16 décembre 2008

Un avenir agricole pour la planète (2)

Posté par Paul dans la catégorie : Feuilles vertes .

Le maintien et l’aide au développement d’une agriculture paysanne familiale peuvent empêcher ou tout au moins limiter à court terme les dégâts du crash alimentaire mondial vers lequel nous nous dirigeons. Ce modèle agricole, à condition qu’on l’aide à évoluer au lieu de chercher à le détruire systématiquement, est capable de subvenir aux besoins de nourriture des neuf milliards d’habitants que comptera notre planète en 2050. Voilà les deux points sur lesquels cette deuxième partie de la chronique va essayer d’insister, tout en montrant que cette problématique ne concerne pas que les Pays en Voie de Développement.

Le premier point que je veux développer relève de la simple logique économique : faire disparaître des emplois agricoles, dans des pays dans lesquels il n’existe pas de besoin de main d’œuvre dans l’industrie – soit parce que celle-ci est inexistante (Afrique) ou est déjà largement pourvue (Inde, Chine, Amérique du Sud) – est une aberration. Ces transferts de population n’ont alors qu’un but ; grossir les rangs des chômeurs et des demandeurs d’emploi afin de maintenir une pression « à la baisse » sur les salaires. Cette logique, parfaitement capitaliste, crée, au quatre coins de la planète, de véritables poudrières sociales. Conditions de logement désastreuses, malnutrition, absence d’accès dans des conditions correctes aux soins ou à l’éducation, constituent un terreau fertile pour l’implantation de l’intégrisme et du fanatisme religieux par exemple. Les paysans argentins ou indiens chassés de leurs terres ne trouvent pas de meilleures conditions de vie dans les bidonvilles des mégapoles ; leur situation reste misérable. Plus l’exode rural s’intensifie, plus le problème devient grave : dans la plupart des pays du Sud, la main d’œuvre chassée des campagnes, ces dernières années, reste largement improductive.

Les autres arguments que je vais évoquer sont d’ordre agricole directement. Dans les exploitations traditionnelles, les agriculteurs possèdent une connaissance approfondie des terres qu’ils travaillent, des conditions climatiques locales ; au fil de longues années de pratique, ils ont su adapter le choix des variétés de légumes ou de céréales qu’ils cultivent. Les échanges de semences et le travail de sélection effectué ont considérablement accru la diversité des variétés disponibles. Contrairement à l’agriculture industrielle, l’agriculture paysanne a contribué et contribue encore à un renouvellement de la biodiversité végétale. Rappelons par exemple qu’il existait, en Amérique du Sud, des centaines de variétés différentes de pommes de terre, adaptées aux terrains sur lesquels elles étaient cultivées en tenant compte de l’altitude (cycle végétal plus ou moins long), de l’humidité (résistance aux maladies cryptogamiques), de la nature des sols (exigences nutritives)… La standardisation du choix proposé a induit un rétrécissement des zones dans lesquelles il reste rentable de cultiver ce légume. Les multinationales veulent maintenant contrôler les semences et, dans un nombre de plus en plus grand de pays, les agriculteurs qui veulent utiliser une partie de leurs propres récoltes sont accusés de « contrefaçon » ! Les dépôts de brevets abusifs sur les végétaux permettent aux géants de l’agroalimentaire de faire main basse sur tout un savoir ancestral sur lequel ils n’ont aucun droit (lire à ce sujet « la vie n’est pas une marchandise » de Vandana Shiva).

Dans beaucoup de régions du monde, y compris en Europe lorsqu’elle subsiste, l’agriculture paysanne est capable d’une grande productivité. Ses moyens financiers étant limités, elle a cherché à utiliser de façon optimale les ressources naturelles disponibles et l’inventivité a su palier, dans bien des cas, au recours systématique à des moyens matériels lourds peu adaptés. L’exemple de l’agriculture de montagne est intéressant : elle a su mettre en valeur, grâce à un réaménagement des pentes à l’aide de murets et de terrasses, des terres que nul ne cherche plus maintenant à exploiter. Les coûts en main d’œuvre étaient considérables, mais, bon gré mal gré, ces parcelles produisaient et assuraient dans bien des cas largement plus que l’autosuffisance alimentaire de la famille. La révolution agricole du XXème siècle a entraîné la disparition de ces exploitations : à grand renfort de mécanisation et d’apport d’engrais, les rendements des grandes parcelles de plaine étaient largement plus rentables. Les prix des denrées ont baissé (dans bien des cas leur valeur alimentaire aussi d’ailleurs) et le surcroît de travail demandé par ce mode de culture n’était plus rémunéré. Peu à peu, dans les vallées de moyenne montagne et dans les régions de collines, les terres agricoles sont retournées à la friche.

Un autre facteur, de plus en plus pris en compte de nos jours (et pour cause !) est l’environnement. Le paysan est obligé de tenir compte de l’écosystème et veille plus attentivement au maintien de son équilibre car il sait que son avenir en dépend. Le jour où le rendement de ses terres diminuera, il sait bien qu’il en subira directement les conséquences et qu’il ne possède pas de « solution de repli ». Des techniques telles la rotation des cultures sur les parcelles, facteur essentiel dans le maintien des sols en bon état, sont couramment pratiquées (ou en tout cas plus faciles à implanter), dans les fermes pratiquant la polyculture que dans les grosses exploitations souvent très spécialisées. Dans ces entreprises, la recherche d’un profit financier immédiat n’incite guère à gérer les sols dans la durée. On compte beaucoup sur le progrès technique pour régler les problèmes : forages en profondeur pour l’eau d’irrigation, utilisation de tracteurs plus gros pour décompacter les sols, augmentation des apports d’engrais pour compenser l’effondrement des rendements… Les gros céréaliers sont largement subventionnés et les réponses qu’ils apportent aux difficultés rencontrées passent par toujours plus d’investissements, une dépense énergétique accrue… et l’exigence de nouvelles aides publiques. Sur ce dernier point, le bilan est largement favorable pour les petites exploitations. La consommation d’énergie fossile est moindre : les denrées alimentaires produites sont souvent commercialisées sur place ; le maintien d’un équilibre sur la ferme entre élevage et polyculture permet d’utiliser moins d’engrais chimiques ; les profits réalisés sont plutôt réinjectés dans des investissements locaux. L’argent gagné par le paysan sert à construire de nouveaux bâtiments, à améliorer la mise en valeur de nouvelles parcelles, à acheter un outillage adapté et favorise donc le développement de tout un artisanat local lié à ces activités. L’argent gagné par le gros exploitant est surtout investi dans l’achat de biens de consommation, d’éléments de confort supplémentaires, de produits industriels qui, dans les pays du Sud au moins, ne sont pas fabriqués sur place.

Dans nos pays occidentaux, les consommateurs prennent peu à peu conscience des problèmes que génère la production agricole industrielle des aliments et sont de plus en plus demandeurs d’une nourriture de meilleure qualité, et surtout n’ayant pas d’effets néfastes sur la santé. Les problèmes récents rencontrés notamment dans l’élevage (grippe aviaire, « vache folle », peste porcine…) montrent à quel point certaines pratiques intensives font courir des risques à l’ensemble d’une population. La détection d’un virus ou d’une maladie dans un élevage industriel entraîne l’abattage de milliers d’animaux car la contagion est rapide et ne peut être stoppée. Lorsque les animaux vivent dans de meilleures conditions, la propagation des maladies est beaucoup moins spectaculaire. Des animaux en bonne santé bénéficient, comme les humains, d’un système immunitaire plus efficace et le temps de réaction dont disposent les réseaux sanitaires sont beaucoup plus importants. La qualité des produits offerts sur le marché n’a plus rien à voir, mais il est clair également que leur prix de vente est souvent bien plus élevé, ce qui est logique puisque l’agriculture écologique demande une part de main d’œuvre plus conséquente. Une nouvelle problématique se pose alors, nécessitant sans doute une politique d’encouragement des pouvoirs publics, mais surtout un travail d’information des consommateurs que seul un dialogue constructif avec les producteurs permettra d’accomplir. J’ai déjà évoqué sur ce blog, dans le cadre d’un article sur les labels de l’agriculture biologique, la mise en place des réseaux coopératifs de distribution, type AMAP ou « voisins de panier ». Nul doute sur le fait que je serai amené à en reparler un de ces jours. Dans une prochaine chronique je reviendrai également sur un certain nombre de démarches qui peuvent permettre l’installation ou la réinstallation d’exploitations agricoles familiales dans notre pays. En attendant une nécessaire remise à jour, vous pouvez toujours relire l’article que j’avais consacré il y a presque un an à l’initiative de l’association « Terre de liens », et, si vous en avez la possibilité, surveillez un peu ce que vous mettez dans vos assiettes en ces périodes festives !

Notes. Un document intéressant concernant le Burkina Faso peut être lu à cette adresse : il illustre, en prenant exemple sur un pays d’Afrique, ce qui a été expliqué ici. Comme précisé dans les notes précédentes, les principales sources documentaires pour l’ensemble de cette étude sont : la revue “altermondes” n°12 de décembre 07 – le site du mouvement “Via Campesina” (liens permanents) – le site du CETIM (Centre Europe-Tiers Monde).
Crédit photographique : cliché 1, bidonville de Jakarta (photo Jonathan McIntosh, notre-planète info) – cliché 2, pomme de terre à chair violette, Vitelotte (wikipedia) – cliché 3, terrasses à Majorque (Wikipedia) – cliché 4, séchoir traditionnel en Slovénie (photo maison) – cliché 5, élevage intensif de poulets (photo www.pmaf.org via notre-planète info).

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