèrent peu adaptées à ce type d’exploitation. Les conséquences écologiques (celles-ci on les évoque souvent) sont catastrophiques mais les résultats humains de ce type d’incitation ne le sont pas moins. L’absence de résultats tangibles, voire même la baisse des rendements agricoles, poussent les familles paysannes au surendettement, au désespoir (comme en Inde où des dizaines de milliers d’agriculteurs se sont suicidés ces dernières années) et à l’abandon de ce qui constituait leurs racines depuis des siècles. Les terres de ces familles ruinées et expropriées, sont alors regroupées et rachetées par de gros entrepreneurs qui mettent en place la politique voulue par les multinationales et le marché tout puissant. Le secteur privé s’empare peu à peu des ressources naturelles de la planète : production, récolte, transformation, transport, commercialisation, tout passe dans les mains de quelques grosses sociétés qui peuvent ainsi faire « la pluie et le beau temps » sur les cours mondiaux des denrées alimentaires. Les anciens propriétaires deviennent simples ouvriers agricoles avec des salaires de misère ou partent pour la ville.

On abandonne les cultures vivrières et on investit à fond dans la monoculture, soja en Argentine, blé au Brésil, haricots verts au Sénégal… L’agriculture n’est alors plus nourricière mais alimente les marchés mondiaux en denrées standardisées sur lesquelles se produit une spéculation effrénée. Les cours connaissent des variations liées non pas à l’augmentation ou à la diminution de la demande, mais à un mécanisme spéculatif complexe. Les denrées produites, sont exportées à l’autre bout de la planète, dans le mépris le plus total des coûts énergétiques. Le soja argentin vogue vers la Chine, pendant que les haricots verts d’Afrique centrale alimentent nos marchés hivernaux. Pendant ce temps-là, les ex-ruraux, néo-urbains, souffrent de la malnutrition dans leurs cages de béton. Des émeutes de la faim éclatent un peu partout dans le monde quand les prix atteignent des limites insoutenables. Dans les Pays en voie de développement, les paysans un peu plus aisés ne tirent guère mieux leur épingle du jeu. Lorsque, de leur propre initiative, les propriétaires d’exploitations de dimension moyenne, se reconvertissent à ce genre de pratiques « modernes », ils connaissent bien vite le même sort que leurs voisins plus pauvres. Ils découvrent que le soi-disant « libre échange » qui règne sur les marchés mondiaux cache en réalité une multitude de barrières, que les produits de l’agriculture des pays du Nord sont largement plus compétitifs que les leurs, car subventionnés. Les cours du coton, du soja, du café… qu’ils produisent, subissent des variations, et ils n’ont pas l’assise financière suffisante pour les supporter ; très vite, ils plient bagages, comme les « petits » l’ont fait avant eux, pour grossir les rangs des fonctionnaires de l’administration ou les cohortes de « chercheurs d’emploi à n’importe quel prix ».

Et si ce choix économique, majoritaire à l’heure actuelle, était, non pas une évolution indispensable de l’agriculture, mais au contraire une régression catastrophique ? Cet exode rural repose sur un postulat que beaucoup d’études actuelles tendent à remettre en cause : « seule l’agriculture industrielle a la capacité de nourrir une planète qui comportera bientôt neuf milliards d’habitants… » Les limites de ce raisonnement sont faciles à mettre en évidence :
– dans les pays qui pratiquent cette agriculture depuis des décennies, les terres ont atteint leur plafond de productivité, et le maintien des rendements repose sur des investissements énergétiques de plus en plus coûteux (carburant pour des engins de plus en plus gros, prix des engrais et des produits phytosanitaires..) ; on estime que 25% des terres cultivables à l’échelle de la planète ont été stérilisées en un siècle par l’agrochimie ;
– les conséquences de ces pratiques sur le plan écologique sont dramatiques (assèchement des nappes d’eau utilisées pour l’irrigation, appauvrissement de la faune et de la flore, bilan sanitaire déplorable pour la main d’œuvre…) ;
– les OGM que certains ont présentés comme solution miracle aux problèmes de la faim dans le monde, non seulement n’accroissent pas les rendements – on assiste même au phénomène inverse dans certains cas – mais posent une multitude de problèmes environnementaux (démontrés) et sanitaires (pour les consommateurs – en cours de démonstration) ; la seule chose qu’ils accroissent vraiment ce sont les profits des multinationales qui les commercialisent ;
– les terres légères des pays tropicaux et équatoriaux, et en particulier celles qui ont été nouvellement défrichées (après déboisement par exemple) résistent beaucoup moins bien que les terres profondes des pays tempérés ; l’usage intensif des engins lourds, les labours répétés, et le lessivage lié à l’absence de couverture végétale pendant une partie du processus de culture ont des effets dévastateurs…

Je me limite à l’essentiel : d’autres arguments démontrant les limites des pratiques agricoles considérées comme « modernes » peuvent être énoncés. On peut se rapporter, à ce sujet, à un livre qu’écrivait il y a déjà près de 40 ans l’ingénieur agronome Claude Aubert : « l’industrialisation de l’agriculture ». Il faisait preuve d’une lucidité exemplaire dans son analyse.

Face à cela, l’agriculture familiale possède de nombreuses qualités qu’il est nécessaire de mettre en avant. Mais il y a, avant cela, un principe fondamental à énoncer : tant que la politique économique mondiale n’aura pas changé, les petits paysans continueront à abandonner leurs fermes. Celles-ci ne seront pas rentables tant que le cours de la politique agricole mondiale ne sera pas inversé. Seul ce changement radical permettra d’amorcer une stabilisation puis un changement progressif des tendances. L’agriculture familiale et paysanne doit être aidée afin de pouvoir pérenniser certains de ses choix, mais aussi pour pouvoir se moderniser. Si les moyens mis en œuvre par les tenants de la monoculture intensive ne sont pas les bons, cela ne veut pas dire que ceux utilisés dans les petites exploitations sont toujours appropriés. Certains pensent, et au vu des éléments en ma possession je suis d’accord avec eux, que le maintien et le développement des petites structures agricoles ne peuvent aller que dans le sens d’une meilleure qualité de vie pour l’ensemble des habitants de la planète. Il faut stopper l’hémorragie qui vide les campagnes. Il faut limiter la croissance des centres urbains qui « dévorent » les terres arables. Il faut redonner aux agriculteurs une véritable dignité et les remettre à la place centrale qui doit être la leur dans notre société. La terre doit pouvoir permettre à ceux qui la cultivent de vivre correctement et non dans un état de souffrance permanente. Cette agriculture à petite échelle a les moyens de nourrir la planète. Nous verrons les arguments qui justifient cette affirmation dans la deuxième partie de cette chronique.

Notes. Crédit photographique : cliché n°1, Orcades, Altermondes – cliché n°4, Futura Sciences – cliché n°6, bjinformation.com. Principales sources documentaires pour cet article et le suivant : la revue « altermondes » n°12 de décembre 07 – le site du mouvement « Via Campesina » (liens permanents) – le site du CETIM (Centre Europe-Tiers Monde).

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